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Date : 20060119

Dossier : IMM-1092-05

Référence : 2006 CF 48

Toronto (Ontario), le 19 janvier 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE TREMBLAY-LAMER

ENTRE :

ELTON CECO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande présentée aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), en vue d'obtenir le contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) en date du 29 décembre 2004, dans laquelle la Commission a décidé que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger suivant les articles 96 et 97, respectivement.

[2]                Le demandeur, un citoyen de l'Albanie, demande l'asile en raison de ses opinions politiques publiquement affichées et de ses activités à l'encontre du gouvernement du Parti socialiste et en faveur du Nouveau parti démocratique ainsi qu'en raison de son appartenance à un groupe social, soit sa famille, y compris son père et son oncle, qui partagent les mêmes opinions politiques depuis de nombreuses années.

[3]                Le demandeur a été employé par les autorités gouvernementales en matière d'éducation comme professeur d'allemand entre le mois de septembre 2001 et le 17 avril 2002, date à laquelle il a été congédié.

[4]                Il allègue avoir été membre du Nouveau parti démocratique dès sa création en janvier 2001, au moment où ce groupe s'est scindé du Parti démocratique d'Albanie, jusqu'à ce qu'il quitte l'Albanie au mois d'août 2002. Il n'occupait aucun poste officiel dans le Nouveau parti démocratique; il était un membre ordinaire. Il allègue avoir participé aux élections de 2001 à titre d'observateur dans un bureau de vote, et qu'en raison de cette participation, il a été battu, arrêté et détenu par la police.

[5]                Le demandeur allègue que le 28 juillet 2002, il a reçu une sommation lui enjoignant de se présenter au poste de police local. Il déclare que c'est ce qui lui a fait prendre la décision de fuir le pays le 3 août 2002. Il est allé en Grèce, où il a séjourné deux mois avant de venir au Canada. Le 20 octobre 2002, le demandeur a présenté sa demande d'asile.

[6]                La Commission a jugé que l'allégation de harcèlement politique et de mauvais traitement du demandeur n'était pas crédible. La Commission a constaté des contradictions entre sa déclaration (rédigée dans le cadre de sa demande d'asile) et l'exposé contenu dans son FRP. Dans sa déclaration, le demandeur affirme que le fait qui l'a poussé à quitter l'Albanie en vue de demander l'asile était les menaces qui lui avaient été faites, directement ou par l'entremise de son père, à la suite d'une confrontation publique qui l'avait opposé à son député local après qu'il se fut plaint des politiques et des pratiques gouvernementales. Dans l'exposé contenu dans son FRP, le fait qui a poussé le demandeur à quitter l'Albanie en vue de demander l'asile était la sommation de police qu'il avait reçue à sa résidence le 8 juillet 2002. La sommation lui ordonnait de se présenter au poste de police local mais ne contenait aucune raison expliquant pourquoi elle avait été délivrée et n'indiquait pas à quelle heure il était attendu.

[7]                La Commission a fait référence à une preuve documentaire relative à la situation du pays d'origine citant des autorités du Nouveau parti démocratique disant [traduction] qu' « ils n'ont aucun problème de harcèlement à l'heure actuelle » . La Commission a déclaré qu'il n'y avait aucune preuve que des actes à caractère politique avaient été posés contre l'intégrité physique des membres du Nouveau parti démocratique.

[8]                La Commission a jugé que la sommation du 28 juillet 2002 ordonnant au demandeur de se présenter au poste de police local n'avait aucun lien avec ses allégations relatives à ses activités politiques ni avec les expériences relatées dans son FRP ou dans sa déclaration. Le demandeur allègue que la sommation a été livrée par la police et reçue par sa soeur à sa résidence, et qu'elle lui a été remise lorsqu'il est rentré à la maison. La sommation ne comportait aucun accusé de réception et il n'y a aucune preuve relative à une mesure quelconque de suivi qu'aurait prise la police après que le demandeur eut fait défaut de se présenter. De plus, la sommation ne contenait aucune explication des raisons pour lesquelles elle avait été délivrée, ni aucune information quant à la date ou à l'heure à laquelle il devait se présenter. Compte tenu de la preuve documentaire relative au traitement accordé aux membres du Nouveau parti démocratique et de la facilité avec laquelle de faux documents peuvent être obtenus en Albanie, la Commission n'a accordé aucune importance à la sommation. Elle ne croyait pas que la sommation était la raison pour laquelle le demandeur avait décidé de quitter l'Albanie.

