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Date : 20060124

Dossier : T-213-05

Référence : 2006 CF 66

Ottawa, Ontario, le 24 janvier 2006

En présence de : L'honorable juge de Montigny

ENTRE :

ASSOCIATION DES EMPLOYEURS MARITIMES

demanderesse

et

SYNDICAT DES DÉBARDEURS S.C.F.P. SECTION LOCALE 375

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

[1]                La présente demande de contrôle judiciaire vise la décision no. 04-046 et l'instruction afférente rendues par M. Pierre Guénette, en sa qualité d'Agent d'appel ( « l'Agent d'appel » ), nommé sous l'autorité de l'article 146 de la Partie II du Code canadien du travail (L.R.C. 1985, c. L-2).

[2]                Dans le cadre de cette décision, l'Agent d'appel a débouté l'Association des Employeurs Maritimes ( « AEM » ) de l'appel qu'elle avait interjeté et qui requérait l'annulation de l'instruction de danger émise à son endroit par l'Agent de santé et de sécurité Steve Sirois ( « L'Agent de sécurité » ), aux termes de l'alinéa 145(2)a) du Code.

EXPOSÉ DES FAITS

[3]                L'origine de ce litige remonte à l'accident tragique qui a coûté la vie à M. André Lacoste, inspecteur à l'emploi de l'Administration portuaire de Montréal, le 17 février 2003. Au moment de l'accident, l'inspecteur Lacoste travaillait sur les lieux de travail exploités par le Terminal Racine, dans le port de Montréal.

[4]                L'enquête de l'Agent de sécurité a révélé que l'accident s'est produit alors que M. Lacoste inspectait des cylindres d'hexafluorure d'uranium (UF6) pendant que des débardeurs étaient affairés à mettre en place un cylindre d'UF6 dans un conteneur. Lorsque ce conteneur a glissé, l'inspecteur Lacoste s'est retrouvé écrasé entre deux conteneurs; son décès a été constaté à son arrivée à l'hôpital.

[5]                Suite à son enquête, l'agent Sirois a conclu à l'existence d'une situation de danger qu'il a décrite comme suit dans son instruction :

« ...la présence de travailleurs entre les conteneurs lors du déplacement des dits conteneurs ou lors de la mise en place d'une charge sur ces conteneurs constitue un danger d'écrasement pour les travailleurs. »

[6]                Conformément au pouvoir que lui confère l'alinéa 145(2)a) du Code, l'agent de sécurité a émis une instruction concernant ce danger à l'Administration portuaire de Montréal, le Terminal Racine et l'Association des employeurs maritimes, les enjoignant « de protéger les travailleurs contre ce danger » .

[7]                Dans son rapport d'enquête adressé au Bureau d'appel du Canada le 8 avril 2003, l'agent Sirois a expliqué pourquoi il avait envoyé son instruction aux trois entités susmentionnées. En ce qui concerne l'Administration portuaire de Montréal, ses employés se trouvent à proximité des conteneurs lors de la mise en place des contenants d'UF6. Quant à Terminal Racine, les débardeurs à son emploi sont susceptibles de se trouver à proximité des conteneurs lors des manoeuvres; de plus, les débardeurs sont sous la responsabilité de Terminal Racine lorsqu'ils travaillent sur les lieux exploités par cette entreprise. Enfin, les débardeurs relevaient également de l'autorité de l'AEM selon les informations dont disposait l'agent Sirois; or, ces mêmes débardeurs se tiennent près du conteneur où est mis en place le contenant d'UF6.

[8]                Il importe de noter que l'Agent de sécurité n'a constaté aucune violation des obligations de l'employeur en matière de santé et de sécurité énumérées aux articles 124 et 125 du Code. Aucune instruction n'a donc été émise dans ce dossier, à quelque stade que ce soit, à l'égard de quiconque, aux termes du paragraphe 145(1) du Code.

[9]                Suite à l'instruction envoyée à l'AEM, le coordonnateur de santé et de sécurité de cette dernière a indiqué verbalement à l'Agent de sécurité, le 28 février 2003, que le travail effectué par les débardeurs au Terminal Racine était sous l'entière responsabilité de l'employeur Terminal Racine et non de l'AEM. Il a précisé que l'AEM n'assurait aucune supervision des débardeurs et ne les rémunérait pas. Il a également ajouté que l'AEM, n'étant pas l'exploitant du lieu de travail, ne pouvait afficher l'instruction et l'avis de danger. Quelques jours plus tard, soit le 3 mars 2003, le coordonnateur de santé et de sécurité de l'AEM écrivait à M. Sirois pour lui confirmer que l'AEM ne pouvait se conformer à l'instruction et à l'avis de danger, « puisqu'elles sont impossibles à réaliser » .

[10]            Dans une lettre datée du 5 mars 2003, M. Sirois a fait savoir au coordonnateur de santé et de sécurité de l'AEM qu'il considérait sa réponse à l'instruction comme étant « satisfaisante » , compte tenu des précisions apportées relativement au rôle de l'AEM. Dans son rapport d'enquête adressé au Bureau d'appel du Canada, M. Sirois a même écrit qu'il avait contacté le coordonnateur de l'AEM pour l'aviser qu'il pouvait retirer de l'affichage l'instruction et l'avis de danger.

[11]            Il convient cependant d'ajouter que M. Sirois, dans ce même rapport d'enquête en date du 8 avril 2003, ajoutait ce qui suit :

La suite de l'enquête nous a permis d'établir que les débardeurs sont employés et rémunérés par l'Association des Employeurs Maritimes. De plus, les mesures disciplinaires si nécessaires sont prises par l'Association des Employeurs Maritimes. Toutefois, le salaire est versé par le terminal Racine à l'Association des Employeurs Maritimes qui rémunère ensuite les débardeurs. Il en est de même pour les mesures disciplinaires qui sont demandées par le terminal Racine le cas échéant.

[12]            Quoiqu'il en soit, l'AEM a déposé un appel le 17 mars 2003 auprès de l'Agent d'appel Pierre Guénette, comme l'y autorise l'article 146 du Code. L'AEM cherchait à obtenir l'annulation complète de l'instruction, au motif qu'elle n'était pas le maître d'oeuvre ou l'exploitant des activités de débardage et qu'elle ne pouvait donc y satisfaire.

LA DÉCISION DE L'AGENT D'APPEL

[13]            Dans sa décision rendue le 6 décembre 2004, l'Agent d'appel a conclu au terme d'un examen approfondi des faits portés à sa connaissance, du Code et de la convention collective qui lie l'AEM et le Syndicat des débardeurs, que l'AEM est un employeur des débardeurs, pour les fins de la Partie II du Code, mais qu'elle ne contrôle pas le lieu de travail de chaque entreprise de débardage du port de Montréal.

