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Date : 20040310

Dossier : IMM-5809-02

Référence : 2004 CF 365

Ottawa (Ontario), le 10 mars 2004

En présence de Monsieur le juge von Finckenstein

ENTRE :

                                          PENINAH KAWINI (KANINI) MUTINDA

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Contexte


[1]                La demanderesse est une Kényane âgée de 36 ans. Elle revendique le statut de réfugié sur le fondement de ses opinions politiques imputées. Au Kenya, elle était membre du Handicapped Mobility Appliances Centre (HAMAC), mis sur pied en 1994; son travail consistait à produire et distribuer des fauteuils roulants de fabrication locale. Elle était également secrétaire de la National League for the Disabled of Kenya (NLDK). Étant membre de ces groupes, elle a commencé à s'adonner à des activités de défense des droits en regard des politiques d'achat de fauteuils roulants du gouvernement, mises en oeuvre par le National Fund for the Disabled of Kenya (NFDK). En tant que secrétaire de la NLDK, elle a fait enquête sur les motifs de l'achat par le NFDK de fauteuils roulants de fabrication étrangère plutôt que ceux, plus robustes, de fabrication locale. Puisqu'elle se déplace elle-même en fauteuil roulant, cette question l'intéressait tout particulièrement. Elle a soutenu que le gouvernement obtenait gratuitement d'investisseurs asiatiques des fauteuils roulants au-dessous de la norme, en échange de l'octroi de licences d'exploitation de commerces.

[2]                Elle a également soutenu avoir réuni une conférence de presse pour dénoncer les politiques du gouvernement, particulièrement en ce qui concerne le harcèlement par la police des personnes handicapées. Elle a également écrit des lettres où elle se plaignait des politiques de saisie de terres du gouvernement, qui ont touché la NLDK puisque son ancien président avait illégalement obtenu la propriété d'un terrain de valeur à Nairobi.

[3]                La demanderesse soutient que, comme elle était membre de la NLDK et du HAMAK, elle a commencé à prendre part aux activités de DEEDS (Disabled for Education and Economic Development Support) et de la UFUNGAMANO (une coalition sous l'égide d'Églises en faveur de réformes constitutionnelles).


[4]                La demanderesse a déclaré que sa vie était menacée du fait de ses enquêtes et que des policiers en civil lui avaient rendu visite, à son bureau à la fin d'avril et au début de mai 2001 et chez elle le 4 mai 2001. Lors d'une de ces visites, on l'a arrêtée, placée dans une pièce d'isolement et interrogée au sujet d'une communication présentée par elle lors d'une conférence aux États-Unis ainsi que d'une conférence de presse qu'elle avait tenue. Lors de la seconde visite à son bureau, la police a saisi un rapport préliminaire auquel elle avait travaillé et qui critiquait le gouvernement, notamment ses politiques relatives aux handicapés, et donnait des détails sur la corruption au sein du NFDK et d'autres entités gouvernementales.

[5]                La demanderesse s'est alors cachée. Le 22 mai 2001, elle a obtenu son visa de séjour pour le Canada. Le 4 juin 2001, elle a quitté le Kenya à destination du Canada, où elle a revendiqué le statut de réfugié le 27 juin 2001.

Décision de la Commission

[6]         La Commission a conclu qu'elle n'avait pas établi le bien-fondé de sa revendication « [traduction] quant à toutes les questions, c'est-à-dire le fait qu'elle soit bel et bien une activiste, les éléments subjectif et objectif et la crédibilité » (dossier du tribunal, page 5).

Questions en litige

[7]         La demanderesse a soulevé les trois questions suivantes, soit celles de savoir si la Commission

(i)         a appliqué une norme de preuve erronée en exigeant « [traduction] une preuve convaincante » plutôt qu'en évaluant les prétentions selon la prépondérance des probabilités;


(ii)        a tiré des conclusions quant à la crédibilité manifestement déraisonnables en se fondant sur des inférences et des conjectures;

(iii)       a fait abstraction d'éléments de preuve pertinents présentés avant que la décision ne soit publiée.

