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Date : 20050329

Dossier : T-104-05

Référence : 2005 CF 411

ENTRE :

ADDISON & LEYEN LTD., CONCREST CORPORATION LTD., JOHN JOSEPH DIETRICH, JEANNETTE MARIE DIETRICH, ROFAMCO INVESTMENTS LTD., WILFRID DANIEL ROACH et HELEN ANN ROACH

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                                                                                              (intimés)

                                                                             et                

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA et

AGENCE CANADIENNE DES DOUANES ET DU REVENU

défenderesses

              (requérantes)

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE KELEN

[1]                La Cour statue sur une requête qui a été présentée par les défenderesses et qui a été instruite au cours de l'audience générale à Calgary, en vue d'obtenir une ordonnance radiant la présente demande de contrôle judiciaire de certaines cotisations fiscales au motif que la Cour fédérale n'a pas compétence pour accorder la réparation réclamée par les demandeurs. Les demandeurs font valoir que les cotisations devraient être annulées pour cause d'abus de la procédure administrative et de délai déraisonnable.


LES FAITS

[2]                En septembre 1989, les demandeurs Addison & Leyen Ltd., William Roach et Janet Dietrich ont vendu à un tiers toutes les actions qu'ils détenaient dans la société York Beverages (1968) Ltd. (York Beverages). En décembre 1992, le ministre du Revenu national (le ministre) a fait parvenir à York Beverages un avis de nouvelle cotisation pour son année d'imposition se terminant en 1989. L'impôt fixé dans la cotisation s'établissait à 3 247 074,05, intérêts et pénalités inclus. York Beverages a déposé un avis d'opposition à la cotisation en mars 1993.

[3]                En février 2001, le ministre a établi à l'égard des demandeurs des cotisations en vertu de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), modifiée (la Loi). Le ministre affirmait que, parce que le transfert des actions de York Beverages s'était effectué avec un lien de dépendance, les demandeurs étaient solidairement responsables du paiement de l'impôt dû par York Beverages qui, en 2001, s'élevait à 6 664 634,60 $ (ce qui comprenait 1 978 665,98 $ en impôts, 229 527,82 $ en pénalités et 4 456 440,80 $ en intérêts). Les demandeurs ont déposé des avis d'opposition en mai 2001. Le ministre n'a pas encore répondu aux avis d'opposition déposés par York Beverages ou par les demandeurs.


[4]                Les demandeurs ont déposé la présente demande de contrôle judiciaire le 2 février 2005. Ils sollicitent une ordonnance déclarant illicites les cotisations établies en vertu de l'article 160 ainsi que les mesures prises relativement aux cotisations ou, à titre subsidiaire, une ordonnance annulant les cotisations. Ils soutiennent que le délai de huit ans qui s'est écoulé avant que les cotisations ne soient établies en vertu de l'article 160 leur a causé un préjudice important et équivaut à un abus de procédure de la part du ministre. Les défenderesses affirment que l'avis de demande devrait être radié parce que c'est la Cour canadienne de l'impôt, et non la Cour fédérale, qui a compétence exclusive pour invalider une cotisation fiscale.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES DE LA LOI DE L'IMPÔT SUR LE REVENU

[5]                Voir l'annexe A.

CRITÈRE APPLICABLE EN MATIÈRE DE RADIATION D'ACTES DE PROCÉDURE

[6]                Le critère à appliquer en matière de radiation d'actes de procédure consiste à se demander s'il est évident et manifeste que la demande n'a aucune chance d'être accueillie (David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.)). L'avis de demande doit être radié si la Cour n'a pas compétence pour examiner l'affaire.

ANALYSE

Compétence de la Cour fédérale pour examiner les cotisations

[7]                La Cour fédérale tire sa compétence en matière de contrôle judiciaire des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch F-7. Bien que la compétence conférée par ces dispositions soit large, elle est circonscrite par l'article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales, qui dispose :


18.5 Par dérogation aux articles 18 et 18.1, lorsqu'une loi fédérale prévoit expressément qu'il peut être interjeté appel, devant la Cour fédérale, la Cour d'appel fédérale, la Cour suprême du Canada, la Cour d'appel de la cour martiale, la Cour canadienne de l'impôt, le gouverneur en conseil ou le Conseil du Trésor, d'une décision ou d'une ordonnance d'un office fédéral, rendue à tout stade des procédures, cette décision ou cette ordonnance ne peut, dans la mesure où elle est susceptible d'un tel appel, faire l'objet de contrôle, de restriction, de prohibition, d'évocation, d'annulation ni d'aucune autre intervention, sauf en conformité avec cette loi. (Non souligné dans l'original.)

