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Date : 1998.03.09


T-323-97

E n t r e :

     HAVANA HOUSE CIGAR & TOBACCO MERCHANTS LTD.,

     EMPRESA CUBANA DEL TABACO, faisant affaire sous la

     raison sociale de CUBATABACO, et HABANOS S.A.,

     demanderesses,

    

     - et -

     MORINO NAEINI, faisant affaire sous la raison sociale de

     PACIFIC TOBACCO, PACIFIC CIGAR et PACIFIC TOBACCO

     & CIGARS et OREX COMMUNICATIONS LTD., faisant affaire sous la

     raison sociale de PACIFIC TOBACCO & CIGARS, PACIFIC TOBACCO

     et PACIFIC CIGAR, et PACIFIC CIGAR AND TOBACCO CORP.,

     faisant affaire sous la raison sociale de PACIFIC CIGAR

     et PACIFIC TOBACCO et FARAH KASHEFI,

     faisant affaire sous la raison sociale de

     PACIFIC TOBACCO et PACIFIC TOBACCO & CIGARS et ASA CIGAR

     CONNOISSEUR CORP., faisant affaire

     sous la raison sociale de CIGAR CONNOISSEUR,

     défendeurs.

    

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE

[1]      Les présents motifs font suite à la requête des défendeurs qui a été entendue et tranchée le 3 mars 1998. Cette requête visait à faire radier certaines parties de la déclaration ou, à titre subsidiaire, à obtenir des précisions au sujet du dessin et de la transmission du droit d'auteur et du contre-interrogatoire des auteurs des affidavits des demanderesses.

CONTEXTE

[2]      Les demanderesses Empresa Cubana Del Tabaco, faisant affaires sous la raison sociale de Cubatabaco (" CUBATABACO "), et Habanos S.A. (" HABANOS ") sont les fournisseurs et exportateurs officiels de cigares de l'État cubain. La demanderesse Havana House Cigar & Tobacco Merchants Ltd. (" HAVANA HOUSE ") est un importateur et distributeur canadien de produits du tabac, particulièrement de cigares. Les demanderesses revendiquent la propriété d'une douzaine de marques de commerces bien connues de cigares, dont Montecristo Habanas et Partagas. Les demanderesses sollicitent notamment une injonction, un jugement déclaratoire et des dommages-intérêts sur le fondement d'une imitation frauduleuse et de contrefaçon de marque de commerce et de violation du droit d'auteur.

[3]      Bien que les divers noms de marques de cigares existent depuis de nombreuses années, dans certains cas depuis le début du XIXe siècle, HAVANA HOUSE est relativement une nouvelle venue, ayant été constituée en personne morale au Canada en 1988. En plus de revendiquer en vertu de la Loi sur les marques de commerce des droits sur dix marques de cigares bien connues en invoquant des enregistrements effectués en vertu de la Loi entre 1993 et 1996, HAVANA HOUSE revendique également en vertu de la Loi sur les marques de commerce des droits sur les dessins artistiques des bagues et de l'emballage des cigares de marques Montecristo Habanas et Partagas. Cette revendication de droit d'auteur fait partie des principaux points abordés dans la requête des défendeurs et est énoncée aux paragraphes 17 à 20 de la déclaration modifiée.

[4]      Revenons d'abord un peu en arrière. La déclaration a été déposée le 26 février 1997. Les défendeurs y étaient désignés comme étant Morino Naeini et Pacific Tobacco & Cigars et Orex Communications Ltd., faisant affaire sous la raison sociale de Pacific Tobacco & Cigars. M. Naeini a des intérêts dans ces défenderesses et exploite depuis plusieurs années une entreprise d'importation et de vente de diverses marques de cigares, au nombre desquelles se trouveraient les cigares Montecristo Habanas et Partagas. Avec l'aide de leurs anciens avocats, ces défendeurs ont déposé une défense le 1er avril 1997. Les demanderesses ont modifié leur déclaration le 27 octobre 1997 en y ajoutant plusieurs nouveaux défendeurs et en effectuant quelques modifications de fond. Les nouveaux défendeurs n'ont pas encore produit de défense.

