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Date : 20060612

Dossier : IMM‑7402‑05

Référence : 2006 CF 731

Ottawa (Ontario), le 12 juin 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

 

 

ENTRE :

JAGIT RAY

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 24 novembre 2005 par une agente d’examen des risques avant renvoi (l’agente d’ERAR), pour qui le demandeur ne serait pas exposé à un risque de persécution, à une menace pour sa vie ou à un risque de subir la torture ou des peines cruelles et inusitées s’il devait retourner en Inde.

 

[2]               Le demandeur, un citoyen indien, s’était auparavant marié avec Sunita Ray, en Inde. Il dit que lui et son épouse ont divorcé le 15 mai 2001. Il est entré au Canada comme visiteur en mai 2003 et s’est marié avec Chantelle Cummings, une citoyenne canadienne, le 13 septembre 2003. Il a alors demandé la résidence permanente à la faveur du parrainage de Mme Cummings, mais sa demande a été rejetée en avril 2004, parce que le mariage n’a pas été jugé authentique. Le même jour, une mesure d’exclusion était prononcée contre le demandeur, qui signa une déclaration où il écrivait qu’il ne souhaitait pas solliciter un examen des risques avant renvoi, donnant ainsi à entendre qu’il ne craignait pas d’être exposé à un risque de persécution, à une menace pour sa vie ou à un risque de subir la torture ou des peines cruelles et inusitées s’il devait retourner en Inde.

 

[3]               Un mandat d’arrêt fut décerné contre le demandeur le 10 juin 2004 après que des responsables de l’Agence des services frontaliers du Canada tentèrent sans succès de communiquer avec lui en vue de son renvoi du Canada. Puis, le 4 septembre 2005, le demandeur était arrêté à la frontière canado‑américaine alors qu’il tentait de revenir au Canada depuis les États‑Unis à un point frontalier sans surveillance. Le demandeur prétend avoir vécu illégalement aux États‑Unis d’avril 2004 jusqu’à son arrestation. Le 17 octobre 2005, le demandeur était déclaré coupable de cinq chefs de possession de faux documents, infraction prévue par l’article 122 de la LIPR.

 

[4]               Le 9 novembre 2005, le demandeur déposait une demande d’ERAR. Il dit aujourd’hui qu’il craignait d’être éliminé par son ex‑épouse à son retour en Inde et aussi d’être persécuté par la famille de son ex‑épouse et par la police indienne. Selon le demandeur, lorsqu’il vivait en Inde, son ex‑épouse l’avait menacé et l’avait forcé à donner de l’argent à des membres de sa famille. Il dit que son ex‑épouse avait demandé le divorce parce qu’elle était amoureuse d’un policier. Il affirme que la famille de son ex‑épouse lui demandait constamment de l’argent et qu’il lui arrivait de se rendre à la police pour déposer contre lui de fausses accusations.

 

[5]               Le demandeur dit qu’il a été arrêté deux fois par la police. La première fois, il n’aurait été relâché qu’après que son père eut soudoyé ses gardiens. Après cette première arrestation, le demandeur s’est rendu en Australie. Il serait allé dans ce pays pour obtenir protection, mais son épouse l’aurait convaincu de revenir en Inde. Le demandeur est retourné en Inde le 13 mai 2003, et il aurait été arrêté une seconde fois à la suite de fausses accusations portées par sa belle‑famille. Encore une fois, son père aurait acheté sa libération. Le demandeur se serait ensuite rendu à l’hôpital pour obtenir des soins, et, plus tard ce mois‑là, il aurait quitté l’Inde pour le Canada.

 

[6]               Le demandeur dit que la police indienne s’est rendue plusieurs fois au domicile de sa famille et qu’elle le recherche encore. Il affirme aussi que les policiers indiens considèrent les problèmes familiaux comme des affaires privées et qu’ils ne songeraient pas à le protéger contre son ex‑épouse et son ex‑belle‑famille.

 

[7]               Lorsqu’il a déposé sa demande d’ERAR, le demandeur n’a pas produit d’affidavit confirmant les faits susmentionnés.

