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Date : 20030415

Dossier : T-873-02

Référence neutre : 2003 CFPI 434

Montréal (Québec), le 15e jour d'avril 2003

En présence de :         L'HONORABLE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

                                                                 SERGE AUCLAIR

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                              PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                   

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Serge Auclair (le demandeur), alors qu'il était incarcéré à l'Établissement Donnacona, a demandé le contrôle judiciaire d'une décision disciplinaire défavorable rendue à son endroit par monsieur Maranda, président indépendant (le président). L'établissement est géré par le Service correctionnel du Canada (SCC). Le SCC est représenté par le défendeur.


QUESTION EN LITIGE

[2]                 J'ai à décider si le président a erré en condamnant le demandeur pour une infraction disciplinaire selon les circonstances du présent dossier.

[3]                 Cette demande est rejetée pour les raisons énoncées ci-dessous.

LES FAITS

[4]                 Le demandeur, alors qu'il était détenu à Donnacona, s'est vu remettre un rapport par un agent du SCC (le rapport) à l'égard d'une infraction que l'agent croyait avoir observée le 23 mars 2002 vers 14h15. Selon l'agent, le demandeur a été pris en possession d'un liquide interdit caché dans les jambes d'un pantalon jeans. Ce pantalon était lui-même caché dans un « duct » (canalisation d'air). Ce « duct » se trouvait dans la salle de toilettes dans la salle commune des détenus. Le demandeur fut surpris par l'agent alors qu'il était en train de transvider un sac dans les jambes du pantalon. Selon l'allégation, les jambes de ce pantalon étaient gonflées d'alcool en fermentation (dossier du défendeur, page 106).

[5]                 Le rapport a été remis au demandeur le 25 mars 2002 et le 28 mars, il comparaissait devant le tribunal disciplinaire et par l'entremise de son procureur il plaidait non coupable à l'accusation dont le rapport faisait état.

[6]                 L'audition devant le tribunal disciplinaire s'est déroulée en deux temps soit le 2 mai 2002 et le 9 mai 2002.

[7]                 Le président a trouvé le demandeur coupable d'une infraction en vertu de l'alinéa 40j) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté conditionnelle, S.C. 1992, c. 20 (la Loi). Cet alinéa se lit comme suit:

40. Est coupable d'une infraction disciplinaire le détenu qui :

                       [...]

j) sans autorisation préalable, a en sa possession un objet en violation des directives du commissaire ou de l'ordre écrit du directeur du pénitencier ou en fait le trafic;

                       [...].

40. An inmate commits a disciplinary offence who:

                       [...]

(j) without prior authorization, is in possession of, or deals in, an item that is not authorized by a Commissioner's Directive or by a written order of the institutional head;

                       [...].

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Demandeur

[8]                 Le matin de l'audition le procureur du demandeur s'est désisté des moyens soulevés dans son mémoire sauf pour les trois questions suivantes: 1) rien dans le rapport mentionne qu'il a été avisé qu'il serait rapporté; 2) le défendeur prétend que le demandeur était en possession d'alcool alors qu'aucune substance n'a été analysée et déposée en preuve; 3) l'article prévu au rapport de l'infraction n'est pas assez précis et en conséquence, le demandeur n'a pas pu fournir une défense pleine et entière.


Défendeur

[9]                 Le demandeur connaissait bien l'infraction qui lui était reprochée. Le libellé du rapport était clair et sans ambiguïté. Un ordre écrit du directeur interdit à tout détenu d'avoir en sa possession tout liquide qui n'est pas vendu à la cantine de l'établissement ou fourni par la cuisine (dossier du défendeur, page 105).

[10]            Le défendeur soumet que le demandeur a été trouvé coupable en vertu de cet ordre écrit à au moins 19 reprises depuis 1997. Cet ordre était connu par le détenu et son procureur. Le détenu savait ou devait savoir que le geste qu'il avait commis constituait une infraction. L'exigence d'équité procédurale tel qu'énoncé à l'affaire Hendrickson v. Kent Institution (1990), 32 F.T.R. 296, a été nettement respectée.

[11]            Le rapport est conforme aux exigences de l'article 25 du Règlement. Une demande de contrôle judiciaire dans laquelle le demandeur plaidait un défaut à la rédaction d'un rapport a été rejetée par le juge Pinard dans la cause Pontbriand c. Canada (Procureur général), 2002 CFPI 744, [2002] A.C.F. no 1016 (C.F. 1re instance) (QL). Le raisonnement dans cette cause devrait s'appliquer ici.

[12]            Ni la Loi ni le Règlement n'obligent les autorités à joindre le règlement du directeur au rapport d'infraction.

[13]            Le défendeur cite l'affaire Opoonechaw c. Établissement de Stony Mountain (1996), 115 F.T.R. 229, [1996] A.C.F. no 1049 (C.F. 1ère instance) (QL), où le juge McKeown rejetait la prétention qu'un rapport citant la mauvaise disposition par erreur justifierait l'annulation de la décision du comité disciplinaire. On avait jugé que la nature de l'accusation était évidente au requérant et que ce dernier n'avait pas été privé d'équité procédurale ou de justice naturelle.

ANALYSE

[14]            L'alinéa 25(1)a) du Règlement prévoit le suivant :

25. (1) L'avis d'accusation d'infraction disciplinaire doit contenir les renseignements suivants :

a) un énoncé de la conduite qui fait l'objet de l'accusation, y compris la date, l'heure et le lieu de l'infraction disciplinaire reprochée, et un résumé des éléments de preuve à l'appui de l'accusation qui seront présentés à l'audition;

b) les dates, heure et lieu de l'audition.