18.5 Despite sections 18 and 18.1, if an Act of Parliament expressly provides for an appeal to the Federal Court, the Federal Court of Appeal, the Supreme Court of Canada, the Court Martial Appeal Court, the Tax Court of Canada, the Governor in Council or the Treasury Board from a decision or an order of a federal board, commission or other tribunal made by or in the course of proceedings before that board, commission or tribunal, that decision or order is not, to the extent that it may be so appealed, subject to review or to be restrained, prohibited, removed, set aside or otherwise dealt with, except in accordance with that Act (emphasis added).


[8]                Dans l'affaire AgustaWestland International Limited c. Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux et autres, 2004 CF 1545, je me suis penché sur la question de savoir s'il y avait lieu de radier la demande de contrôle judiciaire présentée par Agusta parce que le législateur a prévu un autre recours approprié qui s'appliquait manifestement au point que la demande de contrôle judiciaire n'avait aucune chance d'être accueillie. Voici ce que j'ai déclaré, aux paragraphes 39, 40 et 41 de cette décision :

39        Pour répondre à la question de savoir s'il existe en l'espèce un autre recours approprié, il convient de se référer au critère analysé par le juge Lemieux dans le jugement Telus Integrated Communications c. Canada (Procureur général), (2000) 192 F.T.R. 248, [2000] A.C.F. no 1263 (Q.L.), au paragraphe 41 :

[...] En ce qui concerne la présente requête en radiation, la question est de savoir si la doctrine de l'autre recours approprié s'applique manifestement au point que la demande de contrôle judiciaire de Telus n'a aucune chance d'être accueillie.


[40]          Dans le jugement Telus, la Cour emploie un critère à deux volets qui combine le critère de l'autre recours approprié élaboré par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561 (1979) 96 D.L.R. (3d) 14 et 18, et Canadien Pacifique Limitée c. Bande indienne de Matsqui et al., [1995] 1 R.C.S. 3, (1995) 122 D.L.R. (4th) 129, et le critère établi par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt David Bull, précité, en matière de radiation de demandes de contrôle judiciaire.

[41]          Suivant le principe de l'autre recours approprié, lorsqu'elle exerce son pouvoir discrétionnaire pour statuer sur une demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour fédérale doit refuser d'exercer sa compétence si le législateur fédéral a prévu un autre recours approprié. La Cour suprême a jugé que le principe de l'autre recours approprié s'applique même aux questions portant sur la compétence de l'autre juridiction d'appel créée par la Loi (Canadien Pacifique Limitée, précité, le juge en chef Lamer, aux paragraphes 31, 32, 33, 36 et 37).

[9]                Dans la présente requête en radiation, j'en arrive à la conclusion qu'il existe d'autres recours appropriés tant en ce qui concerne la validité de la cotisation que les allégations d'abus de pouvoir et de délai déraisonnable.

Droit d'appel en ce qui concerne la validité des cotisations

[10]            Aux termes de l'alinéa 169(1)b) de la Loi, le contribuable qui a signifié au ministre un avis d'opposition à une cotisation peut interjeter appel auprès de la Cour de l'impôt pour faire annuler ou modifier la cotisation. Le contribuable peut interjeter cet appel après l'expiration des 90 jours qui suivent la signification de l'avis d'opposition, si le ministre n'a pris aucune mesure au sujet de la cotisation. Dans l'arrêt Main Rehabilitation Co. Ltd. c. Sa Majesté la Reine, 2004 CAF 403, la Cour a statué que la question soumise à la Cour de l'impôt en appel porte sur la validité de la cotisation et non sur la procédure suivie pour l'établir. Ainsi que la Cour l'a déclaré au paragraphe 8 :