ANALYSE

Radiation du moyen tiré du droit d'auteur

[5]      Comme ils ont déjà produit une défense, les défendeurs originaux ne devraient pas être autorisés, à cette étape-ci, à réclamer des précisions en vue de préparer leur plaidoirie. Je reconnais également le principe général suivant lequel les parties ne peuvent présenter de requête en vue de faire radier des éléments au sujet desquels elles ont déjà plaidé. Évidemment, cela ne les empêche pas, après avoir plaidé, de présenter une requête en invoquant qu'il n'y a pas de cause d'action valable. Cela ne les empêche pas non plus de présenter une requête en radiation en invoquant une réponse que le demandeur a donnée lors de son interrogatoire et qui contredit des allégations de fait essentielles de la déclaration (voir, par exemple le jugement Mayflower Transit Ltd. c. Marine Atlantic Inc. (1989), 29 F.T.R. 30, aux pages 33 et 34, une décision du juge MacKay).

[6]      En l'espèce, il y a plusieurs facteurs qui permettent aux défendeurs de présenter la présente requête en radiation à cette étape-ci de l'action. Premièrement, le contre-interrogatoire de M. Abel Ortego, directeur de la commercialisation chez HAVANA HOUSE, contredit la partie de la déclaration que les défendeurs désirent faire radier. Deuxièmement, les demanderesses ont modifié considérablement leur déclaration le 27 octobre 1997, notamment en y ajoutant plusieurs défendeurs. Le nouveau cabinet et les nouveaux avocats dont les défendeurs ont retenu les services n'ont pas encore produit de défense modifiée au nom des défendeurs originaux. Finalement " et cet aspect est encore plus important " le nouvel avocat n'a pas produit de défense pour le compte des défendeurs dont le nom a été ajouté par suite de la modification.

[7]      L'avocat des demanderesses soutient que les défendeurs ne constituent en réalité qu'une seule et même personne et que le défendeur Naeini est leur porte-parole. M. Naeini n'est toutefois pas le propriétaire de toutes les personnes morales défenderesses. Il semble toutefois être un propriétaire ou une personne autrement intéressée. Je ne suis pas disposé à lever le voile de l'anonymat de ces personnes morales pour ce motif. En raison de ces faits d'ordre procédural, les défendeurs, du moins les nouveaux défendeurs, peuvent soumettre la présente requête en vue d'obtenir la radiation ou, subsidiairement, des précisions.

[8]      Les paragraphes 17 à 20 de la déclaration renferment, ainsi que je l'ai déjà dit, une revendication de droit d'auteur sur les dessins qui sont reproduits dans les deux annexes de la déclaration et qui portent sur la bague et l'emballage des cigares Montecristo Habanas et Partagas :

     [TRADUCTION]         
     DROITS CONFÉRÉS PAR LA LOI SUR LE DROIT D'AUTEUR À LA DEMANDERESSE HAVANA HOUSE         
     17.      HAVANA HOUSE est titulaire du droit d'auteur protégeant au Canada les dessins artistiques illustrés aux annexes O et P ainsi que toutes les modifications y apportées.         
     18.      Les dessins artistiques mentionnés au paragraphe 17 et illustrés aux annexes O et P sont des oeuvres originales réalisées par des employés engagés par le prédécesseur en titre de la demanderesse. Les employés qui ont réalisé les oeuvres étaient, à l'époque en cause, des citoyens espagnols.         
     19.      Le droit d'auteur protégeant les dessins artistiques en question existe toujours au Canada et HAVANA HOUSE en est le titulaire en vertu des dispositions de la Loi sur le droit d'auteur, notamment des articles 5, 6 et 13 de la loi en question.         
     20.      HAVANA HOUSE est la seule personne qui a le droit, au Canada, d'importer ou de reproduire les dessins artistiques en question, en tout ou en partie et sous quelque forme matérielle que ce soit.         

Je tiens à faire remarquer que le droit d'auteur en question n'est pas enregistré.

[9]      Le paragraphe 13(4) de la Loi sur le droit d'auteur, qui invalide toute cession ou concession de droit d'auteur qui n'est pas faite par écrit, est crucial pour la demande formulée par HAVANA HOUSE aux paragraphes 17 à 20 de sa déclaration :

     13.(4) Le titulaire du droit d'auteur sur une oeuvre peut céder ce droit, en totalité ou en partie, d'une façon générale, ou avec des restrictions territoriales, pour la durée complète ou partielle de la protection; il peut également concéder, par une licence, un intérêt quelconque dans ce droit; mais la cession ou la concession n'est valable que si elle est rédigée par écrit et signée par le titulaire du droit qui en fait l'objet, ou par son agent dûment autorisé. (Non souligné dans l'original.)         