[14]            En ce qui concerne la première question, l'Agent d'appel a d'abord constaté que l'agent Sirois s'était contredit en concluant dans un premier temps que l'AEM est un employeur assujetti à la Partie II du Code et pouvait faire l'objet d'une instruction, pour ensuite accepter les représentations du coordonnateur de l'AEM et lui confirmer que cette dernière n'avait pas l'obligation de se conformer à l'instruction. Or, seul un Agent d'appel peut annuler une instruction selon le paragraphe 146(2) du Code.

[15]            Puis, après avoir soigneusement passé en revue la convention collective, l'Agent d'appel a fait les constats suivants. L'AEM est décrite comme étant l'employeur dans la convention collective, et l'article 1.02 identifie l'AEM comme étant le seul agent négociateur et le seul représentant des entreprises de débardage dans le port de Montréal. Elle assume également beaucoup de responsabilités qui relèvent normalement de l'employeur, telles que la formation en santé et sécurité, les sanctions disciplinaires et le déploiement de la main-d'oeuvre. Même si la Partie II du Code ne définit pas, contrairement à la Partie I, ce qu'est une organisation patronale, l'AEM assume un tel rôle de par sa constitution et ses fonctions.

[16]            D'autre part, l'AEM est seule responsable de l'embauche de tout nouvel employé, et elle a la responsabilité de planifier les assignations des employés auprès des différentes entreprises de débardage du port de Montréal. L'entente conclue avec le Syndicat des débardeurs définit les conditions de travail de ces derniers, et l'AEM a la responsabilité de soulever toute question relative aux relations et conditions de travail avec le comité conjoint des relations de travail. La convention collective prévoit également que dans l'hypothèse où l'AEM introduirait un changement technologique, une nouvelle opération ou une nouvelle méthode de travail, elle doit en aviser le syndicat. L'AEM a également l'obligation de s'assurer que les employés respectent la clause de la convention collective les obligeant à utiliser le matériel, l'équipement, les dispositifs et les vêtements réglementaires de sécurité fournis par l'AEM à titre d'employeur. Enfin, l'AEM précise aux débardeurs les tâches qu'ils devront accomplir en fonction de leur classification respective, lors de leur assignation aux différentes entreprises. Aux yeux de l'Agent d'appel, les débardeurs ne deviennent pas automatiquement des employés des différentes entreprises pour lesquelles ils travaillent, durant leur période d'assignation à ces entreprises.

[17]            L'Agent d'appel en est donc arrivé à la conclusion suivante, eu égard à la première question sur laquelle il devait se prononcer :

Compte tenu des différents facteurs sus mentionnés et des documents qui m'ont été soumis, j'en arrive à la conclusion que l'AEM, de par l'autorité qu'elle exerce au port de Montréal, possède toutes les caractéristiques d'un employeur au sens du Code, et par le fait même, que le Code s'applique à l'AEM.

[18]            S'agissant de la deuxième question, l'Agent d'appel s'est dit d'avis que l'AEM étant l'employeur responsable des débardeurs au port de Montréal, est responsable des tâches accomplies par les débardeurs, même si elle ne contrôle pas le lieu de travail de chaque entreprise de débardage du port de Montréal. Si l'article 3 de la convention collective établit que les entreprises de débardage exploitent et contrôlent le lieu de travail, l'article 124 du Code prévoit en revanche que l'employeur doit veiller à la protection de ses employés. L'article 125 du Code trouve aussi application : même si l'AEM ne contrôle pas le lieu de travail, elle doit néanmoins se conformer à toutes les obligations spécifiques énumérées à cet article pour toute tâche exécutée par les employés dans la mesure où elle contrôle cette tâche à titre d'employeur.

[19]            Par conséquent, l'AEM pouvait faire l'objet d'une instruction. L'Agent d'appel Pierre Guénette a conclu ses motifs dans les termes suivants :

[53] À la lumière des faits établis par l'agent Sirois, il existait effectivement une situation de danger au port de Montréal le 17 février 2003. De plus, des employés, (entre autre des débardeurs) assujettis à la convention collective de l'AEM et du Syndicat des débardeurs se trouvaient à proximité du conteneur au moment de l'accident. L'agent Sirois devait donc donner une instruction à l'AEM en tant qu'employeur de ces travailleurs, mais non en tant qu'exploitant du lieu de travail.

[54] Pour toutes ces raisons, en vertu des pouvoirs qui me sont conférés par l'article 146.1 du Code, je modifie l'instruction pour situation de danger émise à l'AEM, le 17 février 2003, en vertu de l'alinéa 145(2)a) du Code. Cette modification tient compte du fait que l'AEM ne contrôle pas le lieu de travail proprement dit, mais qu'elle contrôle les tâches exécutées par les débardeurs dans les lieux de travail, dans la mesure où elle contrôle l'assignation des débardeurs en fonction de leur classification et des tâches à effectuer. Par conséquent, l'instruction se trouve en annexe.

[20]            L'instruction du 17 février, telle que modifiée par l'Agent d'appel, se lit donc comme suit :

Le 17 février 2003, l'agent de santé et sécurité soussigné a procédé à l'enquête concernant le décès de André Lacoste dans le lieu de travail exploité par Terminal Racine, membre de l'AEM et, où l'AEM assigne des débardeurs qui sont sous son autorité. Le lieu de travail est situé dans les sections 57-64 du port de Montréal, ledit lieu étant parfois connu sous le nom de Port de Montréal Terminal Racine.

Ledit agent de santé et sécurité estime que la présence de travailleurs entre les conteneurs lors du déplacement des dites (sic) conteneurs ou lors de la mise en place d'une charge dans ces conteneurs constitue un danger d'écrasement pour les travailleurs.

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l'alinéa 145.2)a) de la partie II du Code canadien du travail, de procéder à la protection de vos employés contre ce danger.

QUESTIONS EN LITIGE

[21]            Trois questions doivent être tranchées dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire :

a)          Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de l'Agent d'appel?

b)          L'Agent d'appel a-t-il erré en concluant que l'AEM doit être considérée comme un employeur, pour les fins de la Partie II du Code canadien du travail?

c)          L'Agent d'appel a-t-il erré en concluant que l'AEM pouvait faire l'objet de l'instruction émise sous l'autorité de l'alinéa 145(2)a) du Code?