[...] Autrement dit, il ne s'agit pas de déterminer si les fonctionnaires de l'ADRC ont correctement exercé leurs pouvoirs, mais plutôt de déterminer si les montants pouvaient valablement être cotisés sous le régime de la Loi

[11]            La Cour a également expliqué que les contribuables peuvent s'adresser à d'autres tribunaux pour obtenir réparation pour la violation de leurs droits, notamment en ce qui concerne les droits que leur garantit la Charte. Vu ce qui précède, la Cour fédérale n'a donc pas compétence, en raison de l'article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales, pour statuer sur les demandes de contrôle judiciaire portant sur la validité d'une cotisation fiscale qui est susceptible d'appel à la Cour de l'impôt.

Abus de pouvoir et délai déraisonnable

[12]            Les demandeurs soutiennent que, même s'il ne lui est pas loisible d'examiner la validité des cotisations, notre Cour conserve néanmoins la compétence que la common law lui reconnaît pour statuer sur les plaintes portant sur des abus de pouvoir ou des délais déraisonnables. En d'autres termes, la Cour fédérale est l' « autre tribunal » auquel songeait la Cour d'appel dans l'arrêt Main, précité. À l'appui de cette thèse, ils citent l'arrêt de la Cour suprême du Canada Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, qui portait sur le retard qu'accusait le traitement d'une plainte en matière de droits de la personne. Bien que les juges majoritaires de la Cour aient tranché l'affaire en se fondant sur l'article 7 de la Charte, le juge LeBel, qui s'exprimait au nom de la minorité, a restreint son analyse aux principes de droit administratif. Voici ce qu'il dit, à la page 389 :


[...] La common law a toujours eu les délais en aversion. Dans notre régime de common law, la reconnaissance du rôle de surveillance par voie de mandamus que les cours de justice exercent sur les procédures administratives est perçue comme traduisant la possibilité de contraindre les fonctionnaires de l'État à faire leur devoir et, ce faisant, à éviter les délais dans le déroulement des procédures administratives

[...] Dans Re Preston [...] la Chambre des lords a précisé qu'il pouvait y avoir contrôle judiciaire de tout délai équivalant à un abus de pouvoir ou à un déni de justice naturelle [...] Le délai déraisonnable dans des procédures administratives met en jeu les droits de longue date que possèdent les personnes qu'il lèse, et il donne aux tribunaux une bonne raison d'intervenir pour remédier à toute injustice qui peut avoir été causée. Le point de vue qui a cours actuellement en Angleterre selon W. Wade et C. Forsyth, Administrative Law (7e éd. 1994), à la p. 649, est clair : [TRADUCTION] « Une obligation légale doit être exécutée sans délai déraisonnable, et pareille exécution peut être obtenue par voie de mandamus » (passage souligné par le juge LeBel).

[13]            L'arrêt de la Chambre des lords invoqué par le juge LeBel concernait une cotisation fiscale qui avait été établie d'une manière abusive et injuste.

[14]            Les demandeurs soutiennent que le rôle de surveillance que la common law a peu à peu reconnu aux tribunaux confère à notre Cour la compétence nécessaire pour examiner leur demande de contrôle judiciaire. Il y a quatre raisons pour lesquelles je n'accepte pas ce point de vue. En premier lieu, les réparations réclamées par les demandeurs dans la présente demande visent toutes l'annulation des cotisations établies en vertu de l'article 160. Plus particulièrement, les demandeurs réclament ce qui suit :

1.    Un jugement déclarant invalides et illicites les cotisations établies en vertu de l'article 160;

2.    Une ordonnance interdisant au ministre d'exécuter les cotisations établies en vertu de l'article 160;

3.    Une ordonnance annulant les cotisations établies en vertu de l'article 160;

4.    Une ordonnance renvoyant les cotisations établies en vertu de l'article 160 au ministre pour qu'il rende une nouvelle décision.


