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Date : 20040204

Dossier : T-1235-02

Référence : 2004 CF 190

Toronto (Ontario), le 4 février 2004

EN PRÉSENCE DU PROTONOTAIRE ROGER R. LAFRENIÈRE                              

ENTRE :

                                                                 APOTEX INC.

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

PFIZER CANADA INC., PFIZER CORPORATION

et SA MAJESTÉLA REINE

                                                                                                                                    défenderesses

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Les défenderesses, Pfizer Canada Inc. et Pfizer Corporation (Pfizer), demandent l'autorisation de modifier leur défense pour y corriger le lieu où la défenderesse Pfizer Corporation a été constituée en personne morale et pour y ajouter un moyen de défense tiré de la prescription. La demanderesse, Apotex Inc. (Apotex), ne s'oppose pas à ce que cette correction mineure soit apportée aux actes de procédure, mais elle refuse de donner son consentement à l'autre modification, qui touche davantage le fond, au motif qu'elle ne révèle aucune défense valable.


Faits à l'origine du litige

[2]                La présente action a été introduite le 1er août 2002 par une déclaration. Apotex cherche à obtenir la réparation prévue à l'article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement), qui permet au Tribunal de lui accorder une réparation sous forme de dommages-intérêts ou de distraction des profits à l'égard de toute perte attribuable au retard dans la délivrance de l'avis de conformité par suite de l'introduction d'une demande d'interdiction en vertu du Règlement. Plus particulièrement, Apotex demande à Pfizer de lui verser une indemnité par suite du rejet de la demande d'interdiction introduite par Pfizer dans le dossier no T-1714-95 (la demande d'interdiction).

[3]                Pfizer a déposé sa demande d'interdiction en réponse à l'avis d'allégation qu'Apotex lui avait envoyé le 23 juin 1995 au sujet du brevet canadien no 1 181 076 (le brevet 076). La demande couvrait la période comprise entre le 11 août 1995, date du dépôt de la demande d'interdiction, et le 30    janvier 1998, date à laquelle cette demande a été rejetée.

[4]                Pfizer a dépose des défenses le 19 décembre 2002 et des défenses modifiées le 18 février 2003.

[5]                Apotex a déposé sa réponse à chacune des défenses modifiées le 27 mars 2003.

[6]                Voici le passage pertinent de chacun des projets de défenses modifiées de nouveau qui sont en litige dans la présente requête (paragraphe 53, dans le cas de Pfizer Canada Inc., et paragraphe 58 dans le cas de Pfizer Corporation) :

[TRADUCTION] Pfizer Canada [Pfizer Corporation] admet que la demande a été rejetée le 30 janvier 1998 et que plus de deux années se sont écoulées depuis l'introduction de l'action. Pfizer Canada [Pfizer Corporation] invoque donc expressément le paragraphe 39(1) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, modifiée, et l'alinéa 45(1)h) de la Loi sur la prescription des actions, L.R.O. 1990, chap. L-15, afin que la Cour limite en tout ou en partie la portée de l'action d'Apotex ou qu'elle la déclare irrecevable.

Principes juridiques applicables

[7]                La Cour doit faire preuve de libéralisme en matière de modification d'actes de procédure. En principe, une modification devrait être autorisée à tout stade de l'action afin que les véritables questions en litige entre les parties puissent être tranchées, pourvu que cette mesure ne cause à la partie adverse aucune injustice qui ne pourrait être réparée par l'attribution de dépens (Almecon Industries Ltd. c. Anchortek    Ltd., (1999), 85 C.P.R. (3d) 216, à la page 218 (C.F. 1re inst.)).


[8]                Toutefois, pour décider s'il y a lieu de permettre à une partie de modifier un acte de procédure, la Cour doit aussi décider si les modifications peuvent être radiées en application de l'article 221 des Règles, si elles faisaient déjà partie de l'acte de procédure proposé. Les modifications proposées à un acte de procédure qui ne révèle aucune cause d'action valable seront refusées (Visx Inc. c. Nidek Co., (1996), 72 C.P.R. (3rd) 19, à la page 24 (C.A.F.); Chrysler Canada Ltd. c. La Reine, [1978] 1 C.F. 137, à la page 138 (C.F. 1re inst.); Johnson & Johnson Inc. c. Boston Scientifique Ltée., (2001), 14 C.P.R. (4th) 512, à la page 516 (C.F. 1re inst.)).

