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Date : 19991230


Dossier : T-332-94

Ottawa (Ontario), le 30 décembre 1999

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE SHARLOW



ENTRE :


ROSE A. BECKFORD STEWART


demanderesse


et


LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

représentant SA MAJESTÉ LA REINE


défendeur




ORDONNANCE


     L"action de la demanderesse est rejetée avec dépens.






Karen R. Sharlow

Juge



Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier




Date : 19991230


Dossier : T-332-94



ENTRE :


ROSE A. BECKFORD STEWART


demanderesse


et


LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

représentant SA MAJESTÉ LA REINE


défendeur




MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE SHARLOW

[1]      Le lundi 23 août 1993, un peu après 21 h, la demanderesse Rose A. Beckford-Stewart s"est rendue à l"aérogare 2 de l"aéroport international Pearson pour y cueillir un ami. Elle a immobilisé sa voiture dans une zone pour personnes handicapées. Comme sa vignette d"immatriculation était expirée, elle a attiré l"attention de l"agente Thompson, un membre de la Gendarmerie royale du Canada chargée de la circulation. Une conversation s"est engagée entre la demanderesse et l"agente Thompson devant l"aérogare 2, qui s"est finalement soldée par l"arrestation de la demanderesse dans la zone des arrivées internationales de l"aérogare 2 par l"agente Thompson et deux autres agents de la Gendarmerie royale du Canada, les agents Virgin et Ishmael. La demanderesse soutient qu"elle a été blessée au cours de son arrestation et elle demande des dommages-intérêts généraux, spéciaux et punitifs pour voies de fait.

[2]      La demanderesse ne soutient pas que son arrestation était inégale. Elle soutient que les policiers ont utilisé une force excessive en procédant à son arrestation. La question en litige ici est donc de savoir si la force utilisée était excessive et, le cas échéant, si la demanderesse a droit à des dommages-intérêts.

[3]      Pour les motifs qui suivent, je conclus que la réclamation de la demanderesse doit être rejetée avec dépens.

Le contexte

[4]      La demanderesse, une citoyenne canadienne, est née en Jamaïque. Parrainée par son frère, elle est venue au Canada avec sa mère en 1980. Sa mère était directrice d"école. Son père, qui est décédé lorsqu"elle avait 15 ans, était juge et pasteur. Elle a été mariée, mais elle s"est séparée en 1988 et est maintenant divorcée. Elle a deux filles, âgées respectivement de 12 et 14 ans, qui résident avec leur père à Brampton en Ontario.

[5]      La demanderesse a fait ses études en Jamaïque, se rendant approximativement à l"équivalent de la 11e ou de la 12e année au Canada. Arrivée au Canada, elle s"est inscrite à des cours collégiaux, d"abord pour devenir infirmière auxiliaire autorisée et ensuite pour devenir infirmière autorisée. Elle travaille maintenant comme infirmière autorisée au Toronto East General Hospital.

[6]      À l"exception des événements qui sont à l"origine de ce litige, elle n"a jamais eu à traiter avec les services de police. Elle déclare qu"avant les événements du 23 août 1993, elle avait une attitude positive face aux services de police.

[7]      En 1990, la demanderesse a été blessée dans un accident d"automobile alors qu"elle était à l"emploi d"une maison de soins infirmiers en tant que chef d"unité. Elle détenait ce poste en vertu de ses qualifications comme infirmière auxiliaire autorisée. Elle a souffert un coup de fouet cervical et une blessure à l"épaule gauche, qui ont exigé à peu près trois ans de physiothérapie. Au cours de cette période, elle a reçu des prestations de son employeur au titre de son salaire, ainsi que des prestations de son assurance automobile suite à son accident.

[8]      En août 1993, au moment de l"arrestation qui est à l"origine de cette affaire, la demanderesse occupait un emploi d"infirmière auxiliaire autorisée pour l"Ordre des infirmières de Victoria (VON), une agence qui fournit des soins infirmiers à domicile. Elle avait trouvé cet emploi par l"entremise d"une agence à qui sa compagnie d"assurance automobile l"avait recommandée. Au début de 1993, elle croyait pouvoir retourner au travail et désirait le faire. Elle avait toujours des douleurs dans l"épaule gauche, mais elle pouvait se décharger de ses responsabilités d"infirmière, qui impliquaient quelquefois le dur travail d"aider des patients alités à s"asseoir pour qu"elle puisse leur administrer leurs traitements médicaux ou les soins personnels requis.

[9]      La demanderesse a commencé à travailler pour le VON en juin 1993, sur une base de temps partiel, quatre heures par jour et cinq jours par semaine. Sa charge de travail a été graduellement augmentée jusqu"à six heures par jour. À la fin de juillet 1993, elle travaillait à temps plein, soit 7,5 heures par jour et cinq jours par semaine. Elle gagnait 14,75 $ l"heure. En plus de son travail à temps plein pour le VON comme infirmière à domicile, elle déclare avoir fait certains autres travaux pour une autre division du VON. Son travail pour le VON exigeait qu"elle utilise sa propre voiture pour se rendre au domicile des clients. Elle utilisait à cette fin une Ford Tempo 1986 noire, dont elle était propriétaire.

[10]      La demanderesse a témoigné qu"en août 1993, elle avait aussi une affaire qui consistait à gérer un artiste du nom de Devon Stewart (aucun lien parental), un animateur et chanteur de reggae et de rap. La demanderesse a déclaré qu"elle s"occupait de la publicité, organisait les représentations musicales et d"autres événements, et agissait comme productrice des enregistrements. Elle a concédé que les dépenses de cette entreprise étaient plus importantes que ses revenus, et qu"elle n"en avait jamais retiré un profit. Elle pouvait faire ce travail alors qu"elle souffrait d"une incapacité, puisqu"il ne nécessitait aucun effort physique.

[11]      La demanderesse a déclaré qu"elle mesure à peu près cinq pieds cinq ou six pouces, et qu"en août 1993, elle pesait de 125 à 130 livres. Elle avait alors 31 ans.

[12]      L"agente Thompson déclare qu"elle mesure cinq pieds deux pouces et qu"en août 1993, elle pesait de 122 à 124 livres. Aucune preuve ne porte sur son âge, mais elle semble être jeune. Elle a commencé à travailler pour la GRC en février 1992 et a d"abord été affectée à la division de Regina pour sa période de formation. À la fin de sa formation, en août 1992, elle a été affectée à l"aéroport international Pearson. Pendant les six premiers mois, elle était toujours en formation. Sa formation ne s"est terminée que six mois avant l"arrestation de la demanderesse.

