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Date : 20010516

Dossier : IMM-2383-01

Référence neutre : 2001 CFPI 494

ENTRE :

                        SYED MUBASHIR JAMAL

                                                           demandeur

                                 et

        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                           défendeur

                      MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DUBÉ

[1]                 Il s'agit d'une demande de sursis à une mesure d'expulsion présentée de toute urgence dans le cadre d'une conférence téléphonique et fondée sur le fait que le demandeur subira un préjudice irréparable s'il est renvoyé au Pakistan, son pays d'origine.


1. Les faits

[2]                 Le demandeur, qui soutient être membre du parti MQM, allègue qu'il a été victime de persécution au Pakistan ainsi que son frère Abuzar Jamal, également membre de ce parti. Son frère s'est enfui du Pakistan et a déposé une revendication du statut de réfugié aux États-Unis en 1990. Quant au demandeur, il s'est enfui du Pakistan en 1995 et s'est rendu au Canada, où il a revendiqué le statut de réfugié. Toutefois, il a quitté le Canada peu après pour rejoindre son frère aux États-Unis. Par conséquent, la revendication du statut de réfugié qu'il avait déposée au Canada a été déclarée abandonnée et une mesure d'expulsion a été prise.

[3]                 Alors qu'il se trouvait aux États-Unis, le demandeur a présenté une revendication du statut de réfugié, mais il est revenu au Canada le 4 mars 2001 afin de rejoindre sa fiancée qui vivait ici. Étant donné que le demandeur était entré aux États-Unis sans autorisation légitime, un mandat a été exécuté contre lui en 1996. À son retour au Canada, il a été arrêté et il est actuellement incarcéré. Le demandeur vit au Canada depuis le 4 mars 2001 et il a attendu jusqu'au 11 mai 2001 pour demander le droit de s'établir au Canada pour des motifs d'ordre humanitaire.


2. Question préliminaire

[4]                 La personne qui demande un sursis à la dernière minute doit présenter tous les faits pertinents et non seulement un résumé partiel indiquant uniquement les faits favorables à sa demande[1]. Le demandeur a abandonné les procédures qu'il avait engagées pour obtenir une protection à titre de réfugié au Canada et aux États-Unis, deux pays signataires de la Convention relative au statut des réfugiés. Au cours de la période de plus de six ans qui s'est écoulée depuis qu'il a quitté le Pakistan, il n'a pas poursuivi avec diligence le traitement de ses revendications du statut de réfugié, que ce soit au Canada ou aux États-Unis. Sa présente demande nécessite une évaluation du risque de la part de l'agent de renvoi à ce stade tardif.


[5]                 En vertu de l'article 48 de la Loi sur l'immigration (la Loi)[2], le rôle de l'agent de renvoi consiste à exécuter les mesures de renvoi « dès que les circonstances le permettent » . L'agent de renvoi dispose d'un pouvoir discrétionnaire qui lui permet de reporter l'exécution d'une mesure de renvoi, mais ne saurait agir à titre de tribunal d'évaluation d'urgence des motifs d'ordre humanitaire[3]. La Cour a déjà décidé que le pouvoir discrétionnaire d'un agent de renvoi est très restreint et que l'agent peut tenir compte de différents facteurs comme la maladie, d'autres obstacles au déplacement ainsi que les demandes en cours qui sont fondées sur des motifs d'ordre humanitaire et qui ont été présentées en temps opportun[4].

[6]                 Dans l'affaire Wang[5], mon collègue le juge Pelletier a récemment analysé en profondeur la jurisprudence concernant le pouvoir de l'agent de renvoi de différer un renvoi. Les trois paragraphes suivants qui sont tirés des motifs de son ordonnance jettent un éclairage important sur la question :

[43] Cette analyse a tracé les frontières logiques du pouvoir discrétionnaire de différer. Quelles sont ses frontières juridiques? Il se peut que l'octroi du pouvoir discrétionnaire prévu à l'article 48 de la Loi n'envisage pas que le report est approprié chaque fois qu'il pourrait logiquement avoir une incidence. En fait, les termes impératifs de l'article 48 de la Loi nous indiquent qu'il en est autrement. De plus, il y a un courant jurisprudentiel qui permet de conclure que la seule existence d'une demande invoquant des motifs d'ordre humanitaire ne suffit pas à justifier un sursis d'exécution (et, par extension, un report). Finalement, le fait de définir trop largement le pouvoir discrétionnaire de différer risque de créer l'équivalent d'un droit au sursis que le législateur n'a pas voulu inscrire dans la loi. Quelles sont les limites imposées aux options disponibles par les termes « dès que les circonstances le permettent » ?