Aucun des affidavits ne renferme de déclaration portant que le droit d'auteur a été cédé, ni même que l'acte de cession était mais ne se trouve plus en la possession de l'une quelconque des demanderesses, ainsi que l'exige le paragraphe 448(2) des Règles.

[10]      Le fait que la demanderesse HAVANA HOUSE ne soit pas en mesure de produire des cessions écrites du droit d'auteur qu'elle revendique n'est pas nécessairement fatal. Toutefois, la preuve doit établir par prépondérance qu'il existait une cession écrite. Ce principe est énoncé dans le jugement Motel 6, Inc. c. No. 6 Motel Limited, [1982] 1 C.F. 638. Dans cette affaire, le litige portait sur un droit d'auteur fondé sur le paragraphe 12(4) de la Loi sur le droit d'auteur, qui correspond au paragraphe 13(4) actuel de la Loi. Le juge Addy résume ce principe dans les termes suivants, à la page 647 :

     J'admets avec l'avocat de la demanderesse que l'article 12(4) est une condition de fond et non une règle de preuve. Par conséquent, l'acte de cession lui-même n'a pas nécessairement à être produit si la preuve établit son existence et sa conformité avec cet article. Toutefois, la preuve est loin d'établir par prépondérance l'existence d'une cession écrite, encore moins d'une cession signée par Greene ou son agent, ou d'établir qui a bien pu être le cessionnaire.         

Dans le jugement Motel 6, le juge Addy a conclu que l'existence possible d'un acte de cession était purement hypothétique et, comme elle n'avait pas réussi à faire la preuve de son droit de propriété, la demanderesse a été déboutée de sa demande fondée sur la violation du droit d'auteur.

[11]      Ainsi que je l'ai dit, les paragraphes 17 à 20 de la déclaration doivent reposer sur une cession écrite du droit d'auteur sur les dessins artistiques des cigares, bagues et emballages des cigares Montecristo Habanas et Partagas. Le fait qu'aucune des demanderesses n'a déclaré, dans son affidavit, qu'il existait un acte de cession ou qu'un acte de cession a été égaré, soulève des doutes sérieux quant à la validité des prétentions de la demanderesse HAVANA HOUSE à un droit d'auteur sur l'emballage des cigares Montecristo Habanas et Partagas.

[12]      Les défendeurs attirent par ailleurs l'attention de la Cour sur le témoignage que M. Abel Ortego a donné lorsqu'il a été contre-interrogé au sujet de son affidavit le 9 janvier 1998 à l'appui de la requête en injonction interlocutoire. Il a témoigné que, bien que HAVANA HOUSE revendique la propriété des diverses marques de commerce enregistrées, dont Montecristo Habanas et Partagas, ces marques de commerce, qui existent depuis de nombreuses années, n'ont jamais fait l'objet d'une cession. M. Ortego a ajouté qu'il n'était au courant d'aucune licence écrite ou verbale. Ces éléments donnent peut-être des indices quant à la façon dont HAVANA HOUSE conçoit ses activités commerciales, mais ils n'ont aucune incidence sur la présente requête.

[13]      Il n'est pas facile d'obtenir la radiation d'une partie d'une déclaration. Le défendeur doit démonter, hors de tout doute, que l'acte de procédure n'a aucune chance de réussir. Si l'acte de procédure n'est pas frivole mais qu'il a des chances de réussir, la requête en radiation est rejetée. L'acte de procédure dans lequel la demanderesse revendique le droit d'auteur présente, dans sa rédaction actuelle, plusieurs autres lacunes. Toutefois, à cette étape-ci, je ne suis pas prêt à dire qu'il est frivole, car la demanderesse est peut-être encore en mesure de démontrer qu'un acte de cession a été signé ou qu'il existait probablement un acte de cession ou, compte tenu des décennies qui se sont écoulées depuis que l'emballage en question a été dessiné et que l'industrie du cigare a été nationalisée à Cuba, qu'il existait une série d'actes de cession et de concession.

