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Date : 20050324

Dossier : IMM-7490-04

Référence : 2005 CF 416

ENTRE :

                                     PROENCA VICTOR FRANCISCO MATONDO

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                               MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON

[1]                Est « arbitraire » ce qui est irrégulier au point de sembler ne pas être conforme au droit. L'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales permet à notre Cour d'accorder une réparation si elle est convaincue que l'office fédéral en cause :

18.1(4) d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

18.1.(4)(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

[2]                Notre Cour peut également accorder une réparation si l'office fédéral :

18.1(4)b) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale ou toute autre procédure qu'il était légalement tenu de respecter;                        

18.1(4)(b) failed to observe a principle of natural justice, procedural fairness or other procedure that it was required by law to observe;

[3]                La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est un office fédéral. Sa décision de refuser une demande de réouverture d'une demande d'asile dont elle avait prononcé le désistement était non seulement fondée sur une conclusion de fait erronée tirée de façon arbitraire mais elle résultait aussi de son défaut d'observer des principes de justice naturelle.

[4]                Tout a commencé en décembre 2003, lorsque M. Matondo est arrivé à l'aéroport international Pearson en provenance de l'Angola et a revendiqué le statut de réfugié. Le surlendemain, on lui a remis un Formulaire de renseignements personnels (RFP) qu'il devait retourner au plus tard le 20 janvier 2004. L'avis qui accompagnait le formulaire expliquait qu'à défaut par lui de produire ce formulaire dans le délai prescrit, il lui faudrait expliquer le 2 février les raisons pour lesquelles le désistement de sa demande ne devait pas être prononcé.

[5]                M. Matondo a donné une adresse de Toronto et s'est engagé par écrit à informer Citoyenneté et Immigration Canada de tout changement d'adresse.

[6]                De fait, M. Matondo s'apprêtait à se rendre à Montréal où il devait rejoindre ses parents, qui avaient obtenu le statut de réfugié il y a quelques années. À Montréal, il s'est rendu aux bureaux de Citoyenneté et Immigration où il a donné sa nouvelle adresse. On lui a dit qu'il serait peut-être sage de retenir les services d'un avocat. Le 13 janvier 2004, il a retenu les services du cabinet Stewart Istvanffy. Dès le lendemain, un technicien juridique du cabinet de Me Istvanffy a envoyé une télécopie aux bureaux de Citoyenneté et Immigration à Mississauga pour les informer que M. Matondo se trouvait maintenant à Montréal, qu'il savait qu'il fallait soumettre le FRP avant de demander un changement de lieu « mais qu'il n'arrivait pas à trouver l'adresser où il pouvait poster les documents » . Il mentionnait aussi que ses documents avaient été saisis au point d'entrée et qu'on ne lui en avait pas remis de copie. La lettre portait : [traduction] « Pouvez-vous nous en envoyer une copie ? » et se terminait ainsi : [traduction] « Nous attendons votre réponse et nous vous remercions pour votre collaboration. »

[7]                Dans ces conditions, la date du 20 janvier 2004 est arrivée sans que le FRP soit déposé.

[8]                Le 26 janvier, le cabinet de Me Istvanffy a écrit de nouveau à CIC, car sa télécopie du 14 janvier était restée sans réponse.

[9]                Le 2 février, la Commission a prononcé le désistement de la demande et aurait envoyé une copie de cette décision par la poste à l'adresse de Toronto. M. Matondo jure qu'il n'a jamais reçu de copie de cette décision.


[10]            Le cabinet de Me Istvanffy a de nouveau envoyé une télécopie le 15 mars et, là encore, n'a jamais reçu de réponse. Finalement, le 5 avril, Me Istvanffy et le demandeur se sont rendus au bureau de Montréal, où ils ont appris que la Commission avait prononcé le désistement de la demande d'asile.

[11]            Une demande a alors été présentée en vertu de l'article 55 des Règles de la Section de la protection des réfugiés en vue de rouvrir la demande. Voici le texte des dispositions pertinentes :

55. (1) Le demandeur d'asile ou le ministre peut demander à la Section de rouvrir toute demande d'asile qui a fait l'objet d'une décision ou d'un désistement.

[...]

(4) La Section accueille la demande sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle.                                    

55. (1) A claimant or the Minister may make an application to the Division to reopen a claim for refugee protection that has been decided or abandoned.

...

(4) The Division must allow the application if it is established that there was a failure to observe a principle of natural justice.


[12]            Les faits et les télécopies susmentionnés ont tous été portés à l'attention de la Commission. L'élément de preuve le plus important dont disposait la Commission était l'affidavit souscrit par Jocelyne-Ann Proulx, technicienne juridique au cabinet de Me Istvanffy, un poste qu'elle occupait alors depuis neuf ans. Elle a expliqué qu'à part la télécopie du 14 janvier, elle avait appelé au numéro de téléphone de Citoyenneté et Immigration Canada qui figurait sur le formulaire IMM-1262. Il s'agit du formulaire de « reconnaissance de conditions » signé par M. Matondo et contresigné par un « fonctionnaire compétent » et portant l'estampille du « Centre d'exécution de la loi du Toronto métropolitain, Mississauga » .

LA DÉCISION FAISANT L'OBJET DU CONTRÔLE

[13]       Dans sa décision du 22 septembre 2004, la Commission signale que Me Istvanffy occupait pour ce client depuis le 14 janvier. La Commission avait prononcé le désistement de la demande parce que le FRP n'avait pas été déposé à la date limite du 20 janvier, que M. Matondo n'avait pas informé la Commission de son changement d'adresse et que Me Istvanffy connaissait ou aurait dû connaître l'adresse de Toronto où il devait envoyer les documents. Il n'y avait donc pas eu de déni de justice naturelle.

