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                                                                                                                                 Date : 20041007

                                                                                                                             Dossier : T-808-02

                                                                                                                Référence : 2004 CF 1371

OTTAWA (ONTARIO), LE 7 OCTOBRE 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN                                

ENTRE :                                                                                            

                                                   AVENTIS PASTEUR LIMITÉE               

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                           PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                               défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'un recours exercé en vertu de l'article 44 de la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. 1985, ch. A-1, (la Loi) en vue d'obtenir la révision d'une décision en date du 3 mai 2002 par laquelle Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (Travaux publics) a divulgué le nombre de doses et les gammes de volumes mentionnés dans un contrat de 50 millions de dollars portant sur la fourniture du vaccin antigrippal par la demanderesse. Le débat porte sur la question de savoir si les renseignements de ce contrat qui doivent être divulgués échappent à la communication en vertu des alinéas 20(1)b), c) ou d) de la Loi.


LES FAITS

Genèse de l'instance

[2]                La demanderesse, Aventis Pasteur Limitée, fabrique un vaccin antigrippal. Le 21 août 2001, à la suite d'un appel d'offres, Travaux publics a adjugé à la demanderesse un contrat portant sur la fourniture de son vaccin.

[3]                En novembre 2001, le Bureau de l'accès à l'information et de la protection des renseignements personnels de Travaux publics (le Bureau) a reçu une demande présentée en vertu de la Loi en vue d'avoir accès aux documents contenant les renseignements suivants contenus dans le contrat :

PRIX DE VENTE ANNUEL/DOSE. NOMBRE DE DOSES/ANNEE : DE 2001 ET ANNEES SUBSEQUENTES. DUREE DES CONTRATS ET CLAUSES RESTRICTIVES, SI INDIQUEES PRIX PAYE PAR GOUVERNEMENT POUR L'ACHAT DES OEUFS EMBROYENNES CAS DES PANDEMIE (sic).

[4]                Par lettre datée du 26 novembre 2001, le Bureau de l'AIPRP a avisé la demanderesse de cette demande et l'a invitée à formuler ses observations au sujet d'une éventuelle exemption de la totalité ou d'une partie des documents en vertu de l'article 20 de la Loi.


[5]                La demanderesse a soumis au Bureau de l'AIPRP des observations écrites dans lesquelles elle s'opposait à la communication des parties du contrat où il était question de prix unitaire par dose du vaccin, de nombres de doses ainsi que de gammes de volumes utilisées pour déterminer le prix par dose. La demanderesse affirmait que ces renseignements échappaient à la communication en vertu des alinéas 20(1)b), c) et d) de la Loi et qu'ils devaient être retranchés des documents avant que ceux-ci ne soient communiqués.

La décision

[6]                Le Bureau de l'AIPRP a examiné les observations de la demanderesse et, par lettre datée du 3 mai 2002, a informé la demanderesse de ce qui suit :

[traduction] Conformément à l'article 28 de la Loi sur l'accès à l'information [La Loi], nous avons examiné vos observations et nous avons décidé que les documents dont la communication est demandée sont en partie exemptés en vertu des alinéas 20(1)b) et 20(1)c) de la Loi.

À cette lettre était jointe une copie du contrat expurgé que le Bureau de l'AIPRP avait l'intention de produire. Les prix unitaires par dose avaient été retranchés du contrat, mais le nombre de doses et les gammes de volumes n'avaient pas été supprimés.


[7]                Travaux publics a décidé, en vertu des alinéas 20(1)b) et 20(1)c) de la Loi, de soustraire à la communication le prix unitaire par dose mentionné au contrat. En d'autres termes, le prix unitaire constitue des renseignements financiers ou commerciaux confidentiels dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes financières appréciables à la demanderesse ou de nuire à sa compétitivité.

[8]                Le 23 mai 2002, la demanderesse a introduit la présente demande de contrôle judiciaire, qui porte sur la divulgation projetée du nombre de vaccins et des gammes de volumes. La demanderesse explique que, comme la valeur totale du contrat est publique, la divulgation du nombre de doses et des gammes de volumes permettrait à un tiers de déterminer le prix unitaire approximatif du vaccin. La demanderesse soutient que, comme le Bureau de l'AIPRP a estimé que le prix unitaire était soustrait à la communication en vertu des alinéas 20(1)b) et 20(1)c), les renseignements qui permettraient à un tiers de déterminer un prix unitaire approximatif devraient également être soustraits à la communication.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[9]                La demanderesse invoque les dispositions suivantes de la Loi :



20. (1) Le responsable d'une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant :

[...]

b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers;

c) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité;       d) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement d'entraver des négociations menées par un tiers en vue de contrats ou à d'autres fins.