Détails de l'acquisition du droit d'auteur

[14]      Les défendeurs, du moins ceux qui ont été ajoutés par suite de la modification et qui n'ont pas répondu à la déclaration, ont certainement le droit de savoir comment la demanderesse a acquis son droit d'auteur sur les bagues et sur l'emballage des cigares Montecristo Habanas et Partagas de manière à pouvoir plaider intelligemment.

[15]      L'avocat de la demanderesse m'a cité des décisions dans lesquelles les tribunaux ont déclaré qu'il n'est pas nécessaire de fournir des précisions au sujet de la publication, de la paternité ou d'autres questions semblables, étant donné que ces questions sont évidentes et qu'elles relèvent davantage de l'enquête préalable (voir, par exemple, le jugement Association olympique canadienne c. National Gym Clothing Ltd. (1985), 2 C.P.R. (3d) 145). Ces décisions portent sur un droit d'auteur enregistré lorsqu'il est facile d'obtenir de plus amples précisions en consultant le registre. Dans un cas comme celui qui nous occupe, dans lequel aucun droit d'auteur n'a été enregistré et dans lequel la partie demanderesse doit démontrer par une preuve solide l'existence de la chaîne de titres sur laquelle elle fonde sa prétention aux avantages que comporte le droit d'auteur, le défendeur a le droit d'obtenir ce genre de précisions (voir, par exemple, le jugement Durand & Cie v. Lapatrie Publishing Co. Ltd. (1952), 15 C.P.R. 86, aux pages 90 à 92 (C. de l'Éch.)). Les demanderesses devront donc fournir les précisions demandées, y compris celles concernant la paternité de l'oeuvre, les prédécesseurs en titre et les cessions en vertu desquelles HAVANA HOUSE revendique la propriété de ces dessins artistiques. Toutes les parties réclament maintenant un règlement accéléré de l'action. L'existence d'une cession écrite est une condition essentielle à la réussite de l'action des demanderesses. Les défendeurs réclament les précisions susmentionnées depuis un certain temps déjà; les demanderesses ne sont donc pas prises au dépourvu par la présente requête, et elles devront fournir les précisions demandées dans un délai de 15 jours.

[16]      Pour le cas où les demanderesses ne seraient pas en mesure de produire des actes de cession des droits d'auteur sur l'emballage des cigares Montecristo Habanas et Partagas ou de démontrer par preuve prépondérante qu'il existait des cessions écrites, la Cour leur rappelle qu'une action en justice ne saurait reposer sur de simples hypothèses et qu'un demandeur ne peut introduire une demande en justice lorsque la charge de la preuve repose de toute évidence sur ses épaules et qu'il ne dispose d'aucun élément de preuve ou fondement factuel sur lesquels il peut faire reposer ses prétentions. Le juge Addy a examiné ce genre de situation dans l'affaire Caterpillar Tractor Co. c. Babcock Allatt Ltd. (1983), 67 C.P.R. (2d) 135, dans laquelle la demanderesse avait présenté une requête en vue de faire radier des parties de la défense dans lesquelles la défenderesse se contentait de reprendre des passages de la Loi sur les brevets, sans invoquer de faits essentiels à l'appui. Or, dans l'affaire Caterpillar Tractor, après avoir reçu signification de la défense, la demanderesse était passée à une autre étape de l'action et avait choisi de procéder à l'interrogatoire préalable, ce qui avait eu pour effet de clore les actes de procédure. Il est toutefois devenu évident, au cours de l'interrogatoire préalable, que l'acte de procédure de la défenderesse était mal fondé. En réponse à la requête en radiation, la défenderesse a fait valoir que, comme les actes de procédure étaient clos, la demanderesse était irrecevable à demander des précisions et à demander la radiation de la défense pour manque de précisions. Le juge Addy a considéré que la requête de la demanderesse portait, non pas sur l'insuffisance de l'acte de procédure, mais plutôt sur l'insuffisance de la preuve, et a souligné qu'en vertu de l'article 419 des Règles, la Cour peut radier un acte de procédure, à toute étape de l'action, lorsque l'acte de procédure en question est futile ou vexatoire, qu'il peut causer un préjudice ou nuire au déroulement de l'action ou qu'il est par ailleurs susceptible de constituer un abus de procédure :

     Si une partie ne dispose d'aucun fondement pour faire une allégation dans une plaidoirie, alors, il n'est pas logique de maintenir l'allégation. Une partie ne saurait résister à la demande de radiation en prétendant que, si elle a droit à un interrogatoire illimité de son opposant, elle pourrait alors être en mesure d'étayer l'allégation. (À la page 138).         