 

[8]               L’agente d’ERAR a relevé que le demandeur avait produit d’autres preuves au soutien de sa demande d’ERAR. Il s’agissait de lettres venant des parents du demandeur, outre dix affidavits. L’agente a accordé peu de valeur probante aux lettres du père et de la mère du demandeur parce qu’elles n’étaient pas datées et parce qu’elles allaient dans le sens de l’intérêt personnel du demandeur. L’agente a aussi relevé que les faits relatés dans les lettres n’avaient pas été attestés par une preuve objective et digne de foi.

 

[9]               L’agente a également accordé peu de valeur probante aux dix affidavits. Les affidavits disaient essentiellement la même chose, en employant les mêmes termes. L’agente a expliqué que les faits ne peuvent être tenus pour avérés du seul fait qu’ils ont été rapportés à un notaire public. L’agente a aussi considéré que la sœur et la belle‑sœur du demandeur avaient un intérêt personnel dans la demande présentée par le demandeur. Les affidavits restants, qui venaient d’un conseiller municipal et de sept voisins, n’ont bénéficié que d’une faible valeur probante parce que, selon l’agente, la relation du demandeur avec les auteurs de ces affidavits n’était pas claire.

 

[10]           L’agente d’ERAR a estimé que le demandeur n’avait pas produit une preuve montrant que son ex‑épouse lui avait extorqué de l’argent. L’agente a donc estimé que les documents indiquant que la famille du demandeur était riche présentaient moins d’intérêt au regard des prétendus risques.

 

[11]           L’agente a également accordé peu de valeur probante à une lettre de l’ancien beau‑père du demandeur, qui faisait état de violences qu’avait commises le demandeur en avril 2003 (la lettre malicieuse anonyme). L’agente a estimé que, sans une preuve venant d’une autorité policière et tendant à prouver que la lettre avait effectivement été envoyée à la police, et sans un mandat ou un acte d’accusation propre à étayer les affirmations du demandeur, ce document ne pouvait bénéficier que d’une valeur probante restreinte.

 

[12]           L’agente a relevé que le demandeur n’avait pas indiqué les dates ni la fréquence des événements relatés. Il n’avait pas nommé les individus qui avaient joué un rôle dans les tentatives d’extorsion, et il n’avait pas précisé les sommes d’argent réclamées. L’agente a fait observer que l’ex‑épouse du demandeur avait prétendu durant la procédure de divorce que le demandeur avait été violent, et qu’il ne s’était pas contenté de la dot qu’elle avait apportée.

 

[13]           L’agente a aussi relevé que le demandeur n’avait tenté au départ d’obtenir des documents concernant sa situation en Inde que lorsque son renvoi du Canada lui avait paru imminent. Elle a relevé que le demandeur s’était désisté le 7 avril 2004 d’une demande d’ERAR, en disant que rien ne l’empêchait de retourner en Inde.

 

[14]           L’agente a alors examiné la manière dont est perçue la violence familiale en Inde. Elle a passé en revue la preuve documentaire et constaté que la plupart des documents ne faisaient pas mention du cas où des hommes avaient été victimes de violence familiale. Un rapport de Human Rights Watch datant de 2004 jugeait insuffisante la protection offerte aux hommes, mais l’agente a trouvé que le rapport ne donnait pas de détails. Elle s’est aussi référée à des articles de journaux qui rapportaient des cas où des maris avaient été abusés par leurs belles‑familles. Toutefois, l’agente a estimé que la preuve n’établissait pas un lien entre les prétendus risques et la situation personnelle du demandeur.

 

[15]           Le demandeur dit que l’agente n’a pas observé le critère exposé dans l’arrêt Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.F.) [l’arrêt Hilo], car il n’est pas évident que le témoignage du demandeur a été totalement rejeté par l’agente d’ERAR. Selon le demandeur, le fait que l’agente n’ait considéré que la preuve corroborante contrevient au critère de l’arrêt Hilo, précité.