[...]

44. (1) Le tiers que le responsable d'une institution fédérale est tenu, en vertu de l'alinéa 28(1) b) ou du paragraphe 29(1), d'aviser de la communication totale ou partielle d'un document peut, dans les vingt jours suivant la transmission de l'avis, exercer un recours en révision devant la Cour.

20. (1) Subject to this section, the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains

[...]

(b)financial, commercial, scientific or technical information that is confidential information supplied to a government institution by a third party and is treated consistently in a confidential manner by the third party;

(c) information the disclosure of which could reasonably be expected to result in material financial loss or gain to, or could reasonably be expected to prejudice the competitive position of, a third party; or

d) information the disclosure of which could reasonably be expected to interfere with contratual or other negotiations of a third party.

[...]

44. (1) Any third party to whom the head of a government institution is required under paragraph 28(1)(b) or subsection 29(1) to give a notice of a décision to disclose a record or a part thereof under this Act may, within twenty days after the notice is given, apply to the Court for a review of the matter.


ANALYSE

Norme de contrôle judiciaire et charge de la preuve

[10]            Les parties s'entendent pour dire que la seule décision à l'examen est celle de divulguer les passages du contrat où sont indiqués le nombre de doses et les gammes de volumes. La Cour n'a pas à se prononcer sur la décision de refuser la communication du prix unitaire par dose.


[11]            La norme de contrôle qui s'applique aux décisions visées par l'article 44 de la Loi est celle de la décision correcte. Il appartient à la Cour de reprendre l'affaire depuis le début et de se demander si les renseignements devraient être communiqués. En conséquence, la Cour n'est pas tenue de faire preuve de retenue à l'égard de la décision prise par Travaux publics au sujet de la communication des renseignements. L'analyse de la Cour doit être guidée par le principe de l'accès du public aux documents de l'administration fédérale, puisque c'est l'objet de la Loi. Le législateur fédéral oblige toutefois le responsable d'une institution fédérale à refuser la communication de certains documents fournis à l'administration par des tiers. Celui qui tente d'empêcher la communication doit se décharger d'un « lourd fardeau » pour prouver que les renseignements doivent être soustraits à la communication (voir ma décision dans l'affaire Société canadienne des postes c. Commission de la capitale nationale, (2002), 221 F.T.R. 56, au paragraphe 8; voir aussi les décisions St. Joseph Corp. c. Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux), (2002), 218 F.T.R. 41 (C.F. 1re inst.), Canada Packers Inc. c. Canada (Ministre de l'Agriculture), [1989] 1 C.F. 47 (C.A.) et Air Atonabee Ltd. c. Canada (Ministre des Transports) (1989), 27 F.T.R. 194 (C.F. 1re inst.)).

[12]            Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, la demanderesse réclame une exception à la communication en invoquant les alinéas 20(1)b), 20(1)c) et 20(1)d) de la Loi. Le défendeur soutient pour sa part que les renseignements en question ne tombent sous le coup d'aucune de ces dispositions.

Alinéa 20(1)b) - Renseignements financiers ou commerciaux fournis à titre confidentiel

Conditions à remplir

[13]            Pour que les renseignements en question soient visés par l'exception prévue à l'alinéa 20(1)b), il faut que la demanderesse remplisse les quatre conditions suivantes. Ainsi, elle doit démontrer, selon la prépondérance de la preuve, que ces renseignements :


1)          sont des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques;

2)         sont de nature confidentielle;

3)         ont été fournis à une institution fédérale par un tiers;

4)         et ont été traités d'une manière confidentielle de façon constante par ce tiers. [Non souligné dans l'original.]

[14]            Je suis convaincu que la première et la quatrième conditions ont été remplies. Les renseignements sont indubitablement des renseignements financiers et commerciaux. Qui plus est, la demanderesse a traité ces renseignements d'une manière confidentielle de façon constante.