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[22]            Pour bien situer le litige, il convient de reproduire ici quelques dispositions du Code canadien du travail, et plus particulièrement de sa Partie II. L'objet de cette Partie, comme le précise l'article 122.1, est « de prévenir les accidents et les maladies liés à l'occupation d'un emploi régi par ses dispositions » . L'article 122.2 vient préciser comment doit s'exercer cette prévention :

La prévention devrait consister avant tout dans l'élimination des risques, puis dans leur réduction, et enfin dans la fourniture de matériel, d'équipement, de dispositifs ou de vêtements de protection, en vue d'assurer la santé et la sécurité des employés.

Preventive measures should consist first of the elimination of hazards, then the reduction of hazards and finally, the provision of personal protective equipment, clothing, devices or materials, all with the goal of ensuring the health and safety of employees.

[23]            D'autre part, les obligations des employeurs (dont on retrouve la définition au paragraphe 122(1)) sont prévues aux articles 124 à 125.3. L'article 124 établit de façon générale que l'employeur doit veiller à la protection de ses employés, alors que les articles 125 et suivants viennent préciser cette obligation compte tenu du contexte et de la nature du travail exercé :

122.1 La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l'occupation d'un emploi régi par ses dispositions.

***

124. L'employeur veille à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail.

***

125. (1) Dans le cadre de l'obligation générale définie à l'article 124, l'employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève :

***

c) selon les modalités réglementaires, d'enquêter sur tous les accidents, toutes les maladies professionnelles et autres situations comportant des risques dont il a connaissance, de les enregistrer et de les signaler aux autorités désignées par les règlements;

d) d'afficher à un endroit accessible à tous les employés et dans tous autres lieux déterminés par l'agent de santé et de sécurité :

   (i) le texte de la présente partie,

   (ii) l'énoncé de ses consignes générales en matière de santé et de sécurité au travail,

   (iii) les imprimés réglementaires concernant la santé et la sécurité ou ceux que précise l'agent de santé et de sécurité;

***

q) d'offrir à chaque employé, selon les modalités réglementaires, l'information, la formation, l'entraînement et la surveillance nécessaires pour assurer sa santé et sa sécurité;

***

s) de veiller à ce que soient portés à l'attention de chaque employé les risques connus ou prévisibles que présente pour sa santé et sa sécurité l'endroit où il travaille;

***

x) de se conformer aux instructions verbales ou écrites qui lui sont données par l'agent d'appel ou l'agent de santé et de sécurité;

122.1 The purpose of this Part is to prevent accidents and injury to health arising out of, linked with or occurring in the course of employment to which this Part applies.

***

124. Every employer shall ensure that the health and safety at work of every person employed by the employer is protected.

***

125. (1) Without restricting the generality of section 124, every employer shall, in respect of every work place controlled by the employer and, in respect of every work activity carried out by an employee in a work place that is not controlled by the employer, to the extent that the employer controls the activity,

***

(c) investigate, record and report in the manner and to the authorities as prescribed all accidents, occupational diseases and other hazardous occurrences known to the employer;

(d) post at a place accessible to every employee and at every place directed by a health and safety officer

   (i) a copy of this Part,

   (ii) a statement of the employer's general policy concerning the health and safety at work of employees, and

   (iii) any other printed material related to health and safety that may be directed by a health and safety officer or that is prescribed;

***

(q) provide, in the prescribed manner, each employee with the information, instruction, training and supervision necessary to ensure their health and safety at work;

***

(s) ensure that each employee is made aware of every known or foreseeable health or safety hazard in the area where the employee works;

***

(x) comply with every oral or written direction given to the employer by an appeals officer or a health and safety officer concerning the health and safety of employees;

[24]            L'article 140 prévoit que le ministre peut nommer des agents de santé et de sécurité pour voir à l'application de la Partie II du Code. Ces derniers se voient conférer un certain nombre de pouvoirs, notamment celui de faire enquête lorsqu'un décès survient sur un lieu de travail :

141. (4) L'agent fait enquête sur tout décès d'employé qui survient dans le lieu de travail ou pendant que l'employé était au travail ou qui résulte de blessures subies dans les mêmes circonstances.

(5) Lorsque le décès résulte d'un accident survenu sur la voie publique et impliquant un véhicule automobile, l'agent chargé de l'enquête doit notamment obtenir dans les meilleurs délais des autorités policières compétentes tout rapport de police s'y rapportant.

***

145. (1) S'il est d'avis qu'une contravention à la présente partie vient d'être commise ou est en train de l'être, l'agent de santé et de sécurité peut donner à l'employeur ou à l'employé en cause l'instruction :

a) d'y mettre fin dans le délai qu'il précise;

b) de prendre, dans les délais précisés, les mesures qu'il précise pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition.

***

(2) S'il estime que l'utilisation d'une machine ou chose, une situation existant dans un lieu de travail ou l'accomplissement d'une tâche constitue un danger pour un employé au travail, l'agent :

a) en avertit l'employeur et lui enjoint, par instruction écrite, de procéder, immédiatement ou dans le délai qu'il précise, à la prise de mesures propres :

(i) soit à écarter le risque, à corriger la situation ou à modifier la tâche,

(ii) soit à protéger les personnes contre ce danger;

b) peut en outre, s'il estime qu'il est impossible dans l'immédiat de prendre les mesures prévues à l'alinéa a), interdire, par instruction écrite donnée à l'employeur, l'utilisation du lieu, de la machine ou de la chose ou l'accomplissement de la tâche en cause jusqu'à ce que ses instructions aient été exécutées, le présent alinéa n'ayant toutefois pas pour effet d'empêcher toute mesure nécessaire à la mise en oeuvre des instructions.

(3) L'agent qui formule des instructions au titre de l'alinéa (2)a) appose ou fait apposer dans le lieu, sur la machine ou sur la chose en cause, ou à proximité de ceux-ci ou à l'endroit où s'accomplit la tâche visée, un avis en la forme et la teneur que le ministre peut préciser. Il est interdit d'enlever l'avis sans l'autorisation de l'agent.

(4) Dans le cas visé à l'alinéa (2)b), l'employeur doit faire cesser l'utilisation du lieu, de la machine ou de la chose en cause, ou l'accomplissement de la tâche visée, et il est interdit à quiconque de s'y livrer tant que les mesures ordonnées par l'agent n'ont pas été prises.

(5) Dès que l'agent donne les instructions écrites visées aux paragraphes (1) ou (2) ou adresse un rapport écrit à un employeur sur un sujet quelconque dans le cadre de la présente partie, l'employeur est tenu :

a) d'en faire afficher une ou plusieurs copies selon les modalités précisées par l'agent;

b) d'en transmettre copie au comité d'orientation et au comité local ou au représentant, selon le cas.

