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Date : 20050831

Dossier : IMM-997-05

Référence : 2005 CF 1192

ENTRE :

JASWINDER KAUR

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HUGHES

[1]                La demanderesse Jaswinder Kaur sollicite le contrôle judiciaire de la décision d'une conseillère de la Section de l'immigration du Haut-commissariat du Canada à New Delhi, en Inde. Cette décision, datée du 15 décembre 2004, rejetait la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire (la demande CH)d'octroyer à la demanderesse le statut de résidente permanente au Canada, ou de lever tout ou partie des critères ou obligations applicables, le tout en application du paragraphe 25(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.


[2]                La demanderesse est née en Inde en 1963. Elle est, et a toujours été citoyenne de ce pays. La demanderesse s'est mariée en Inde avec un Indien, dont elle a eu deux fils nés en Inde, l'un en 1987 et l'autre en 1989. Le mari de la demanderesse est décédé dans un accident ferroviaire en 1989. Par la suite, la demanderesse a vécu avec sa belle-soeur en Inde, toutes deux recevant une aide financière régulière en provenance de membres de la famille vivant au Canada.

[3]                La belle-soeur de la demanderesse est récemment venue au Canada rejoindre sa famille, laissant la demanderesse seule en Inde. Cette dernière continue à dépendre financièrement de la famille de son mari qui vit au Canada. La demanderesse et ses enfants ne sont jamais venus au Canada.

[4]                Dans une lettre datée du 1er octobre 2004, les avocats de la demanderesse ont présenté une demande au Haut-commissariat du Canada en Inde, visant à obtenir la résidence permanente pour la demanderesse et, vraisemblablement, que pour ses enfants, par l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 25(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Un certain nombre de documents, parmi lesquels on trouve un affidavit de la demanderesse, ont été présentés à l'appui de la demande. La demanderesse n'a pas été reçue en entrevue.


[5]                La demande a été rejetée. Dans une lettre en provenance d'une conseillère (Immigration) de la Section de l'immigration du Haut-commissariat du Canada en Inde, on informait la demanderesse que :

[traduction]

J'ai conclu qu'il n'y a pas de raisons d'ordre humanitaire justifiant de vous octroyer le statut de résidente permanente ou de lever tout ou partie des critères ou obligations fixés par la Loi.

En conséquence, je rejette votre demande de traiter votre dossier en vertu de la disposition pertinente de la Loi.

[6]                Suite à une demande ultérieure présentée par les avocats de la demanderesse, les notes pertinentes, versées au Système de traitement informatisé des dossiers d'immigration (STIDI) et rédigées par la conseillère, ont été transmises avec une indication qu'elles faisaient partie des motifs de la décision. Voici les extraits pertinents de ces notes :

[traduction]

Examen CH

Bien que tous les membres de la belle-famille de l'IP soient au Canada, cette dernière demeure dans la maison familiale au Pendjab. Qu'elle reste en Inde avec ses enfants ou qu'ils viennent au Canada, ils demeurent à la charge de la famille. Je constate que les parents de l'IP ne peuvent l'appuyer financièrement, ce qui ne semble pas nécessaire, mais tous ses parents vivants habitent le même district de Ludhiana (sa mère, un frère et trois soeurs). Il est très improbable qu'ils ne puissent assurer l'IP et ses fils d'un soutien affectif. Par conséquent, je ne suis pas convaincue que la l'IP et ses fils sont « maintenant seuls en Inde » .

Je ne suis pas convaincue de l'existence de raisons d'ordre humanitaire suffisantes pour justifier que la demanderesse soit exemptée des critères prévus par la Loi. J'ai aussi tenu compte de l'intérêt supérieur des enfants et je suis convaincue que le fait de demeurer en Inde ne leur portera pas préjudice.

Dossier rejeté.

[7]                Suite à cette décision, la présente demande de contrôle judiciaire a été déposée. Dans le cadre de cette demande, la conseillère a déposé un affidavit expliquant la façon dont elle était arrivée à sa décision et elle a été contre-interrogée sur cet affidavit.