[17]      Le juge Addy a radié les deux paragraphes contestés. En l'espèce, compte tenu surtout des pressions qui sont exercées sur le tribunal pour qu'il tranche rapidement le litige, le temps est venu pour les demanderesses soit de fournir des précisions, soit d'envisager la possibilité de modifier la déclaration de manière à en retrancher les quatre paragraphes et réparations accessoires dont les défendeurs demandent la radiation, étant donné que, comme je l'ai déjà dit, la présente action ne saurait reposer sur de simples hypothèses, vu que c'est aux demanderesses qu'il incombe de produire un acte de cession et que, jusqu'à maintenant, elles n'ont présenté aucun élément de preuve à cet égard. Cette idée est bien résumée dans le jugement Caterpillar Tractor, à la page 139 :

     Une procédure judiciaire n'est pas un exercice de conjecture, et les actions ne doivent pas être intentées ou continuées, ni les défenses doivent-elles être admises, lorsqu'il est clair que la personne auteur de l'allégation ne dispose d'aucun élément de preuve pour l'étayer, et lorsque le fardeau de la preuve repose sur cette personne. À mon avis, il a été bien établi que les allégations des paragraphes 9b) et 10b) sont futiles et vexatoires, peuvent causer un préjudice ou gêner une instruction équitable et constituer un emploi abusif des procédures de la Cour. Il n'y a pas de vraie contestation là-dessus, et on ne devrait pas mettre la demanderesse dans la situation de faire face à des allégations qui ne sont nullement fondées sur des faits. Ces paragraphes seront donc radiés. Le résultat eut été le même si des détails complets avaient effectivement été donnés au début et si, lors d'un interrogatoire préalable, il y avait eu une reconnaissance que les faits allégués étaient fictifs. Il arrive très souvent, et surtout dans des causes portant sur les brevets ou sur d'autres domaines de la propriété intellectuelle, qu'en contestant la validité d'un brevet ou la propriété d'une marque de commerce ou d'un droit d'auteur, tous les moyens classiques sont invoqués automatiquement sans se soucier de savoir s'ils sont pertinents ou s'il est possible qu'il y ait des éléments de preuve pour les étayer.         

La décision qui est rendue au sujet de la présente requête, qui ne vise à obtenir que des précisions, est prononcée sous réserve du droit des défendeurs de présenter une nouvelle requête en radiation, s'ils jugent les précisions insuffisantes.

Interrogatoire sur les affidavits

[18]      Je passe maintenant à la demande de contre-interrogatoire des auteurs des affidavits qui ont été déposés par chacune des demanderesses. Je tiens tout d'abord à faire remarquer que, bien que la demanderesse HAVANA HOUSE ait produit un affidavit et un affidavit complémentaire, qui portent en tout sur 31 documents, une grande partie des documents divulgués consistent en des enregistrements de marques de commerce et en des dessins protégés par le droit d'auteur. Dans le cas de HABANOS, celle-ci se contente d'affirmer dans son affidavit que certains de ces documents sont privilégiés. Dans son affidavit, CUBATABACO fait état de trois enregistrements de marques de commerce, d'un dessin de 1962 visant le cigare H Upmann Habanas, ainsi que d'une entente de distribution conclue entre CUBATABACO et HAVANA HOUSE que, entre parenthèses, HAVANA HOUSE ne déclare pas dans son affidavit ou dans son affidavit complémentaire. Dans chacun des affidavits (annexe C), les documents pertinents qui ne se trouvent plus en la possession d'une partie portent la mention " néant ".