[15]       Ainsi que nous l'avons déjà signalé, c'est à la Cour de l'impôt et non à la Cour fédérale que le paragraphe 169(1) de la Loi confère le pouvoir de modifier ou d'annuler une cotisation en appel. Qui plus est, le paragraphe 152(8) de la Loi prévoit qu'une cotisation est réputée valide et exécutoire malgré « toute erreur, tout vice de forme ou toute omission dans cette cotisation ou dans toute procédure s'y rattachant en vertu de la présente loi » . Les défenderesses font valoir que cette disposition législative signifie que les cotisations sont valides et exécutoires même si l'Agence canadienne du revenu et/ou le ministre ont violé des principes d'équité, ont retardé indûment l'établissement de la cotisation et ont commis un abus de pouvoir administratif. Le législateur fédéral a expressément prévu qu'une cotisation ne peut être invalidée pour la seule raison que le fisc a commis des irrégularités en établissant la cotisation. Le libellé du paragraphe 152(8) est large; il englobe l'iniquité, le retard et l'abus dont les demandeurs se plaignent. Notre Cour n'a donc pas compétence pour invalider les cotisations comme le réclament les demandeurs dans leur avis de demande.

[16]       Cette conclusion trouve appui dans la jurisprudence récente de la Cour d'appel fédérale. Ainsi, dans l'arrêt Procureur général du Canada c. Webster, (2003), 312 N.R. 236, la Cour a jugé qu'un contribuable ne peut contester une cotisation par voie de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale en se fondant sur les irrégularités ayant pu entacher la procédure administrative suivie pour établir la cotisation. La juge Sharlow déclare ce qui suit, aux paragraphes 20 et 21 :


[20]        L'avocat de M. Webster a fait valoir que, si la Cour fédérale n'est pas compétente pour statuer sur la demande de contrôle judiciaire qu'entendait présenter M. Webster, son client sera privé d'un examen équitable de ses oppositions. Il est sans doute plus exact de dire que, une fois achevée la procédure d'opposition, M. Webster sera privé de la possibilité de soutenir devant la Cour fédérale, par demande de contrôle judiciaire, que le ministre a l'obligation de conduire équitablement la procédure d'opposition et que la procédure suivie dans son cas particulier n'a pas été équitable. Cependant, le législateur s'est exprimé sur cette matière. Quels que soient les vices ayant pu entacher la procédure d'opposition dans le cas de M. Webster, la décision qui a résulté de cette procédure ne peut être contestée que d'une seule manière, par un appel devant la Cour de l'impôt.                                    

[21] J'ajouterais que le droit d'interjeter appel à la Cour de l'impôt à l'encontre d'une cotisation n'est pas un droit négligeable. Le mandat de la Cour de l'impôt est de dire, à la suite d'un procès au cours duquel les deux parties auront la possibilité de produire des documents et des témoignages, si les cotisations visées par l'appel sont valides ou invalides en droit. Si les cotisations sont invalides en droit, il n'importera pas de savoir si la procédure d'opposition était viciée. Si elles sont valides, elles subsisteront quand bien même la procédure d'opposition serait viciée. (Non souligné dans l'original.)

[17]       La Cour d'appel précise bien qu'une demande de contrôle judiciaire portée devant la Cour fédérale ne constitue pas le moyen approprié de contester une cotisation fiscale pour cause d'iniquité procédurale, délai déraisonnable ou abus de pouvoir des autorités fiscales.

[18]       En deuxième lieu, les demandeurs disposent d'un autre droit d'appel qui leur permet d'obtenir réparation pour l'abus de procédure ou le délai déraisonnable dont ils se plaignent. En vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi, les demandeurs peuvent en effet s'adresser au ministre pour lui demander de renoncer à la totalité ou à une partie de quelque pénalité ou intérêt payable en application de la Loi. Les « dispositions d'équité » de l'article 220 visent à corriger les injustices subies par le contribuable. Ces dispositions se révèlent particulièrement utiles pour les demandeurs, car ils ont été condamnés à environ 4,7 millions de dollars en intérêts et pénalités. La décision prise par le ministre au sujet de l'application des dispositions d'équité en question est susceptible de faire l'objet d'un contrôle judiciaire devant notre Cour.