 

[16]           Le principal argument du demandeur est que l’agente d’ERAR a commis une erreur de droit en accordant peu de valeur probante aux documents versés au dossier. Il fait valoir que les motifs donnés par l’agente d’ERAR, même s’ils sont considérés d’une manière cumulative, n’autorisaient pas l’agente à dire que les documents ne devraient bénéficier que d’une valeur probante faible; ils ne pouvaient par ailleurs constituer des motifs additionnels qu’au soutien d’autres motifs valides de mettre en doute sa crédibilité. Le demandeur fonde cet argument général sur la décision Tshijuka Mpiana c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 1675.

 

[17]           Un faible poids a été accordé aux lettres des parents du demandeur, parce qu’elles n’étaient pas datées, parce que les parents avaient un intérêt personnel dans la demande présentée par le demandeur, et parce que les faits relatés dans les lettres n’avaient pas autrement été attestés par une preuve objective et digne de foi. Le demandeur fait valoir que ses parents ne connaissent pas nécessairement les dates exactes des événements qui ont eu lieu et que l’absence de dates n’est pas décisive au point de faire douter de l’authenticité des lettres. Il dit qu’il est de règle qu’un justiciable assigne des témoins pour qu’ils parlent en sa faveur devant un tribunal, et que les lettres parlent en faveur du demandeur. Finalement, le demandeur croit que l’agente a commis une erreur quand elle a dit que les faits relatés dans les lettres n’étaient pas étayés par d’autres preuves dignes de foi, étant donné que les faits en question étaient confirmés par les propres témoignages du demandeur et par ceux d’autres personnes qui avaient déposé en sa faveur. Le demandeur appuie ce dernier argument en citant des précédents qui indiquent que la Commission doit avoir des motifs valides de douter de la crédibilité d’un demandeur et que, lorsqu’un demandeur jure que ce qu’il dit est vrai, il y a alors une présomption réfutable selon laquelle ce qu’il dit est vrai : Maldonado c. M.E.I., [1980] 2 C.F. 302, à la page 305 [la décision Maldonado]; Fariba Sadeghi‑Pari c. Canada (M.C.I.), [2004] A.C.F. no 316, 2004 CF 282; Najimiding c. Canada (M.C.I.), [2004] A.C.F. no 621, 2004 CF 515.

 

[18]           Le demandeur dit que l’agente a commis une erreur quant au poids à accorder aux affidavits, lorsqu’elle a conclu que [traduction] « [l]es faits ne peuvent être tenus pour avérés du seul fait qu’ils ont été rapportés à un notaire public » : décision de l’agente d’ERAR, dossier du défendeur, à la page 13. Le demandeur dit que, sauf un motif raisonnable jetant le doute sur leur contenu, les affidavits ne peuvent être refusés pour ce motif.

 

[19]           L’agente a estimé que la sœur et la belle‑sœur du demandeur avaient [traduction] « un intérêt personnel dans cette demande » : décision de l’agente d’ERAR, dossier du défendeur, à la page 13. Ces personnes sont certes des parents du demandeur, mais, selon le demandeur, cela ne suffit pas, sans une preuve de mauvaise foi, à mettre en doute leur crédibilité.

 

[20]           Le demandeur fait valoir que l’agente d’ERAR savait que les affidavits avaient été établis sous serment par le frère, la sœur et les voisins du demandeur, ainsi que par un conseiller municipal. S’il est vrai que la relation entre le demandeur et ces témoins peut amoindrir la valeur probante de leurs témoignages, alors le demandeur dit que cette relation ne revêt pas une importance qui permettrait d’affirmer que leurs témoignages sont d’une [traduction] « faible valeur probante » : décision de l’agente d’ERAR, dossier du défendeur, à la page 13.

 

[21]           Le demandeur fait valoir que l’agente d’ERAR a commis une erreur en accordant une faible valeur probante à la lettre malicieuse anonyme censément envoyée par le beau‑père du demandeur, du seul fait qu’il n’existait aucun document justificatif venant de la police et attestant que la lettre avait effectivement été envoyée à la police. Le demandeur dit que l’agente a sans raison cherché à savoir s’il y avait eu envoi de la dénonciation. Il dit que l’existence de la dénonciation est elle aussi importante, et que la lettre confirme cette dénonciation. Le demandeur croit que, à défaut d’une autre preuve se rapportant à la lettre malicieuse anonyme, une valeur probante plus élevée aurait dû être accordée à cette lettre.