Deuxième condition : nature confidentielle

[15]            En ce qui concerne la deuxième condition, la jurisprudence énumère trois conditions qui doivent être respectées pour que des renseignements puissent être considérés comme confidentiels. Dans le jugement Air Atonabee, précité, au paragraphe 42, le juge MacKay résume comme suit le critère applicable :

[...] la question de savoir si un renseignement est de nature confidentielle dépend de son contenu, de son objet et des circonstances entourant sa préparation et sa communication, c'est-à-dire :

a) le contenu du document est tel que les renseignements qu'il contient ne peuvent être obtenus de sources auxquelles le public a autrement accès, ou ne peuvent être obtenus par observation ou par étude indépendante par un simple citoyen agissant de son propre chef;

b) les renseignements doivent avoir été transmis confidentiellement dans l'assurance raisonnable qu'ils ne seront pas divulgués;


                c) les renseignements doivent être communiqués, que ce soit parce que la loi l'exige ou parce qu'ils sont fournis gratuitement, dans le cadre d'une relation de confiance entre l'Administration et la personne qui les fournit ou dans le cadre d'une relation qui n'est pas contraire à l'intérêt public, et la communication des renseignements confidentiels doit favoriser cette relation dans l'intérêt du public.

[16]            Je suis persuadé que le premier volet de ce critère est rempli puisque les renseignements en question ne peuvent être obtenus d'aucune autre source.

[17]            La Cour d'appel fédérale a récemment fourni quelques éclaircissements au sujet de l'application des deux derniers volets du critère. Dans l'affaire Canada (Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux) c. Hi-Rise Group Inc., 2004 CAF 99, la Cour était saisie d'un recours exercé par un locateur commercial qui cherchait à empêcher la divulgation du loyer payé par le gouvernement fédéral pour un de ses immeubles, de même que les prix d'option auxquels l'immeuble pouvait être acquis. La Cour a jugé que les renseignements en question ne constituaient pas des « renseignements confidentiels » au sens de la Loi. S'inspirant largement du raisonnement suivi par le juge Strayer (alors juge à la Section de première instance) dans le jugement Société Gamma Inc. c. Canada (Secrétariat d'État), (1994), 79 F.T.R. 42 (C.F. 1re inst.), le juge Noël a tenu les propos suivants :

[...] l'entrepreneur potentiel qui tente d'obtenir un contrat du gouvernement en participant à un processus de soumission confidentiel ne peut s'attendre à ce que les conditions financières demeurent confidentielles si sa proposition est retenue.

(paragraphe 37)

[...]


[...] Le droit du public de savoir comment le gouvernement dépense les fonds publics comme moyen de le tenir responsable de ses dépenses est un principe fondamental bien connu en matière de responsabilité gouvernementale (paragraphe 42)

Le juge Noël ajoute, au paragraphe 41 :

Tel que mentionné dans Société Gamma, il y a de bonnes raisons de préserver le caractère confidentiel des renseignements pendant le processus d'appel d'offres, mais des considérations différentes entrent en jeu une fois le contrat accordé et les fonds publics engagés. En l'absence de circonstances particulières (notamment de sécurité nationale), je ne vois pas comment l'intérêt public pourrait bénéficier de la confidentialité des montants payés ou payables par le gouvernement conformément à des obligations contractuelles avec des tiers.

[18]       La Cour d'appel a conclu que les renseignements en question n'étaient pas confidentiels au sens de l'alinéa 20(1)b) parce que le locateur ne pouvait raisonnablement s'attendre à ce que les sommes payées par l'administration aux termes du contrat ne soient pas divulguées au public.

[19]       Bien que la Cour d'appel se fonde sur le jugement Société Gamma pour affirmer que les montants payés ou payables par le gouvernement conformément à ses obligations contractuelles avec des tiers perdent leur caractère confidentiel au terme du processus d'appel d'offres et une fois le contrat adjugé, je rappelle les propos suivants qu'a tenus le juge Strayer (alors juge à la Section de première instance) au paragraphe 5 du jugement Société Gamma :

[...] Ont également été supprimés les renseignements sur les tarifs (tant par mot) proposés relativement au contrat.

Et au paragraphe 9 :


[...] Nombre des inquiétudes dont la requérante a fait part à l'intimé, y compris celle relative au préjudice qu'elle pourrait subir par suite de la divulgation de renseignements concernant le prix, le personnel et le matériel, ont déjà été écartées du fait que l'intimé a convenu de retrancher les parties des propositions traitant de ces points.

Ainsi, dans l'affaire Société Gamma, le prix unitaire au mot proposé pour le contrat de traduction n'a pas été divulgué et il ne faisait donc pas partie des éléments examinés par le juge Strayer. En l'espèce, la demanderesse et Travaux publics ont toujours respecté le principe de la confidentialité. Travaux publics a accepté par le passé et accepte dans le cas qui nous occupe que le prix unitaire par dose constitue un renseignement financier et commercial confidentiel qui ne doit pas être divulgué. En conséquence, le raisonnement suivi par la Cour d'appel dans l'arrêt Hi-Rise Group Inc., précité, ne s'applique pas. En l'espèce, les demanderesses avaient cru comprendre que les modalités financières du contrat demeureraient confidentielles et que le prix global du marché serait rendu public.

