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Date : 20040113

Dossier : T-666-02

Référence : 2004 CF 46

Toronto (Ontario), le 13 janvier 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

ENTRE :

                                                                     ALICE MILLER

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

                              AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

défenderesse

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                 Alice Miller, la demanderesse, demande le contrôle judiciaire de la décision du ministre du Revenu national telle qu'établie par le délégué ministériel (Directeur de la fiscalité, Bureau des services fiscaux de Sudbury, (ADRC)) en date du 18 mars 2002. Le Directeur a refusé d'exercer le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par le paragraphe 220(3.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (La Loi) pour annuler les pénalités et les intérêts courus relativement à la dette fiscale de Mme Miller pour l'année d'imposition 1998, ou pour y renoncer.

[2]                 Le paragraphe 220(3.1), auquel on se réfère communément comme l'une des dispositions d'équité, est rédigé comme suit :


(3.1) Le ministre peut, à tout moment, renoncer à tout ou partie de quelque pénalité ou intérêt payable par ailleurs par un contribuable ou une société de personnes en application de la présente loi, ou l'annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

(3.1) The Minister may at any time waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by a taxpayer or partnership and, notwithstanding subsections 152(4) to 152(5), such assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made as is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.


[3]                 Voici les faits en résumé. Mme Miller est conseillère en informatique à son propre compte. Jusqu'aux années d'imposition 1997 et 1998, elle a été une contribuable exemplaire et a produit à temps toutes ses déclarations d'impôt. Elle a acquitté son impôt pendant 27 ans. En février 1998, elle a temporairement entreposé ses biens et est partie de Toronto, en Ontario, pour aller à Vancouver, en Colombie-Britannique, afin de prendre soin de son frère invalide qui se mourait d'un cancer de l'estomac. Pendant cette période, on a diagnostiqué que sa mère souffrait d'une forme agressive de cancer du sein. Mme Miller est revenue à Toronto en septembre 1998 et elle s'est finalement installée dans son ancien appartement. Elle n'a pas obtenu de contrat de consultation avant février 1999.


[4]                 En avril 1999, un ami de Mme Miller lui a rappelé qu'elle avait entreposé une boîte chez lui. La boîte contenait les dossiers fiscaux de Mme Miller. Celle-ci les a apportés chez son expert-comptable qui aurait préparé ses déclarations d'impôt pour les deux années d'imposition 1997 et 1998. Mme Miller affirme, et une lettre de son expert-comptable le confirme, que les deux déclarations d'impôt (pour 1997 et 1998) ont été envoyées par la poste à l'ADRC par son expert-comptable le 21 avril 1999. Un chèque pour l'impôt dû pour l'année d'imposition 1997 accompagnait la déclaration de 1997. Mme Miller n'a joint aucun paiement pour l'année d'imposition 1998. Elle soutient qu'elle n'avait pas les moyens de payer l'impôt à cette époque et qu'elle avait décidé d'attendre l'avis de cotisation avant d'envoyer le paiement. En janvier 2000, l'ADRC a demandé sa déclaration d'impôt de 1998 et a envoyé une mise en demeure en mars 2000 concernant la déclaration d'impôt de 1998. Mme Miller a communiqué avec son expert-comptable qui a présenté par fax la page couverture de la déclaration de 1998 et a envoyé par la poste une copie de la déclaration complète le 25 mai 2000.


[5]                 Des pénalités de 4 662,56 $ pour présentation tardive et des intérêts débiteurs de 2 481,23 $ ont été imposés à Mme Miller en vertu du paragraphe 162(2) de la Loi. Ce paragraphe spécifique autorise des pénalités et des taux d'intérêt plus élevés dans le cas d'une personne qui a omis de produire ses déclarations à temps au cours des trois années d'imposition précédentes. La déclaration de Mme Miller pour 1997 avait été produite avec une année de retard, à cause semble-t-il de son relogement temporaire à Vancouver et des circonstances qui avaient donné lieu à ce relogement. Lorsque Mme Miller a reçu son avis de cotisation de 1998 en novembre 2000, elle s'est immédiatement opposée à la pénalité et à l'intérêt en s'appuyant sur le fait qu'elle n'avait pas produit sa déclaration de 1998 en retard. Elle a alors affirmé, et elle le maintient toujours, que la déclaration de 1998 avait été perdue soit par Postes Canada, soit par l'ADRC.

[6]                 Divers représentants de l'ADRC à différents niveaux ont examiné le dossier en vertu des dispositions d'équité de la Loi. Le Directeur a finalement décidé qu'il n'y aurait pas renonciation aux pénalités et à l'intérêt imposés quant à l'année 1998. Ses motifs pour refuser la demande de Mme Miller figurent dans la correspondance datée du 18 mars 2002 :

[traduction] L'examen de votre dossier m'indique que vous n'avez pas avisé l'ADRC de votre changement d'adresse, que vous n'avez jamais remis en cause le lieu de l'avis de cotisation pour l'année d'imposition 1998 et qu'à la fois une demande de production et une mise en demeure ont été envoyées avant qu'une déclaration soit produite pour 1998.

Après un examen attentif des faits présentés, j'ai conclu qu'il ne s'agit pas d'une situation où il serait approprié d'annuler la pénalité et l'intérêt sur les arriérés en cause imposés pour présentation tardive.