LES QUESTIONS EN LITIGE

[8]                Dans son mémoire additionnel des faits et du droit, la demanderesse soulève quatre questions :

a)                   L'agente a-t-elle commis une erreur de droit en n'appréciant pas de façon appropriée toute la preuve?

b)                   L'agente a-t-elle porté atteinte aux droits de la demanderesse à la justice naturelle en s'appuyant sur des éléments de preuve extrinsèques, sans lui donner une occasion de présenter son point de vue?

c)                                           L'agente a-t-elle commis une erreur de droit en procédant à une appréciation inadéquate de l'intérêt supérieur des enfants de la demanderesse?

d)                   L'agente a-t-elle commis une erreur de droit en exprimant des doutes sur la preuve, sans motif suffisant?

[9]                À l'audience, les questions en litige ont été ramenées à trois :

1.          Quel est le degré de retenue judiciaire applicable à une décision rendue par un représentant du ministre lors d'une demande CH présentée à l'extérieur du Canada par une personne qui n'est jamais venue au Canada?

2.          L'agente a-t-elle manqué à l'équité procédurale en n'accordant pas à la demanderesse une occasion de réagir à ses conclusions selon lesquelles il était très improbable que les parents de la demanderesse ne lui accordent pas un soutien affectif?


3.          L'agente a-t-elle tenu compte de façon adéquate de l'intérêt supérieur des enfants et a-t-elle suffisamment traité de cet aspect dans ses motifs?

ANALYSE

[10]            La première question à trancher est celle du degré de retenue judiciaire applicable à une décision rendue par un représentant du ministre dans le cadre d'une demande CH présentée en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, particulièrement lorsque cette demande est présentée à l'extérieur du Canada et que le demandeur n'est jamais venu au Canada. Le paragraphe 25(1) est rédigé comme suit :

25. (1) Le ministre doit, sur demande d'un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s'il estime que des circonstances d'ordre humanitaire relatives à l'étranger -- compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché -- ou l'intérêt public le justifient.

[11]            Il est clair que les raisons d'ordre humanitaire (CH) doivent être traitées de façon différente en vertu de la Loi. Comme l'a déclaré le juge Décary au nom de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Legault c. Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2002), 212 D.L.R. (4th) 139 (C.A.F.), au paragraphe 17 :

17             Le Parlement a choisi, au paragraphe 114(2), de restreindre l'exercice de la discrétion aux seuls cas où il existe des raisons d'ordre humanitaire. Une fois ces raisons établies, le ministre peut accorder la dispense, mais il peut aussi ne pas l'accorder. C'est l'essence même de sa discrétion, laquelle s'exerce dans le contexte général des lois et politiques canadiennes d'immigration. Le ministre peut ne pas accorder la dispense quand il est d'avis que des considérations d'intérêt public l'emportent sur les raisons d'ordre humanitaire.

et, plus récemment, par la juge de Dawson de notre Cour dans la décision Ngo c. Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1150, au paragraphe 47 :


47 Pour examiner ces prétentions, je pars du principe selon lequel l'obligation d'agir équitablement n'est pas absolue, mais qu'elle varie plutôt selon le contexte. Dans le contexte de la présente affaire, certains facteurs tendent à limiter le contenu de l'obligation d'agir équitablement, soit l'absence de droit découlant de la loi d'être admis pour des raisons d'ordre humanitaire, le fardeau d'un demandeur d'établir les critères touchant les raisons d'ordre humanitaire et le fait qu'aucun avantage n'a été retiré à un demandeur. Compte tenu de ces facteurs limités, je vais maintenant examiner la jurisprudence citée par les parties.