 

[22]           Finalement, le demandeur relève que l’agente d’ERAR a conclu qu’[traduction] « aucun mandat ou acte d’accusation n’a été produit au soutien des allégations du demandeur » : décision de l’agente d’ERAR, dossier du défendeur, à la page 13. Selon le demandeur, l’absence de preuve d’une chose qui n’était pas directement rattachée à la preuve ne permet nullement de conclure qu’un fait n’a pas été prouvé. Il affirme qu’il est déjà suffisamment prouvé qu’une dénonciation a été déposée et qu’il a ensuite été arrêté et battu.

 

[23]           Selon le défendeur, puisque le demandeur a méconnu ou enfreint la législation canadienne en matière d’immigration en quittant le pays en avril 2004 sans signaler son départ, et puisqu’il a été déclaré coupable en vertu de la LIPR de possession de faux documents, il ne se présente pas devant la Cour sans avoir rien à se reprocher. Selon le défendeur, puisque le demandeur n’est pas irréprochable, la Cour n’a pas à faire droit à sa demande : Jaouadi c. Canada (M.C.I.) (2003), 257 F.T.R. 161 (C.F.) [la décision Jaouadi].

 

[24]           Le défendeur est d’avis qu’il était loisible à l’agente d’ERAR, pour les motifs exposés par elle, d’accorder peu de poids aux lettres écrites par les parents du demandeur, de même qu’aux affidavits versés au dossier. Selon le défendeur, il appartenait à l’agente d’ERAR de dire que les lettres étaient intéressées : Nasoordeen c. M.C.I., [2005] A.C.F. no 1346. Par ailleurs, le défendeur dit que, en règle générale, la Cour ne modifiera pas la valeur accordée à la preuve par les agents d’ERAR : Dissanayakage c. M.C.I. (2004), 130 A.C.W.S. (3d) 994 (C.F.).

 

[25]           Selon le défendeur, rien ne prouve que l’ex‑belle‑famille du demandeur lui a extorqué de l’argent comme il le prétend, et qu’il serait encore victime de cette pratique s’il devait retourner en Inde. Le défendeur remarque aussi que le demandeur n’a produit aucun document prouvant que son ex‑belle‑famille le surveillait et rapportait des faussetés sur lui à la police.

 

A. Attitude irréprochable

[26]           Je suis d’avis que la Cour doit se retenir ici d’exercer son pouvoir discrétionnaire de rejeter la demande de contrôle judiciaire au seul motif que le demandeur n’a pas une attitude irréprochable. La Cour d’appel fédérale a fait le point récemment sur la doctrine de l’attitude irréprochable dans le contexte du droit de l’immigration, aux paragraphes 9 à 11 de l’arrêt Thanabalasingham c. Canada (M.C.I.), [2006] A.C.F. no 20, 2006 CAF 14 (QL) :

[9] […] La jurisprudence donne plutôt à entendre que, si la juridiction de contrôle est d’avis qu’un demandeur a menti, ou qu’il est d’une autre manière coupable d’inconduite, elle peut rejeter la demande sans la juger au fond ou, même ayant conclu à l’existence d’une erreur sujette à révision, elle peut refuser d’accorder la réparation sollicitée.

 

[10] Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Cour doit s’efforcer de mettre en balance d’une part l’impératif de préserver l’intégrité de la procédure judiciaire et administrative et d’empêcher les abus de procédure, et d’autre part l’intérêt public dans la légalité des actes de l’administration et dans la protection des droits fondamentaux de la personne. Les facteurs à prendre en compte dans cet exercice sont les suivants : la gravité de l’inconduite du demandeur et la mesure dans laquelle cette inconduite menace la procédure en cause, la nécessité d’une dissuasion à l’égard d’une conduite semblable, la nature de l’acte prétendument illégal de l’administration et la solidité apparente du dossier, l’importance des droits individuels concernés, enfin les conséquences probables pour le demandeur si la validité de l’acte administratif contesté est confirmée.