[19]      En l'espèce, l'avocat des défendeurs soutient, en parlant des affidavits souscrits à l'appui des documents et des affidavits produits au soutien de la présente requête, que la communication préalable des documents est loin d'être complète. Saisi d'une demande de contre-interrogatoire portant sur un affidavit, je peux examiner non seulement les affidavits eux-mêmes, mais également les actes de procédure et le déroulement de l'instance. Je tiens également compte du fait que la communication préalable des documents qui a lieu avant l'interrogatoire préalable et l'instruction est une des mesures les plus importantes. Je n'oublie pas non plus que les demanderesses " qui, en l'espèce, présentent la demande et devraient être au courant des faits à l'origine du litige " ne devraient pas pouvoir se contenter de produire le moins de documents possible ou, comme c'est le cas en l'espèce, de n'en produire aucun. Toutefois, pour exiger la production d'autres documents en contre-interrogeant les auteurs des affidavits, les défendeurs doivent présenter des éléments de preuve convaincants qui tendent à démontrer qu'il existe des documents qui n'ont pas été produits au lieu de s'en tenir à des hypothèses, à leur intuition et à des conjectures.

[20]      Si certains documents particuliers ont été oubliés, ou s'il semble que la communication de nombreux documents ou catégories de documents a été refusée, même si on ne sait pas avec certitude lesquels, la demanderesse peut obtenir une réparation en contre-interrogeant les déposants au sujet de leur affidavit. Cette réparation a été accordée, par exemple, dans le jugement Nelma Information Inc. et al. v. Holt et al. (1985), 50 C.P.C. 16 (H.C. Ont.).

[21]      Les affidavits des trois demanderesses et l'affidavit complémentaire de HAVANA HOUSE disposent, selon la formule habituelle, que le déposant a procédé à une recherche approfondie de tous les registres de la compagnie, qu'il s'est dûment renseigné, qu'il a divulgué tous les documents pertinents à l'action et qu'il ne connaît aucun autre document que ceux qui sont énumérés. Or, il y a de toute évidence des documents particuliers qui manquent et je pense ici aux actes de cession du droit d'auteur sur la marque HAVANA HOUSE, qui auraient dû être inscrits soit comme documents détenus par HAVANA HOUSE, soit comme des documents que HAVANA HOUSE a déjà détenus mais qui, pour une raison ou pour une autre, ne sont plus en sa possession. L'avocat affirme que les demanderesses ne savent pas si elles ont des actes de cession et qu'elles ne pouvaient donc pas en faire état lors de la communication de leurs documents. Il convient toutefois de rappeler qu'il s'est écoulé plus d'une année depuis l'introduction de la présente action et que les demanderesses auraient dû s'atteler à cette tâche depuis longtemps. La production des documents comporte par ailleurs d'importantes lacunes. Ainsi, la demanderesse HABANOS n'a produit aucun document, la demanderesse CUBATABACO n'a presque rien produit et la demanderesse HAVANA HOUSE n'en a produit que très peu. Il semble qu'il y ait également plusieurs catégories de documents qui manquent, dont ceux qui portent sur la distribution des cigares des demanderesses au Canada, sur la publicité qui, selon HAVANA HOUSE, aurait été faite, sur les ventes réalisées au Canada, sur le manque à gagner, l'utilisation du droit d'auteur et l'imitation frauduleuse.

[22]      L'avocat des demanderesses fait valoir que ses clientes ont déjà produit de nombreux documents en réponse aux requêtes interlocutoires qui ont déjà été présentées et que ces documents devraient être considérés comme ayant déjà été produits. L'avocat des demanderesses fait en outre valoir que, si un document est déclaré par une partie, ou encore par un de plusieurs demandeurs, il n'est pas nécessaire qu'une autre partie en fasse état dans son affidavit. Cette affirmation ne s'accorde pas avec l'esprit ou l'objet des Règles. Elle méconnaît la prémisse fondamentale suivant laquelle la communication préalable des documents est une question de pertinence et non une question de pouvoir discrétionnaire. Cette exigence ressort à l'évidence de l'alinéa 448(2)a) des Règles, qui prévoit qu'un affidavit doit comprendre diverses listes " de tous les documents pertinents à l'affaire en litige [...] " qui se trouvent en la possession d'une partie. Une partie est tenue d'énumérer chaque document pertinent qui se trouve en sa possession, même ceux qui n'ont pas à être produits (voir, par exemple, l'arrêt Skoye v. Bailey , [1971] 1 W.W.R. 144, aux pages 145 et 146 (C.A. Alb.), et le jugement Re-Max Real Estate (Edmonton) Ltd. v. Border Credit Union Ltd., [1988] 6 W.W.R. 146 (protonotaire Funduk, C.B.R. Alb.)). Passons maintenant de l'énumération à la production, qui sont deux concepts bien distincts. Rétorquer qu'il n'est pas nécessaire de produire un document parce que l'autre partie l'a déjà obtenu d'une autre source n'est pas une réponse acceptable (voir, par exemple, le jugement Canada Southern Petroleum Ltd. v. Amoco Canada Petroleum Co. Ltd., [1995] 5 W.W.R. 720, à la page 723 (C.B.R. Alb.)). Compte tenu de l'insuffisance de la production de documents, pour laquelle aucune explication raisonnable n'a été donnée, il s'agit d'un cas dans lequel la demanderesse devrait obtenir réparation.