[44] Il est clair qu'il y a divers facteurs liés aux arrangements de voyage qui exigeront qu'on fasse preuve de jugement ou qu'on exerce un pouvoir discrétionnaire. Il en va ainsi des aléas des horaires des lignes aériennes, des incertitudes liées à la délivrance des documents de voyage, des états de santé qui ont une incidence sur la capacité de voyager, tous des facteurs qui pourraient mener au report d'un renvoi à une autre date. Il y a ensuite des facteurs qui débordent les limites étroites des arrangements de voyage, mais sur lesquels ces arrangements ont un impact, notamment le calendrier scolaire des enfants, ou les naissances ou décès imminents. Ce sont des facteurs qui peuvent aussi avoir une influence sur le moment du renvoi. Même si on donne une interprétation très étroite à l'article 48 de la Loi, ces facteurs doivent être considérés.

[45] En l'instance, la mesure dont on demande de différer l'exécution est une mesure que le ministre a l'obligation d'exécuter selon la loi. La décision de différer l'exécution doit donc comporter une justification pour ne pas se conformer à une obligation positive imposée par la loi. Cette justification doit se trouver dans la loi, ou dans une autre obligation juridique que le ministre doit respecter et qui est suffisamment importante pour l'autoriser à ne pas respecter l'article 48 de la Loi. Vu l'obligation qui est imposée par l'article 48, ainsi que l'obligation de s'y conformer, il y a lieu de faire grand état à l'encontre de l'octroi d'un report de la disponibilité d'une réparation autre, comme le droit de retour, puisqu'on trouve là une façon de protéger le demandeur sans avoir recours au non-respect d'une obligation imposée par la loi. Pour ce motif, je serais plutôt d'avis qu'en l'absence de considérations particulières, une demande invoquant des motifs d'ordre humanitaire qui n'est pas fondée sur des menaces à la sécurité d'une personne ne peut justifier un report, parce qu'il existe une réparation autre que celle qui consiste à ne pas respecter une obligation imposée par la loi.

[7]                 Dans la présente affaire, le demandeur a déposé, en même temps que la présente procédure, une demande invoquant des motifs d'ordre humanitaire qui est fondée sur des menaces à la sécurité de sa personne. L'agent de renvoi a accordé peu de crédibilité à une allégation de risque présentée à la dernière minute. La Cour fédérale a souligné à maintes reprises que les personnes qui ont omis d'alléguer un risque plus tôt à des moments opportuns ne peuvent s'attendre à ce que l'agent de renvoi modifie les arrangements de voyages afin de procéder à une évaluation rapide du risque avant d'accomplir la tâche qui lui incombe en vertu de la Loi. À mon avis, l'agent de renvoi ne peut examiner cette demande que lorsque le risque allégué est évident et très grave et qu'il était impossible de l'invoquer précédemment. Tel n'est pas le cas en l'espèce.


3. Décision

[8]                 Par conséquent, le demandeur ne respecte pas le premier critère applicable à un sursis. La présente demande tardive de sursis du demandeur qui est fondée sur une allégation de risque ne peut donc être accueillie.

[9]                 La demande est rejetée.

  

« J.E. Dubé »

Juge

OTTAWA (Ontario)

Le 16 mai 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


Date : 20010516

Dossier : IMM-2383-01

OTTAWA (ONTARIO), LE 16 MAI 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE DUBÉ

ENTRE :

                SYED MUBASHIR JAMAL

                                          demandeur

                        et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                          défendeur

                    ORDONNANCE

La demande est rejetée.

« J.E. Dubé »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                                        IMM-2383-01

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                    JAMAL

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                                        Ottawa - Toronto par téléconférence

DATE DE L'AUDIENCE :                                       le 15 mai 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :              Monsieur le juge Dubé

DATE DES MOTIFS :                                               le 16 mai 2001

ONT COMPARU

M. Lorne Waldman                                                        POUR LE DEMANDEUR

M. Jamie Todd                                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Jackman, Waldman & Associates                                 POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ont.)

M. Morris Rosenberg                                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1]       Kilnozo c. Canada (C.S.C.) (30 septembre 1994, IMM-4089-94, C.F. 1re inst.); Pavalaki c. Canada (M.C.I.), [1998] A.C.F. no 338 (C.F. 1re inst.); Umukoro c. Canada (M.C.I.), [1999] A.C.F. no 436 (C.F. 1re inst.) et Nagy c. Canada (M.E.I.), [2000] A.C.F. no 547 (C.F. 1re inst.)

[2]      R.C.S. (1985), ch. I-2.

[3]      Pavalaki c. Canada (M.C.I.), [1998] A.C.F. no 338 (C.F. 1re inst.) et Davis, et al. c. M.C.I.(C.F. 1re inst., 3 octobre 2000, IMM-3813-00).

[4]      Mariona c. M.C.I. (C.F. 1re inst., 19 septembre 2000, IMM-4829-00) et Simoes c. M.C.I.(C.F. 1re inst.), 16 juin 2000, IMM-2664-00/IMM-2775-00.

[5]      Ruquan Wang c. Le ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration, 2001 CFPI 148.

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