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Date: 20001003

Dossier : IMM-6248-99

ENTRE :

SANDOR SZUCS

demandeur

-et-

LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

           MOTIFS D'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]    Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision, rendue le 1er décembre 1999, dans laquelle la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.


Les faits

[2]    Le demandeur est un citoyen de la Hongrie âgé de 29 ans qui a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention au motif qu'il a une crainte fondée d'être persécuté en raison de son appartenance à un groupe social particulier, soit les Tziganes de Hongrie.       

[3]    Le demandeur a fréquenté l'école pendant 12 ans et il a toujours eu un emploi depuis la fin de ses études, en 1988. Le demandeur a également fait partie de l'armée hongroise, au sein de laquelle il a atteint le grade de sergent.

[4]    Le demandeur soutient qu'il a subi de la discrimination à l'école, dans des situations sociales et sur le marché du travail vu sa race et son appartenance aux Tziganes de Hongrie. À titre d'exemple de la discrimination qu'il aurait subie, le demandeur a dit que lorsqu'il a joint les rangs de l'armée, on lui a confié les pires tâches, notamment le nettoyage des toilettes.


[5]                Le demandeur a également raconté quatre agressions qu'il aurait subies aux mains de skinheads. Il dit qu'en 1985, alors qu'il avait 14 ans, des skinheads l'ont frappé à la tête et lui ont donné des coups de pied dans les côtes. Un deuxième incident se serait produit en 1988, à l'occasion duquel le demandeur aurait été blessé à l'oeil, de sorte qu'il aurait eu une visibilité réduite pendant deux semaines. Le demandeur soutient également qu'à l'occasion d'un troisième incident, il se serait fait casser la jambe. Pour ce qui est du dernier incident, le demandeur dit qu'il s'est produit en octobre 1998; à cette occasion, lui-même et un groupe de ses amis, dont son amie de coeur, auraient été battus. Il prétend qu'il a subi des blessures au visage et que son automobile a été vandalisée.

[6]                Le demandeur dit qu'il n'a pas rapporté les deux premiers incidents à la police, car il n'estimait pas que cela l'aiderait. Pour ce qui est des deux autres incidents, le demandeur soutient que la police a été alertée, mais qu'elle n'a ni ouvert une enquête, ni recherché les malfaiteurs.

Le droit en matière de protection de l'État

[7]                Pour déterminer si un demandeur est un « réfugié au sens de la Convention » , la Commission doit déterminer si le demandeur a une crainte fondée d'être persécuté. Voici comment la Cour suprême du Canada a énoncé, dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 723, le critère qu'il convient d'appliquer pour déterminer si la crainte de persécution est fondée :

Comme j'y faisais allusion plus haut, le critère comporte deux volets: (1) le demandeur doit éprouver une crainte subjective d'être persécuté, et (2) cette crainte doit être objectivement justifiée. Ce critère a été formulé et appliqué par le juge Heald dans l'arrêt Rajudeen, précité, à la p. 134:

L'élément subjectif se rapporte à l'existence de la crainte de persécution dans l'esprit du réfugié. L'élément objectif requiert l'appréciation objective de la crainte du réfugié pour déterminer si elle est fondée.


[8]                La Cour suprême a également expliqué que l'incapacité de l'État de protéger le demandeur doit être examinée à l'étape de la détermination de la question de savoir si une crainte est « fondée » . La Cour suprême a conclu que : « Le critère est en partie objectif; si un État est capable de protéger le demandeur, alors, objectivement, ce dernier ne craint pas avec raison d'être persécuté » . La Cour suprême a en outre conclu que : « La position qui ressort du Guide du HCNUR est donc que les actes des particuliers constituent de la « persécution » lorsqu'ils viennent s'ajouter à l'incapacité de l'État d'assurer la protection » . La Cour suprême a dit qu'il doit y avoir une confirmation claire et convaincante de l'incapacité de l'État d'assurer la protection du demandeur pour que l'on puisse conclure qu'il est effectivement incapable de protéger ce dernier.

1. La Commission a-t-elle commis une erreur en appréciant la preuve et concluant que le demandeur pouvait obtenir une protection de l'État convenable et raisonnable?

