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Date : 20060606

Dossier : IMM-7425-05

Référence : 2006 CF 702

Ottawa (Ontario), le 6 juin 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGHES

 

ENTRE :

WILLIAM BAI SHERMAN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié rendue le 18 octobre 2005 [sic], dans laquelle la Commission a conclu que le demandeur, qui avait demandé l’asile, n’était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR).

 

[2]               Le demandeur, William Bai Sherman, est né au Libéria en 1971 et est toujours citoyen de ce pays. Il est entré aux États-Unis en 1983 avec sa mère sous un faux nom et ils y sont restés jusqu’en 2004. Le père du demandeur est resté au Libéria et il semble qu’il y habite toujours. Il n’y a eu aucune communication entre le demandeur et son père.

 

[3]               En 2004, le demandeur s’est rendu à un bureau d’immigration aux États-Unis pour régulariser sa situation dans ce pays. Il a alors été informé qu’une ordonnance d’expulsion au Libéria avait été rendue contre lui en 1992. À ce moment, le demandeur s’est enfui du bureau parce qu’il aurait eu, selon ses dires, une crise d’anxiété. 

 

[4]               En 1997, alors qu’il était aux États-Unis, le demandeur a amorcé une relation avec une citoyenne canadienne. Il a eu deux enfants avec elle. La relation s’est terminée en 2001 et elle est rentrée au Canada avec les deux enfants. Ils habitent toujours ici. Le demandeur s’est marié en 2004 avec une citoyenne des États-Unis; cette femme réside toujours aux États-Unis.

 

[5]               Après sa fuite du bureau d’immigration des États-Unis, le demandeur est entré au Canada. Il soutient qu’il a été motivé par le souhait de retrouver ses enfants. Il est entré au Canada avec un faux passeport des États-Unis. Le demandeur a été détenu par les autorités canadiennes et, après environ quatre mois dans un centre de détention, il a demandé l’asile en soutenant qu’il était un réfugié au sens de la Convention et une personne à protéger, aux termes des dispositions des articles 95 à 97 de la LIPR.

 

[6]               Une audience a été tenue et une décision a été rendue le 22 novembre 2005. Il s’agit de la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire. Selon l’avis de demande, la décision aurait été rendue le 18 octobre 2005, cependant, il s’agit de la date de l’audience et non de la date à laquelle la décision a été rendue. Rien ne repose sur cette erreur dans les dates. Dans sa décision, le commissaire a conclu que le demandeur n’avait pas fourni de preuve crédible lui permettant de conclure qu’il serait persécuté au Libéria pour un des motifs prévus par la Convention; par conséquent, il a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention. Le commissaire a ajouté que, compte tenu du peu de crédibilité qu’il avait accordé au témoignage du demandeur et des conclusions qu’il avait tirées au sujet du risque généralisé, il concluait que le demandeur n’était pas une personne à protéger aux termes de l’alinéa 97(1)b) de la LIPR.

 

[7]               Le demandeur résume son point de vue pour le présent contrôle judiciaire au paragraphe 4 de son mémoire :

 

[TRADUCTION]

4.                    Il est soutenu que la Commission : a mal interprété la preuve dont elle était saisie; n’a pas tenu compte de certains éléments de preuve pertinents; a mentionné des faits sans pertinence; a soit mal cité ou mal compris les arguments du demandeur; n’a pas tenu compte d’éléments de preuve importants; a tiré des conclusions en se fiant sur des hypothèses ou des suppositions; n’a pas rendu de motifs clairs et précis qui expliquaient la conclusion négative au sujet de la crédibilité du demandeur quant à sa crainte subjective de persécution; a mal énoncé le critère applicable en l’espèce.

 

 

 

[8]               Les avocats conviennent que la norme de contrôle pour une décision telle qu’en l’espèce est soit la décision manifestement déraisonnable ou la décision raisonnable (simpliciter). Par conséquent, il faut effectuer un examen assez poussé de la décision du commissaire.

 

[9]               Le demandeur soutient d’abord que le commissaire a mal interprété la preuve et qu’il a conclu à tort que, parce que le demandeur avait quitté les États-Unis où il résidait depuis de nombreuses années et qu’il était venu au Canada, il fallait douter de sa crainte subjective. Ce n’est pas ce que le commissaire a dit. Il a expliqué que bien qu’il ne soit pas déterminant, ce facteur était important. Le commissaire était autorisé à examiner cet élément de la preuve et il y a accordé l’importance qu’il fallait. Il ne s’est pas fondé uniquement sur ce facteur, mais il a conclu qu’il s’agissait d’un facteur important.

 

[10]           Le demandeur allègue ensuite que le commissaire n’a pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents, notamment le fait que des membres de sa famille immédiate, soit son père et son oncle, avaient été persécutés. Le commissaire a mentionné le père du demandeur lorsqu’il a noté que le demandeur avait dit qu’il avait su, par l’entremise de sa sœur, que quelqu’un avait enlevé son père puis l’avait relâché. Le commissaire n’a pas mentionné l’oncle et il n’existe aucune référence à cet oncle dans le dossier de l’audience. La transcription de l’audience révèle que le demandeur a expliqué qu’un de ses cousins avait été tué par un peloton d’exécution, apparemment pour des raisons politiques. Le commissaire n’en a pas fait mention dans ses motifs.

 

[11]           Bien que le commissaire n’ait pas tiré de conclusion précise au sujet de la crédibilité du demandeur, il ressort clairement de ses conclusions qu’il ne croit pas que le témoignage du demandeur soit crédible. À la page 9 de ses motifs, il affirme :

J’estime que le demandeur d’asile n’a pu fournir une preuve crédible et suffisante qu’il serait persécuté pour un motif prévu par la Convention au Libéria. Je conclus donc qu’il n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention.