[13]      L"agent Virgin a déclaré qu"il mesure approximativement cinq pieds huit pouces et qu"en août 1993, il pesait 173 livres. Étant agent depuis 1974, il a beaucoup plus d"expérience que l"agente Thompson. Il a été en poste à l"aéroport international Pearson de 1974 à 1994.

[14]      L"agent Ishmael est en poste depuis 1987. Il était en poste à l"aéroport international Pearson de décembre 1990 à novembre 1997.

Questions préliminaires

[15]      Avant d"aborder la preuve quant aux événements qui se sont produits le 23 août 1993, je veux présenter mes commentaires sur deux questions d"ordre général.

[16]      Premièrement, comment les agents Thompson, Virgin et Ishmael étaient-ils habillés le 23 août 1993?

[17]      L"uniforme d"été de la GRC est le suivant : une chemise grise à manches courtes avec un badge d"identité sur la poche et l"insigne de la GRC sur les épaules, des pantalons bleu foncé avec une barre jaune de haut en bas sur le côté, une ceinture avec une arme à feu et une radio, ainsi qu"un chapeau sur le devant duquel est épinglé l"insigne de la GRC. C"est l"uniforme que les trois agents devaient porter alors qu"ils étaient en fonction à l"aérogare 2 de l"aéroport international Pearson.

[18]      La demanderesse a témoigné qu"elle ne se souvenait pas en détail des vêtements des agents. Je peux tout à fait comprendre cela, étant donné qu"elle s"était retrouvée dans une situation très stressante. Toutefois, bien qu"elle dise ne pas se souvenir, la demanderesse est revenue plusieurs fois sur le fait que l"agente Thompson ne portait pas de chapeau lors de leur conversation à l"extérieur de l"aérogare 2, et qu"aucun des trois agents en cause ne portait de chapeau au moment de son arrestation.

[19]      À ce sujet, je ne sais pas si la demanderesse n"a pas dit la vérité ou si elle s"est tout simplement trompée, mais je conclus qu"elle n"a pas raison. Le témoignage des agents m"a convaincue que lors des événements ils portaient tous l"uniforme d"été de la GRC, y compris le chapeau, sauf que l"agente Thompson a enlevé son chapeau dans le bureau de l"aéroport de la GRC après l"arrestation de la demanderesse.

[20]      Deuxièmement, la demanderesse savait-elle que les agents Thompson, Virgin et Ishmael étaient des policiers?

[21]      La demanderesse a répété plusieurs fois qu"elle ne savait pas que les agents étaient des membres de la GRC et qu"elle croyait qu"ils étaient tout simplement des agents chargés du contrôle de la circulation à l"aéroport. J"ai déjà conclu que lors des événements en cause les trois agents portaient l"article le plus distinctif de l"uniforme de la GRC, leur chapeau. La demanderesse a admis que quelques instants avant son arrestation elle avait assez d"informations au sujet de leurs uniformes pour comprendre qu"ils étaient autorisés à procéder à son arrestation.

[22]      J"en conclus que la demanderesse savait depuis le début qu"il s"agissait de policiers, même si elle n"a pas vraiment compris qu"ils étaient membres de la GRC.

Avant que la demanderesse se rende à l"aéroport

[23]      La demanderesse se souvient que le 23 août 1993 était une journée chaude et ensoleillée. M. Stewart devait arriver de la Jamaïque à l"aérogare 2 ce soir-là à 21 h et la demanderesse devait le cueillir, ce qu"elle avait déjà fait auparavant. En fait, entre 1980 et 1993, elle s"était rendue à l"aéroport de trois à cinq fois, sans savoir que les services de police de l"aéroport étaient assurés par la GRC.

[24]      Le 23 août 1993, la demanderesse a travaillé pour le VON à peu près de 7 h 30 à 17 h. Elle a mis presqu"une heure au volant de sa voiture pour se rendre du domicile de son dernier patient, dans le quartier de Black Creek, au bureau du VON à Victoria Park, où elle avait du travail à faire. Elle est restée au bureau un certain temps, une demi-heure ou une heure, pour ensuite conduire pendant une heure pour se rendre à son domicile à Mississauga.

[25]      Arrivée chez elle, elle a pris sa douche et a enfilé un short, un T-shirt et un blouson de denim. Elle n"a rien mangé. Elle a quitté son domicile pour l"aéroport vers 21 h, ce qui supposait qu"elle ne serait pas à temps pour accueillir M. Stewart. Elle a dû mettre de 15 à 20 minutes pour aller de son domicile à l"aéroport.

[26]      Ce soir-là, il y avait beaucoup de monde à l"aéroport. La demanderesse concède qu"elle était nerveuse et stressée.

[27]      La voiture de la demanderesse n"avait pas de vignette en cours de validité, la dernière étant expirée depuis janvier 1993. La demanderesse a expliqué qu"elle n"avait pas de vignette en cours de validité parce qu"elle venait tout juste de finir ses études collégiales et qu"elle n"avait pas assez d"argent pour payer la nouvelle vignette, soit 90 $, ainsi que les amendes de plus de 400 $ qui avaient été accumulées par son ancien mari.

[28]      La demanderesse savait que sa vignette était expirée et elle savait aussi qu"elle était en infraction. Toutefois, elle a conduit sa voiture dans le cadre de son travail et, le 23 août 1993, pour se rendre à l"aéroport. Ce qui s"est produit par la suite est entièrement dû au fait que sa vignette était expirée.

La conversation avec l"agente Thompson à l"extérieur de l"aérogare 2

[29]      À l"aéroport, la demanderesse a cherché une place de stationnement. Elle a déclaré avoir vu une zone où il y avait des parcomètres en face de l"aérogare 2. Il semble qu"une voiture allait quitter la place, puisqu"on y chargeait des bagages.

[30]      La demanderesse a déclaré qu"elle a mis son clignotant et s"est rangée derrière la voiture, afin de pouvoir prendre la place de stationnement le moment venu. Elle a déclaré que le moteur tournait, que l"embrayage était engagé et que sa fenêtre était ouverte. Elle a alors vu quelqu"un qui tapait sur sa fenêtre arrière et constaté qu"il s"agissait d"une femme.

[31]      Elle sait maintenant que cette femme est l"agente Thompson, mais elle déclare qu"à ce moment-là elle a cru que la femme qu"elle voyait était une agente du contrôle de la circulation de l"aéroport. Elle déclare ne pas s"être rendue compte que l"agente Thompson était une policière. Toutefois, j"ai déjà dit que je ne croyais pas que cela soit vrai.