141(4) A health and safety officer shall investigate every death of an employee that occurred in the work place or while the employee was working, or that was the result of an injury that occurred in the work place or while the employee was working.

(5) If the death results from a motor vehicle accident on a public road, as part of the investigation the health and safety officer shall obtain a copy of any police report as soon as possible after the accident.

***

145. (1) A health and safety officer who is of the opinion that a provision of this Part is being contravened or has recently been contravened may direct the employer or employee concerned, or both, to

(a) terminate the contravention within the time that the officer may specify; and

(b) take steps, as specified by the officer and within the time that the officer may specify, to ensure that the contravention does not continue or re-occur.

***

(2) If a health and safety officer considers that the use or operation of a machine or thing, a condition in a place or the performance of an activity constitutes a danger to an employee while at work,

(a) the officer shall notify the employer of the danger and issue directions in writing to the employer directing the employer, immediately or within the period that the officer specifies, to take measures to

(i) correct the hazard or condition or alter the activity that constitutes the danger, or

(ii) protect any person from the danger; and

(b) the officer may, if the officer considers that the danger or the hazard, condition or activity that constitutes the danger cannot otherwise be corrected, altered or protected against immediately, issue a direction in writing to the employer directing that the place, machine, thing or activity in respect of which the direction is issued not be used, operated or performed, as the case may be, until the officer's directions are complied with, but nothing in this paragraph prevents the doing of anything necessary for the proper compliance with the direction.

(3) If a health and safety officer issues a direction under paragraph (2)(a), the officer shall affix or cause to be affixed to or near the place, machine or thing in respect of which the direction is issued, or in the area in which the activity in respect of which the direction is issued is performed, a notice in the form and containing the information that the Minister may specify, and no person shall remove the notice unless authorized to do so by a health and safety officer.

(4) If a health and safety officer issues a direction under paragraph (2)(b) in respect of a place, machine, thing or activity, the employer shall cause the use or operation of the place, machine or thing or the performance of the activity to be discontinued, and no person shall use or operate the place, machine or thing or perform the activity until the measures directed by the officer have been taken.

(5) If a health and safety officer issues a direction under subsection (1) or (2) or makes a report in writing to an employer on any matter under this Part, the employer shall without delay

(a) cause a copy or copies of the direction or report to be posted in the manner that the officer may specify; and

(b) give a copy of the direction or report to the policy committee and a copy to the work place committee or the health and safety representative.

[25]            Le ministre peut en outre nommer des agents d'appel (art. 145.1(1)), qui pourront modifier, annuler ou confirmer la décision ou les instructions de l'agent de sécurité à la demande de l'employeur, de l'employé ou du syndicat :

146. (1) Tout employeur, employé ou syndicat qui se sent lésé par des instructions données par l'agent de santé et de sécurité en vertu de la présente partie peut, dans les trente jours qui suivent la date où les instructions sont données ou confirmées par écrit, interjeter appel de celles-ci par écrit à un agent d'appel.

(2) À moins que l'agent d'appel n'en ordonne autrement à la demande de l'employeur, de l'employé ou du syndicat, l'appel n'a pas pour effet de suspendre la mise en oeuvre des instructions.

146.1 (1) Saisi d'un appel formé en vertu du paragraphe 129(7) ou de l'article 146, l'agent d'appel mène sans délai une enquête sommaire sur les circonstances ayant donné lieu à la décision ou aux instructions, selon le cas, et sur la justification de celles-ci. Il peut :

a) soit modifier, annuler ou confirmer la décision ou les instructions;

b) soit donner, dans le cadre des paragraphes 145(2) ou (2.1), les instructions qu'il juge indiquées.

(2) Il avise par écrit de sa décision, de ses motifs et des instructions qui en découlent l'employeur, l'employé ou le syndicat en cause; l'employeur en transmet copie sans délai au comité local ou au représentant.

(3) Dans le cas visé à l'alinéa (1)b), l'employeur appose ou fait apposer sans délai dans le lieu, sur la machine ou sur la chose en cause, ou à proximité de ceux-ci, un avis en la forme et la teneur précisées par l'agent d'appel. Il est interdit d'enlever l'avis sans l'autorisation de celui-ci.

(4) L'interdiction -- utilisation d'une machine ou d'une chose, présence dans un lieu ou accomplissement d'une tâche -- éventuellement prononcée par l'agent d'appel aux termes de l'alinéa (1)b) reste en vigueur jusqu'à exécution des instructions dont elle est assortie; le présent paragraphe n'a toutefois pas pour effet de faire obstacle à la prise des mesures nécessaires à cette exécution.

146. (1) An employer, employee or trade union that feels aggrieved by a direction issued by a health and safety officer under this Part may appeal the direction in writing to an appeals officer within thirty days after the date of the direction being issued or confirmed in writing.

(2) Unless otherwise ordered by an appeals officer on application by the employer, employee or trade union, an appeal of a direction does not operate as a stay of the direction.

146.1 (1) If an appeal is brought under subsection 129(7) or section 146, the appeals officer shall, in a summary way and without delay, inquire into the circumstances of the decision or direction, as the case may be, and the reasons for it and may

(a) vary, rescind or confirm the decision or direction; and

(b) issue any direction that the appeals officer considers appropriate under subsection 145(2) or (2.1).

(2) The appeals officer shall provide a written decision, with reasons, and a copy of any direction to the employer, employee or trade union concerned, and the employer shall, without delay, give a copy of it to the work place committee or health and safety representative.

(3) If the appeals officer issues a direction under paragraph (1)(b), the employer shall, without delay, affix or cause to be affixed to or near the machine, thing or place in respect of which the direction is issued a notice of the direction, in the form and containing the information that the appeals officer may specify, and no person may remove the notice unless authorized to do so by the appeals officer.

(4) If the appeals officer directs, under paragraph (1)(b), that a machine, thing or place not be used or an activity not be performed until the direction is complied with, no person may use the machine, thing or place or perform the activity until the direction is complied with, but nothing in this subsection prevents the doing of anything necessary for the proper compliance with the direction.

[26]            Enfin, les décisions de l'agent d'appel sont protégées par des clauses privatives passablement étanches, telles qu'en font foi les articles 146.3 et 146.4 du Code :

146.3 Les décisions de l'agent d'appel sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.

146.4 Il n'est admis aucun recours ou décision judiciaire -- notamment par voie d'injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto -- visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l'action de l'agent d'appel exercée dans le cadre de la présente partie.