[14]            Le paragraphe 55(4) du Règlement est clair. S'il y a eu déni de justice naturelle, la demande doit être rouverte. La Commission n'a aucune latitude à ce chapitre.

[15]            Pour en arriver à cette décision, le commissaire a appliqué le Règlement à la lettre et s'est dit d'avis que l'avocat aurait dû être mieux avisé. Il n'a fait aucune mention des communications restées sans réponse que le cabinet de l'avocat a eues avec Citoyenneté et Immigration Canada ni de la visite de M. Matondo aux bureaux de Montréal. Dans ces conditions, la demande d'asile de M. Matondo a été rejetée sans qu'il ait eu l'occasion de se faire entendre.

[16]            La Commission a prononcé le désistement de la demande. Par « désistement » , il faut entendre « renoncer à » quelque chose. Or, il n'y a aucun doute que M. Matondo n'a jamais renoncé à sa demande.

[17]            Le paragraphe 55(4) du Règlement mentionne expressément les principes de justice naturelle. Le principe fondamental qui est en jeu ici est celui de se faire entendre par un décideur impartial.

DROIT DE SE FAIRE ENTENDRE

[18]       Il est peut-être utile de rappeler à certaines personnes que le droit d'être entendu se situe au coeur même de nos principes de justice et d'équité.

[TRADUCTION] Le fait qu'aucun homme ne doive être jugé sans qu'il soit entendu était un précepte connu des Grecs, gravé à l'époque ancienne sur des images se trouvant aux endroits où la justice est rendue, proclamé par Sénèque dans Médée, consacré dans l'Écriture sainte, mentionné par saint Augustin, figurant dans les proverbes germaniques et africains, que l'almanach attribue àla loi de la nature, dont Coke affirme qu'il est un principe de justice divine et dont un juge du XVIIIe siècle fait remonter les origines au Paradis terrestre.

[Renvois omis]

de Smith, Woolf et Jowell, Judicial Review of Administrative Action (5e éd.) (London, Sweet & Maxwell, 1995), aux pages 378 et 379.

[19]            L'allusion au Paradis terrestre se trouve dans l'affaire Bentley (The King c. the Chancellor, & c., of Cambridge, (1723) 1 Stra. 557). Voici les propos qu'a tenus à ce sujet le juge Byles dans le jugement Cooper c. The Wandsworth Board of Works (1863), 143 E.R. 414, à la page 420 :


[traduction] Le jugement du juge Fortescue dans l'affaire Bentley est quelque peu inusité mais il s'applique depuis son prononcé jusqu'à nos jours. Il dit que la raison invoquée pour justifier l'absence d'avis n'est jamais acceptable. Les lois divines et les lois humaines permettent à l'intéressé de présenter sa défense, s'il en a une. Je me souviens avoir déjà entendu un homme très instruit dire que même Dieu avait invité Adam à présenter sa défense avant de le condamner.

[20]            Voir la 5e édition de Evans, Janisch, Mullan, Risk, « Administrative Law - Cases, Text, and Materials » , aux pages 99 et suivantes.

[21]            En l'espèce, ce que le commissaire dit en réalité, c'est ceci :

            -            Ils n'auraient pas dû être aussi bêtes que de croire que la procédure doit être non pas la maîtresse mais la servante de la justice (Hamel c. Brunelle, [1977] 1 R.C.S. 147, le juge Pigeon, à la page 156; voir aussi le jugement Andreoli c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1111, [2004] A.C.F. no 1349);

            -            Ils n'auraient pas dû être aussi bêtes que de croire que le programme pour les réfugiés vise avant tout à sauver des vies et à protéger les personnes de la persécution (Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, alinéa 3(2)a));

            -           Ils n'auraient pas dû être aussi bêtes que de croire que la loi a pour objet de faire bénéficier ceux qui fuient la persécution d'une procédure équitable (LIPR, alinéa 3(2)c);

          -           Ils n'auraient pas dû être aussi bêtes que de croire que le Règlement a pour objet « de mettre en place une procédure équitable et efficace » (LIPR, alinéa 3(2)e);

-           Ils n'auraient pas dû être aussi bêtes que de croire que, suivant le document intitulé « Mandat, vision et mission de Citoyenneté et Immigration Canada » , « CIC constitue un modèle de gestion de la fonction publique » ;

-           Ils n'auraient pas dû être aussi bêtes que de croire qu'on répondrait à leurs demandes de renseignements légitimes.


[22]       Eh bien, ils n'auraient pas dû être aussi bêtes que de croire et n'ont pas été aussi bêtes que de croire que cette décision aberrante et odieuse n'est pas conforme aux lois canadiennes. Si les dépens avaient été réclamés, ils auraient été adjugés sur la base avocat-client.

[23]       Voilà pourquoi j'ai fait droit à la présente demande de contrôle judiciaire hier.

« Sean Harrington »

                                                                                                     Juge                     

Ottawa (Ontario)

Le 24 mars 2005

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-7490-04

INTITULÉ :                                                    PROENCA VICTOR FRANCISCO MATONDO

et

MINISTRE DE

LA CITOYENNETÉ ET                      DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 23 MARS 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                                               LE 24 MARS 2005

COMPARUTIONS:

Mélanie Brouillette                                             POUR LE DEMANDEUR

Sherry Rafai Farr                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Étude légale Stewart Istvanffy                                       POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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