[12]            Plus récemment encore, voici ce qu'a déclaré le juge Martineau de notre Cour dans la décision Dhillon c. Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1067, aux paragraphes 17 et 18 :

[17] Le défendeur soutient que, compte tenu de la nature de l'enquête sur les considérations d'ordre humanitaire, de son rôle d'exception dans le régime législatif, du fait que le décideur soit le ministre, même s'il délègue cette responsabilité à un agent, et du pouvoir discrétionnaire très large qui lui est accordé, comme l'indique le libellé du paragraphe 25(1) de la Loi et les lignes directrices ministérielles, les tribunaux doivent faire preuve d'une grande retenue à l'égard des décisions prises par les agents lorsqu'ils exercent le pouvoir délégué de prendre des décisions fondées sur des considérations d'ordre humanitaire. C'est pourquoi le défendeur soutient que la norme de contrôle applicable à ces décisions est celle de la décision raisonnable simpliciter. À l'appui de cette affirmation, le défendeur cite l'arrêt Baker, précité. L'avocate du demandeur ne conteste pas l'affirmation qui précède. Je souscris à l'affirmation du défendeur.

[18] L'analyse qui précède ne s'applique pas à la question du caractère adéquat des motifs de la décision. Cette question doit s'apprécier en fonction de son bien-fondé sans faire référence à la notion de norme de contrôle.

[13]            Par conséquent, lorsqu'on contrôle la décision du représentant du ministre qui a traité un dossier fondé sur des raisons d'ordre humanitaire, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable simpliciter, étant donné que la décision est discrétionnaire et que l'obligation d'équité n'est pas absolue.


[14]            La deuxième question à trancher consiste à savoir si l'agente, étant arrivée à la conclusion qu'il était très improbable que la famille de la demanderesse résidant en Inde ne lui accorde pas un soutien affectif, aurait dû donner avis de cette conclusion à la demanderesse et lui offrir une occasion de la réfuter.

[15]            Il ressort clairement de l'affidavit et du contre-interrogatoire de l'agente qu'elle est arrivée à cette conclusion à partir de son expérience et de sa formation générales quant à ces questions en Inde, et non à partir d'une source spécifique ou d'un document donné. Voici ce que déclare l'agente au paragraphe 14 de son affidavit :

[traduction]

J'ai particulièrement tenu compte du fait que l'absence de soutien affectif serait contraire aux coutumes de cette société où les liens sont très étroits. Au Pendjab, les filles qui se marient conservent normalement des liens étroits avec leurs propres parents ainsi qu'avec leurs frères et soeurs, même s'ils vivent au domicile familial de leur conjoint. Les familles appuient fortement leurs filles qui perdent leur mari. Même lorsque les parents ainsi que les frères et soeurs ne peuvent subvenir aux besoins financiers de leur fille mariée, à cause de leur propre situation, les liens familiaux sont normalement forts. On ne m'a pas présenté une preuve suffisante pour démontrer que Mme Kaur n'avait pas de tels liens avec sa famille, même si sa famille ne pouvait offrir un soutien financier à la demanderesse et à ses fils.

[16]            En contre-interrogatoire sur le paragraphe 14, précité, l'agente a répondu comme suit :

[traduction]

Q.          Diriez-vous que vos commentaires dans ce paragraphe se fondent sur vos propres observations?

R.          Non seulement mes propres observations, mais aussi ma formation. Tous les agents qui viennent travailler à Delhi reçoivent l'ordre [...] arrivés à Delhi, nous avons deux semaines de formation portant sur le droit indien, les coutumes, les traditions et les différences sociales, ainsi que sur les divers régimes juridiques qui régissent les mariages, l'adoption et [...] donc, nous avons une formation très approfondie lorsque nous arrivons là.

Et puis j'ai aussi deux années d'expérience à traiter de dossiers dans cette société.

De plus, j'étais entourée par plusieurs membres du personnel qui étaient Indiens et à qui je pouvais poser des questions quant à leurs traditions et à leurs coutumes.

Donc, ce n'est pas seulement mes observations, c'est toute la formation que j'ai reçue et les questions que j'ai posées.

Q.             D'accord. Donc, dans la formation, y a-t-il de la documentation sur les coutumes ou bien recevez-vous cette information oralement?

R.             Oralement et aussi par de la documentation écrite, oui.

Q.             Vous rappelez-vous de quelle sorte de documentation écrite il s'agit?


R.             C'est un très gros cartable qui nous est fourni, portant spécialement sur le droit relatif au mariage en Inde, sur l'adoption et sur la garde des enfants. Je dirais qu'en général nous recevons un cartable de quatre pouces d'épaisseur lors de notre formation.