[32]      Aucun témoignage ne vient corroborer la conversation qui s"est tenue entre l"agente Thompson et la demanderesse à l"extérieur de l"aérogare 2. La version de la demanderesse et celle de l"agente Thompson diffèrent de façon significative sous plusieurs points. La version de l"agente Thompson est fondée en partie sur ses notes, qu"elle a consignées dans les heures qui ont suivi l"arrestation, ainsi que sur le rapport qu"elle a préparé le lendemain. Toutefois, ses notes sont incomplètes et ne sont donc pas entièrement fiables.

[33]      De plus, l"agente Thompson a déclaré au cours de son contre-interrogatoire qu"elle avait fait une version préliminaire de ses notes dans une forme personnelle de sténographie. Ces notes préliminaires n"ont pas été produites lors des interrogatoires préalables et l"agente Thompson ne les avait pas en sa possession lors de son témoignage. Elle a admis que l"existence de ces notes n"avait même pas été communiquée à l"avocat du défendeur. On ne peut savoir si ces notes préliminaires jetteraient un quelconque éclairage sur les événements du 23 août 1993. On peut penser que le fait qu"elles n"ont pas été communiquées vient mettre en doute la fiabilité du témoignage de l"agente Thompson. Toutefois, je considère que l"explication de l"agente Thompson que ses notes étaient illisibles pour qui que ce soit d"autre qu"elle même est crédible, et je ne retiens pas ce défaut de communication à son encontre.

[34]      La différence fondamentale entre les deux versions porte sur le fait que l"agente Thompson dit avoir demandé une pièce d"identité à la demanderesse, alors que la demanderesse déclare que l"agente Thompson lui a demandé une pièce d"identité, et en apprenant qu"elle se trouvait dans le coffre de la voiture de la demanderesse, elle n"a pas donné suite et aurait alors indiqué à la demanderesse de quitter la zone de stationnement pour personnes handicapées où elle s"était arrêtée.

[35]      Les événements qui ont suivi peuvent nous aider à déterminer le contenu de cette conversation. La demanderesse ne s"est pas comportée comme une personne qui croyait avoir agi de manière à être poursuivie par les policiers. Elle est tout simplement partie, a stationné sa voiture ailleurs et s"est rendue à l"aérogare 2 pour attendre l"arrivée de M. Stewart. Toutefois, elle admet que sa réaction immédiate lorsqu"elle a vu l"agente Thompson à nouveau a été de chercher à présenter ses papiers d"identité.

[36]      L"agente Thompson a alors agi comme tout policier qui n"a pas obtenu sur demande les papiers d"identité du conducteur d"un véhicule. Dès que la demanderesse a quitté les lieux au volant de sa voiture, l"agente Thompson a immédiatement demandé de l"aide par radio à un autre policier qui était en voiture, afin de chercher la demanderesse. Selon la prépondérance des probabilités, je conclus que l"agente Thompson a demandé les papiers d"identité de la demanderesse et qu"elle n"avait pas renoncé à les obtenir au moment où celle-ci a quitté les lieux. Au cours du contre-interrogatoire de l"agente Thompson, l"avocat de la demanderesse a cherché à lui faire admettre qu"elle n"avait pas besoin d"une preuve de l"identité de la demanderesse pour lui délivrer une contravention pour conduite sans vignette en cours de validité. Il voulait démonter qu"au moment où la demanderesse a quitté les lieux, elle avait informé l"agente Thompson qu"elle était propriétaire de la voiture et que cette dernière savait, pour l"avoir vérifié avec le centre de télécommunication, que la propriétaire de la voiture s"appelait Rose A. Beckford-Stewart. L"agente Thompson n"a pas admis que ce soit le cas, et je ne l"admets pas non plus. À mon avis, il était tout à fait raisonnable et approprié que l"agente Thompson ait voulu savoir que la personne au volant de la voiture pouvait justifier de son identité, savoir qu"elle était bien Rose A. Beckford-Stewart.

[37]      La demanderesse n"a pas accordé tout le sérieux qu"elle aurait dû à la demande de l"agente Thompson. Elle ne s"est pas conformée à cette demande et a tout simplement quitté les lieux sans se rendre compte de l"erreur qu"elle commettait.

[38]      Lorsqu"on a demandé à l"agente Thompson de décrire l"attitude de la demanderesse au cours de cette conversation, elle a déclaré qu"au début cette dernière semblait tout à fait normale, mais que par la suite elle s"était énervée comme si l"agente Thompson était " une nuisance ". Il me semble que cette terminologie est assez expressive, puisqu"elle indique que l"agente Thompson s"est sentie rejetée par la demanderesse, qui n"aurait pas eu le respect approprié pour son autorité de policière.

Après la conversation avec l"agente Thompson et avant l"arrestation

[39]      La demanderesse a déclaré qu"après la conversation avec l"agente Thompson, elle s"est rendue au stationnement en sous-sol où elle a dû obtenir un ticket à l"entrée. La demanderesse croyait qu"elle était entrée dans le stationnement entre 22 h 30 et 22 h 45, mais le ticket (pièce P-2) a été délivré à 21 h 43 le 23 août. Quand on a montré le ticket à la demanderesse, elle a admis que c"était probablement à ce moment-là qu"elle était entrée au stationnement. Elle croit qu"il lui a fallu de cinq à dix minutes pour se rendre au stationnement et un autre deux à trois minutes pour trouver une place. Une fois en stationnement, elle a pris son permis de conduire et ses autres documents, qui se trouvaient dans le coffre de la voiture, et les a placés dans son sac avant de se rendre dans la zone des arrivées de l"aérogare 2.

[40]      Elle s"est installée derrière un mur de verre, à travers duquel elle pouvait voir l"arrivée des bagages, afin d"attendre M. Stewart. Elle a attendu pendant 45 minutes à peu près. Plusieurs autres personnes attendaient selon ce qu"elle a vu, estimant leur nombre à deux cents à peu près. J"accepte ce chiffre, qui est confirmé par l"agente Thompson. La demanderesse a entendu quelqu"un dire qu"il y avait deux avions arrivant de la Jamaïque, et un autre de la Barbade.