[7]                 Lors de l'audition de la demande, Mme Miller a reconnu qu'on ne pouvait pas reprocher au Directeur sa décision concernant l'intérêt sur les arriérés, compte tenu qu'elle avait décidé de ne pas acquitter l'impôt dû pour l'année d'imposition 1998 au plus tard le 30 avril 1999, date à laquelle le paiement était dû. Mme Miller a déclaré qu'elle n'avait [traduction] « aucun problème avec la décision concernant l'intérêt » et elle n'a pas contesté qu'elle devait payer l'intérêt. Elle a maintenu sa position selon laquelle la décision concernant la renonciation aux pénalités était erronée. Elle s'est appuyée à cet égard sur la décision Barron c. Canada (Ministre du Revenu national), (1997), 209 N.R. 392 (C.A.F.), particulièrement sur l'extrait suivant :


[traduction] La cour pourra intervenir et annuler la décision visée seulement si celle-ci a été prise de mauvaise foi, si l'instance décisionnelle a manifestement omis de tenir compte de faits pertinents ou tenu compte de faits non pertinents, ou si la décision est erronée en droit.

Mme Miller a soutenu que le Directeur avait omis d'examiner des éléments pertinents.

[8]                 La norme de contrôle en matière de décisions discrétionnaires relativement au paragraphe 220(3.1) est celle du caractère manifestement déraisonnable : Cheng c. Canada, (2001), D.T.C. 5575 (C.F. 1re inst.); Sharma c. Canada (Agence des douanes et du revenu), (2001), D.T.C. 5360 (C.F. 1re inst.). Vu la norme de contrôle, il ne m'est pas loisible de m'immiscer dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire du délégué ministériel simplement parce que j'aurais pu être enclin à l'exercer différemment si j'en avais eu la responsabilité. Dans la décision Kaiser c. Canada (Ministre du Revenu national), (1995), 93 F.T.R. 66 (C.F. 1re inst.), le juge Rouleau a dit :

[traduction] L'objet de cette disposition législative est de permettre à Revenu Canada, Impôt, de gérer plus équitablement le régime fiscal, en faisant la place au bon sens dans le traitement des contribuables qui, en raison de leur infortune ou de circonstances échappant à leur volonté, sont incapables de respecter des délais ou de se conformer aux règles propres au régime fiscal. Le libellé de l'article confère au ministre un large pouvoir discrétionnaire de renoncer aux intérêts en tout temps. Pour le guider dans l'exercice de ce pouvoir, des lignes directrices ont été formulées; elles sont exposées dans la circulaire 92-2.


[9]                 Dans la décision Sharma, précitée, le juge Pelletier a décidé que tous les antécédents d'inobservation d'un contribuable sont pertinents quant à la question de savoir s'il est équitable de l'exempter d'une obligation existante. Le paragraphe 244(21) de la Loi prévoit qu' « un document présenté par le ministre comme étant un imprimé des renseignements concernant un contribuable que le ministre a reçus d'une personne en application de l'article 150.1 est admissible en preuve et fait foi, sauf preuve contraire, de la déclaration produite par la personne en vertu de cet article » . [Non souligné dans l'original.]

[10]            À la suite de l'étude du contenu du dossier, la pertinence des facteurs qui sont apparus comme ayant été pris en considération par le délégué ministériel ne fait aucun doute. Je partage néanmoins l'avis de Mme Miller selon lequel il existait des facteurs pertinents qui semblent avoir été ignorés. Rien n'indique que l'affirmation de Mme Miller (confirmée par son expert-comptable) voulant que la déclaration d'impôt de 1998 ait été préparée et mise à la poste à temps ait été prise en considération. Rien n'indique qu'il ait été tenu compte de la date de signature apparaissant sur la déclaration d'impôt de 1998 (le 20 avril 1999). Rien n'indique que l'ensemble des antécédents d'observation de Mme Miller ait été pris en compte, non plus que les troubles émotifs ou la souffrance morale graves.

[11]            Bien qu'il ne me soit pas permis de substituer mon opinion à celle du délégué ministériel, ma fonction n'est pas non plus de spéculer pour savoir quelle décision finale aurait pu être rendue si tous les facteurs pertinents avaient été considérés. La demande de contrôle judiciaire de la décision du délégué ministériel en date du 18 mars 2002 relativement aux pénalités pour présentation tardive sera donc accueillie. Les parties ont chacune obtenu partiellement gain de cause et aucune ordonnance ne sera rendue relativement aux dépens.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

a)         La demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie. La décision du délégué ministériel en date du 18 mars 2002 relativement aux pénalités pour présentation tardive est annulée et la requête de la demanderesse est renvoyée pour nouvel examen.

b)          Il n'est pas adjugé de dépens.                

        « Carolyn Layden-Stevenson »                                                                                                           

ligne                                                                                                             Juge                          

Traduction certifiée conforme

Nicole Michaud, LL.L, M. Trad.


COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                        T-666-02

INTITULÉ :                       ALICE MILLER

                                                                                              demanderesse

et

AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

                                                                                               défenderesse

LIEU DE L'AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE 13 JANVIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :    LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

DATE DES MOTIFS

ET DE L'ORDONNANCE :                           LE 13 JANVIER 2004

COMPARUTIONS:

Alice Miller                                                           POUR LA DEMANDERESSE

POUR SON PROPRE COMPTE

Carol Calabrese                                                   POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Alice Miller

Haliburton (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

POUR SON PROPRE COMPTE

                                                         

Morris Rosenberg                                                

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE


             COUR FÉDÉRALE

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                               

Date : 20040113

Dossier : T-666-02

ENTRE :

ALICE MILLER

                                      demanderesse

et

AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

                                       défenderesse

                                                                           

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                            

                                                               


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