Q.             D'accord. Et on trouve des renseignements au sujet des coutumes dans ce cartable, n'est-ce pas?

R.             Oui, ainsi que plusieurs ouvrages sur les mariages sikhs, sur les coutumes de la communauté sikh et sur le sikhisme.

[17]            Par conséquent, la preuve démontre que l'agente s'est appuyée sur ses connaissances générales, sur sa formation et sur son expérience pour arriver à ses conclusions, et non sur une information précise ou une preuve obtenue à l'extérieur de ce contexte.

[18]            Il est clair que, si l'agente avait obtenu ce qu'on a appelé dans certaines affaires des « éléments de preuve extrinsèques » et les avait utilisés dans sa décision, le fait de ne pas avoir saisi la demanderesse de cette preuve et de ne pas lui avoir accordé l'occasion de présenter son point de vue à ce sujet constituerait un manquement à l'équité procédurale et fournirait un motif d'annulation de la décision au moment du contrôle judiciaire. C'est ce qui est arrivé dans l'affaire Ngo, précitée (paragraphes 53 à 59), où l'agent avait apparemment discuté avec l'interprète après l'audience afin de déterminer la nature de certains documents déposés en preuve.

[19]            Dans la décision Sorkhabi c. Canada (Secrétaire d'État), [1994] A.C.F. no 1976, une des questions soulevées portait sur l'impact de la fécondation in vitro d'une femme en Iran. L'agente a utilisé un article de journal à ce sujet, lequel donnait à penser qu'il y aurait peu d'impact, sans donner à la demanderesse l'occasion de réagir. La décision a été annulée.


[20]            L'expression « éléments de preuve extrinsèques » est généralement utilisée pour qualifier des éléments de preuve spécifiques qui n'ont pas été portés à l'attention du demandeur, mais qui sont utilisés pour contredire une preuve soumise au tribunal. Comme le déclare le juge Rothstein (maintenant juge à la Cour d'appel fédérale), dans la décision Dasent c. Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 720 (1re inst.), aux pages 730 et 731 :

L'expression « éléments de preuve extrinsèques » se rapporte habituellement à des documents ambigus. Dans ce contexte, les éléments de preuve extrinsèques se composent de déclarations, de faits ou de circonstances qui n'apparaissent pas à la lecture du document ou dont celui-ci ne fait pas mention, mais qui ont pour but d'expliquer, de modifier ou de contredire celui-ci. La présentation de ce type de preuve n'est pas souvent autorisée. Dans le cas qui nous occupe, compte tenu de l'utilisation par le juge Hugessen des mots « qui ne lui sont pas fournis par le requérant » à l'égard de l'expression « éléments de preuve extrinsèques » et de son renvoi à l'affaire Muliadi , j'interprète l'expression « éléments de preuve extrinsèques qui ne lui sont pas fournis par la partie requérante » comme des éléments de preuve dont la partie requérante n'est pas au courant parce qu'ils proviennent d'une source extérieure. Il s'agit d'éléments de preuve dont la partie requérante ignore l'existence et que l'agent d'immigration a l'intention d'invoquer pour en arriver à une décision touchant cette partie. [...]

[21]            Toutefois, si l'agent s'appuie sur son expérience, sur ses connaissances et sur sa formation pour arriver à une conclusion, et non sur un élément de preuve spécifique, il n'a pas l'obligation de présenter ses conclusions au demandeur avant d'arriver à sa décision. Comme il est dit aux pages 727 et 728 de la décision Dasent, précitée :

La décision la plus récente que je connaisse au sujet de l'équité sur le plan de la procédure en ce qui a trait aux demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire est l'affaire Shah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] F.C.J. no 1299 (C.A.) (QL). Dans cette affaire, le juge Hugessen, J.C.A., mentionne que l'obligation d'équité lors de l'examen des demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire aux termes du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 102)] est minime. Selon le juge Hugessen, aucune audience n'est nécessaire et l'agent n'est pas tenu de donner de motifs.