[41]      L"agente Thompson a témoigné qu"après le départ de la demanderesse, elle a demandé une voiture par radio pour rechercher la demanderesse. Tous les policiers présents à l"aéroport pouvaient entendre son appel radio. Les agents Virgin et Ishmael l"ont effectivement entendu. L"agent Macaffie est arrivé en voiture et il a accompagné l"agente Thompson dans la zone de l"aérogare 2 pendant de 10 à 20 minutes sans trouver la demanderesse. L"agent Macaffie a déposé l"agente Thompson à l"aérogare 2 et elle a continué sa patrouille à pied à l"intérieur de l"aérogare, accompagnée par l"agent Virgin. L"agent Virgin était au courant de l"incident qui s"était produit, puisqu"il avait entendu l"appel radio et que l"agente Thompson lui a raconté l"incident au cours de la patrouille.

[42]      Il y a une certaine controverse quant à savoir si l"agente Thompson s"est rendue à l"aérogare 2 spécifiquement pour rechercher la demanderesse, ou si elle est tout simplement restée en alerte au cas où elle retrouverait la demanderesse lors de sa patrouille normale. Je ne crois pas que cela ait une grande importance, mais je conclus que l"agente Thompson recherchait activement la demanderesse à l"intérieur de l"aérogare 2 même si elle n"avait pas grand espoir de la retrouver.

La conversation à l"intérieur de l"aérogare

[43]      La rencontre qui a suivi entre la demanderesse et l"agente Thompson fait aussi l"objet de témoignages contradictoires.

[44]      Voici la version de la demanderesse. Alors qu"elle regardait dans la zone des bagages en attendant M. Stewart, la demanderesse a senti qu"on la frappait fortement sur l"épaule gauche, ce qui lui a fait mal. Elle a immédiatement cru que M. Stewart était arrivé et qu"elle ne l"avait pas vu. Elle était fâchée, puisqu"elle croyait que M. Stewart savait qu"il lui ferait mal en la frappant ainsi sur l"épaule gauche par suite de ses anciennes blessures. Elle s"est retournée et a déclaré quelque chose comme [traduction ] " Pourquoi as-tu fait ça? ", mais elle s"est alors trouvée non pas en face de M. Stewart mais de l"agente Thompson, ainsi que d"un homme qu"elle n"avait pas vu jusque là mais qu"elle sait maintenant être l"agent Virgin. L"agente Thompson a déclaré [traduction ] " Nous nous rencontrons à nouveau " et c"est alors que la demanderesse s"est souvenue qu"il s"agissait de la femme qui lui avait parlé à l"extérieur. La demanderesse a voulu montrer ses papiers d"identité à l"agente Thompson, puisqu"elle les avait dans son sac, mais cette dernière aurait dit quelque chose comme [traduction ] " Il est trop tard et je vais vous mettre en état d"arrestation et vous humilier devant tous ces gens ". La demanderesse déclare que les agents Thompson et Virgin ne lui ont jamais dit pourquoi ils l"arrêtaient.

[45]      Dans son témoignage principal, la demanderesse pleurait et s"excusait en décrivant la situation. Lors du contre-interrogatoire, elle a déclaré qu"à ce moment précis de l"incident qui l"a opposée à l"agente Thompson elle n"était pas fâchée, mais humiliée.

[46]      Voici la version de l"agente Thompson. En patrouille à l"intérieur de l"aérogare 2 avec l"agent Virgin, ils sont arrivés dans la partie de la zone des arrivées internationales qui est accessible au public. L"agente Thompson a alors vu la demanderesse qui était face au mur de verre et regardait vers la zone des bagages. D"après ses notes, il était alors à peu près 22 h 19. Comme elle s"est approchée de la demanderesse, cette dernière l"a vue et a dit [traduction ] " quoi ". L"agente Thompson a alors essayé de lui parler calmement afin d"éviter une confrontation. Elle a déclaré que c"était sa façon habituelle de faire, puisqu"elle n"a pas le gabarit requis pour s"imposer. Elle a demandé à la demanderesse de venir avec elle au bureau pour discuter et lui a déclaré qu"elle ne désirait pas que l"une ou l"autre soit humiliée devant les personnes présentes et qu"il était préférable de traiter la chose en privé. Comme la demanderesse ne donnait aucune suite, l"agente Thompson lui a à nouveau demandé ses papiers d"identité et la demanderesse a dit [traduction ] " Non, car vous ne me l"avez pas demandé poliment " et elle s"est retournée. L"agente Thompson a interprété ce geste comme un refus de présenter ses papiers d"identité.

[47]      Selon l"agente Thompson, la demanderesse s"est énervée au cours de cette conversation. L"agente Thompson a à nouveau décrit l"attitude de la demanderesse comme celle d"une personne qui considérait qu"elle était [traduction ] " une nuisance ". L"agent Virgin a décrit l"attitude de la demanderesse comme celle d"une personne enragée. Tout bien considéré, je crois que son souvenir à ce sujet est exagéré. Je suis toutefois convaincue que la demanderesse a traité l"agente Thompson par un rejet et qu"elle lui a probablement semblé être hostile. Étant donné la première rencontre entre la demanderesse et l"agente Thompson, une telle attitude de la part de la demanderesse ne pouvait qu"aggraver la situation.

[48]      La conversation décrite par l"agente Thompson ne fait l"objet d"aucune mention dans les notes qu"elle a consignées dans les deux heures qui ont suivi l"arrestation, non plus que dans son rapport détaillé préparé le lendemain. Toutefois, sa version est à peu près corroborée par l"agent Virgin, qui était à ses côtés lorsque cette conversation a eu lieu à l"intérieur de l"aérogare 2. Il a témoigné que l"agente Thompson avait demandé à la demanderesse de présenter ses papiers d"identité et que cette dernière lui avait opposé un refus, en faisant un commentaire sur l"impolitesse de l"agente Thompson. Sur cette question, ses notes corroborent son témoignage. Il déclare aussi que dans son souvenir l"agente Thompson avait été polie.

[49]      Je crois qu"il est probable que la demanderesse n"a pas perçu que l"agente Thompson était aussi calme et raisonnable que cette dernière le dit. Par ailleurs, il est aussi probable que la demanderesse était toujours peu coopérative et qu"elle a eu tendance à répondre de façon déraisonnable à l"agente Thompson. Elle était probablement encline à mal interpréter le message que lui transmettait l"agente Thompson.

[50]      Compte tenu de toutes ces circonstances, je conclus que l"agente Thompson a renouvelé sa demande à la demanderesse de présenter ses papiers d"identité à l"intérieur de l"aérogare 2 et qu"elle n"a pris aucune mesure pour procéder à son arrestation avant d"être arrivée à la conclusion, au vu de l"attitude et du comportement de la demanderesse, que cette dernière n"avait pas l"intention de lui présenter ses papiers. Je ne crois pas que l"agente Thompson ait menacé d"arrêter la demanderesse simplement pour l"humilier. Je crois que l"agente Thompson a communiqué à la demanderesse le motif de son arrestation.