[9]                Qui plus est, l'acte de procédure qui vise une question d'interprétation législative est susceptible d'être radié en réponse à une requête fondée sur l'article 221 des Règles de la Cour fédérale (1998) si l'argument juridique invoqué sera nécessairement jugé mal fondé. C'est le raisonnement qu'a suivi la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Prior c. Canada, (1990), 101 N.R. 401, à la page 404 :

Lorsque le succès d'une action repose entièrement sur un argument juridique qui peut facilement être compris et clairement défini uniquement à la lecture de la déclaration, sans qu'il puisse être expliqué par d'autres actes de procédure et qu'aucune question ne pourrait être mieux explorée lors d'un procès, une requête fondée sur la règle 419(1)a) permettra au défendeur de contester la validité d'un tel argument et par conséquent de montrer immédiatement que l'action sera nécessairement rejetée puisque, même si les faits importants allégués étaient tous vrais, la Cour ne pourra d'aucune façon faire droit aux redressements demandés.

Analyse

[10]            Ainsi qu'il a déjà été souligné, la première modification demandée est une modification mineure et elle n'est pas litigieuse. Elle ne causera aucun préjudice à Apotex et ne retardera pas le déroulement du procès. En conséquence, Pfizer Corporation est autorisée à modifier sa défense pour y corriger le lieu où elle a été constituée en personne morale.


[11]            La seconde modification vise à ajouter un moyen de défense tiré de la prescription. Pfizer affirme avoir omis par inadvertance de plaider ce moyen dans sa première défense. En clair, Pfizer souhaite plaider que l'action d'Apotex est prescrite parce qu'elle a été introduite plus de deux ans après le prononcé, le 30 janvier 1998, de la décision relative à la procédure engagée en vertu du Règlement. Dans sa modification proposée, Pfizer cite les dispositions législatives applicables sur lesquelles elle se fonde pour affirmer que la demande d'Apotex se prescrit par deux ans. Selon Pfizer, les autres faits allégués au soutien de ce moyen de défense, notamment la date à laquelle commence à courir le délai de prescription et celle à laquelle il aurait expiré, font déjà partie des actes de procédure.

[12]            La thèse de Pfizer est que, selon les dispositions du paragraphe 39(1) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C., 1985, ch. F-7, modifiée, et celles de l'alinéa 45(1)h) de la Loi sur la prescription des actions, L.R.O. 1990, chap. L-15, qui sont ci-après reproduites, la demande d'Apotex se prescrit par deux ans.

Paragraphe 39(1) de la Loi sur la Cour fédérale

39.(1) Prescription - Fait survenu dans une province - Sauf disposition contraire d'une autre loi, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s'appliquent à toute instance devant la Cour d'appel fédérale ou la Cour fédérale dont le fait générateur est survenu dans cette province.

Alinéa 45(1)h) de la Loi sur la prescription des actions de l'Ontario :

45.(1) Les actions suivantes se prescrivent par les délais respectifs indiqués ci-dessous :

¼

h) l'action en recouvrement d'une pénalité, de dommages-intérêts ou d'une somme d'argent accordée par une loi à la Couronne ou à la partie lésée se prescrit par deux ans, à compter de la naissance de la cause d'action;


Le paragraphe 39(1) de la Loi sur la Cour fédérale

[13]            Pfizer affirme que le paragraphe 39(1) de la Loi sur la Cour fédérale s'applique parce que le siège social d'Apotex est situé à Toronto (Ontario) étant donné que la demande d'interdiction a été officiellement déposée à Ottawa, au greffe de la Cour fédérale, et que le jugement par lequel la Cour fédérale a rejeté la demande d'interdiction a été signé au greffe de Toronto de la Cour fédérale. Pfizer soutient qu'en raison de ces faits, le fait générateur du litige qui oppose Apotex et Pfizer est survenu dans la province d'Ontario.