[9]                Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a omis d'accepter son témoignage, qui n'a pas été contredit, ou de renvoyer une seule fois aux observations écrites de son avocat qui totalisaient 36 pages, établissant que la police hongroise refuse en général de convenablement protéger les Tziganes.

[10]            Je ne peux accepter cette prétention. La Commission a le droit de se fonder sur la preuve documentaire au lieu du témoignage du revendicateur. Voir Zhou c. Canada (M.E.I.), 18 juillet 1994 (A-492-91), Victorov c. Canada (M.C.I.), 14 juin 1995 (IMM-5170-94), Arutinova c. Canada (M.C.I.), 11 janvier 2000 (IMM-1664-99).


[11]            La Commission a également le droit d'accorder davantage de poids à la preuve documentaire, même si elle conclut que le demandeur est digne de foi et crédible: Dolinovsky c. Canada (M.C.I), 5 novembre 1999 (IMM-1664-99).

[12]            En outre, la Commission n'est pas tenue de mentionner chacun des éléments de preuve qui ont été produits. Dans l'arrêt Florea c. Canada (M.E.I), 11 juin 1993 (A-1307-91), la Cour d'appel fédérale a dit, au premier paragraphe :

Le fait que la Section n'a pas mentionné tous et chacun des documents mis en preuve devant elle n'est pas un indice qu'elle n'en a pas tenu compte; au contraire un tribunal est présumé avoir pesé et considéré toute la preuve dont il est saisi jusqu'à preuve du contraire. Les conclusions du tribunal trouvant appui dans la preuve, l'appel sera rejeté.

[13]            En l'espèce, il ressort de la preuve que la Commission a tenu compte des éléments de preuve que le demandeur a produits, mais qu'elle a préféré s'en remettre à d'autres éléments de preuve documentaire, lorsqu'elle a dit, à la page 4 de sa décision :

[TRADUCTION] La preuve documentaire étaye la prétention du revendicateur selon laquelle il n'a pas obtenu l'aide de la police. Il ressort cependant d'autres éléments de preuve documentaire que le lien qui existe entre la police et les Tziganes est en train de beaucoup changer.


[14]            Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a omis de fournir des motifs expliquant pourquoi, même si des éléments de preuve documentaire étayaient sa prétention selon laquelle il n'a pas obtenu l'aide de la police, elle a préféré s'en remettre à des éléments de preuve contradictoire qui n'appuyaient pas cette prétention. Le demandeur fait également valoir que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a omis de fournir des motifs expliquant pourquoi elle a estimé déraisonnable sa prétention selon laquelle il n'a pas rapporté à la police l'incident survenu en 1998 car il estimait que les autorités policières ne souhaitaient pas retracer les malfaiteurs.

[15]            Comme la Cour l'a dit dans Cepeda-Gutierrez c. Canada (M.C.I) (1998), 157 F.T.R. 35, au paragraphe 16 :

Par ailleurs, les motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal (Medina c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990) 12 Imm. L.R. (2d) 33 (C.A.F.)), et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve (voir, par exemple, Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)). Imposer une telle obligation aux décideurs administratifs, qui sont peut-être déjà aux prises avec une charge de travail imposante et des ressources inadéquates, constituerait un fardeau beaucoup trop lourd.

[Non souligné dans l'original.]

[16]            Avec égards, je ne suis pas d'accord avec la prétention du demandeur que la Commission a omis de fournir des motifs expliquant pourquoi elle a préféré la preuve documentaire à son argumentation et pourquoi elle a estimé que celle-ci était déraisonnable.


[17]            Aux pages 4 et 5 de la décision, la Commission a cité divers extraits de la preuve documentaire qui démontraient les efforts que la police et l'État avaient faits en vue d'améliorer le lien qui existe entre la police et les Tziganes. Ces extraits constituent les explications de la Commission de la raison pour laquelle elle a préféré la preuve documentaire à la prétention du demandeur selon laquelle il n'a pas obtenu d'aide des autorités policières, et de la raison pour laquelle elle ne pouvait conclure que la prétention du demandeur était raisonnable, compte tenu de la preuve documentaire. Il s'agit de motifs suffisants. J'estime que la Commission avait le droit d'apprécier la preuve documentaire et de la préférer aux autres éléments de preuve.