25. (1) Notice of a charge of a disciplinary offence shall

(a) describe the conduct that is the subject of the charge, including the time, date and place of the alleged disciplinary offence, and contain a summary of the evidence to be presented in support of the charge at the hearing; and

(b) state the time, date and place of the hearing.

[15]            Le rapport précise que l'infraction a eu lieu le 23 mars 2002 à 14h15, dans la Salle commune « 2G » de l'Établissement. L'agent témoin Fournier rédige ainsi la description de l'infraction (dossier du défendeur, page 104) :

Le précité est rapporté pour avoir été pris en possession de liquide interdit non vendu à la cantine et non fourni par la cuisine. Ce dernier cachait le liquide dans des pantalons à l'intérieur du doc (sic). Le "doc"(sic) était ouvert avec un outil artisanal.

[16]            Un ordre du Directeur de l'Établissement précise la politique qui interdit certains liquides comme étant des objets interdits. Cet ordre, qui date du 10 juin 1997, se lit comme suit (dossier du défendeur, page 105):

OBJETS INTERDITS / CONTRABAND

Afin d'assurer un environnement sûr à l'intérieur de l'établissement, il est strictement interdit à tout détenu d'avoir en sa possession :

a) Tout objet pouvant servir à la fabrication d'alcool artisanal.

b) Tout liquide qui n'est pas vendu à la cantine institutionnelle ou fourni par la cuisine de l'établissement ou encore distribué par le Centre de soins, sauf de l'eau.

Seuls les liquides dans leur état original sont autorisés.

Finalement, il est aussi interdit aux détenus d'avoir en cellule tout liquide dans un récipient de plus de 1.5 litre.

[17]            Un lien clair existe entre cette directive et l'alinéa 40j). Cet article est précisé au début du procès disciplinaire le 2 mai. Le demandeur a eu la possibilité de préparer sa défense étant donné que la continuation de l'audition s'est poursuivie une semaine plus tard.

[18]            En révisant les notes sténographiques aux pages 14, 20, 22, 50, 51, il est clair que le demandeur était au courant et savait quelle infraction on lui reprochait. En particulier, les pages 50 et 51 sont éloquentes :

PAR M. LE PRÉSIDENT :

Q. Alors, M. Fournier, nous avons connaissance de votre rapport. Dites-nous, pour les fins d'enregistrement, quels sont les constats que vous avez faits?


R. Ah mais moi, l'officier du contrôle c'était Michel Blass, à ce moment-là il dit que le détenu Auclair est dans le coqueron, puis il a de la peine à le voir, puis ça fait longtemps qu'il est en arrière puis qu'il ne sort pas de là. Ça fait qu'il me dit si je veux aller voir. Ça fait que moi, je monte en haut, dans le coqueron il y a une porte en acier, elle est fermée. Sauf que je m'approche, puis aussitôt que je m'approche, je vois Auclair qui est accroupi puis qu'il est en train de manipuler du liquide interdit. Il sort une forte odeur d'alcool. Puis le duct est ouvert. Ça a deux pieds et demi par deux pieds et demi (2 ½ x 2 ½), puis dans ça il y a des pantalons en jeans qui sont attachés, puis je vois que c'est bien (inaudible) ... qu'est-ce qu'il est en train de faire. Je l'ai (inaudible) « Fournier, tu m'a pogné. » Il a pas résisté, rien, ça fait que j'ai vidé ça là. On a transféré les détenus dans une salle commune (inaudible) ... [je souligne]

[19]            Une preuve non contredite a été déposée devant le président à l'effet que le demandeur a été trouvé coupable pour la même infraction 19 fois de 1997 à 2001. En me référant à la cause Hendrickson, supra, je suis satisfait qu'aucune injustice grave n'a été commise à l'endroit du demandeur. À la page 5 de la traduction de cette décision, au paragraphe 6, on peut lire ce qui suit:

[TRADUCTION] La discrétion judiciaire en matière disciplinaire doit être exercée modérément et un redressement ne doit être accordé [traduction] 'qu'en cas de sérieuse injustice'.

[20]            Dans les circonstances actuelles du dossier, le défendeur n'était pas dans l'obligation de fournir une preuve par expertise qu'il s'agissait bien d'alcool. Le rapport d'infraction est suffisant car il indique que le demandeur était en possession de liquide interdit non vendu à la cantine et non fourni à la cuisine. Ceci est tout à fait conforme avec la note de service du directeur de l'Établissement Donnacona (datée du 10 juin 1997) qui faisait partie du manuel du détenu et reconnu par le demandeur.

[21]            Le demandeur a pu produire une défense pleine et entière relativement à l'infraction reprochée.


[22]            En conséquence, cette demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE:

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

                                                   ______________________________

Juge


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                         SECTION PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            T-873-02

INTITULÉ :                                        SERGE AUCLAIR c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA       

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Montréal

DATE DE L'AUDIENCE :                 11 mars 2003

MOTIFS ET ORDONNANCE:        L'HONORABLE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                        15 avril 2003

COMPARUTIONS:

Me Jérôme Parenteau                              POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Sébastien Gagné                                POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:                                             

Me Jérôme Parenteau                              POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

BERNIER, PARENTEAU

Drummondville (Québec)

       

Morris Rosenberg                                    POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)                                 

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