[14]            Toutefois, pour que le paragraphe 39(1) de la Loi sur la Cour fédérale s'applique, tous les éléments du « fait générateur » doivent être survenus dans la province en question. Les dommages subis et le fait à l'origine du dommage doivent nécessairement s'être produits dans la province concernée ( Markevich c. Canada, [2003] 1 R.C.S. 94, (2003), 223 D.L.R. (4th) 17, aux pages 35 et 36 (C.S.C.); Kirkbi A.G. c. Ritvik Holdings Inc., (2002), 20 C.P.R. (4th) 224, à la page 284 (C.F. 1re inst.)); Canada c. Maritime Group (Canada) Inc., (1995), 185 N.R. 104, à la page 106 (C.A.F.); Gingras c. Canada, (1994), 113 D.L.R. (4th) 295, à la page 319 (C.A.F.)).


[15]            En l'espèce, le fait générateur qui a donné naissance à la demande dirigée contre Pfizer se rapporte à une instance qui s'est déroulée, non pas dans une province, mais au palier fédéral. Qui plus est, dans cette instance, la réparation demandée était le prononcé d'une ordonnance interdisant la délivrance d'un avis de conformité. Cet avis est délivré par le ministre fédéral de la Santé et il autorise celui à qui il est délivré à vendre un produit déterminé partout au Canada et non pas seulement dans une province. Par ailleurs, l'instance en question aurait entraîné des pertes de ventes ainsi que le maintien injustifié d'un monopole en faveur de Pfizer sur tout le territoire du Canada et non pas seulement dans une province déterminée.

[16]            Le lieu où se trouve le greffe de la Cour fédérale où la demande est introduite ou encore la ville où le jugement est signé par un juge n'ont, à mon avis, aucun rapport avec la question de savoir si le fait générateur du litige est survenu dans une province. Le fait que le siège social d'Apotex soit situé à Toronto n'a pas non plus pour effet de confiner le droit d'action à une seule province. Dans sa demande d'indemnisation, Apotex réclame des dommages-intérêts ou les profits qui ont été réalisés afin de réparer un préjudice qui aurait été subi à l'extérieur de l'Ontario, dans d'autres provinces canadiennes. Pfizer n'est donc pas fondée à affirmer que le fait générateur du litige est survenu uniquement en Ontario.

[17]            En tout état de cause, Pfizer n'a pas invoqué suffisamment de faits substantiels pour appuyer son affirmation catégorique que le délai de prescription applicable est de deux ans. En conséquence, je conclus que le paragraphe 39(1) de la Loi sur la Cour fédérale ne s'applique pas aux faits tels qu'ils ont été allégués en l'espèce.


[18]            Il s'ensuit donc que le seul délai de prescription qui s'applique à la demande d'Apotex est le délai de prescription de six ans prévu au paragrahe 39(2) de la Loi sur la Cour fédérale, qui dispose : « Le délai de prescription est de six ans à compter du fait générateur lorsque celui-ci n'est pas survenu dans une province » . Or, il est acquis aux débats qu'Apotex a introduit son action bien avant l'expiration de ce délai plus généreux.

[19]            Vu ce qui précède, force est de constater que les arguments invoqués par Pfizer au sujet du paragraphe 39(1) de la Loi sur la Cour fédérale sont si manifestement futiles qu'ils sont voués à l'échec et qu'ils doivent par conséquent être écartés.

L'alinéa 45(1)h) de la Loi sur la prescription des actions de l'Ontario

[20]            Même si Pfizer avait raison d'affirmer que le paragraphe 39(1) de la Loi sur la Cour fédérale s'applique parce que le fait générateur du litige est survenu en Ontario, il est évident et manifeste que le moyen de défense que Pfizer tire de l'alinéa 45(1)h) de la Loi sur la prescription des actions de l'Ontario est voué à l'échec.


[21]            Dans l'arrêt Johnson Controls Inc. c. Varta Batteries Limited, (1984), 53 N.R. 6 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a conclu que l'alinéa 45(1)h) de la Loi sur la prescription des actions de l'Ontario s'applique aux actions de nature pénale. La Cour a estimé que l'alinéa 45(1)h) « vise des actions pénales et non des actions dont l'objet est de dédommager la partie lésée des pertes causées par les actes d'autrui » . La Cour d'appel de l'Ontario est parvenue à la même conclusion dans l'arrêt Westend Construction Ltd. et al. c. Ontario Human Rights Commission et al., (1989), 70 O.R. (2d) 133. La Cour a jugé que le délai de prescription énoncé à l'alinéa 45(1)h) s'appliquait uniquement aux dispositions législatives dont l'objectif était de punir plutôt qu'à celles permettant une condamnation à des dommages-intérêts et comportant un aspect indemnitaire.