[20]       Il est facile d'établir une distinction entre la présente espèce et l'affaire Hi-Rise Group Inc. dans laquelle la Cour d'appel fédérale dit ce qui suit, au paragraphe 33 :

La question qui se posait donc était de savoir si l'intimée, en prenant pour acquis que sa proposition serait retenue, pouvait raisonnablement s'attendre que les montants payables ou payés à même les fonds publics en conformité avec le contrat qui en découlerait demeureraient confidentiels en raison du fait que le processus qui avait mené au contrat était confidentiel.


En l'espèce, il est acquis que la demanderesse et Travaux publics ont accepté que le prix unitaire par dose payé aux termes du contrat demeure confidentiel et que le prix global du contrat soit rendu public. Il est également évident que c'est ce à quoi ils s'attendaient. Manifestement, tout autre élément d'information contenu dans le contrat qui aurait eu pour effet de divulguer le prix unitaire devait également demeurer confidentiel.

[21]       Travaux publics ne peut changer son fusil d'épaule en cours de route. Il ne peut prétendre que le prix unitaire est confidentiel pour ensuite proposer de divulguer une partie du contrat, permettant ainsi de calculer aisément les renseignements contenus dans la partie confidentielle.

[22]       En ce qui concerne le troisième volet du critère, en l'occurrence la question de savoir si le fait de garder les renseignements confidentiels favorise l'intérêt du public, je dois présumer que Travaux publics a examiné la question et a conclu qu'il était dans l'intérêt du public de garder le prix unitaire confidentiel. Ainsi que je l'ai déjà expliqué, la décision de Travaux publics de refuser la communication du prix unitaire n'est pas visée par le présent examen; seule sa décision de divulguer des renseignements qui permettraient à un tiers de calculer le prix unitaire approximatif l'est. Comme Travaux publics a estimé qu'il était dans l'intérêt du public de ne pas communiquer le prix unitaire, il s'ensuit qu'il est dans l'intérêt du public de refuser la communication de renseignements qui permettraient à un tiers de calculer le prix unitaire approximatif. Pour cette raison, je suis convaincu que le dernier volet du critère établi dans le jugement Air Atonabee, précité, a été respecté.


Troisième condition : les renseignements ont été fournis à une institution fédérale

[23]       Dans le jugement Société canadienne des postes c. Commission de la capitale nationale, précité, j'ai expliqué que les montants négociés pour des produits ou services ne peuvent pas être qualifiés de renseignements « fournis à une institution fédérale par un tiers » . La juge McGillis est arrivée à une conclusion semblable dans le jugement Halifax Development Ltd. c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), [1994] A.C.F. no 2035. Conclure autrement aurait pour effet d'élargir la portée de l'exemption et d'empêcher le public d'avoir accès à une grande partie des renseignements contenus dans les marchés de l'État.

[24]       Dans le cas du présent contrat, le prix unitaire par dose pour différentes gammes de quantités a été fourni au gouvernement par la demanderesse et ne constituait pas une condition négociée. D'autres éléments du contrat ont été négociés, mais pas le prix unitaire. Les gammes de volumes auxquelles le prix unitaire s'appliquait ont également été fournies par la demanderesse et elles n'ont pas fait l'objet de négociations. Le fait que la demanderesse ait retenu une quantité déterminée dans cette gamme ne signifie pas que la quantité ne faisait pas partie des renseignements communiqués par la demanderesse.


