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Date : 20020410

Dossier : T-2223-99

Référence neutre : 2002 CFPI 405

Ottawa (Ontario), le 10 avril 2002

En présence :    Madame le juge Danièle Tremblay-Lamer

ENTRE :

                         WILLIAM LLOYD HAMILTON

                                                                demandeur

                                  - et -

         CONSEIL DE BANDE DE LA PREMIÈRE NATION DE DRIFTPILE

                                                                défendeur

                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

  • [1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985) ch. F-7, qui concerne une décision rendue par la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) conformément au sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985) ch. H-6 (LCDP), et dans laquelle la Commission a rejeté la plainte pour discrimination de William Lloyd Hamilton (le demandeur) contre le conseil de bande de la Première nation de Driftpile (le défendeur).
  • [2]                 En octobre 1995, le demandeur a posé sa candidature à trois postes annoncés de la division scolaire de Driftpile : directeur de l'enseignement, directeur et directeur adjoint. Il n'a reçu aucune réponse à sa demande et, malgré des demandes répétées, le défendeur a refusé d'expliquer son échec au concours.
  
  • [3]                 Le 16 décembre 1995, le demandeur a déposé une plainte auprès de la Alberta Human Rights Commission, alléguant que le défendeur avait fait à son égard preuve de discrimination fondée sur l'âge et l'origine ethnique (Métis). Puisque la Alberta Human Rights Commission n'était pas compétente pour examiner cette plainte qui relevait de la compétence fédérale, le dossier a été transmis à la Commission canadienne des droits de la personne et une plainte officielle a été déposée le 25 juin 1996.
  • [4]                 La Commission a nommé M. Bob Fagan pour enquêter sur la plainte du demandeur. Par lettre datée du 1er octobre 1996, il a informé le demandeur de la position du défendeur selon laquelle ce dernier n'avait pas fait preuve de discrimination à son égard.
  
  • [5]                 Le demandeur a répondu à cette lettre le 8 octobre 1996 et a tenté de réfuter la position adoptée par le défendeur.
  • [6]                 Par lettre en date du 4 novembre 1996, l'enquêteur a fourni au demandeur des renseignements sur la compétence et l'âge des personnes choisies pour combler les postes en cause.
  
  • [7]                 En réponse à cette lettre, le demandeur, dans une lettre datée du 6 novembre 1996, a voulu apporter certaines modifications au contenu de sa plainte.
  • [8]                 Le 5 mai 1998, le demandeur a écrit une lettre à l'enquêteur pour se plaindre du délai à décider de sa plainte. M. Fagan a répondu le 11 mai 1998, expliquant qu'il avait de la difficulté à réunir tous les éléments de preuve pertinents à sa plainte.
  
  • [9]                 Par lettre en date du 26 août 1999, l'enquêteur a fourni au demandeur une copie de son rapport d'enquête daté du 30 juillet 1999. Le demandeur avait trente jours pour faire des commentaires sur le rapport, ce qu'il a fait par lettre datée du 31 août 1999.
  • [10]            Par lettre en date du 24 novembre 1999, le demandeur a été avisé que sa plainte avait été rejetée.
  
[11]            Le demandeur a déposé la présente demande de contrôle judiciaire le 17 décembre 1999.


DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[12]            L'article 44 de la LCDP est rédigé comme suit :


Rapport

44. (1) L'enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l'enquête.

Suite à donner au rapport

(2) La Commission renvoie le plaignant à l'autorité compétente dans les cas où, sur réception du rapport, elle est convaincue, selon le cas_:

                 a) que le plaignant devrait épuiser les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

                 b) que la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale.

Idem

(3) Sur réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission_:

        a) peut demander au président du Tribunal de désigner, en application de l'article 49, un membre pour instruire la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue_:

                (i) d'une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci est justifié,

                (ii) d'autre part, qu'il n'y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des alinéas 41c) à e);

        b) rejette la plainte, si elle est convaincue_:

                (i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié,

                (ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l'un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

Avis

(4) Après réception du rapport, la Commission_:

        a) informe par écrit les parties à la plainte de la décision qu'elle a prise en vertu des paragraphes (2) ou (3);

        b) peut informer toute autre personne, de la manière qu'elle juge indiquée, de la décision qu'elle a prise en vertu des paragraphes (2) ou (3).

Report

44(1) An investigator shall, as soon as possible after the conclusion of an investigation, submit to the Commission a report of the findings of the investigation.

Action on receipt of report

(2) If, on receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission is satisfied

(a) that the complainant ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available, or

(b) that the complaint could more appropriately be dealt with, initially or completely, by means of a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act,

it shall refer the complainant to the appropriate authority.

Idem

(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

(a) may request the Chairperson of the Tribunal to institute an inquiry under section 49 into the complaint to which the report relates if the Commission is satisfied

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is warranted, and

(ii) that the complaint to which the report relates should not be referred pursuant to subsection (2) or dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e); or

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

(ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e).