[22]            Dans l'arrêt Varta, la Cour d'appel fédérale a également conclu que l'alinéa 45(1)h) ne s'appliquait pas aux actions intentées en vertu de la Loi sur les brevets qui visent à indemniser le demandeur relativement à la présumée contrefaçon de son brevet. La Cour a plutôt estimé que la poursuite en dommages-intérêts pour contrefaçon d'un brevet intentée en vertu de la Loi sur les brevets constitue une action « pour atteinte indirecte » (action upon the case) à laquelle l'alinéa 45(1)g) (et, partant, le délai de prescription de six ans qui y est prévu) s'applique.

[23]            Même si l'affaire Varta portait sur une action en contrefaçon introduite en vertu de la Loi sur les brevets, et non sur une demande fondée sur l'article 8 du Règlement, je ne vois aucune raison d'établir une distinction entre cette affaire et la présente espèce. Le raisonnement suivi par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Varta, raisonnement auquel je souscris, s'applique également aux faits de la présente espèce. À mon avis, il n'y a pas de question litigieuse d'interprétation de la loi à résoudre en l'espèce.

[24]            La demande d'Apotex n'est manifestement pas une action pénale qui lui permet de demander à la Cour de punir le défendeur, mais bien une action à caractère indemnitaire par laquelle elle cherche à obtenir la réparation intégrale du préjudice qu'elle a subi. Dans ces conditions, je conclus que la modification proposée sous forme d'ajout d'un moyen de défense tiré de l'alinéa 45(1)h) de la Loi sur la prescription des actions est vouée à l'échec et qu'elle ne doit pas être autorisée.


[25]            Vu mes conclusions qui précèdent, je n'ai pas à aborder l'argument supplémentaire avancé par Apotex, en l'occurrence l'argument que l'alinéa 45(1)h) de la Loi sur la prescription des actions s'applique uniquement aux actions en recouvrement d'une somme d'argent « accordée par une loi » et non par un règlement. Qu'il suffise de dire qu'on peut certainement soutenir que lorsque le législateur parle de « loi » dans la Loi sur la prescription des actions, il vise également les règlements qui sont pris en application de la loi et qui sont réputés en faire partie.

                                        ORDONNANCE

LA COUR :

1.          ACCORDE aux défenderesses, Pfizer Canada Inc. et Pfizer Corporation (Pfizer), l'autorisation de modifier leur défense pour y corriger le lieu où la défenderesse Pfizer Corporation a été constituée en personne morale;

2.         REJETTE la requête à tous autres égards;

3.         CONDAMNE les défenderesses, Pfizer Canada Inc. et Pfizer Corporation, à payer les dépens à la demanderesse, Apotex Inc., quelle que soit l'issue de la cause.

                                                                         « Roger R. Lafrenière »         

        Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.                                                                                                                                                        


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            T-1235-02

INTITULÉ :                                           APOTEX INC.

                                                                                        demanderesse

et

PFIZER CANADA INC., PFIZER CORPORATION

et SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                        défenderesses

REQUÊTE ENTENDUE ORALEMENT LE 17 NOVEMBRE 2003 ET AJOURNÉE POUR PERMETTRE AUX PARTIES DE PRÉSENTER DES OBSERVATIONS ÉCRITES SUPPLÉMENTAIRES

LIEU DE L'AUDIENCE :                        TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                       LE 17 NOVEMBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                              LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

DATE DES MOTIFS :                LE 4 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS:

Andrew R. Brodkin

POUR LA DEMANDERESSE

Patrick S. Smith

POUR LES DÉFENDERESSES

Pfizer Canada Inc. et Pfizer Corporation

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:                                                  

GOODMANS srl

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

GOWLING LAFLEUR HENDERSON srl

Ottawa (Ontario)

POUR LES DÉFENDERESSES,

Pfizer Canada Inc. et Pfizer Corporation


             COUR FÉDÉRALE

                             

Date : 20040204

Dossier : T-1235-02

ENTRE :

APOTEX INC.

                                    demanderesse

et

PFIZER CANADA INC., PFIZER CORPORATION et SA MAJESTÉ LA REINE

                                    défenderesses

                                                                                   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                   


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