Analyse

1re question

[8]         La Commission a tiré plusieurs conclusions (pages 5 et 7 du dossier du tribunal) relativement à l'activisme de la demanderesse :

[traduction]

-           « la demanderesse n'a pu présenter au tribunal aucune preuve objective convaincante relativement à son prétendu activisme » (page 5)

-           « il n'y a aucune preuve convaincante selon laquelle le DEEDS était membre de la coalition UFUNGAMANO » (page 7)

-           " « il n'y a aucune preuve convaincante quant au fait que des litiges opposaient le HAMAC et la NLDK au gouvernement » (page 7)

-           « le tribunal conclut par prépondérance des probabilités que la demanderesse n'était pas membre du DEEDS ou de la UFUNGAMANO » (page 7).

[9]                Il n'est pas évident d'établir la différence entre une preuve convaincante et la prépondérance des probabilités. La preuve convaincante ne renvoie pas à la norme pénale « hors de tout doute raisonnable » . Toute conclusion selon la prépondérance des probabilités, par définition, est convaincante. Le juge Gauthier a ainsi déclaré ce qui suit, dans Li c. Canada (M.C.I.), [2003] A.C.F. n ° 1934 (paragraphe 50) :


Compte tenu des remarques qui précèdent, la Cour conclut que, conformément au paragraphe 97(1) de la Loi, il doit exister une preuve convaincante (à savoir la prépondérance des probabilités) établissant les faits sur lesquels un demandeur se fonde pour dire qu'il fait face à un risque sérieux d'être torturé à son retour.

                                                                                                [Non souligné dans l'original.]

Dans Sivanathan c. Canada (M.C.I.), [2003] A.C.F. n ° 662 (paragraphe 2), de même, la juge Snider a statué comme suit :

Cela étant, la Commission ne disposait d'aucun élément de preuve convaincant indiquant, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse mineure était persécutée ou qu'elle serait persécutée en Norvège pour un motif prévu par la Convention.

                                                                                                [Non souligné dans l'original.]

La Commission n'a donc pas commis d'erreur révisable en recourant à cette expression.

2e question

[10]       La défenderesse soutient que la conclusion quant à sa crédibilité de la Commission se fondait sur des inférences et conjectures et non sur les faits présentés en preuve.

[11]            Les conclusions en matière de crédibilité sont par essence des conclusions de fait, de sorte que la demanderesse a le fardeau de démontrer que la décision de la Commission était manifestement déraisonnable ou que celle-ci l'a rendue sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

[12]            En l'espèce, des motifs (des invraisemblances, l'absence d'une preuve corroborante d'accès relativement facile et la revendication tardive) étayaient les conclusions défavorables quant à la crédibilité. Pour ce qui est de l'argument selon lequel la Commission a tiré à tort des inférences ou conjectures défavorables sur le fondement du récit par la demanderesse du comportement de tiers, il y a lieu de noter qu'un tribunal peut apprécier le récit d'un revendicateur en fonction de ce à quoi on pourrait vraisemblablement s'attendre dans une situation semblable. Le tribunal a le droit, pour apprécier la crédibilité, de se fonder sur des critères comme la raison et le bon sens (se reporter à Shahamati c. Canada (M.E.I.), [1994] A.C.F. n ° 415). Le tribunal avait ainsi le droit de tirer une inférence défavorable quant à la crédibilité en l'absence d'explication quant aux motifs pour lesquels les collègues de la demanderesse au Kenya n'étaient pas disposés à appuyer sa revendication du statut de réfugié. L'argument de la demanderesse portant que la Commission a commis une erreur révisable à cet égard est donc sans fondement.

3e question


[13]            La demanderesse soutient que la Commission a fait abstraction d'éléments de preuve présentés à l'audience. La Commission a admis la preuve documentaire démontrant que le gouvernement kényan persécutait certains groupes, notamment de défense des droits des personnes handicapées. La Commission a admis que certains groupes étaient ainsi ciblés, mais a conclu que la demanderesse n'en était pas membre. C'était le point de friction essentiel dans la présente affaire et la demanderesse n'a pu fournir le moindre élément de preuve, hormis son propre témoignage, relativement à cette question fondamentale. Ainsi que la Commission l'a déclaré (page 6 du dossier du tribunal) :

[traduction]

C'est la revendicatrice qui a le fardeau de démontrer le bien-fondé de sa revendication. Elle avait une remarquable réputation parmi les personnes handicapées au Kenya du fait qu'elle a conçu et fabriqué un fauteuil roulant unique en son genre. J'estime déraisonnable de croire que, si elle s'est portée à la défense de groupes de personnes handicapées, il n'y ait aucun individu ou organisme au courant et disposé à l'appuyer dans sa revendication du statut de réfugié. Le tribunal tire une inférence défavorable quant à la crédibilité de la revendicatrice du fait que celle-ci ne lui a présenté aucune preuve concrète de son activisme. Il n'est pas crédible qu'aucun activiste ou groupe activiste ni aucune autre personne ne soit disposé à appuyer les prétentions de la revendicatrice.