 

[11] Ces facteurs ne prétendent pas être limitatifs, et tous ne sont pas nécessairement applicables dans chaque cas.

 

 

 

[27]           En l’espèce, le demandeur a vécu illégalement aux États‑Unis durant une période de seize mois, et il ne s’est pas présenté aux autorités canadiennes durant cette période. Il a également été déclaré coupable de cinq infractions de possession de faux documents. Toutefois, ces écarts n’ont pas d’effet sur la décision contestée de l’agente d’ERAR. Contrairement à la décision Jaouadi, précitée, et à d’autres précédents où un demandeur a menti au tribunal, pour ensuite tenter d’utiliser la Cour comme bouclier protecteur contre les conclusions défavorables du tribunal, les écarts du demandeur dans la présente affaire n’ont eu aucune incidence sur la décision de l’agente d’ERAR et ne portent pas atteinte à la présente demande de contrôle judiciaire. La peine imposée au demandeur pour les infractions de possession de faux documents a pour objet de dissuader autrui de posséder de faux documents, et elle ne devrait pas ici servir également comme seul moyen d’empêcher le demandeur d’exercer son droit de solliciter le contrôle judiciaire de la décision de l’agente d’ERAR. La Cour ne voit aucune raison de ne pas examiner le fond de la demande du demandeur.

 

B. Norme de contrôle

[28]           Le demandeur ne présente pas d’arguments sur la norme de contrôle applicable à la décision de l’agente d’ERAR, et le défendeur a simplement indiqué que, en général, la Cour n’intervient pas dans la manière dont les agents d’ERAR apprécient la preuve. Le juge Edmond Blanchard faisait observer ce qui suit dans la décision Selliah c. Canada (M.C.I.), [2004] A.C.F. no 1134, 2004 CF 872 (QL), au paragraphe 16 [la décision Selliah] :

Les agents chargés de procéder aux examens des risques avant renvoi ont des connaissances spécialisées en matière d’évaluation des risques. Leurs conclusions sont en général dictées par les faits et, à mon avis, elles justifient de la part d’une juridiction de contrôle une retenue considérable. La jurisprudence ne semble pas totalement fixée sur la question de savoir si les conclusions d’un agent d’ERAR sont réformables selon la norme de la décision raisonnable simpliciter ou selon la norme de la décision manifestement déraisonnable : voir l’affaire Sidhu c. Canada (MCI), [2004] A.C.F. no 30, en ligne : QL, 2004 CF 39, au paragraphe 7, et l’affaire Joseph c. Canada (MCI), [2004] A.C.F. no 392, en ligne : QL.

 

 

[29]           Depuis que la décision Selliah a été rendue, le juge Richard Mosley s’est livré à une analyse pragmatique et fonctionnelle complète, pour conclure que la norme de contrôle devant s’appliquer au contrôle judiciaire des points de fait décidés par un agent d’ERAR est la décision manifestement déraisonnable : Kim c. Canada (M.C.I.), [2005] A.C.F. no 540, 2005 CF 437, au paragraphe 19 [la décision Kim]. L’appréciation de la preuve est une décision de nature factuelle. Puisque la Cour a procédé, dans la décision Kim, à une analyse intégrale de la norme devant s’appliquer, je fais mien son raisonnement et j’adopte la norme de la décision manifestement déraisonnable pour examiner les conclusions factuelles de l’agente d’ERAR et la manière dont elle a apprécié la preuve.

 

C. Manière dont l’agente d’ERAR a apprécié la preuve

            (1) Le témoignage du demandeur

[30]           Le demandeur a produit une réponse écrite de trois pages à la question 50 du formulaire de demande d’ERAR, où le demandeur est prié de :

Indiquez, en ordre chronologique, les événements importants qui vous ont poussé(e) à chercher une protection à l’extérieur du pays dont vous avez la citoyenneté ou dans lequel vous aviez votre résidence habituelle. Indiquez toute mesure prise contre vous, les membres de votre famille ou toute autre personne dans une situation semblable.