L"arrestation

[51]      La façon dont l"arrestation s"est produite fait aussi l"objet de témoignages contradictoires.

[52]      L"agente Thompson a déclaré que lorsque la demanderesse s"est retournée, elle lui a dit qu"elle la mettait en état d"arrestation parce qu"elle avait refusé de s"identifier. Elle a alors touché l"épaule gauche ou le haut du bras de la demanderesse avec sa main droite pour la retourner. Comme la demanderesse se retirait, l"agente Thompson a saisi son poignet et a essayé de lui passer les menottes, mais cette dernière a continué à vouloir partir et à résister en disant [traduction ] " non, non ". L"agente Thompson a déclaré qu"elle s"est alors saisie du poignet de la demanderesse de la façon prescrite dans les circonstances et qu"elle a essayé de lui passer les menottes, mais que cette dernière a continué à essayer de se retirer, un geste que les agents Thompson et Virgin ont tous deux interprété comme une façon de résister à l"arrestation.

[53]      Entre temps, l"agent Virgin avait attrapé le bras droit de la demanderesse. Il y a eu une bousculade impliquant les trois participants. À ce moment-là, l"agent Ishmael est arrivé. La demanderesse s"est retrouvée nez contre terre. L"agente Thompson ne sait pas exactement comment la chose s"est produite, mais elle suppose que c"était le résultat de la procédure policière normale qui consiste à saisir le bras de la personne et à la pousser vers l"avant.

[54]      L"agente Thompson se rappelle de ces événements et considère que la demanderesse résistait à son arrestation. L"agent Virgin a le même souvenir. L"agent Ishmael confirme qu"il y avait une bousculade et qu"il a compris que la demanderesse résistait à son arrestation. Il était à une distance d"à peu près 50 à 60 pieds lorsqu"il a vu la situation et il est immédiatement venu à l"aide des autres agents dans leur tentative de contrôler la demanderesse. Lorsqu"il est arrivé, la demanderesse était déjà par terre et elle continuait à résister. Il n"a pas vu comment elle s"était retrouvée dans cette situation.

[55]      La demanderesse déclare que même si elle a de nouveau offert de présenter ses papiers d"identité, qui se trouvaient dans son sac sur son épaule droite, l"agente Thompson a saisi son poignet gauche et l"a tordu violemment, ce qui lui a causé un grand malaise aggravé par la douleur qu"elle ressentait déjà dans son épaule gauche suite au coup administré plus tôt. La demanderesse déclare qu"alors que l"agente Thompson lui tordait le poignet gauche, elle cherchait toujours à prendre ses papiers d"identité dans son sac, ce qu"elle a été empêchée de faire. Elle déclare que l"agente Thompson lui a tordu le bras, l"a retournée et l"a projetée par terre sur son coude gauche, ce qui lui a causé de nouvelles douleurs au coude et à l"épaule gauches. Elle déclare que l"agente Thompson a dit à l"agent Virgin [traduction ] " Ne lui laisse pas toucher ce sac ". À ce moment-là, l"agent Virgin l"aurait attrapée par l"arrière du cou, pour ensuite la soulever et lui frapper le visage contre le mur de verre. À ce moment-là, ses mains étaient autour de sa gorge. Elle essayait de lui dire qu"elle ne pouvait respirer et cherchait à enlever ses mains, mais il a resserré son emprise.

[56]      L"agente Thompson déclare ne pas avoir vu l"agent Virgin mettre ses mains autour de la gorge de la demanderesse, non plus qu"elle ne l"aurait vu la soulever ou la cogner contre le mur de verre. L"agent Virgin nie l"avoir fait. Toutefois, ils admettent tous les deux qu"il est possible que lors de la bousculade la demanderesse se soit cognée au mur de verre.

[57]      La demanderesse déclare qu"alors qu"on lui tordait le bras et le coude, elle a été mise à genoux avec sa main gauche derrière son dos alors que l"agente Thompson lui demandait de baisser son bras. La demanderesse déclare qu"elle a dit à l"agente Thompson [traduction ] " Vous me faites mal, je ne peux le baisser ". Elle a alors senti un poids sur son dos et elle est tombée face contre terre. Elle ne sait pas qui lui a pesé sur le dos.

[58]      La demanderesse déclare qu"elle essayait de faire relâcher l"emprise de l"agent Virgin avec sa main droite. Elle nie avoir attrapé le fil de la radio de l"agent Virgin, mais admet qu"elle peut l"avoir accroché en essayant de lui enlever les mains de sa gorge. Ce qui est clair, c"est que le bouton de l"épaulette à laquelle le microphone de l"agent Virgin était attaché a été arraché au cours de l"arrestation. L"agent Virgin déclare qu"il ne croit pas que la demanderesse ait essayé de le frapper ou de lui faire mal. J"arrive à la conclusion que les dommages causés par la demanderesse au cours de son arrestation étaient accidentels.

[59]      La demanderesse déclare que ses mains étaient derrière son dos alors qu"elle était par terre et qu"on lui a passé les menottes. Elle déclare avoir été soulevée par les menottes et qu"à ce moment-là, une de ses mains en est sortie et elle a perdu une chaussure. Elle déclare que le fait d"avoir été soulevée par les menottes lui a causé des maux additionnels. On lui a alors remis les menottes en les serrant davantage.

[60]      Lors du contre-interrogaroire, la demanderesse a admis qu"à un moment donné alors qu"on la soulevait de terre, les agents Virgin et Ishmael étaient de chaque côté d"elle et lui tenaient les épaules. Elle continue à croire qu"elle a d"abord été soulevée seulement par les menottes. Les trois agents nient qu"ils aient fait quelque tentative que ce soit pour soulever la demanderesse par les menottes. L"agente Thompson déclare que les agents Virgin et Ishmael l"ont soulevée par les bras.

[61]      Je peux comprendre que la demanderesse ait pu, étant donné la façon dont elle était placée sur le sol et la douleur qu"elle ressentait parce qu"on lui tordait les bras derrière le dos, avoir eu une impression trompeuse de la façon dont on l"a soulevée, mais je crois qu"il est plus que probable qu"on l"ait soulevée normalement par les bras.

[62]      La demanderesse déclare que durant tout ce temps elle avait mal et elle s"inquiétait des dommages à son épaule blessée, se demandant si elle pourrait continuer à travailler pour le VON si sa blessure s"aggravait. Elle nie absolument qu"elle résistait à son arrestation et déclare que ses mouvements d"alors étaient le résultat de ses tentatives pour éviter la douleur qu"on lui causait.