Le juge Hugessen précise que l'obligation d'équité existe seulement dans les cas où l'agent d'immigration se fonde sur « des éléments de preuve extrinsèques qui ne lui sont pas fournis par le requérant » , auxquels cas celui-ci doit avoir la chance d'y répondre. Voici comment il s'exprime à la page 2 du jugement :


L'agente n'a pas l'obligation d'exposer au requérant les conclusions éventuelles qu'elle est susceptible de tirer des éléments dont elle dispose, ni même les éléments en apparence contradictoires qui sèment le doute dans son esprit. Si elle entend se fonder sur des éléments de preuve extrinsèques qui ne lui sont pas fournis par le requérant, elle doit bien sûr lui donner l'occasion d'y répondre. Toutefois, lorsqu'elle décèle l'existence d'éléments contradictoires, son omission de les porter expressément à l'attention du requérant peut avoir une incidence sur le poids qu'elle doit leur accorder par la suite, mais ne porte pas atteinte au caractère équitable de sa décision. [Notes en bas de page omises; le souligné n'est pas dans l'original.]

[22]            Dans l'affaire dont la Cour est maintenant saisie, on n'a pas laissé entendre qu'il y avait des « éléments de preuve extrinsèques » , du genre dont il est question dans cette jurisprudence, qui auraient été soumis à l'agente ou dont elle aurait tenu compte en arrivant à la décision contestée. Comme le déclare le juge Hugessen (alors juge à la Cour d'appel fédérale) dans l'arrêt Shah, précité, l'agente n'a pas l'obligation d'exposer au requérant les conclusions éventuelles qu'elle est susceptible de tirer des éléments dont elle dispose, ou même les éléments en apparence contradictoires qui sèment le doute dans son esprit.

[23]            Par conséquent, l'agente n'a posé aucun geste contraire à l'équité procédurale en ne donnant pas avis à la demanderesse de ses conclusions quant à la capacité de sa famille en Inde de lui fournir un soutien affectif, non plus que l'occasion de présenter son point de vue à ce sujet.

[24]            La troisième question consiste à savoir si l'agente a tenu compte de façon adéquate de l'intérêt supérieur des enfants de la demanderesse et si elle a suffisamment traité de cet aspect dans ses motifs.

[25]            Il n'y a pas de doute que l'on trouve ceci dans les notes du STIDI, lesquelles font partie des motifs :


[traduction]

[...] J'ai aussi tenu compte de l'intérêt supérieur des enfants et je suis convaincue que le fait de demeurer en Inde ne leur portera pas préjudice.

[26]            L'avocate de la demanderesse fait ressortir que l'agente avait à sa disposition de la documentation fournie par les avocats de la demanderesse au sujet de ses enfants, y compris une lettre en provenance du sarpanch (l'équivalent d'un maire ou d'un chef coutumier) du village, où l'on trouve ceci :

[traduction]

Ils se sentent également seuls et privés de son amour et de son affection, puisque leur tante maternelle [...] avait adopté le rôle du père. Ils sont maintenant déprimés parce qu'elle est partie au Canada.

Et une lettre d'un hôpital où les enfants sont, semble-t-il, traités régulièrement :

[traduction]

Depuis qu'ils ont perdu leur père, ils semblent être soumis à un grand stress psychologique.

[27]            Dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la Cour suprême du Canada déclare que, dans des circonstances semblables aux présentes, le décideur doit être « réceptif, attentif et sensible » à l'intérêt supérieur des enfants. Voici ce que dit à ce sujet la juge L'Heureux-Dubé, au nom de la Cour, au paragraphe 75 :

75       La question certifiée demande s'il faut considérer l'intérêt supérieur des enfants comme une considération primordiale dans l'examen du cas d'un demandeur sous le régime du par. 114(2) et du règlement. Les principes susmentionnés montrent que, pour que l'exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l'intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. Cela ne veut pas dire que l'intérêt supérieur des enfants l'emportera toujours sur d'autres considérations, ni qu'il n'y aura pas d'autres raisons de rejeter une demande d'ordre humanitaire même en tenant compte de l'intérêt des enfants. Toutefois, quand l'intérêt des enfants est minimisé, d'une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable.