Notice

(4) After receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

(a) shall notify in writing the complainant and the person against whom the complaint was made of its action under subsection (2) or (3); and

(b) may, in such manner as it sees fit, notify any other person whom it considers necessary to notify of its action under subsection (2) or (3).


ANALYSE


  • [13]            Une décision de la Commission de rejeter une plainte en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la LCDP est une question de fait et mérite un très grand respect de la part de la Cour. La norme de contrôle dans un tel cas est celle de la décision raisonnable, comme l'a énoncé la Cour d'appel dans la décision Bradley c. Procureur général du Canada (1999), 238 N.R. 76 (C.A.F.), et plus récemment réaffirmé dans la décision Gee c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), [2002] A.C.F. no 12 (C.A.).
  • [14]            Il est bien établi en droit que les règles formelles de justice naturelle ne s'appliquent pas à une décision purement administrative comme celle en l'espèce. Toutefois, la Commission doit quand même s'en tenir aux principes d'équité procédurale (Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879) (SEPQA).
  
[15]            Dans la décision Slattery c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574 aux pages 597 et 598 (Slattery), confirmée dans (1996), 205 N.R. 383 (C.A.F.), le juge Nadon a examiné en quoi consiste l'équité procédurale à laquelle a droit un plaignant, comme l'a énoncé le juge Sopinka dans l'arrêt SEPQA, lorsque la Commission décide de rejeter une plainte :

Le juge Sopinka a conclu que pour s'acquitter de l'obligation d'agir équitablement, la CCDP devait informer les parties de la substance de la preuve obtenue par l'enquêteur et produite devant la CCDP. En outre, la CCDP devait donner aux parties l'occasion de répondre à cette preuve et de faire toutes les observations pertinentes. Lorsqu'elle a pris la décision de rejeter la plainte sans procéder à une audition devant le tribunal [à la page 902] :

La [CCDP] pouvait prendre en considération le rapport de l'enquêteur, les autres données de base qu'elle jugeait nécessaires ainsi que les arguments des parties. Elle était alors tenue de rendre sa propre décision en se fondant sur ces renseignements, ce qu'elle a fait.

  • [16]            Dans la décision Slattery précitée, à la page 598, le juge Nadon a également précisé que l'enquête effectuée par la Commission pour décider si un tribunal devait être constitué doit satisfaire à deux conditions : la neutralité et la rigueur.
  • [17]            En ce qui concerne l'obligation de motiver une décision rendue en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i), la jurisprudence a établi que la Commission n'est pas tenue de donner des motifs formels.
  
  • [18]         Ce principe a été réaffirmé dans la décision Brochu c. Banque de Montréal (1999), 251 N.R. 207 (C.A.F.), et plus récemment dans la décision Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113 (C.A.), dans laquelle, au par. 30, la Cour fait valoir que « les motifs de la décision de la Commission peuvent se trouver dans le rapport exhaustif remis par l'enquêteur et entériné par la Commission, et que Bell avait en sa possession » .
  • [19]            J'examinerai à présent les allégations du demandeur à la lumière de ces principes :

                        i)          Motifs


[20]            M. Hamilton a reçu une copie du rapport d'enquête ainsi qu'une lettre expliquant pourquoi la Commission avait décidé de rejeter sa plainte. Ces documents fournissaient une explication claire au demandeur de la raison pour laquelle la preuve n'étayait pas la conclusion selon laquelle il avait été l'objet de discrimination dans le cadre du concours. En conséquence, on ne peut pas dire que la Commission a omis de donner des motifs valables pour sa décision.

            ii)         Allégation de partialité

  • [21]            L'allégation du demandeur selon laquelle l'enquêteur a éliminé des éléments de la preuve factuelle documentaire n'est pas fondée. Il appert que M. Hamilton a mal interprété les commentaires de M. Fagan contenus au paragraphe 11 du rapport d'enquête où il déclare qu'[Traduction] « il n'y a aucune preuve documentaire en ce qui concerne le concours ou la présélection » . Cette déclaration ne permet pas d'affirmer que l'enquêteur a éliminé la preuve du demandeur. Je suis de l'avis du défendeur qu'[Traduction] « il est clair, d'après le contexte de la remarque, que l'enquêteur faisait référence au fait que le défendeur n'avait retenu aucune preuve documentaire concernant le concours ou la présélection » .
  • [22]            Vu les faits en l'espèce, à savoir que :

1) l'âge et l'origine ethnique n'avaient pas écarté d'autres candidats; 2) la compétence du demandeur n'était pas supérieure à celle des personnes embauchées; 3) le demandeur n'était pas activement employé dans le domaine de l'enseignement depuis environ quatre ans lorsqu'il a posé sa candidature aux postes;

il n'y avait aucune preuve permettant de conclure à l'existence de discrimination, et on ne peut pas dire que l'enquêteur n'a pas été impartial parce qu'il n'a pas accepté la preuve du demandeur.