146.3 An appeals officer's decision is final and shall not be questioned or reviewed in any court.

146.4 No order may be made, process entered or proceeding taken in any court, whether by way of injunction, certiorari, prohibition, quo warranto or otherwise, to question, review, prohibit or restrain an appeals officer in any proceeding under this Part.

ANALYSE

A)         LA NORME DE CONTRÔLE

[27]            La détermination de la norme de contrôle ne constitue pas simplement un exercice formel et académique, mais vise au contraire à élucider l'intention du législateur qui a mis sur pied l'organisme administratif dont la décision est contestée. Comme le rappelait le juge Sopinka dans l'arrêt Pasiechnyk c. Saskatchewan (Workers' Compensation Board), [1997] 2 R.C.S. 890, au paragraphe 18 : « La question soulevée par la disposition est-elle une question que le législateur voulait assujettir au pouvoir décisionnel exclusif de la Commission? » Telle est la question que cette Cour doit se poser pour établir le degré de déférence dont elle doit faire preuve dans l'examen de la décision rendue par l'agent d'appel.

[28]            Depuis l'arrêt U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048, il est bien établi que plusieurs facteurs doivent être pris en considération pour déceler l'intention du législateur. C'est ce que l'on a appelé la méthode pragmatique et fonctionnelle. Dans cette affaire, le juge Beetz à la page 1086 a résumé en deux propositions les circonstances dans lesquelles un tribunal administratif excèdera sa compétence à cause d'une erreur commise :

1. Si la question de droit en cause relève de la compétence du tribunal, le tribunal n'excède sa compétence que s'il erre d'une façon manifestement déraisonnable. Le tribunal qui est compétent pour trancher une question peut, ce faisant, commettre des erreurs sans donner ouverture à la révision judiciaire.

2. Si, par contre, la question en cause porte sur une disposition législative qui limite les pouvoirs du tribunal, une simple erreur fait perdre compétence et donne ouverture à la révision judiciaire.

[29]            Ces principes ont été repris à de nombreuses reprises par la suite, particulièrement dans le domaine des relations de travail. La Cour suprême a souvent réitéré que les tribunaux doivent faire preuve d'une grande retenue à l'endroit des tribunaux spécialisés relativement à des questions de droit relevant de l'expertise de ces organismes. Bien entendu, la présence d'une clause privative dite « intégrale » (c'est-à-dire qui déclare que les décisions du tribunal sont définitives et péremptoires, qu'elles ne peuvent faire l'objet d'un appel et que toute forme de contrôle judiciaire est exclue) ne pourra que renforcer cette déférence des cours à l'endroit des organismes administratifs (voir, à titre d'illustration, Canada (P.G.) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554; CAIMAW c. Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983; Conseil de l'Éducation de Toronto(Cité) c. F.E.E.E.S.O., District 15, [1997] 1 R.C.S. 487; Canada (P.G.) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941).

[30]            Il ne sera pas toujours facile de déterminer si une question de droit relève de la compétence du tribunal administratif ou si elle porte au contraire sur une disposition législative qui limite les pouvoirs de ce tribunal. C'est ici que la méthode pragmatique et fonctionnelle entre en ligne de compte. À l'aide de quatre facteurs contextuels (la présence ou l'absence dans la loi d'une clause privative ou d'un droit d'appel, l'expertise du tribunal relativement à celle de la cour de révision sur le point en litige, l'objet de la loi et de la disposition particulière, et la nature de la question), la Cour sera mieux en mesure de dégager l'intention du législateur et de décider du degré de déférence dont elle devrait faire preuve eu égard à la conclusion du tribunal administratif.

[31]            Il ne m'est pas nécessaire de procéder à cette analyse dans le cadre du présent pourvoi, étant donné que ma collègue la juge Tremblay-Lamer s'est récemment livrée à cet exercice : voir Martin c. Canada (P.G.) (2004), 240 F.T.R. 130, 2003 CF 1158, 1 R.C.F. 625 (QL). On demandait dans cette affaire le contrôle judiciaire d'une décision prise par un agent d'appel d'annuler les instructions données par un agent de sécurité de Développement des ressources humaines Canada. L'agent de sécurité avait conclu après enquête que le fait de ne pas être muni d'un pistolet constituait un danger pour un garde de parc, et il avait enjoint Parcs Canada soit de modifier les fonctions d'application de la loi confiées aux gardes, soit de les protéger des dangers découlant de celles-ci. L'agent d'appel a renversé cette décision et donné raison à la direction, au motif que l'agent de sécurité avait confondu risque et danger et que l'existence d'un danger n'avait pas été prouvé.

[32]            Au terme d'une application rigoureuse des quatre facteurs contextuels énumérés plus haut ainsi que d'une analyse exhaustive des arrêts les plus pertinents en la matière (plus particulièrement : Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748 et Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247), la juge Tremblay-Lamer a conclu qu'il faut généralement faire preuve de beaucoup de déférence face aux décisions des agents d'appel, et s'est dite d'avis qu'il fallait recourir à la norme de la décision manifestement déraisonnable lors de la révision de leurs décisions. Ce faisant, elle en arrivait à la même conclusion que la juge Dawson dans l'arrêt Canadian Freightways Ltd. c. Canada (P.G.) (2003), 231 F.T.R. 306, CFPI 391, A.C.F. no 552 (QL).

[33]            Cette décision n'est guère surprenante, au vu de la clause privative étanche insérée au Code à l'occasion des modifications qui lui ont été apportées en septembre 2000. La Cour suprême a d'ailleurs répété à plusieurs reprises que plus une clause privative est rigoureuse, plus grande doit être la déférence accordée aux décisions prises par l'organisme ainsi protégé à moins d'indices très clairs à l'effet contraire : Pushpanathan, précité, à la p. 1006; Dr Q, précité, à la p. 239.

[34]            À ce chapitre, je me permets de reproduire un extrait de l'arrêt Canada (P.G.) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, précité, à la p. 963, déjà reproduit par ma collègue Tremblay-Lamer dans l'arrêt Martin, précité, au par. 31 :

Une commission constituée en vertu d'une clause privative et protégée par celle-ci représente l'expression de la volonté du Parlement de créer un mécanisme qui offre un moyen expéditif et définitif d'atteindre le but d'un règlement juste des conflits de travail. Pour qu'elles aient l'effet voulu, les décisions ainsi rendues doivent, le plus souvent possible, être définitives. En refusant de s'en remettre aux décisions de la Commission, les cours de justice se trouveraient à contrecarrer l'objet même de la LRTFP et à rendre inopérantes ses dispositions expresses.