 

Étant donné ma conclusion défavorable quant à la crédibilité de la preuve du demandeur d’asile et les conclusions tirées à l’égard du risque généralisé, je conclus également que le demandeur d’asile n’a pas qualité de personne à protéger au Canada au sens de l’alinéa 97(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

 

[12]           Même si les motifs auraient pu être plus précis et exprimer une conclusion au sujet de la crédibilité de chaque élément de preuve, la décision du commissaire résiste à un « examen assez poussé » (Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247). La décision manifestement déraisonnable est la norme de contrôle applicable aux conclusions au sujet de la crédibilité (Aguebor c. Canada (MCI), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.)).

 

[13]           Par conséquent, je conclus qu’il n’y a aucune raison d’annuler la décision du commissaire sur ce fondement.

 

[14]           Le demandeur soulève aussi la question à savoir si le commissaire a tenu compte d’éléments non pertinents lorsqu’il mentionne le fait qu’il n’y a aucune communication entre le demandeur et son père. Le commissaire n’a pas fondé sa décision sur ce fait. La transcription de l’audience confirme ce fait. En fait, le commissaire a conclu que le demandeur n’avait pas tenté de communiquer avec son père. Le commissaire a noté que le demandeur, qui semble se fonder sur le fait son père avait souffert de persécution au Libéria, n’a pas tenté de communiquer avec lui. Le commissaire a mentionné ce fait, il n’a pas dit que ses conclusions étaient fondées sur ce fait.

 

[15]           La quatrième question qu’a soulevée le demandeur exige qu’il faille déterminer si le commissaire a mal interprété ou mal compris son allégation selon laquelle il y avait eu une augmentation du nombre de groupes de milice armée qui utilisaient l’intimidation pour faire des profits. Le demandeur soutient que de tels groupes le cibleraient personnellement en raison des antécédents de sa famille en matière d’appartenance politique.

 

[16]           Le commissaire a tenu compte de cette question et l’a examinée en fonction des autres preuves, soient des documents dont la Commission était saisie. Il a conclu, à la page 6 de ses motifs, que « les éléments de preuve objective n’étayent pas la crainte subjective qu’a le demandeur d’asile d’être persécuté ou à risque en raison de son nom de famille ».

 

[17]           Cette question a été examinée adéquatement et convenablement.

 

[18]           Le demandeur soulève comme cinquième point la question à savoir si le commissaire a omis de tenir compte de certains éléments de preuve importants, tels que la persécution des membres de sa famille. Cette question est essentiellement la même que celle qui a été soulevée dans la deuxième allégation du demandeur. Le commissaire a examiné ces éléments de preuve de façon adéquate.

 

[19]           La sixième question porte sur la possibilité que le commissaire ait fondé ses conclusions sur des hypothèses et des suppositions lorsqu’il a fait remarquer que le demandeur n’avait pas immédiatement demandé l’asile. À la page 8 de ses motifs, le commissaire mentionne que :

Il est intéressant de noter que le demandeur d’asile n’a présenté sa demande au Canada qu’après avoir été arrêté et détenu par le ministère de l’Immigration pendant un certain nombre de mois [non souligné dans l’original].

 

Le demandeur d’asile se trouvait ici illégalement. Il n’avait pas d’autre choix que de demander l’asile ou d’être renvoyé au Libéria

 

 

[20]           Le commissaire ne s’est pas fondé sur cette conclusion de façon déterminante, mais elle peut avoir modifié son point de vue quant à la crédibilité du demandeur. Il n’a commis aucune erreur justifiant l’infirmation de sa décision.

 

[21]             Le demandeur soulève ensuite la question à savoir si le commissaire a omis de présenter des motifs clairs et précis qui justifient sa conclusion défavorable au sujet de la crédibilité. Les motifs du commissaire auraient pu être mieux énoncés à ce sujet, mais comme le juge Joyal l’a affirmé dans l’affaire Miranda c. Canada (MCI), [1993] A.C.F. no 437, bien qu’il soit possible d’effectuer un examen au microscope ou une autopsie sémantique, la décision doit être examinée dans sa totalité. Dans l’ensemble, il est clair que le commissaire a conclu que le témoignage du demandeur n’était pas crédible.

 

[22]            La huitième et dernière question porte sur la possibilité que le commissaire ait commis une erreur en affirmant que le critère d’application de l’alinéa 97(1)b) de la LIPR porte sur un risque précis et non sur un risque auquel d’autres individus sont généralement exposés. C’est exactement ce que cet alinéa prévoit. L’avocat du demandeur a retiré son argument à l’audience du présent contrôle judiciaire.

 

[23]           Par conséquent, je conclus que, même si les motifs du commissaire, surtout au sujet de la crédibilité, auraient pu être plus clairs, le commissaire n’a commis aucune erreur susceptible de révision en tirant ses conclusions. La demande est rejetée. Il n’y a aucune ordonnance quant aux dépens.

 


 

ORDONNANCE

 

VU LA DEMANDE, présentée à la Cour le lundi 5 juin 2006, de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié rendue le 22 novembre 2005, qui rejetait la demande d’asile du demandeur;

 

ET APRÈS avoir pris connaissance des dossiers présentés et avoir entendu les observations des avocats des parties;

 

ET POUR les motifs ci-joints;

 

LA COUR ORDONNE que :

 

1.                  La demande soit rejetée;

2.                  Aucuns dépens ne soient adjugés.

 

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7425-05

 

INTITULÉ :                                       WILLIAM BAI SHERMAN c. MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 5 juin 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge Hughes

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 6 juin 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter Steida

 

POUR LE DEMANDEUR

Lynn Marchildon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Peter Stieda

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg                                             for the Respondent

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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