[25]       Le nombre de doses et les gammes de volumes utilisés pour déterminer le prix d'une dose peut être utilisé par un des concurrents de la demanderesse ou par un des clients de cette dernière pour obtenir une idée du prix unitaire par dose prévu au contrat. Comme Travaux publics convient que le prix unitaire par dose est soustrait à la divulgation, il est tout à fait logique que les renseignements relatifs aux quantités soient également exemptés. Il ressort des éléments de preuve confidentiels portés à la connaissance de la Cour que, si les quantités de doses et les gammes de volumes prévues au contrat étaient rendues publiques, ces chiffres pourraient être utilisés, avec les renseignements publics suivant lesquels la valeur globale du marché est de 50 799 000 $, pour calculer le prix unitaire par dose approximatif stipulé au contrat. Au paragraphe 50 de son affidavit confidentiel, M. Robert Van Exan explique que, si les renseignements étaient divulgués, les concurrents de la demanderesse seraient en mesure de déterminer, à quelques cents près, le prix unitaire par dose et la structure de l'offre de la demanderesse. Le défendeur n'a pas contredit cette affirmation et l'auteur de cet affidavit n'a pas été contre-interrogé. Il s'agit des seuls éléments de preuve dont dispose la Cour en ce qui concerne la question de savoir si la divulgation des quantités et des gammes de volumes permettrait à un concurrent de déterminer le prix unitaire par dose stipulé au contrat. Tout comme une femme ne peut être enceinte à moitié, les modalités financières d'un contrat ne peuvent être à moitié confidentiels. Travaux publics souligne que les quantités de doses ne sont pas soustraites à la divulgation. Je ne suis pas de cet avis, parce que la divulgation des quantités aurait pour effet, d'après les seuls éléments dont dispose la Cour, de révéler les prix unitaires approximatifs confidentiels qui sont prévus au contrat.

[26]       Pour ces motifs, je suis convaincu que la demanderesse a démontré que les renseignements en question remplissent les conditions qui permettent d'en refuser la communication en vertu de l'alinéa (20)(1)b) de la Loi.


Obligation pour Travaux publics de faire savoir aux soumissionnaires si les modalités financières du contrat seront rendues publiques ou gardées confidentielles

[27]       À titre incident, j'ajoute que Travaux publics devrait informer les parties, au cours du processus d'appel d'offres, si les modalités financières du contrat demeureront confidentielles une fois que le marché aura été adjugé et que des fonds publics auront été engagés. J'abonde dans le sens de la Cour d'appel lorsqu'elle dit, dans l'arrêt Hi-Rise Group Inc., précité, que : « en l'absence de circonstances particulières, le droit du public de savoir comment le gouvernement dépense les fonds publics comme moyen de le tenir responsable de ses dépenses est un principe fondamental bien connu en matière de responsabilité gouvernementale » . Ce principe vise à s'assurer que le gouvernement rende des comptes à la population. Si Travaux publics estime qu'il est dans l'intérêt du public de protéger la confidentialité de certaines stipulations d'un contrat, il doit prendre cette décision et la communiquer aux entrepreneurs qui ont soumis des offres ou des propositions.


[28]       En l'espèce, il ressort à l'évidence de la preuve que le gouvernement souhaitait que le prix global du marché soit rendu public mais que le prix unitaire par dose demeure confidentiel. Il se peut qu'il soit dans l'intérêt du public que le prix unitaire soit gardé secret parce que le gouvernement est en mesure d'obtenir d'un entrepreneur un prix beaucoup plus bas que celui que cet entrepreneur serait autrement en mesure de lui offrir. Dans le cas du contrat en litige, la demanderesse a certifié que le prix n'était pas supérieur au prix le plus bas demandé par tout entrepreneur dans les pays membres de l'ALÉNA ou de l'UEE, y compris son client le plus favorisé, et elle a ajouté que Travaux publics a le droit de vérifier les livres de la demanderesse pour s'assurer que le prix en question est le plus bas.

[29]       En revanche, il peut être dans l'intérêt du public de rendre le prix unitaire public. Les concurrents de la demanderesse pourraient ainsi être incités à proposer des prix inférieurs au moment de la reconduction du marché.

[30]       Ce qu'il est convenu d'appeler « le scandale des commandites » , qui fait présentement la manchette au Québec, souligne l'importance de rendre publics et transparents les marchés de l'État, sauf si cela est contraire à l'intérêt public. Travaux publics devrait donc préciser dès le début de tout processus d'appel d'offres si le marché qui sera finalement adjugé sera divulgué ou si certaines parties en seront gardées confidentielles dans l'intérêt du public. Si Travaux publics estime que certaines modalités d'un marché déterminé devraient demeurer confidentielles, il devrait également bien préciser en quoi le fait de garder les renseignements confidentiels favorise l'intérêt du public. Une telle décision de Travaux publics n'empêche pas l'exercice d'un recours en révision devant la Cour en vertu de l'article 44, mais elle contribue largement à clarifier les attentes des parties et à connaître les considérations relatives à l'intérêt public qui sont en cause.