[35]            Aussi ne faut-il pas s'étonner que la Cour d'appel fédérale ait donné son aval à cette décision : voir Martin c. Canada (P.G.) (2005), 334 N.R. 43, 2005 CAF 156, A.C.F. no 752 (QL). Ce faisant, elle a repris les propos tenus par Mme la juge McLachlin (maintenant juge en chef) dans l'arrêt Lester (W.W.) (1978) Ltd. c. Association unie des compagnons et apprentis de l'industrie de la plomberie et de la tuyauterie, section locale 740, [1990] 3 R.C.S. 644, auxquels Mme la juge Tremblay-Lamer s'était elle-même référée dans son jugement et dont elle avait cité le passage suivant à la page 669:

Les cours de justice devraient faire preuve de circonspection et de retenue dans l'examen des décisions de tribunaux administratifs spécialisés comme la Commission en l'espèce. Cette retenue s'étend à la fois à la constatation des faits et à l'interprétation de la loi. Ce n'est que lorsque les éléments de preuve, perçus de façon raisonnable, ne peuvent étayer les conclusions de fait du tribunal, ou que l'interprétation donnée aux dispositions législatives est manifestement déraisonnable que la cour de justice peut intervenir.

[36]            En ce qui concerne la deuxième question soulevée par le présent litige, à savoir si l'agent d'appel a erré en décidant que l'AEM pouvait faire l'objet d'une instruction du fait qu'elle contrôle les tâches accomplies par des débardeurs dans un lieu de travail même si elle ne l'exploite pas, la norme de contrôle applicable ne me paraît pas faire de doute. Considérant la clause privative, l'expertise de l'agent d'appel, l'objet des dispositions pertinentes et la nature essentiellement factuelle de cette question, la norme applicable sur ce point ne peut être que celle du caractère manifestement déraisonnable. Il n'y a d'ailleurs pas de désaccord entre les parties à cet égard.

[37]            Plus délicate est la question de savoir si la même norme doit s'appliquer à la première des deux décisions de l'agent d'appel, à l'effet que l'AEM peut être considérée comme un employeur pour les fins de la Partie II du Code. S'agit-il encore là d'une question que le législateur entendait laisser à l'entière appréciation de l'agent d'appel, et sur laquelle cette Cour ne devrait intervenir que dans les cas d'erreurs les plus flagrantes?

[38]            La demanderesse soutient qu'il n'y a aucune disposition dans la Partie II du Code qui confère à l'agent d'appel une compétence exclusive pour déterminer, en fonction de sa propre expertise, qui est l'employeur dans des circonstances données. Au dire de la demanderesse, le législateur insère souvent de telles dispositions dans les lois du travail lorsqu'il entend conférer au tribunal administratif le dernier mot quant à l'identification de l'employeur. Or, le paragraphe 122(1) ne permettrait pas à l'agent d'appel de déterminer qui est l'employeur, mais bien plutôt de décider si l'employeur qui répond à la définition s'est déchargé de ses obligations en matière de santé et de sécurité. Par conséquent, c'est la norme de la décision correcte qui devrait selon elle s'appliquer relativement à cette question.

[39]            La partie défenderesse, en revanche, soutient que la question de savoir si l'AEM est un employeur au sens du Code est une question mixte de fait et de droit dans la mesure où l'agent d'appel devait interpréter la notion d'employeur définie au paragraphe 122(1) du Code, puis vérifier si l'AEM entrait dans cette définition. Par voie de conséquence, et compte tenu des autres facteurs contextuels, elle soutient que la norme de contrôle applicable devrait être celle de la décision manifestement déraisonnable.

[40]            Il est vrai, comme le souligne la demanderesse, que le législateur a été beaucoup plus explicite quant au pouvoir de l'agent d'appel d'identifier l'employeur dans le cadre de la Partie du Code (voir l'alinéa 16(p)(i)). Pourtant, j'estime que l'identification de l'employeur dans le contexte de la Partie II du Code fait indubitablement partie de la juridiction qui a été confiée aux agents d'appel, qui doivent nécessairement procéder à cet exercice avant même d'exercer les fonctions et de se décharger des responsabilités que leur a conféré le législateur.

[41]            La décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Martin, précitée, m'apparaît d'ailleurs déterminante à cet égard. On se souviendra que Mme la juge Tremblay-Lamer avait établi, en première instance, que la norme de contrôle applicable aux décisions des agents d'appel était celle de la décision manifestement déraisonnable. Elle avait pourtant cru bon devoir faire une exception quant à l'interprétation donnée par l'agent d'appel au mot « danger » , dont la définition avait été modifiée par le législateur en novembre 2000. Parce que c'était la première fois qu'une cour se prononçait sur cette question, et que son analyse aurait valeur de précédent pour les décisions d'autres agents d'appel, elle a opté pour la norme de la décision raisonnable simpliciter.

[42]            S'appuyant essentiellement sur les fortes clauses privatives que l'on trouve aux articles 146.3 et 146.4, reproduits plus haut, la Cour d'appel fédérale a infirmé cette partie du jugement rendu par Mme la juge Tremblay-Lamer. La Cour d'appel s'en est expliquée ainsi dans le paragraphe qui suit :

[17] Le professeur David Mullan fait remarquer qu'en pareil cas, [traduction] « le législateur a exprimé sa confiance en la capacité de l'auteur de la décision d'interpréter des questions de droit relevant du champ d'application de sa loi constitutive et de constituer une jurisprudence ayant valeur de précédent, c'est-à-dire un ensemble de décisions susceptibles de s'appliquer à d'autres cas dans l'avenir. » (Mullan, David J., "Establishing the Standard of Review : The Struggle for Complexity?" (2004), 17 C.J.A.L.P. 59, à la page 77). On pourrait s'interroger sur l'opportunité de mettre à l'abri du contrôle plus inquisiteur des tribunaux l'interprétation que des agents d'appel sans formation juridique font de la loi. La Cour doit toutefois appliquer la loi telle qu'elle est. Elle ne peut appliquer des principes de common law qui sont implicitement incompatibles avec un texte de loi clair. Lorsque le législateur s'exprime de façon aussi claire qu'il l'a fait dans le Code canadien du travail, il serait à mon avis illogique que les tribunaux s'arrogent le pouvoir de fixer la jurisprudence qu'un tribunal administratif doit suivre en ce qui concerne l'interprétation de sa loi constitutive.