[14]            Il était parfaitement raisonnable pour la Commission, sur la foi de la preuve présentée, de conclure comme elle l'a fait. La demanderesse soutient que la Commission aurait dû prendre en compte un communiqué de presse publié en mai 2001. On n'a pas produit le communiqué à l'audience ni avant celle-ci. La demanderesse soutient qu'elle l'a remis à son avocat, qui a omis de le présenter à la Commission. Après l'audience du 11 septembre 2002 de la Commission, l'avocat l'a transmis à celle-ci par télécopieur le 26 septembre 2002. La Commission a rendu sa décision le 17 septembre 2002, qui n'a cependant été transmise à la demanderesse que le 30 octobre 2002. Comme la Commission avait déjà rendu sa décision (lorsqu'elle a reçu copie du communiqué de presse), elle n'était pas tenue de prendre en compte un document que la demanderesse avait eu amplement le temps de soumettre. Après tout, la demanderesse avait reçu le 18 juin 2002 l'avis de Communication et dépôt avant l'audience des éléments de preuve pertinents, qui mentionnait explicitement l'obligation pour elle de produire au moins 20 jours avant l'audience tous les documents qu'elle comptait faire valoir. Il n'y a pas eu en l'espèce, tel que l'allègue la demanderesse, manquement à l'équité de la procédure.

[15]            La demanderesse a également soutenu que l'incompétence de son avocat était le seul motif pour lequel cet élément de preuve n'avait pas été transmis à temps au tribunal. L'avocat aurait été incompétent parce qu'il n'a pas demandé d'ajournement pour pouvoir présenter un nouvel élément de preuve ni transmis les documents par télécopieur au membre du tribunal avant le prononcé de la décision. Selon le témoignage à l'audience de la demanderesse, toutefois, le motif pour lequel celle-ci n'a produit aucun document c'était qu'elle ne faisait suffisamment confiance à personne au Kenya pour obtenir des documents pour ses fins. Cela étant, l'avocat n'a pas fait preuve d'incompétence en ne demandant pas d'ajournement faute d'indication que la demanderesse faisait désormais assez confiance en quelqu'un pour se procurer les documents. En l'absence d'un fondement factuel à l'allégation d'incompétence ainsi que de toute plainte émanant du Barreau du Haut-Canada, ce motif de demande doit également être rejeté. Comme le juge Pelletier l'a déclaré dans Nunez c. Canada (MCI), [2000] A.C.F. n ° 555 :

Je ne suis pas disposé à admettre une accusation de faute professionnelle grave contre un avocat, auxiliaire de la justice, sans une explication par celui-ci des agissements en question ou sans la preuve que l'affaire a été soumise à l'ordre des avocats pour enquête. En l'espèce, il y avait amplement de temps pour faire l'une ou l'autre de ces deux choses, mais ni l'une ni l'autre n'a été faite. Ce défaut ne s'accorde pas avec la gravité de l'allégation. Cette observation n'est nullement une manifestation de la sollicitude de la Cour à l'égard des avocats et aux dépens de leurs clients. La Cour ne fait que reconnaître qu'il est facile de faire des allégations de faute professionnelle et que, une fois jugées fondées, celles-ci aboutissent généralement au redressement demandé. La preuve administrée à l'appui d'une allégation de ce genre doit être à la mesure de la gravité des conséquences pour tous les intéressés.

[16]            La présente demande est par conséquent rejetée.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE le rejet de la présente demande.

                                                                        « K. von Finckenstein »            

                                                                                                     Juge                             

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                       IMM-5809-02

INTITULÉ :                      PENINAH KAWINI (KANINI) MUTINDA

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 25 FÉVRIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :     LE JUGE von FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS ET

DE L'ORDONNANCE : LE 10 MARS 2004

COMPARUTIONS :

Munyonzwe Hamalengwa                                  POUR LA DEMANDERESSE

Robert Bafaro                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Munyonzwe Hamalengwa                                  POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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