[28]            L'affidavit de l'agente qui a rendu la décision, après avoir fait état de la lettre du sarpanch et de celle de l'hôpital, déclare ceci au sujet des enfants :

[traduction]

10.            Au moment où j'ai examiné cette note, j'ai conclu qu'elle indiquait que les enfants se rendent à cet hôpital en tant que patients pour y obtenir des traitements médicaux et que, depuis le décès de leur père, ils semblent être soumis à un grand stress psychologique. Aucun autre détail ne m'a été fourni. J'ai aussi tenu compte du fait que Mme Kaur n'avait pas indiqué, à l'annexe 1 de sa demande (page 10 du dossier certifié du tribunal), qu'elle, ou un des membres de sa famille, avait, ou avait déjà eu, un problème sérieux de nature physique ou mentale.

11.            J'ai aussi noté qu'à l'époque du décès de leur père, Satpal n'était pas encore né et Gurshinder n'avait que deux ans. Bien que je reconnaisse qu'ils ont grandi sans leur père, leur mère s'est occupée d'eux et ils ont toujours vécu avec elle depuis leur naissance. J'ai aussi noté que les enfants font des études normales. Les certificats scolaires des enfants indiquent qu'en 2003 Gurshinder était étudiant dans la classe X et Satpal dans la classe IX. J'ai noté que Mme Kaur n'a fourni aucun autre renseignement au sujet de ses enfants. En examinant l'intérêt supérieur des deux enfants de Mme Kaur, j'étais convaincue, et je demeure convaincue, que le fait de demeurer en Inde ne leur causerait pas un préjudice.

[29]            Par conséquent, je suis convaincu que l'agente était « réceptive, attentive et sensible » à l'intérêt des enfants et qu'elle en a tenu compte de façon adéquate.

[30]            La dernière question consiste à savoir si l'agente a, dans ses motifs, suffisamment décrit son examen de l'intérêt des enfants. Dans l'arrêt Baker, précité, la Cour suprême du Canada a déclaré qu'il était nécessaire de fournir des motifs, les notes de l'agent suffisant toutefois à répondre à cette exigence. Voici ce que la Cour déclare aux paragraphes 37, 43 et 44 :

37       Plus généralement, la common law a traditionnellement reconnu que l'obligation d'équité n'exige pas, en règle générale, que les décisions administratives soient motivées [...]


43       À mon avis, il est maintenant appropriéde reconnaître que, dans certaines circonstances, l'obligation dquité procédurale requerra une explication écrite de la décision. Les solides arguments démontrant les avantages de motifs écrits indiquent que, dans des cas comme en l'espèce oùla décision revêt une grande importance pour l'individu, dans des cas où il existe un droit d'appel prévu par la loi, ou dans d'autres circonstances, une forme quelconque de motifs écrits est requise. Cette exigence est apparue dans la common law ailleurs. Les circonstances de l'espèce, à mon avis, constituent l'une de ces situations oùdes motifs écrits sont nécessaires. L'importance cruciale d'une décision d'ordre humanitaire pour les personnes visées, comme celles dont il est question dans les arrêts Orlowski, Cunningham et Doody, milite en faveur de l'obligation de donner des motifs. Il serait injuste à lgard d'une personne visée par une telle décision, si essentielle pour son avenir, de ne pas lui expliquer pourquoi elle a étéprise.

44       J'estime, toutefois, que cette obligation a été remplie en l'espèce par la production des notes de l'agent Lorenz à l'appelante. Les notes ont étéremises à Mme Baker lorsque son avocat a demandédes motifs. Pour cette raison, et parce qu'il n'existe pas d'autres documents indiquant les motifs de la décision, les notes de l'agent subalterne devraient être considérées, par déduction, comme les motifs de la décision. L'admission de documents tels que ces notes comme motifs de la décision fait partie de la souplesse nécessaire, ainsi que l'ont souligné Macdonald et Lametti, loc. cit., quand des tribunaux évaluent les exigences de l'obligation dquité tout en tenant compte de la réalitéquotidienne des organismes administratifs et des nombreuses façons d'assurer le respect des valeurs qui fondent les principes de lquité procédurale. Cela confirme le principe selon lequel les individus ont droit à une procédure équitable et à la transparence de la prise de décision, mais reconnaît aussi qu'en matière administrative, cette transparence peut être atteinte de différentes façons. Je conclus qu'en l'espèce les notes de l'agent Lorenz remplissent l'obligation de donner des motifs en vertu de l'obligation dquitéprocédurale, et qu'elles seront considérées comme les motifs de la décision.