[63]      J"accepte que la demanderesse ait souffert par suite de la façon dont elle a été arrêtée, en plus d"être humiliée. L"agent Virgin déclare que la demanderesse a poussé des cris de rage. Je veux bien croire qu"elle a crié, mais il me semble qu"il est plus probable que ses cris aient été causés non seulement par la rage, mais plutôt par une combinaison de la douleur, de l"humiliation et de la rage qu"elle a ressenties à ce moment-là.

[64]      La demanderesse déclare qu"un grand nombre de personnes étaient tout près du lieu de son arrestation et qu"elles ont été témoins de la dispute. Elle dit avoir entendu des gens qui demandaient qu"on la laisse car on lui faisait mal. Toutefois, elle déclare ne pas avoir eu l"occasion de prendre le nom des témoins à l"aéroport. Je ne retiens pas à l"encontre de la demanderesse le fait qu"elle n"a pu obtenir le témoignage de ces personnes. Toutefois, j"accorde un certain poids à la déclaration de l"avocat du défendeur qui fait valoir qu"il est peu probable que les policiers aient eu un comportement déraisonnable alors qu"ils étaient entourés de bon nombre de témoins désintéressés.

Les événements à l"aéroport après l"arrestation

[65]      Les événements qui ont suivi l"arrestation sont plus clairs. L"agente Thompson a amené la demanderesse menottée à l"extérieur de l"aérogare 2. Quelqu"un dans la foule a lancé à la demanderesse la chaussure qu"elle avait perdue et elle l"a enfilée.

[66]      À l"extérieur de l"aérogare l"agente Thompson a tapoté légèrement la demanderesse sur tout le corps, une procédure qu"elle a décrite comme sommaire. L"agente Thompson a alors constaté que la demanderesse n"était pas armée.

[67]      La demanderesse a été placée à l"arrière d"une voiture. Elle ne se souvient pas avoir vu les signes distinctifs d"une voiture des services de police, mais j"accepte qu"il s"agissait d"une voiture normale de la GRC avec des feux sur le toit, des insignes de la GRC sur les portes avant et le mot " POLICE " écrit en grosses lettres à l"arrière. L"agente Thompson était sur le siège avant. On ne sait pas qui conduisait.

[68]      La demanderesse a été amenée dans un autre endroit et conduite jusqu"à une petite pièce où elle a rencontré l"agente Thompson. À ce moment-là, la demanderesse ne savait pas où elle était et elle déclare qu"elle n"a rien vu qui lui permettait de savoir que le bureau était occupé par la GRC. Toutefois, la preuve démontre qu"elle a été amenée au bureau de la GRC à l"aérogare 2. L"agente Thompson avait le sac de la demanderesse. Elle en a versé le contenu sur une table et a trouvé les papiers d"identité de la demanderesse.

[69]      La demanderesse déclare s"être plainte à l"agente Thompson que les menottes étaient trop serrées, mais cette dernière aurait d"abord quitté la pièce pour ensuite revenir et finalement examiner les menottes, constater qu"elles étaient trop serrées et les enlever. La demanderesse déclare qu"elle est restée menottée pendant 10 à 15 minutes.

[70]      La demanderesse déclare que l"agente Thompson a quitté la pièce à nouveau pour converser avec un policier qui se trouvait à l"extérieur, pour ensuite revenir et lui dire qu"elle la mettait en état d"arrestation parce qu"elle avait refusé de s"identifier. Elle lui a ensuite lu quelque chose qui se trouvait sur une carte. L"agente Thompson a alors quitté la pièce une troisième fois et la demanderesse a entendu une conversation qui se tenait à l"extérieur et qui portait sur la possibilité de saisir sa voiture. L"agente Thompson a témoigné que ce qu"elle a lu à la demanderesse était un [traduction ] " avertissement " et qu"elle a effectivement discuté avec son surveillant des accusations qui pourraient être portées contre la demanderesse. L"avertissement en question porte sur le droit de ne pas répondre aux questions et d"obtenir les services d"un avocat.

[71]      La demanderesse déclare qu"un autre homme est alors venu lui parler dans le bureau. Elle ne sait pas de qui il s"agissait, mais les témoignages ultérieurs me donnent à entendre qu"il s"agissait du surveillant de l"agente Thompson, le caporal Campobosso. Il n"a pas témoigné. La demanderesse déclare que le caporal Campobosso lui a demandé pourquoi elle n"avait pas présenté ses papiers d"identité, mais qu"il ne lui a pas donné le temps de s"expliquer lorsqu"elle a essayé de le faire. Il lui a aussi demandé si elle avait essayé d"étrangler un des agents, et elle lui a déclaré qu"elle ne se souvenait pas de l"avoir fait.

[72]      Le caporal Campobosso a quitté la pièce et l"agente Thompson est revenue pour dire à la demanderesse qu"on l"arrêtait à nouveau, cette fois pour entrave à la justice. L"agente Thompson a de nouveau lu ce qui se trouvait sur sa carte. Aux instances de la demanderesse, l"agente Thompson a appelé M. Reid, l"avocat de garde, qui s"est entretenu avec la demanderesse. L"agente Thompson a alors dit à la demanderesse qu"elle était libérée sur parole.

[73]      Alors que la demanderesse quittait les lieux, l"agente Thompson lui a remis deux documents. Il s"agissait d"avis de comparution, l"un portant sur l"accusation d"entrave à la justice et l"autre sur l"accusation d"avoir refusé de présenter ses papiers d"identité. La demanderesse dit que c"est en lisant ces documents qu"elle s"est finalement aperçue que l"agente Thompson et les autres pouvaient être des agents de la GRC. Elle a alors demandé à l"agente Thompson si c"était le cas, et cette dernière l"a confirmé. La demanderesse déclare avoir été fort surprise, puisque jusque là elle croyait qu"il s"agissait des agents de sécurité de l"aéroport.

[74]      Je ne comprends pas comment la demanderesse ait pu constater que l"agente Thompson et les autres étaient des agents de la GRC en lisant les avis de comparution, puisque aucune mention de la GRC ne s"y trouvait. Je répète ici ma conclusion qu"en fait la demanderesse savait depuis le début que l"agente Thompson et les autres étaient des policiers.