[23]      Je me suis demandé si la question de la production de documents supplémentaires pouvait tout aussi bien être examinée lors de l'interrogatoire préalable, mais j'ai écarté cette possibilité pour diverses raisons. Je n'en mentionnerai que quelques-unes. Ainsi, ce n'est que justice que l'avocat des défendeurs puisse avoir une série complète de documents à examiner pour se préparer en vue de l'interrogatoire préalable. De plus, les représentants des demanderesses à l'interrogatoire préalable en savent peut-être très peu au sujet de l'existence d'autres documents. Finalement, si les défendeurs réussissent à dénicher d'autres documents ou à apprendre l'existence d'autres documents lors de l'interrogatoire préalable, il y aurait fort probablement d'autres interrogatoires préalables, ce qui entraînerait d'autres retards et d'autres frais. Les auteurs des affidavits des demanderesses doivent par conséquent se soumettre à un contre-interrogatoire.

DISPOSITIF

[24]      Les demanderesses devront fournir des précisions au sujet de chacun des créateurs des bagues et emballages des cigares Montecristo Habanas et Partagas. Elles devront notamment fournir des précisions au sujet des rapports qui existent entre chacun des créateurs en question et tout prédécesseur en titre relativement aux dessins des bagues et des emballages, ainsi que des copies de tout acte de cession de droit d'auteur.

[25]      Les défendeurs contre-interrogeront à Toronto les souscripteurs des affidavits produits par les trois demanderesses. Si elles ne réussissent pas à fixer une date convenable qui soit compatible avec l'instruction accélérée de la présente action, les parties peuvent présenter une demande en vue de faire fixer cette date.

[26]      Quant aux frais engagés pour faire venir les déposants à Toronto pour les contre-interroger, c'est, du moins jusqu'à un certain point, à cause des demanderesses que la tenue de ce contre-interrogatoire est devenue nécessaire. Chaque partie supportera donc la moitié des frais engagés pour faire venir les témoins à Toronto.

[27]      Comme ils obtiennent gain de cause dans la présente requête, les défendeurs ont droit aux dépens, indépendamment de l'issue de la cause.

                             (Signature) " John A. Hargrave "

                                 Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 9 mars 1998

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-323-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :      HAVANA HOUSE CIGAR & TOBACCO MERCHANTS LTD., EMPRESA CUBANA DEL TABACO, faisant affaire sous la raison sociale de CUBATABACO, et HABANOS S.A.,

     demanderesses,

    

     - et -

                     M ORINO NAEINI faisant affaire sous la raison sociale de PACIFIC TOBACCO, PACIFIC CIGAR et PACIFIC TOBACCO & CIGARS et OREX COMMUNICATIONS LTD., faisant affaire sous la raison sociale de PACIFIC TOBACCO & CIGARS, PACIFIC TOBACCO et PACIFIC CIGAR, et PACIFIC CIGAR AND TOBACCO CORP., faisant affaire sous la raison sociale de PACIFIC CIGAR et PACIFIC TOBACCO and FARAH KASHEFI, faisant affaire sous la raison sociale de PACIFIC TOBACCO et PACIFIC TOBACCO & CIGARS et ASA CIGAR CONNOISSEUR CORP., faisant affaire sous la raison sociale de CIGAR CONNOISSEUR,

     défendeurs.

    

LIEU DE L'AUDIENCE :      Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :          3 mars 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE LA COUR prononcés par le protonotaire John A. Hargrave en date du 9 mars 1998


ONT COMPARU :

     Me Kenneth McKay                  pour les demanderesses
     Me Michael Manson                  pour les défendeurs

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

     Me Kenneth McKay                  pour les demanderesses
     Sim, Hughes, Ashton & McKay
     Me Michael Manson              pour les défendeurs

     Smart & Biggar

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