Alinéa 20(1)c) - Nuire à la compétitivité

[31]       Il est de jurisprudence constante que, pour pouvoir bénéficier de l'exception prévue à l'alinéa 20(1)c), le demandeur doit établir qu'il fait face à un « risque vraisemblable de préjudice probable » (Canada Packers, précité). À cet égard, il ne suffit pas que le demandeur spécule quant à la probabilité du préjudice que la divulgation des documents lui causerait; il doit démontrer clairement que la divulgation lui causera probablement un préjudice (Viandes du Breton c. Canada (Ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire), (2000), 198 F.T.R. 233 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 11).

[32]       Après avoir attentivement examiné les éléments de preuve confidentiels, je suis convaincu que les renseignements en question tombent sous le coup de l'exception prévue à l'alinéa 20(1)c). La divulgation de ces renseignements risquerait vraisemblablement de nuire à la compétitivité de la demanderesse lors d'un prochain appel d'offres et elle risquerait vraisemblablement de lui causer des pertes financières. De toute évidence, les concurrents de la demanderesse offriront des prix inférieurs à ceux de la demanderesse, si tant est qu'il leur est possible de le faire. Comme l'avocat de la demanderesse l'a signalé, ce préjudice est aggravé par le fait que la demanderesse ne disposera pas de renseignements similaires au sujet de ses concurrents.


[33]       À mon avis, lorsqu'on la considère dans son ensemble, la preuve de la demanderesse établit que la divulgation des renseignements contestés risque vraisemblablement de nuire à la compétitivité de la demanderesse. À l'appui de cette conclusion, je me réfère à la décision de la juge Simpson dans l'affaire Perez Bramalea Limited c. Canada (Commission de la capitale nationale), [1995] A.C.F. no 63 (C.F. 1re inst.), dans laquelle la Cour a estimé qu'il y avait un risque vraisemblable de préjudice probable si les locataires éventuels étaient mis au courant des taux de loyer payés par la Commission de la capitale nationale pour certains étages d'un édifice à bureaux. Par ailleurs, dans le jugement Société canadienne des postes c. Commission de la capitale nationale, précité, j'ai déclaré qu'il était raisonnable de penser qu'un préjudice serait vraisemblablement causé si l'on communiquait les taux de commandite payés par un commanditaire.

[34]       Ainsi que je l'ai déjà dit, c'est à Travaux publics qu'il appartient, avant de lancer un nouvel appel d'offres, de décider s'il est dans l'intérêt du public de permettre aux concurrents de la demanderesse de connaître le prix qui a été payé. Travaux publics devrait également bien préciser aux entrepreneurs qui soumettront des offres si les détails du marché qui sera adjugé seront, en totalité ou en partie, rendus publics ou s'ils seront gardés confidentiels. Si l'entrepreneur est informé à l'avance que le contrat sera entièrement public, l'alinéa 20(1)c) ne s'applique pas.

Alinéa 20(1)d)


[35]       Ainsi que je l'ai expliqué à l'audience, je ne suis pas convaincu que la demanderesse a présenté des éléments de preuve tendant à démontrer que la divulgation des renseignements risquerait vraisemblablement d'entraver des négociations contractuelles précises. La demanderesse est tenue de soumettre des éléments de preuve matériels pour s'acquitter du fardeau dont elle doit se décharger pour pouvoir bénéficier de cette exemption. Or, elle ne s'est pas acquittée de ce fardeau de la preuve.

DISPOSITIF

[36]       Pour ces motifs, la demande est accueillie et le nombre de doses et les gammes de volumes précisés dans le contrat ne devront pas être communiqués en application des alinéas 20(1)b) et 20(1)c) de la Loi.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande est accueillie avec dépens;

2.          Le nombre de doses et les gammes de volumes précisés dans le contrat ne devront pas être communiqués en application des alinéas 20(1)b) et 20(1)c) de la Loi.

                                                             « Michael A. Kelen »                                                                                                        _______________________________

            Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                                                                  COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-808-02

INTITULÉ :                                        AVENTIS PASTEUR LIMITÉE

c.

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                             

LIEU DE L'AUDIENCE :                  OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 27 SEPTEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        MONSIEUR LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                       LE 7 OCTOBRE 2004

COMPARUTIONS :

Martha A. Healey

POUR LA DEMANDERESSE

Monika A. Lozinska

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ogilvie Renault

POUR LA DEMANDERESSE

Ministère de la Justice

POUR LE DÉFENDEUR


                         COUR FÉDÉRALE

                                                         Date : 20041007

                                                     Dossier : T-808-02

                                                                                   

ENTRE :

AVENTIS PASTEUR LIMITÉE

                                                            demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

                                                                                    

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                 


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