 

Dossier du demandeur, à la page 13.

 

 

[31]           La réponse de l’agente d’ERAR au témoignage du demandeur fut simplement que [traduction] « le demandeur a donné peu de détails sur les événements qu’il a relatés » : décision de l’agente d’ERAR, dossier du défendeur, à la page 13. Puis l’agente est passée aux documents présentés à l’appui de la demande.

 

[32]           Je suis d’avis que l’agente d’ERAR a exposé des motifs suffisants en ce qui concerne le témoignage du demandeur.

 

[33]           À mon avis, l’agente d’ERAR a commis quelques erreurs mineures dans l’examen de la preuve, mais, considérées globalement, ses conclusions ne sont pas manifestement déraisonnables. Les erreurs de l’agente ne sont pas dominantes, en ce qui a trait à la preuve, au point que la Cour doive annuler sa décision.

 

[34]           L’agente d’ERAR a tiré la conclusion essentielle suivante en ce qui a trait à la preuve versée au dossier :

[TRADUCTION] De manière générale, il n’a pas été fait mention des dates ni de la fréquence des événements qui étaient relatés, ni des périodes au cours desquelles il fut victime de violences ou de menaces, ni des noms des personnes qui ont joué un rôle dans ces événements, ni des sommes d’argent en cause.

 

(Décision de l’agente d’ERAR, dossier du défendeur, à la page 13.)

 

 

[35]           En bref, l’agente d’ERAR n’a pu trouver une preuve suffisamment détaillée propre à confirmer l’allégation du demandeur selon lequel son ex‑épouse, la famille de celle‑ci ou la police serait pour lui une menace en Inde. Il était loisible à l’agente d’ERAR, sur ce seul fondement, de conclure, ainsi qu’elle l’a fait, que le demandeur ne l’avait pas convaincue qu’il serait sans doute exposé à un risque de persécution, à une menace pour sa vie ou à un risque de subir la torture ou des peines cruelles et inusitées.

 

(2) Les lettres des parents du demandeur

[36]           Je crois qu’il était loisible à l’agente d’ERAR, si l’on applique la norme de la décision manifestement déraisonnable, de conclure que les lettres des parents ne pouvaient avoir qu’une faible valeur probante. Comme je l’ai dit plus haut, l’agente d’ERAR a conclu à une absence de détails suffisants sur une possible future persécution. Je crois aussi que l’agente d’ERAR pouvait raisonnablement décider, ainsi qu’elle l’a fait, d’accorder moins de poids à ces lettres puisqu’elles n’étaient pas datées et que les faits qui y étaient rapportés n’étaient pas confirmés par d’autres preuves dignes de foi.

 

[37]           Le demandeur a cru à tort que, si l’agente d’ERAR a conclu que les lettres de ses parents présentaient une faible valeur probante, c’était notamment parce que les parents n’étaient pas en mesure de dater certains événements clés. En réalité, si l’agente d’ERAR a accordé peu de valeur probante aux lettres des parents, c’était en partie parce que les lettres elles‑mêmes n’étaient pas datées. La date qui figure sur une lettre aide un agent à dire si les circonstances décrites dans la lettre sont actuelles. Parfois, le moment auquel est reçue une lettre réclamée par le demandeur peut influer sur la crédibilité de celui‑ci. En bref, il était loisible à l’agente d’ERAR de relever que les lettres n’étaient pas datées, et de leur accorder une importance moindre. Si une lettre n’est pas datée, l’agente d’ERAR risque de se perdre en conjectures sur la validité actuelle du contenu de la lettre.