[31]            Il n'y a pas de doute qu'une « simple mention » des enfants ne suffit pas, comme l'a déclaré la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Legault, précité, au paragraphe 13 :

[...]

Question 2

2. La simple mention des enfants suffit-elle pour le respect des exigences de l'arrêt Baker, supra?

Réponse : Non. La simple mention des enfants ne suffit pas. L'intérêt des enfants est un facteur qui doit être examiné avec soin et soupesé avec d'autres facteurs. Mentionner n'est pas examiner et soupeser.

[32]            Il n'y a pas non plus de doute qu'une « déclaration générale » portant que l'agent « a examiné l'ensemble de la preuve » n'est pas suffisante. Dans la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1425; IMM-596-98, le juge Evans (maintenant juge à la Cour d'appel fédérale) déclare ceci, au paragraphe 17 :


17       Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examiné l'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n'a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l'organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu'elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d'inférer que l'organisme n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

[33]            On trouve ici plus qu'une « simple mention » de l'intérêt des enfants et la déclaration que l'on trouve dans les motifs n'est pas simplement une déclaration générale. L'agente n'était pas tenue d'énoncer dans ses motifs chacun des éléments de preuve qu'on lui avait présenté et de se livrer à une analyse quant à savoir si cet élément était accepté ou rejeté et pourquoi on lui avait donné tel poids plutôt que tel autre. Les motifs suffisent à démontrer qu'elle était « réceptive, attentive et sensible » à l'intérêt des enfants.

CONCLUSION

[34]            En conséquence, je conclus qu'il n'y a pas de fondement suffisant pour annuler la décision soumise au contrôle. La demande sera rejetée. Il n'y aura pas d'ordonnance quant aux dépens.


[35]            On a demandé aux avocates si elles désiraient présenter une question à certifier et elles ont déclaré qu'il n'y en avait pas. Je conclus qu'il n'y a pas de question à certifier.

« Roger T. Hughes »

                                                                                                                                                   Juge                            

Toronto (Ontario)

Le 31 août 2005

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                           IMM-997-05

INTITULÉ :                                                                            JASWINDER KAUR

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                    LE 24 AOÛT 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                                       LE JUGE HUGHES

DATE DES MOTIFS :                                                           LE 31 AOÛT 2005

COMPARUTIONS :

Leigh Salzberg                                                              POUR LA DEMANDERESSE

Matina Karvellas                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates                                                              POUR LA DEMANDERESSE

Avocats

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


Date : 20050831

Dossier : IMM-997-05

Toronto (Ontario), le 31 août 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGHES

ENTRE :

JASWINDER KAUR

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE

VU LA DEMANDE présentée devant moi ce jour pour obtenir l'annulation de la décision d'une conseillère de la Section de l'immigration du Haut-commissariat du Canada à la New Delhi, en Inde, datée du 15 décembre 2004, par laquelle la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire d'octroyer à la demanderesse le statut de résidente permanente au Canada, ou de lever tout ou partie des critères ou obligations applicables, en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, a été rejetée;

ET APRÈS avoir examiné les dossiers, l'affidavit, la transcription du contre-interrogatoire et les arguments écrits présentés en l'espèce;


           ET APRÈS avoir entendu l'avocate de chacune des parties, le jugement ayant été mis en délibéré jusqu'à ce jour.

LA COUR ORDONNE :

[1]         La présente demande est rejetée;

[2]         Il n'y a pas de question à certifier;

[3]         Il n'y a pas d'ordonnance quant aux dépens.

« Roger T. Hughes »

                                                                                                                                                     Juge                              

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.

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