[43]            Cette décision est en tous points conforme aux opinions souventes fois exprimées par la Cour suprême en cette matière. À partir du moment où l'expertise relative d'un tribunal est établie, les cours doivent faire preuve de beaucoup de déférence non seulement sur des questions de fait, mais également sur des questions reliées à l'interprétation d'une disposition de la loi constitutive du tribunal : voir, par exemple, Pushpanathan, précité, aux pp. 1007-1008; Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557, à la p. 590.

[44]            La décision rendue par la Cour suprême dans l'arrêt Pasiechnyk, précitée, mérite que l'on s'y attarde tout particulièrement compte tenu des similitudes qu'elle présente avec cette demande de contrôle judiciaire. On a statué dans cette affaire que l'expertise de la commission des accidents du travail pour déterminer tous les aspects de l'admissibilité sous le régime de la loi a été considérée suffisamment vaste pour qu'elle puisse statuer que le mot « employeur » visait les réclamations dirigées contre le gouvernement pour négligence dans la réglementation des travaux de deux compagnies qui avaient résulté en des blessures à des travailleurs.

[45]            Commentant cette décision dans l'arrêt Pushpanathan, précité, le juge Bastarache y a vu l'illustration du fait qu'il faut parfois faire preuve d'un degré élevé de retenue même à l'égard de pures questions de droit, si l'examen des divers facteurs contextuels révèle que telle était l'intention du législateur. Comme il l'écrivait lui-même (à la p. 1011):

La création d'un « régime » législatif jointe à la constitution d'un tribunal administratif hautement spécialisé, de même que la présence d'une clause privative stricte étaient suffisantes pour que la Cour fasse preuve d'une retenue étendue, même sur des questions de droit extrêmement générales.

[46]            Compte tenu de ce qui précède, il ne fait aucun doute dans mon esprit que la décision de l'agent d'appel de considérer l'AEM comme un employeur assujetti à la Partie II du Code doit être assujettie à une norme de contrôle peu rigoureuse, tout comme l'interprétation qu'il peut donner du mot « danger » . Dans les deux cas, l'agent d'appel jouit d'une plus grande expertise que cette Cour pour se prononcer sur des questions mixtes de droit et de fait qui relèvent clairement de sa juridiction et du mandat que lui a confié le législateur. Cette conclusion est évidemment renforcée par l'ajout de clauses privatives intégrales, lesquelles ne laissent subsister aucun doute sur l'intention du Parlement.

[47]            Il résulte de tout ce qui précède que les deux conclusions auxquelles en est arrivé l'agent d'appel et qui sont au coeur de ce contrôle judiciaire doivent faire l'objet d'une très grande déférence. Comme on l'a mentionné à de nombreuses reprises, l'erreur devra être flagrante pour entraîner l'annulation de sa décision et de son instruction. La décision manifestement déraisonnable a été décrite comme étant « clairement irrationnelle » ou « de toute évidence non-conforme à la raison » (Canada (P.G.) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941, p. 963-964; Centre communautaire juridique de l'Estrie c. Sherbrooke(Ville), [1996] 3 R.C.S. 84, par. 9-12; Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, précité, par. 52).

[48]            La question que je dois me poser pour trancher le présent litige n'est donc pas celle de savoir si j'en serais venu à la même conclusion que l'agent d'appel; je dois plutôt me contenter de déterminer si, à sa face même, il a commis une erreur évidente à un point tel qu'elle saute aux yeux. Comme l'écrivait la Cour suprême dans l'arrêt CAIMAW, précitée :

[...] un tribunal administratif [...] protégé par une clause privative [...] a le droit de commettre des erreurs, même des erreurs graves, pourvu qu'il n'agisse pas de façon déraisonnable au point de ne pouvoir rationnellement s'appuyer sur la législation pertinente et d'exiger une intervention judiciaire. [...] Un simple désaccord avec le résultat atteint par le tribunal administratif ne suffit pas à rendre ce résultat             « manifestement déraisonnable » . Les cours de justice doivent prendre soin de vérifier si la décision du tribunal a un fondement rationnel plutôt que de se demander si elles sont d'accord avec celles-ci.

Voir aussi : (Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, précité, p. 237; Conseil de l'éducation de Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.O., distcict 15, précité, par. 42).

B)         L'AGENT D'APPEL A-T-IL ERRÉ EN CONCLUANT QUE L'AEM DOIT ÊTRE CONSIDÉRÉE COMME UN EMPLOYEUR POUR LES FINS DE LA PARTIE II DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL?

[49]            La demanderesse a soutenu que l'Agent d'appel avait erré en concluant que l'AEM, de par sa constitution, est une organisation patronale, au sens accordé à ce terme dans la définition du mot « employeur » que l'on trouve au paragraphe 122(1) du Code, alors même qu'elle n'a pas été désignée organisation patronale en vertu de l'article 33 de ce même Code. Si je comprends bien l'argument de la demanderesse, le fait que l'article 34 prévoit dans le domaine du débardage la possibilité d'une accréditation sectorielle et assimile pour les fins de la Partie I le représentant patronal à un employeur exclut par le fait même la possibilité qu'une organisation patronale comme l'AEM puisse être considérée comme un employeur au terme de l'article 33. Cela me paraît être une lecture erronée de ces deux dispositions.

[50]            L'article 34 du Code prévoit que le Conseil canadien des relations industrielles, dans le secteur du débardage et dans d'autres secteurs d'activités désignés par le gouverneur en conseil, peut décider que les employés de plusieurs employeurs oeuvrant dans le même secteur d'activité constituent une seule unité d'accréditation. Dans cette hypothèse, le Conseil enjoindra les employeurs de se nommer un représentant ou, à défaut, en nommera un lui-même, et ce représentant sera assimilé à l'employeur dans le cadre de la Partie I.

[51]            Ce régime spécial d'accréditation sectorielle fait en sorte que des employeurs pourront être forcés de se nommer un représentant qui agira en leur nom même s'ils ne forment pas une organisation patronale à laquelle le Conseil aurait pu attribuer la qualité d'employeur au terme de l'article 33 du Code. On ne saurait cependant inférer de ce régime spécial qu'une organisation patronale ne peut être assimilée à un employeur pour les fins de la Partie II.

[52]            Il est d'ailleurs significatif de comparer la définition du mot « employeur » que l'on retrouve pour les fins de la Partie I et de la Partie II. Tandis que l'on définit le mot « employeur » à l'article 3 comme « quiconque emploie un ou plusieurs employés » , l'article 122(1) définit ce même terme comme une « personne qui emploie un ou plusieurs employés - ou quiconque agissant pour son compte - ainsi que toute organisation patronale » . S'il en va ainsi, c'est sans doute parce qu'une organisation patronale ne pourra être considérée comme un employeur pour les fins de la Partie I que dans le cadre prévu par l'article 33, alors qu'une telle restriction n'est pas prévue dans le contexte de la Partie II.