[19]       En troisième lieu, les demandeurs disposent également d'un droit d'action en dommages-intérêts devant notre Cour ou devant une cour supérieure provinciale pour cause de négligence ou d'abus de procédure de la part des fonctionnaires des autorités fiscales. Dans le jugement Obonsawyn c. R., 2004 CCI 3, le juge Miller s'est penché sur la question de savoir quel est le tribunal compétent auquel doit s'adresser le contribuable pour obtenir une réparation pour atteinte à ses droits. Le juge a estimé que la Cour supérieure de justice de l'Ontario pouvait accorder une réparation au contribuable pour le délit de droit privé d'abus de procédure ou d'abus de pouvoir. Le juge Miller déclare ce qui suit, au paragraphe 14 :

[TRADUCTION] [...] La possibilité d'intenter une action en responsabilité civile délictuelle pour abus de pouvoir permet de contrôler jusqu'à un certain point la conduite du gouvernement. Si le tribunal qui connaît de cette action en responsabilité civile délictuelle est d'avis que les dommages-intérêts appropriés devraient correspondre entièrement au montant exact d'impôt, sa décision devrait être structurée en conséquence. En pratique, une telle décision reviendrait à déclarer la cotisation nulle et non avenue.

[20]       Le juge Miller a expliqué que, bien que la Cour de l'impôt ait compétence exclusive pour statuer sur les questions fiscales de fond, la Cour supérieure de justice de l'Ontario est compétente pour examiner les demandes de dommages-intérêts de droit privé formulées dans le cadre d'actions en responsabilité civile délictuelle. Il dit ce qui suit au paragraphe 17 :

[TRADUCTION] La compétence de la Cour canadienne de l'impôt et celle de la Cour supérieure de justice de l'Ontario ne se chevauchent pas : les questions traitées par chacun de ces tribunaux sont séparées et distinctes.


[21]       De même, notre Cour aurait une compétence concurrente pour statuer sur une telle action en négligence visant à obtenir des dommages-intérêts. La demande dont la Cour est saisie en l'espèce ne vise toutefois pas à obtenir des dommages-intérêts sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle.

[22]       En quatrième lieu, les demandeurs pourraient saisir notre Cour d'une demande visant à obtenir un bref de mandamus enjoignant au ministre d'exercer le pouvoir que lui impose le paragraphe 165(3) de la Loi et d'adresser les avis d'opposition « avec diligence » . C'est le type de réparation auquel songeait le juge LeBel dans l'arrêt Blencoe, précité et la Chambre des lords dans l'affaire Re Preston, précitée. Le bref de mandamus est le type de contrôle judiciaire qui convient, eu égard aux circonstances de l'espèce, et non une demande visant à faire annuler les cotisations.

L'article 7 de la Charte

[23]       Les demandeurs soutiennent que l'administration fiscale enfreint les droits que leur garantit l'article 7 de la Charte. L'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés dispose :

Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.


[24]       En l'espèce, les demandeurs ne sont pas privés de leur droit à un procès équitable devant la Cour de l'impôt en ce qui a trait à leurs cotisations, à leur droit à un procès équitable prévu au paragraphe 220(3.1) de la Loi et à leur droit d'introduire une action en dommages-intérêts devant la Cour fédérale ou une cour supérieure provinciale pour négligence ou pour le délit d'abus administratif ou d'abus de procédure. La jurisprudence invoquée par les demandeurs portait sur la liberté de la personne et sur le droit d'une personne à ce qu'il ne soit pas porté atteinte à sa liberté sans avoir d'abord eu droit à un procès équitable. En l'espèce, les demandeurs ont droit à un procès équitable et ils avaient en fait le droit d'interjeter appel devant la Cour canadienne de l'impôt, droit dont ils ne se sont pas prévalus.