[9]                La norme de contrôle applicable dans le cas de conclusions défavorables quant à la crédibilité du demandeur est la décision manifestement déraisonnable : Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N. R. 315 (C.A.F.); Sinnathamby c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 742 (1re inst.) (QL); N'Sungani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 2142 (C.F.) (QL).

[10]            Il est bien établi que la Commission n'est pas tenue de mentionner chacun des éléments de preuve dans ses motifs et qu'elle est présumée avoir pris en compte l'ensemble de la preuve : Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 946 (F.C.A.). Toutefois, si la Commission omet de mentionner dans ses motifs des éléments de preuve importants, la Cour peut en déduire qu'elle a rendu une décision sans examiner la totalité de la preuve. La Commission est d'autant plus tenue de s'expliquer que les éléments de preuve en question sont importants relativement aux faits contestés : Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (1re inst.).

[11]            Le demandeur soutient que le rapport médical corrobore un cas de persécution majeure, décrit dans l'exposé contenu dans son FRP, où la police l'aurait battu puis placé en détention parce qu'il s'était plaint d'irrégularités électorales le 8 juillet 2001. Le demandeur affirme qu'il a été hospitalisé pendant deux jours en conséquence de la volée de coups qu'il a reçus. Le rapport médical est assez concis mais mentionne que le demandeur a souffert de « contuso corporis » , et qu'il a été traité à l'hôpital entre le 9 et le 11 juillet 2001.

[12]            À mon avis, le rapport médical est très pertinent et la Commission aurait dû le mentionner dans les motifs de sa décision. Les dates de traitement dans le rapport médical sont contemporaines de la raclée et de la détention que le demandeur allègue avoir subies. Même si le rapport est concis et ne précise pas la cause des blessures, il ne revient pas à la Cour de juger de sa fiabilité ou de l'importance à lui accorder. Il revient cependant à la Commission, étant donné sa grande pertinence et sa nature corroborative, de formuler des commentaires sur le rapport et d'expliquer pour quelles raisons on devrait lui accorder beaucoup, peu ou pas d'importance.

[13]            Le demandeur affirme que la Commission n'a accordé aucune importance à la sommation de police en raison de plusieurs conclusions défavorables qu'elle a tirées au sujet du document. La Commission a tiré une conclusion défavorable en se fondant sur l'absence de preuve documentaire quant au suivi donné par la police lorsqu'il a fait défaut de se présenter tel que requis et quant à l'absence d'information relative aux raisons pour lesquelles il avait été délivré et à l'heure à laquelle il devait de présenter.

[14]            Le demandeur soutient qu'en se fondant sur l'ensemble de la preuve, la Commission aurait dû comprendre clairement qu'il n'était nullement susceptible de recevoir des documents l'informant des mesures prises par la police par suite de son défaut de comparaître, puisqu'il s'est enfui de l'Albanie dans les jours suivant la réception de la sommation. Le demandeur soutient aussi que la Commission n'a fourni aucune preuve portant que les sommations de police albanaises donnent normalement les raisons pour lesquelles elles sont délivrées ou l'heure à laquelle il faut se présenter. Il n'y avait donc pas de preuve suffisante pour justifier sa conclusion.

[15]            Il était loisible à la Commission de tirer une conclusion défavorable au sujet de l'absence de suivi de la part de la police, mais je ne peux être d'accord avec sa conclusion selon laquelle aucune importance ne devrait être accordée à la sommation parce qu'il n'y avait pas d'accusé de réception, de motifs ou d'heure. La Commission est un tribunal spécialisé ayant des compétences spécialisées. S'il existe une preuve que les sommations de police en Albanie contiennent certains renseignements, alors elle doit le dire clairement et en des termes non équivoques. Il ne suffit pas d'expliquer de manière générale qu'il est facile d'obtenir de faux documents en Albanie.

[16]            Ces erreurs sont assez importantes pour rendre la décision de la Commission manifestement déraisonnable.

[17]            Pour ces raisons, le demande contrôle judiciaire sera accueillie. L'affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu'il rende une nouvelle décision.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.          L'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu'il rende une nouvelle décision.

« Danièle Tremblay-Lamer »

JUGE

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-1092-05

INTITULÉ :                                                    ELTON CECO

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 18 JANVIER 2006

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LA JUGE TREMBLAY-LAMER

DATE DES MOTIFS :                                   LE 19 JANVIER 2006

COMPARUTIONS :

L. J. Cuddy pour :

Robert Gertler                                                   POUR LE DEMANDEUR

Deborah Drukarsh                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ROBERT GERTLER AND

ASSOCIATES

Etobicoke (Ontario)                                           POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)                                            POUR LE DÉFENDEUR

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