[53]            Par conséquent, l'agent d'appel pouvait conclure qu'une organisation patronale comme l'AEM est un « employeur » pour les fins de la Partie II. D'autre part, les motifs invoqués par l'agent d'appel pour en arriver à ce constat dans le cadre de la présente affaire reposent sur une analyse détaillée et approfondie de la convention collective liant l'AEM et le syndicat des débardeurs. Je ne puis y relever aucune erreur manifestement déraisonnable susceptible d'entraîner l'annulation de sa décision ou de son instruction.

C)         L'AGENT D'APPEL A-T-IL ERRÉ EN CONCLUANT QUE L'AEM POUVAIT FAIRE L'OBJET DE L'INSTRUCTION ÉMISE SOUS L'AUTORITÉ DE L'ALINÉA 145(2)a) DU CODE?

[54]            La demanderesse a soutenu qu'elle ne pouvait faire l'objet d'une instruction puisqu'elle n'a aucun contrôle sur la situation de danger décrite à l'instruction. Même si l'AEM assure le déploiement de la main d'oeuvre dans le port de Montréal, ce sont les compagnies de débardage qui ont autorité sur l'exécution des tâches de débardage. Puisque la demanderesse n'exploite pas le Terminal Racine, elle n'aurait donc aucune emprise sur la situation de danger décrite et aucune capacité légale ou dans les faits d'agir dans le but d'y parer. Par conséquent, l'ordre donné à l'AEM par l'Agent d'appel de procéder à la protection de ses employés contre le danger d'écrasement serait manifestement déraisonnable parce que l'AEM n'est pas en mesure de s'y conformer.

[55]            Bien qu'elle soit sans doute défendable, cette position n'a pas été retenue par l'Agent d'appel. Tout en acceptant que l'AEM ne contrôle pas les lieux de travail de chaque entreprise, il a conclu que la demanderesse pouvait néanmoins faire l'objet d'une instruction dans la mesure où elle contrôle les tâches accomplies par les débardeurs.

[56]            L'AEM a tenté de démontrer que l'Agent d'appel avait erré en se fondant sur l'article 125 du Code pour conclure qu'elle était responsable en tant qu'employeur non seulement en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité mais aussi pour toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité. Dans la mesure où l'on n'a constaté aucune violation de cette disposition et où l'instruction a été émise sous l'égide du paragraphe 145(2)a) plutôt que sous l'autorité du paragraphe 145(1), l'agent d'appel ne pouvait selon elle la trouver responsable du seul fait que les employés relevaient de son autorité.

[57]            Encore une fois, cet argument de texte ne résiste pas à l'analyse. En ne précisant pas comment l'Agent d'appel doit identifier l'employeur à qui un avis peut être envoyé lorsqu'il constate une situation dangereuse, le législateur lui a laissé le soin de procéder à cette identification au cas par cas, en se fondant sur son expertise et son évaluation des faits portés à sa connaissance. C'est précisément ce que l'Agent d'appel a fait en l'occurrence, en se fondant sur le fait que l'AEM contrôle les tâches des débardeurs. Ce contrôle ne se limite pas à la supervision directe sur le terrain, mais peut inclure d'autres aspects comme la répartition des effectifs, la définition des tâches incluses dans les différentes classifications, et la prise en charge des mesures disciplinaires. Je ne trouve aucune erreur manifestement déraisonnable dans ce constat.

[58]            D'autre part, je ne peux souscrire à l'argument voulant que l'instruction soit sans objet et inexécutable. L'instruction émise est délibérément vague et générale ( « procéder à la protection de vos employés contre ce danger » ), et l'AEM peut certainement s'y conformer dans les limites de ses responsabilités. Rappelons en effet que l'AEM s'est engagée dans la convention collective à faire des efforts pour « éliminer à la source tout danger pour la sécurité et l'intégrité physique des employés » (art. 11.01). C'est également la demanderesse qui fournit des cours de santé et sécurité aux employés (art. 11.13), et qui fournit (avec les entreprises de débardage) les vêtements ou équipements de protection. Il n'est donc pas exact d'affirmer que l'AEM ne peut d'aucune façon se soumettre à l'instruction de l'agent d'appel, même si les entreprises de débardage sont sans doute plus directement visées dans les circonstances de la présente affaire.

[59]            Enfin, la demanderesse s'est appuyée sur une décision rendue par un agent régional de sécurité suite à un accident ayant engendré le décès de trois employés qui procédaient au dégivrage d'un avion à l'aéroport de Mirabel (Aéroports de Montréal et Canada (P.G.), [1995] D.A.R.S.C.C.T. no 12 (QL). On a conclu dans cette affaire que les employés étaient à l'emploi de la compagnie aérienne assurant le dégivrage et qu'Aéroports de Montréal ne pouvait faire l'objet d'une instruction dans la mesure où elle n'exerçait aucun contrôle sur les activités se déroulant au centre de dégivrage.

[60]            Sans me prononcer sur le bien-fondé de cette décision, j'estime que les faits qui la sous-tendent sont bien différents de ceux que nous devons ici considérer. En effet, rien ne permet de croire à la lecture de cette décision qu'Aéroports de Montréal représentait les diverses compagnies aériennes opérant à Mirabel ou était liée par convention collective avec les employés de ces diverses compagnies. Il n'y a donc aucune analogie possible entre les faits à l'origine de ce litige et ceux sur lesquels je suis appelé à me prononcer dans le cadre des présents motifs.

[61]            Pour tous ces motifs, j'estime donc que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée, avec les frais en faveur de la partie défenderesse.

« Yves de Montigny »

JUGE


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                                                                           

DOSSIER :                                          T-213-05

INTITULÉ :                                        Associations des employeurs Maritimes c.

                                                           Syndicat des débardeurs S.C.F.P. Section Locale 375

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Montréal, Québec

DATE DE L'AUDIENCE :                  le 13 octobre 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :     Monsieur le juge de Montigny

DATE DES MOTIFS :                        le 24 janvier 2006                      

                                                          

COMPARUTIONS:                                                                                                                         

Me André C. Giroux

POUR LA DEMANDERESSE

                                                          

Me Jacques Lamoureux

POUR LE DÉFENDEUR                  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me André C. Giroux

Ogilvy Renault

Montréal, Québec

                                                           POUR LA DEMANDERESSE          

Me Jacques Lamoureux

Lamoureux, Morin, Lamoureux

Longueuil, Québec

                                                               POUR LE DÉFENDEUR

                                                          

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