[18]            Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en concluant que sa prétention selon laquelle il n'a pas rapporté l'incident de 1998 à la police parce qu'il estimait que les autorités policières ne souhaitaient pas retracer les malfaiteurs était déraisonnable, en se fondant sur un incident qui est survenu une année après l'incident auquel le demandeur a renvoyé.

[19]            La Commission doit apprécier la preuve concernant le pays d'origine du demandeur au moment de l'audition; Canada (M.E.I). c. Malgorzata (1991), 13 Imm. L.R. (2d) 262, (C.A.F.). En conséquence, la Commission n'a pas commis d'erreur lorsqu'elle a conclu, sur le fondement de la preuve, que la prétention du demandeur sur la question de savoir si la police était disposée à lui offrir une protection était déraisonnable. La Commission pouvait examiner l'ensemble de la preuve concernant les efforts que l'État a déployés en vue de protéger les Tziganes pour trancher la question de savoir si le demandeur pouvait obtenir la protection de l'État. La Commission a agi de façon raisonnable lorsqu'elle a conclu, sur le fondement de la preuve, que le demandeur pourrait obtenir la protection de la police s'il retournait en Hongrie; en conséquence, elle a agi de façon raisonnable lorsqu'elle a conclu qu'elle ne pouvait accepter la prétention du demandeur qui allait dans le sens contraire.


[20]            Vu les circonstances de la présente espèce, je conclus que la Commission n'a pas commis d'erreur lorsqu'elle a apprécié la preuve dans l'ensemble. La Commission pouvait apprécier la preuve dont elle disposait et en déterminer le poids et la fiabilité.

2. La Commission a-t-elle commis une erreur en interprétant et appliquant le droit en matière de protection de l'État?

[21]            Voici la conclusion que la Commission a tirée à la page 6 de sa décision :

[TRADUCTION] La formation se fonde sur la décision Zalzali pour conclure que le revendicateur pouvait obtenir une protection convenable. Il n'a pu fournir à la formation des éléments de preuve « claire » et « convaincante » établissant que l'État ne le protégerait pas parce qu'il est un Tzigane. Compte tenu des éléments de preuve pertinente, la formation estime, selon la prépondérance des probabilités, que le revendicateur n'a pas subi de préjudice grave ou continu. Toutefois, même si le revendicateur avait subi un tel préjudice, qui aurait suscité chez lui une crainte subjective, il était tenu de se prévaloir de toutes les formes de protection qui s'offraient à lui dans son pays avant de chercher à obtenir la protection d'un autre pays, ce qu'il n'a pas fait.

[22]            L'omission de la Commission de préciser sur quelle partie de la décision Zalzali elle se fondait n'est pas de nature à justifier l'intervention de notre Cour. Il ressort clairement de la décision de la Commission qu'elle comprenait le critère qu'elle devait appliquer en matière de protection de l'État et qu'elle a convenablement appliqué ce critère. J'estime que la Commission s'est fondée sur les bons principes de droit lorsqu'elle a examiné la preuve et qu'elle n'a pas commis d'erreur en ce qui concerne la question de l'application du critère de l'arrêt Ward, précité.


[23]            Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a conclu qu'il devait se prévaloir de toutes les formes de protection qui s'offraient à lui dans son pays avant de chercher à obtenir la protection d'un autre pays.

[24]            Il a été établi dans l'arrêt Ward, précité, que le demandeur a l'obligation de s'adresser à son pays d'origine lorsqu'il peut raisonnablement s'attendre à obtenir la protection de l'État ou lorsque le demandeur aurait agi de façon déraisonnable, d'un point de vue objectif, s'il n'avait pas cherché à obtenir la protection des autorités de son pays d'origine.

[25]            Dans l'arrêt N.K. c. Canada (M.C.I.) (1996), 143 D.L.R. (4th) 532 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a expliqué comment on doit apprécier la capacité de l'État d'offrir une protection. La Cour d'appel fédérale a dit, au paragraphe 3 :

Dès lors, en effet, qu'il est tenu pour acquis que l'État (en l'espèce Israël) possède des institutions politiques et judiciaires capables de protéger ses citoyens, il est certain que le refus de certains policiers d'intervenir ne saurait en lui-même rendre l'État incapable de le faire. La réponse eût peut-être été différente si la question avait porté, par exemple, sur le refus de l'institution policière en tant que telle ou sur un refus plus ou moins généralisé du corps policier d'assurer la protection accordée par les institutions politiques et judiciaires du pays.