DISPOSITIF

[25]       Les demandeurs ne sont pas les premiers contribuables à reprocher à l'administration fiscale de ne pas les avoir traités équitablement, d'avoir indûment tardé à traiter leur cotisation fiscale et de s'être rendue coupable d'abus administratif à leur égard. Le législateur fédéral est conscient de ces plaintes et c'est la raison pour laquelle il a prévu au paragraphe 152(8) de la Loi qu'une cotisation est réputée valide et exécutoire malgré toute erreur, tout vice de forme ou toute omission dans cette cotisation ou dans toute procédure s'y rattachant. De plus, le législateur fédéral a prévu, à l'article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales, que la validité d'une cotisation ne peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale s'il existe un autre recours approprié. Lorsque le fisc agit de façon injuste, abusive ou déraisonnable, le contribuable dispose des réparations suivantes :

1.          appel de la cotisation devant la Cour canadienne de l'impôt;

2.          appel au ministre au motif que le contribuable a été traité de façon injuste, abusive ou déraisonnable, sur quoi le ministre a le pouvoir de renoncer à la totalité des pénalités et des intérêts payables par le contribuable. La décision du ministre saisi de cet appel peut à son tour faire l'objet d'une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale;


3.          action en dommages-intérêts fondée sur la négligence ou un abus de procédure des fonctionnaires de l'administration fiscale devant notre Cour ou une cour supérieure provinciale;

4.          demande de bref de mandamus devant notre Cour pour forcer le ministre à agir sans délai.

[26]       Pour ces motifs, notre Cour n'a pas compétence pour accorder la réparation sollicitée par les demandeurs dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire n'a aucune chance d'être accueillie et elle doit être rejetée.

DÉPENS

[27]       Compte tenu du temps que les défenderesses (la Couronne) ont laissé s'écouler en l'espèce avant d'établir les cotisations en vertu de l'article 160 et compte tenu de la frustration qui a incité les demandeurs à saisir notre Cour d'une demande de contrôle judiciaire, il ne convient pas, dans ces conditions, de condamner les demandeurs aux dépens.

                                       « Michael A. Kelen »                                                                                                       _______________________________

             JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 29 mars 2005

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


ANNEXE A

Dispositions législatives applicables tirées de la Loi de l'impôt sur le revenu


152. (8) Sous réserve des modifications qui peuvent y être apportées ou de son annulation lors d'une opposition ou d'un appel fait en vertu de la présente partie et sous réserve d'une nouvelle cotisation, une cotisation est réputée être valide et exécutoire malgré toute erreur, tout vice de forme ou toute omission dans cette cotisation ou dans toute procédure s'y rattachant en vertu de la présente loi.

152. (8) An assessment shall, subject to being varied or vacated on an objection or appeal under this Part and subject to a reassessment, be deemed to be valid and binding notwithstanding any error, defect or omission in the assessment or in any proceeding under this Act relating thereto.




160. (1) Lorsqu'une personne a, depuis le 1er mai 1951, transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d'une fiducie ou de toute autre façon à l'une des personnes suivantes :

[...]

c) une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance,

les règles suivantes s'appliquent :

d) le bénéficiaire et l'auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement d'une partie de l'impôt de l'auteur du transfert en vertu de la présente partie pour chaque année d'imposition égale à l'excédent de l'impôt pour l'année sur ce que cet impôt aurait été sans l'application des articles 74.1 à 75.1 de la présente loi et de l'article 74 de la Loi de l'impôt sur le revenu, chapitre 148 des Statuts revisés du Canada de 1952, à l'égard de tout revenu tiré des biens ainsi transférés ou des biens y substitués ou à l'égard de tout gain tiré de la disposition de tels biens;

e) le bénéficiaire et l'auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d'un montant égal au moins élevé des montants suivants :

(i) l'excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

(ii) le total des montants dont chacun représente un montant que l'auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l'année d'imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d'une année d'imposition antérieure ou pour une de ces années;

aucune disposition du présent paragraphe n'est toutefois réputée limiter la responsabilité de l'auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi.

160. (1) Where a person has, on or after May 1, 1951, transferred property, either directly or indirectly, by means of a trust or by any other means whatever, to

[...]

(c) a person with whom the person was not dealing at arm's length,

the following rules apply :

(d) the transferee and transferor are jointly and severally liable to pay a part of the transferor's tax under this Part for each taxation year equal to the amount by which the tax for the year is greater than it would have been if it were not for the operation of sections 74.1 to 75.1 of this Act and section 74 of the Income Tax Act, chapter 148 of the Revised Statutes of Canada, 1952, in respect of any income from, or gain from the disposition of, the property so transferred or property substituted therefor, and

(e) the transferee and transferor are jointly and severally liable to pay under this Act an amount equal to the lesser of

(i) the amount, if any, by which the fair market value of the property at the time it was transferred exceeds the fair market value at that time of the consideration given for the property, and

(ii) the total of all amounts each of which is an amount that the transferor is liable to pay under this Act in or in respect of the taxation year in which the property was transferred or any preceding taxation year,

but nothing in this subsection shall be deemed to limit the liability of the transferor under any other provision of this Act.