                        iii)         Rigueur de l'enquête

[23]            Ici encore, le demandeur semble avoir mal compris ce que l'enquêteur a voulu dire par[Traduction] « aucune preuve documentaire » . Malgré la non-disponibilité de certains éléments de la preuve documentaire (par exemple, la liste des candidats sélectionnés et les demandes présentées au concours de 1995), les renseignements disponibles qui sont pertinents à la revendication du demandeur ont été obtenus. L'âge et l'origine ethnique des employés embauchés ont été vérifiés, la personne qui a fait la présélection des candidats a été interrogée et les préoccupations du demandeur ont été exprimées à la Commission. Je ne trouve aucun fondement me permettant de conclure que ces préoccupations ont été laissées de côté ou insuffisamment considérées. Je suis convaincue que l'enquête a été assez approfondie et qu'il n'existe aucun motif pour que la Cour intervienne sur cette base.
  

                        iv)        Délai

  • [24]        Dans un arrêt récent, Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307 au paragraphe 122, la Cour suprême du Canada a affirmé que « [l]a question de savoir si un délai est devenu excessif dépend de la nature de l'affaire et de sa complexité, des faits et des questions en litige, de l'objet et de la nature des procédures, de la question de savoir si la personne visée par les procédures a contribué ou renoncé au délai, et d'autres circonstances de l'affaire » . Elle a ajouté que cette décision, à savoir si le délai « [...] est susceptible de heurter le sens de l'équité de la collectivitédépend non pas uniquement de la longueur de ce délai, mais de facteurs contextuels, dont la nature des différents droits en jeu dans les procédures » (Blencoe, ibid.).
  • [25]        En appliquant ces facteurs aux faits en l'espèce, je ne crois pas que le délai était excessif au point de constituer un abus de procédure. Bien qu'il soit malheureux que la Commission ait pris plus de trois ans pour rejeter la plainte du demandeur, la capacité du demandeur d'établir le bien-fondé de sa cause ne s'est pas détériorée au fil des ans et il n'est pas parvenu à démontrer qu'il avait subi un préjudice important. Compte tenu des facteurs contextuels en l'espèce, je ne suis pas convaincue que le délai « heurterai[t] le sens de la justice et de la décence de la société » (Blencoe, précité, au par. 132).
  • [26]            En conclusion, les règles d'équité procédurale exigent qu'une demanderesse ou qu'un demandeur connaisse les éléments essentiels de la preuve produite contre elle ou lui. Les commentaires de la partie adverse doivent être divulgués à la plaignante ou au plaignant, et cette dernière ou ce dernier doit avoir l'occasion d'y répondre. En l'espèce, le demandeur a été tenu informé de l'enquête en cours et s'est vu accorder de nombreuses occasions de répondre, comme en témoigne la correspondance entre lui-même et l'enquêteur.
  • [27]            Le demandeur a également soulevé une question constitutionnelle. Vu que son dossier de requête a été rejeté par le protonotaire Aronovitch dans une ordonnance en date du 8 février 2002 parce qu'il était incompréhensible, la Cour n'est pas régulièrement saisie de cette question et je ne traiterai pas de cet argument.
  
[28]            Pour ces motifs, j'ai conclu que la décision de la Commission n'a pas été prise de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[29]        Le défendeur a demandé que lui soient attribués les dépens de la présente demande de contrôle judiciaire à cause du nombre d'heures passées à préparer ses documents pour répondre aux nombreuses questions du demandeur et au grand nombre de documents déposés par lui, mais qui n'étaient pas pertinents à la présente procédure. Conformément à l'article 400 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, j'ai entière discrétion pour déterminer le montant des dépens, les répartir et désigner les personnes qui doivent les payer. Je n'ai pas eu la conviction que les faits en l'espèce justifient quelque adjudication des dépens.

                       O R D O N N A N C E

      LA COUR ORDONNE QUE :

[1]                 la demande de contrôle judiciaire soit rejetée sans dépens.

     

                                                                                              « Danièle Tremblay-Lamer »

JUGE

            

Traduction certifiée conforme

Nicole Michaud, LL.L., M. Trad.


                   COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                      T-2223-99

INTITULÉDE LA CAUSE :           William Lloyd Hamilton

c.

Conseil de bande de la Première nation de Driftpile

LIEU DE L'AUDIENCE :         Calgary (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :         le 21 mars 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

DATE DES MOTIFS :            le 10 avril 2002

COMPARUTIONS:

William Lloyd Hamilton        EN SON PROPRE NOM

Timothy D. Mitchell                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :   

Laird Armstrong

Calgary (Alberta)              POUR LE DÉFENDEUR

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