Bref, la situation que suppose ici la question nous ramène à ces propos du juge Hugessen dans Minister of Employment and Immigrationv. Villafranca[1]:

No government that makes any claim to democratic values or protection of human rights can guarantee the protection of all its citizens at all times. Thus, it is not enough for a claimant merely to show that his government has not always been effective at protecting persons in his particular situation...

Lorsque l'État en cause est un état démocratique comme en l'espèce, le revendicateur doit aller plus loin que de simplement démontrer qu'il s'est adressé à certains membres du corps policier et que ses démarches ont été infructueuses. Le fardeau de preuve qui incombe au revendicateur est en quelque sorte directement proportionnel au degré de démocratie atteint chez l'État en cause: plus les institutions de l'État seront démocratiques, plus le revendicateur devra avoir cherché à épuiser les recours qui s'offrent à lui.

[26]            DansMadame Une Telle c. Canada (M.C.I.), 21 novembre 1996 (IMM-1514-95), le juge Rothstein a conclu que le revendicateur est tenu de prendre toutes les mesures raisonnables dans les circonstances en vue d'obtenir la protection de son pays d'origine. La Cour a également dit, au premier paragraphe :

En l'espèce, la recherche de protection devait être considérée non seulement en fonction de la situation générale qui avait cours dans le pays d'origine mais également en tenant compte de toutes les mesures que la requérante a effectivement prises et de la relation de la requérante avec les autorités, compte tenu des circonstances très exceptionnelles de la présente cause.

[27]            Par conséquent, en l'espèce, la Commission devait déterminer si le demandeur pouvait raisonnablement s'attendre à obtenir la protection de l'État hongrois. Pour trancher cette question, la Commission pouvait également examiner toutes les mesures raisonnables que le demandeur a prises dans les circonstances en vue d'obtenir la protection de son État d'origine.


[28]            La Commission a conclu que le revendicateur pourrait obtenir la protection des autorités policières à l'avenir s'il cherchait à l'obtenir, mais elle a également ajouté qu'il pourrait obtenir la protection d'autres organismes. La Commission a conclu qu'en ce qui concerne d'autres formes de discrimination plus graves et persistantes, comme le délogement d'un lieu d'habitation ou le chômage continu par suite de discrimination, ou d'autres préjudicies graves, il y avait tout un réseau d'organismes gouvernementaux et d'organismes subventionnés par le gouvernement en Hongrie susceptibles de lui venir en aide gratuitement.

                                                     

[29]            La preuve a établi que le demandeur n'a jamais tenté d'obtenir de l'aide de l'ombudsman, d'ONG ou par l'entremise de l'autonomie gouvernementale des minorités. Je conclus que la Commission, en exigeant que le demandeur ait cherché à obtenir la protection de toutes ces sources en plus des autorités policières, demandait à ce dernier s'il avait pris des mesures raisonnables en vue d'assurer sa protection.

[30]            Je conclus que la conclusion que la Commission a tirée en ce qui concerne la question de la protection de l'État était raisonnable et qu'elle s'appuyait sur la preuve, compte tenu des circonstances de l'espèce.

[31]            La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


[32]            Ni l'un ni l'autre avocat n'a proposé de question à certifier.

Pierre Blais                                                      

juge

Ottawa (Ontario)

Le 3 octobre 2000

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                  IMM-6248-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                 SANDOR SZUCS

- C. -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                     TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                   LE 25 SEPTEMBRE 2000

MOTIFS D'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE BLAIS

EN DATE DU :                                     3 OCTOBRE 2000

ONT COMPARU :                

PETER G. IVANYI                                                                   POUR LE DEMANDEUR

GODWIN FRIDAY                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     

PETER G. IVANYI                                                                   POUR LE DEMANDEUR

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                           POUR LE DÉFENDEUR



[1](1992), 150 N.R. 232, at p. 233.

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