[75]      En quittant le bureau, la demanderesse a demandé à l"agente Thompson comment elle pouvait se rendre jusqu"à sa voiture. L"agente Thompson lui a donné des indications à cet effet. Alors qu"elle se trouvait toujours dans l"aérogare, elle a cherché à voir si M. Stewart était toujours là, mais elle ne l"a pas trouvé. Elle a essayé de téléphoner chez lui, mais il n"y était pas. Elle a parlé à sa mère, qui ne l"avait pas vu et n"avait aucune nouvelle.

[76]      La demanderesse a alors quitté l"aérogare, trouvé sa voiture, payé son stationnement et elle est partie. La demanderesse croit qu"elle a été à l"aéroport pendant 2 1/2 à 3 heures. Elle croyait d"abord avoir quitté l"aéroport vers 2 h du matin, mais elle a admis en contre-interrogaroire que le ticket de stationnement portait qu"elle l"avait quitté à 0 h 28 le 24 août. Bien qu"elle se soit trompée quant à l"heure de départ, elle avait à peu près raison quant à la durée des événements.

Les événements ultérieurs

[77]      La demanderesse déclare qu"en partant elle s"est rendu compte qu"elle était blessée et elle s"est rendue à l"urgence du Credit Valley Hospital. Un document intitulé [traduction ] " dossier de traitement à l"urgence " a été déposé en preuve sur consentement. Ce document porte que la demanderesse a été examinée par le Dr Tang le 24 août 1993, mais l"heure de l"examen est illisible. On y trouve une confirmation que la demanderesse a subi des blessures au côté gauche du cou, à l"épaule, au bras et au poignet gauches, et qu"elle avait des écorchures aux poignets, au genou droit et au pied gauche. La demanderesse déclare que l"infirmière lui a donné de la glace pour réduire l"enflure de sa main gauche, ainsi qu"une solution saline pour se gargariser. Le Dr Tang a immobilisé son bras gauche avec un demi-plâtre et une écharpe, en lui recommandant de ne pas le bouger. On s"est occupé de ses blessures et le Dr Tang lui a donné du Tylenol 3 pour la douleur.

[78]      La demanderesse déclare avoir pris un taxi pour aller de l"hôpital et son domicile entre 4 h et 5 h du matin. Le même jour, elle a appelé son médecin le Dr Addah. Elle est allée le consulter le 25 août. Le Dr Addah a témoigné que lors de sa visite la demanderesse souffrait et était très perturbée. Son rapport, confirmé par son témoignage, fait état d"un oedème des tissus mous, d"abrasion superficielle et de sensibilité exquise au toucher des faces collatérales du coude et du pli du coude gauche, ainsi que d"ecchymoses et d"un oedème des tissus mous de la face antérieure du genou droit et de la jambe proximale. Il a prescrit un analgésique et des anti-inflammatoires, ainsi que de la physiothérapie.

[79]      Le Dr Addah a aussi conclu que la demanderesse souffrait du syndrome de stress post-traumatique et il l"a référée à un psychiatre. La demanderesse n"a vu le psychiatre que deux fois et ce dernier n"a pas témoigné.

[80]      Le 30 août 1993, la demanderesse est retournée au bureau de la GRC à l"aéroport pour qu"on prenne ses empreintes digitales. L"agente Thompson était sur place et elle a remis une contravention à la demanderesse pour son défaut d"avoir une vignette en cours de validité. La demanderesse déclare qu"à ce moment-là l"agente Thompson a repris l"avis de comparution portant sur l"accusation d"avoir refusé de présenter ses papiers d"identité en lui disant qu"il n"aurait aucune suite. La demanderesse prétend que l"agente Thompson lui a dit qu"elle retirait cette accusation puisqu"elle avait présenté ses papiers et qu"une telle accusation était plus sérieuse qu"une contravention liée au défaut d"avoir une vignette en cours de validité.

[81]      L"agente Thompson a témoigné que l"attitude de la demanderesse le 30 août 1993 était tout à fait amicale et plaisante. Elle a déclaré que la demanderesse avait l"air d"une personne différente.

[82]      La demanderesse a comparu pour la contravention liée à la vignette expirée et elle a reçu une amende de 55 $, ce qui est moins que les 90 $ normalement exigés. L"accusation d"entrave à la justice a fait l"objet d"un procès en janvier et mars 1995, et la demanderesse a été acquittée.

Les blessures de la demanderesse, leurs causes et conséquences

[83]      Je n"ai pas l"intention d"examiner en détail la preuve portant sur les blessures de la demanderesse. Cette preuve n"est à peu près pas contredite, sauf pour le fait que l"agente Thompson déclare que le 30 août 1993, alors que la demanderesse est revenue au bureau de la GRC à l"aérogare 2 pour qu"on prenne ses empreintes digitales et qu"on la photographie, elle n"a rien dit au sujet de ses blessures.

[84]      La demanderesse déclare que ce jour-là elle portait toujours le demi-plâtre que le Dr Tang avait mis sur son bras, mais que ce dernier était caché par ses manches longues. Dans la photo qu"on a prise de la demanderesse, on ne voit pas de plâtre et l"agente Thompson déclare qu"elle n"a rien vu de tel ce jour-là. Toutefois, c"est l"agent Lecker qui a pris les empreintes digitales de la demanderesse ce jour-là et il n"a pas témoigné. Il semble qu"il soit maintenant affecté à un poste en Colombie-Britannique, mais on n"a pas laissé supposer qu"il ne pouvait pas témoigner. Je conclus donc, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse avait effectivement un plâtre ce jour-là.

[85]      Je suis convaincue au vu du témoignage de la demanderesse, du dossier de l"hôpital et du témoignage du Dr Addah, que la demanderesse a été blessée et a beaucoup souffert en conséquence directe de son arrestation.

[86]      Je conclus aussi que ses blessures et la douleur conséquente étaient essentiellement comme elle les décrit, à deux exceptions près. Premièrement, je n"accepte pas qu"elle a été blessée à la gorge car aucune mention à ce sujet ne se trouve dans le dossier de l"hôpital ou dans les notes du Dr Addah. Deuxièmement, bien que j"accepte que la demanderesse a eu certains des symptômes du syndrome du stress post-traumatique, je n"accepte pas que ces symptômes aient été aussi graves ou aussi prolongés qu"elle le prétend.

[87]      J"accepte que les blessures au bras et au poignet gauches de la demanderesse l"ont empêchée de travailler pendant les périodes dont elle fait état, ainsi que le fait qu"elle n"a pu travailler qu"à temps partiel du 24 novembre au 3 décembre 1993, date à laquelle elle a repris son travail à temps plein.