165. (3) Sur réception de l'avis d'opposition, le ministre, avec diligence, examine de nouveau la cotisation et l'annule, la ratifie ou la modifie ou établit une nouvelle cotisation. Dès lors, il avise le contribuable de sa décision par écrit.

165. (3) On receipt of a notice of objection under this section, the Minister shall, with all due dispatch, reconsider the assessment and vacate, confirm or vary the assessment or reassess, and shall thereupon notify the taxpayer in writing of the Minister's action.



169. (1) Lorsqu'un contribuable a signifié un avis d'opposition à une cotisation, prévu à l'article 165, il peut interjeter appel auprès de la Cour canadienne de l'impôt pour faire annuler ou modifier la cotisation :

[...]

b) après l'expiration des 90 jours qui suivent la signification de l'avis d'opposition sans que le ministre ait notifié au contribuable le fait qu'il a annulé ou ratifié la cotisation ou procédé à une nouvelle cotisation;

toutefois, nul appel prévu au présent article ne peut être interjeté après l'expiration des 90 jours qui suivent la date où avis a été expédié par la poste au contribuable, en vertu de l'article 165, portant que le ministre a ratifié la cotisation ou procédé à une nouvelle cotisation.

169. (1) Where a taxpayer has served notice of objection to an assessment under section 165, the taxpayer may appeal to the Tax Court of Canada to have the assessment vacated or varied after either

[...]

(b) 90 days have elapsed after service of the notice of objection and the Minister has not notified the taxpayer that the Minister has vacated or confirmed the assessment or reassessed,

but no appeal under this section may be instituted after the expiration of 90 days from the day notice has been mailed to the taxpayer under section 165 that the Minister has confirmed the assessment or reassessed.




220. (3.1) Le ministre peut, à tout moment, renoncer à tout ou partie de quelque pénalité ou intérêt payable par ailleurs par un contribuable ou une société de personnes en application de la présente loi, ou l'annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

220. (3.1) The Minister may at any time waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by a taxpayer or partnership and, notwithstanding subsections 152(4) to 152(5), such assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made as is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.




                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                             T-104-05

INTITULÉ :                            ADDISON & LEYEN LTD., CONCREST

CORPORATION LTD., JEANNETTE MARIE

DIETRICH, JOHN JOSEPH DIETRICH, HELEN

ANN ROACH, WILFRED DANIEL ROACH,

ROFAMCO INVESTMENTS LTD. c. SA

MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

et AGENCE CANADIENNE DES DOUANES ET DU REVENU

LIEU DE L'AUDIENCE :      CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :    LE 10 MARS 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :           LE 29 MARS 2005

COMPARUTIONS :

C.D. O'Brien, c.r. et Curtis Stewart                               POUR LES DEMANDEURS

William L. Softley et Marta Burns                                  POUR LES DÉFENDERESSES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bennett Jones srl                                                            POUR LES DEMANDEURS

Calgary (Alberta)


John H. Simms, c.r.                                                       POUR LES DÉFENDERESSES

Sous-procureur général du Canada

Bureau régional d'Edmonton


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                                                                                                                 Date : 20050329

                                                                                                                             Dossier : T-104-05

                                                                                                                                                           

ENTRE :

ADDISON & LEYEN LTD., CONCREST CORPORATION LTD., JOHN JOSEPH DIETRICH, JEANNETTE MARIE DIETRICH, ROFAMCO INVESTMENTS LTD., WILFRID DANIEL ROACH et HELEN ANN ROACH

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                                                                                              (intimés)

et                     

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA et

AGENCE CANADIENNE DES DOUANES ET DU REVENU

défenderesses

              (requérantes)

                                                                             

                                                                         

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                      


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