 

[38]           Le demandeur dit que l’agente d’ERAR a commis une erreur en disant que les faits rapportés dans les lettres n’avaient pas été confirmés par une preuve objective et digne de foi, et il cite des précédents qui donnent à entendre que les lettres bénéficient de la présomption de vérité. La difficulté pour le demandeur est que la présomption de vérité vaut lorsqu’un demandeur ou un témoin jure que telle ou telle chose est vraie. En l’espèce toutefois, les parents du demandeur n’ont pas produit d’affidavits sous serment; ils ont simplement écrit des lettres. S’ils avaient produit des affidavits sous serment, leurs déclarations auraient sans doute pu revêtir un peu plus de valeur probante. Toutefois, vu l’absence d’un témoignage par affidavit, il était loisible à l’agente d’ERAR, sans une preuve additionnelle propre à les confirmer, d’accorder peu de valeur aux faits rapportés dans les lettres des parents.

 

[39]           Je reconnais avec le demandeur que l’agente d’ERAR a eu tort d’accorder peu de valeur probante aux lettres au motif que les lettres vont dans le sens de l’intérêt personnel du demandeur. Le simple fait que les lettres aient été écrites par des membres de la famille du demandeur ne constitue pas, sans autre preuve de déloyauté ou autre conduite répréhensible de la part des proches concernés, une raison suffisante pour n’accorder que peu de valeur à leurs lettres. Toutefois, l’agente d’ERAR n’a pas décidé, uniquement sur ce fondement, d’accorder peu de poids auxdites lettres. Les autres motifs qu’elle avait d’accorder peu de poids aux lettres résistent à l’examen, et l’erreur de l’agente n’est pas dominante au point de rendre sa décision manifestement déraisonnable. Considérée globalement, la décision de l’agente relative aux lettres résiste à l’examen.

 

(3) Les affidavits

[40]           L’agente d’ERAR a eu tout à fait raison d’accorder peu de poids aux affidavits. Une simple lecture des affidavits montre clairement que quelqu’un les a rédigés en recopiant les mots d’un affidavit type. Les paragraphes 2, 3, 4, 5, 6 et 7 de la plupart des affidavits sont identiques, à l’exception du nom du déposant et de quelques autres affirmations mineures.

 

[41]           Je suis d’avis que les motifs restants qui sont donnés par l’agente d’ERAR autorisaient sa conclusion selon laquelle les affidavits n’avaient qu’une faible valeur probante. Il était loisible à l’agente d’ERAR de conclure qu’il n’y avait pas suffisamment d’informations sur la relation entre le demandeur et les signataires des affidavits. Je crois aussi que, si l’on considère la conclusion de l’agente d’ERAR selon laquelle les faits rapportés étaient trop vagues, alors sa déclaration selon laquelle, dans la présente affaire, [traduction] « [l]es faits ne peuvent être tenus pour avérés du seul fait qu’ils ont été rapportés à un notaire public » résiste à l’examen : décision de l’agente d’ERAR, dossier du défendeur, à la page 13. Chacun des affidavits renferme la même description textuelle des faits. Toutefois, la description est si vague que l’agente d’ERAR avait tout à fait le loisir de dire que les faits en question ne pouvaient pas être tenus pour avérés du simple fait qu’ils avaient été rapportés au notaire. Le demandeur dit avec raison que le décideur ne peut pas rejeter une preuve sans avoir une bonne raison de douter de son contenu, mais, à mon avis, l’absence de détails dans le compte rendu factuel autorisait l’agente d’ERAR à douter du contenu des affidavits.

 

[42]           L’analyse ci‑dessus montre que l’agente d’ERAR a exposé des motifs suffisants en ce qui a trait au témoignage du demandeur. Outre les motifs donnés par l’agente d’ERAR, le principe de l’attitude irréprochable montre clairement que le demandeur n’est pas fondé à obtenir une décision favorable sur sa demande d’ERAR.

 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question susceptible d’être certifiée n’a été proposée.

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑7402‑05

 

 

INTITULÉ :                                                   JAGIT RAY

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 6 JUIN 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE TEITELBAUM

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 12 JUIN 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jean‑François Bertrand

 

      POUR LE DEMANDEUR

Daniel Latulippe

 

      POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bertrand, Deslauriers

Avocats

 

      POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

      POUR LE DÉFENDEUR

 

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