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Date : 20040402

Dossier : IMM-3822-03

Référence : 2004 CF 514

ENTRE :

                                                              NADEEM ASLAM

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON

[1]                Il s'agit d'un cas où un membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a appliqué les règles de procédure pour conclure au désistement d'une demande d'asile. Les règles de procédure doivent être interprétées et appliquées de manière à favoriser des décisions au fond qui soient aussi rapides et économiques qu'il est possible. Il convient de redire que les droits fondamentaux ne peuvent jamais être sacrifiés à l'autel de l'efficacité administrative et que le droit à une audience juste et équitable ne souffre aucun compromis (Anand c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2004] A.C.F. n ° 350, 2004 CF 302).

[2]                Le membre de la section a déclaré, sans la moindre apparence de droit, que M. Aslam s'était désisté de sa demande d'asile parce qu'il n'allait pas se présenter à une audience sans son avocat. J'expose ci-après les motifs pour lesquels j'ai fait droit à la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Aslam et rétabli sa revendication devant la Commission.

[3]                M. Aslam vient du Penjab, au Pakistan. Craignant des représailles militaires en raison de son activisme politique, il est arrivé au Canada par un poste frontière situé au sud de Montréal et a revendiqué le statut de réfugié. Au cours de la semaine qui a suivi, il s'est rendu dans la région de Toronto, puis a demandé que l'audience change de lieu et se déroule dans cette ville. Sa demande a été rejetée. La décision ne m'a pas été soumise directement, mais je dois dire qu'à première vue elle semble abusive, eu égard à la pratique suivie par la Cour quand elle est appelée à déterminer l'endroit le plus indiqué pour une audience.

[4]                Environ trois semaines avant le 25 avril 2003, date de l'audition prévue de la demande de M. Aslam au fond, son conseiller en immigration l'a informé qu'il ne serait pas en mesure de l'aider car il devait se rendre en Inde à cause d'un événement familial urgent. Avec l'aide d'amis, M. Aslam a fait des recherches à Montréal et obtenu un rendez-vous avec son conseiller actuel, M. Istvanffy, qui a accepté un mandat le 16 avril, tout en indiquant au demandeur qu'il avait déjà une autre affaire à traiter le 25 avril. Le lendemain, M. Istvanffy envoyait par télécopieur à la Commission une demande de remise d'audience, au motif qu'il devait le même jour se présenter à une autre audience. Il a même indiqué l'intitulé de l'audience en question.


[5]                M. Istvanffy et M. Aslam n'ont été informés que la veille de l'audience que la demande de remise avait été rejetée. Aucun motif ne leur a été donné. Tous deux ont comparu devant le membre, qui voulait absolument que M. Aslam soit prêt à faire valoir son cas à la date fixée par la Commission. Comme M. Istvanffy était obligé de respecter son engagement antérieur, il n'a pu rester. M. Aslam a dit qu'il avait besoin d'un avocat et qu'il n'irait pas de l'avant sans être représenté. Le membre a prononcé le désistement de la revendication.

[6]                M. Aslam ne s'est jamais désisté de sa demande d'asile. Se désister signifie abandonner complètement, ou abandonner avant l'achèvement; cela veut dire renoncer, et ici, le désistement ressemble davantage à un rejet pour défaut de poursuivre.

[7]                M. Aslam est peut-être, ou non, un réfugié ayant droit à une protection internationale. C'est là une question non résolue tant que la Commission n'aura pas rendu une décision finale. Jusque là, il a le droit de prétendre qu'il est un réfugié au sens de la Convention, ou une personne à protéger, au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. Allons-nous renvoyer M. Aslam dans son pays alors qu'il pourrait bien avoir une crainte fondée de persécution et risquer la torture, une peine cruelle ou inusitée ou encore la mort, simplement parce que son conseiller en immigration l'a laissé en plan et parce que son nouvel avocat avait déjà un engagement?

[8]                Dans l'affaire Anand, précitée, une affaire récente, la Cour a jugé que, puisque cette affaire était entendue au fond pour la première fois et puisqu'il n'y avait absolument aucune indication d'abus de procédure, le refus d'accorder une remise avait été déraisonnable.