[88]      Une partie du témoignage de la demanderesse visait à démontrer l"étendue de l"humiliation à laquelle elle avait été soumise parce que son arrestation était de notoriété publique. Elle n"a toutefois pu nommer personne qui était au courant, à l"exception de M. Stewart. Elle a déclaré qu"en prenant ses cours pour devenir infirmière autorisée, elle avait fait état de cet incident en discutant avec certains de ses instructeurs. Rien dans la preuve ne vient démontrer objectivement que l"arrestation ait eu des effets négatifs sur la demanderesse, sauf les blessures dont j"ai fait état plus tôt.

Les policiers ont-ils utilisé une force excessive?

[89]      La demanderesse semble être une citoyenne respectueuse des lois, une personne qui est généralement intelligente et sensible, et il est compréhensible qu"elle ait été surprise et bouleversée de se trouver dans une bagarre avec trois policiers dans un endroit public comme l"aérogare 2. Toutefois, rien de cela n"est pertinent face à la question qui m"est posée, savoir si les policiers étaient justifiés en arrêtant la demanderesse d"utiliser une force telle qu"on lui a causé des blessures et douleurs.

[90]      En évaluant la preuve à ce sujet, il faut que je tienne compte du fait que le degré de force utilisé doit être évalué autant du point de vue subjectif des policiers que de celui des circonstances objectives. Je dois aussi tenir compte du fait qu"un policier peut, dans le feu du moment, mal juger le degré de force nécessaire, et ainsi ne pas exiger d"un policier une norme de conduite qu"on pourrait déterminer avoir été la plus appropriée lorsqu"on est tranquillement installé au tribunal : Neville c. Vancouver (City) Police Department , [1998] B.C.J. no 2952 (C.S.B.-C.) (QL), Breen c. Saunders (1986), 39 C.C.L.T. 273 (B.R.N.-B.), Foster c. Pawsey (1980) 28 N.B.R. (2d) 334 (B.R.N.-B.).

[91]      Au vu de la preuve, je conclus que les agents Thompson, Virgin et Ishmael n"ont pas fait preuve de force excessive au cours de l"arrestation.

[92]      Pour tirer cette conclusion, je tiens particulièrement compte de la perception que l"agente Thompson avait de la situation, puisque les autres n"ont fait que la suivre. J"ai déjà noté que l"agente Thompson avait probablement une intention plus ferme d"arriver à un règlement avec la demanderesse qu"elle veut bien l"admettre maintenant. Toutefois, mon analyse ne m"amène pas à croire que les sentiments de l"agente Thompson aient affecté de façon négative son évaluation de la situation à laquelle elle faisait face à l"aérogare 2 lorsqu"elle a rencontré la demanderesse pour la deuxième fois.

[93]      À l"intérieur de l"aérogare 2, l"agente Thompson a fait face à une situation où la demanderesse, une femme qui avait déjà refusé de présenter ses papiers d"identité et était partie au volant de sa voiture alors que l"agente Thompson n"avait pas renoncé à sa requête, continuait de refuser de présenter ses papiers d"identité sans explication valable.

[94]      De plus, la demanderesse admet avoir été stressée et fatiguée. Selon l"agente Thompson, la demanderesse semblait être agitée et hostile, ce qu"elle a manifesté en lui tournant le dos.

[95]      Bien que la demanderesse ait pu tout simplement mal comprendre ce qui se passait, l"agente Thompson n"avait aucune raison de le savoir. Du point de vue de l"agente Thompson, la demanderesse ne se comportait pas de façon raisonnable. À mon avis, l"agente Thompson avait raison de penser que le comportement manifestement irrationnel de la demanderesse pouvait être lié à un problème plus sérieux.

[96]      Une fois que la situation ait progressé jusqu"à ce que la demanderesse lui tourne le dos, l"agente Thompson pouvait raisonnablement saisir le bras de la demanderesse afin de l"arrêter et ensuite augmenter la force utilisée au vu de la résistance de la demanderesse. En définitive, les trois policiers étaient justifiés d"utiliser la force qui s"est avérée nécessaire pour soumettre la demanderesse.

Évaluation des dommages

[97]      Au cas où je me tromperais quant à la responsabilité, j"ai évalué les dommages-intérêts que j"aurais octroyés si j"avais conclu à l"utilisation d"une force excessive.

[98]      Il y a consensus au sujet des dommages-intérêts spéciaux, et je l"accepte, pour les chiffrer à 7 435,17 $. Quant aux dommages-intérêts généraux et punitifs, les deux avocats m"ont renvoyée à plusieurs affaires dont aucune n"est exactement comme celle-ci. L"avocat de la demanderesse a suggéré qu"on octroie entre 20 000 $ et 25 000 $, alors que l"avocat du défendeur suggérait plutôt entre 10 000 $ et 12 500 $. Si je compare les blessures de la demanderesse à celles qu"on trouve dans les affaires qui m"ont été cités, celles-ci sont relativement mineures et même si elles étaient douloureuses, leurs effets n"ont pas duré très longtemps. Au vu de la preuve, je décrirais les effets psychologiques négatifs dus à l"incident comme légers. Je chiffrerais donc les dommages-intérêts généraux à 12 500 $. Si j"avais conclu que les circonstances justifiaient l"octroi de dommages-intérêts punitifs, je les aurais évalués à un autre 12 500 $.


Dispositif

[99]      L"action de la demanderesse est rejetée avec dépens.






                                 Karen R. Sharlow

                            

                                     Juge



Ottawa (Ontario)

Le 30 décembre 1999







Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



No DU GREFFE :              T-332-94
INTITULÉ DE LA CAUSE :          Rose A. Beckford Stewart c. Sa Majesté la Reine


LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATES DE L"AUDIENCE :          les 7, 8 et 9 décembre 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE SHARLOW

EN DATE DU :              30 décembre 1999



ONT COMPARU


M. Patrick Summers                          POUR LA DEMANDERESSE

M. Wayne Morris                          POUR LE DÉFENDEUR



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Basman Smith                          POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Dutton, Brock, MacIntyre and Collier              POUR LE DÉFENDEUR

Toronto (Ontario)






Date : 19991230


Dossier : T-332-94

Ottawa (Ontario), le 30 décembre 1999

EN PRÉSENCE DE :      MADAME LA JUGE SHARLOW


ENTRE :


ROSE A. BECKFORD STEWART


demanderesse


et


LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

représentant SA MAJESTÉ LA REINE


défendeur




ORDONNANCE

     L"action de la demanderesse est rejetée avec dépens.




Karen R. Sharlow

Juge




Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier

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