Il n'y avait aucune preuve que M. Anand s'était désisté de sa revendication, bien au contraire. Il n'y avait aucune apparence d'abus de procédure. Le refus d'accorder la remise était déraisonnable. Dans l'affaire Mangat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. n ° 1301, le juge Gibson écrivait :

... L'intention de la requérante de procéder dans cette affaire était incontestable. En l'espèce, le demandeur a mis du temps à douter de la fiabilité de son avocat, et ce n'est qu'après avoir reçu l'avis d'audition qu'il a finalement décidé de changer d'avocat. Il n'y avait pas eu d'ajournement antérieur en l'espèce. En outre, la SSR n'a pas demandé de précision sur la durée de l'ajournement que le demandeur cherchait à obtenir et elle n'a pas offert un ajournement plus court au demandeur afin de permettre à sa nouvelle avocate de mieux le connaître et de se familiariser avec les faits qui fondent la revendication et d'examiner davantage la possibilité de joindre sa revendication à celle de son frère. Comme c'était le cas dans Siloch, rien n'indiquait en l'espèce qu'un bref ajournement influerait sur le système d'immigration ou retarderait, empêcherait ou paralyserait indûment la conduite de cette enquête particulière, faisant ainsi intervenir le paragraphe 69(6) de la Loi. Comme c'était le cas dans Siloch, l'incidence du refus d'accorder l'ajournement en l'espèce était de priver le demandeur de son droit à une audience équitable.

[9]                L'avocate du défendeur a fait valoir que le droit à l'assistance d'un avocat n'est pas absolu, mais qu'il doit être considéré dans son contexte. Une partie ne peut tout simplement engager un avocat très occupé quand elle sait fort bien qu'il ne sera pas en mesure de la représenter à une audience dont la date est fixée. Néanmoins, dans le cas qui nous occupe, la Commission a ignoré les principes de justice naturelle et d'équité procédurale en sacrifiant le droit à une audience complète et équitable en faveur de l'efficacité administrative, et en laissant en suspens durant une semaine la demande de remise.


[10]            L'avocate du défendeur a aussi indiqué que, à la lumière de l'arrêt Dr. Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 C.S.C. 19, la norme de contrôle devrait être celle de la décision manifestement déraisonnable plutôt que celle de la décision raisonnable simpliciter. (Voir aussi Jaber c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2004] A.C.F. n ° 487.) Au contraire, à mon avis, l'équité procédurale est une question de droit. Selon le paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, et modifications, la Cour peut faire droit à une demande de contrôle judiciaire si l'office concerné « n'a pas observé un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale ou toute autre procédure qu'il était légalement tenu de respecter » . L'arrêt Dr. Q., précité, a été considéré par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2004] A.C.F. n ° 174. Il s'agissait dans cette affaire de l'équité procédurale que doit observer un agent des visas lorsqu'il examine une demande de résidence permanente au Canada. Le juge Sexton, s'exprimant pour la Cour, était saisi du refus d'un agent des visas de permettre à l'avocat d'un requérant d'assister à l'audience. Pour déterminer la norme de contrôle à appliquer, le juge Sexton a pris en compte l'arrêt Dr. Q., ainsi que l'arrêt ultérieur rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Syndicat canadien de la fonction publique c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] A.C.S. n ° 28, arrêt qui faisait une distinction entre la norme de contrôle devant s'appliquer à la décision ultime et celle devant s'appliquer au cadre procédural dans lequel est rendue la décision. Dans l'arrêt SCFP, le juge Binnie écrit que l'équité procédurale intéresse la manière dont la décision est rendue, tandis que les normes de contrôle sont appliquées au produit final des délibérations. Le juge Sexton arrive donc à la conclusion que l'approche pragmatique et fonctionnelle du contrôle judiciaire n'a pas à s'appliquer aux questions d'équité procédurale.

[11]            Suite à l'arrêt SCFP, la Cour d'appel fédérale a jugé dans l'arrêt Ha, précité, que les questions d'équité procédurale sont des questions de droit et que la norme de contrôle est celle de la décision correcte. Le juge MacTavish a appliqué l'arrêt Ha dans l'affaire Mani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] CF 376, et, appliquant la norme de la décision correcte, elle a estimé que la Commission dans cette affaire avait eu tort de conclure que M. Mani s'était désisté de sa demande d'asile. Le même raisonnement est applicable ici.

[12]            La règle juridique est exposée par le juge LeDain dans l'arrêt Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643. Il écrivait, à la page 661 : « il faut considérer le droit à une audition équitable comme un droit distinct et absolu qui trouve sa justification essentielle dans le sens de la justice en matière de procédure à laquelle toute personne touchée par une décision administrative a droit » .

[13]            M. Aslam a droit à une autre audition.

       « Sean Harrington »       

                                                                             Juge                   

Ottawa (Ontario)

le 2 avril 2004

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                         COUR FÉDÉRALE

          AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :        IMM-3822-03

INTITULÉ :       NADEEM ASLAM

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 25 MARS 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                       LE 2 AVRIL 2004

COMPARUTIONS :

Stewart Istvanffy                                   POUR LE DEMANDEUR

Marie-Claude Demers                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Istvanffy                                    POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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