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Date : 20050118

Dossier : IMM-722-04

                                                                                                     Référence : 2005 CF 54

ENTRE :

                              JULIE-ANNE AMABELLE (A T) ALEXENDER

                                                                                                                    demanderesse

et

                                 LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                             défendeur

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 6 janvier 2004 par la Section de la protection des réfugiés (SPR), dans laquelle elle a rejeté la demande de Julie Anne Amabelle Alexander, ayant conclu qu'elle n'était ni une réfugiée au sens de la Convention, ni une personne à protéger.


Les faits

[2]                La demanderesse est citoyenne de la Grenade. Elle a revendiqué le statut de réfugié au motif qu'elle craignait pour sa vie en raison des agissements de son ancien petit ami et du fait que l'État ne lui offrait pas une protection adéquate.

[3]                La demanderesse a déclaré qu'elle avait eu une relation avec un certain Keith Phillip, de 1984 à mars 1999. Ils ont vécu ensemble et ils ont eu une fille. Elle a prétendu que, alors qu'elle était enceinte de cinq mois, M. Phillip a menacé de lui faire la vie dure si elle n'avait pas un avortement. Elle est restée avec lui dans l'espoir que l'enfant ferait renaître leur amour. Malheureusement, la situation ne s'est pas améliorée et la demanderesse s'est fait brutaliser et injurier, elle a subi des traumatismes psychologiques.

[4]                La demanderesse a finalement quitté M. Phillip en 1999. Lorsqu'elle est retournée pour prendre ses affaires, il l'a agressée et elle a eu le bras cassé. La demanderesse a immédiatement signalé l'incident à la police, qui a fait un rapport et lui a fait subir un examen médical.


[5]                La demanderesse a déclaré devant la SPR qu'elle ne s'était pas adressée à nouveau à la police, parce que M. Phillip ne lui avait pas causé de problèmes après l'incident ou avant qu'elle se rende au Canada. Elle a aussi déclaré que, en son absence, il avait menacé de la tuer lorsqu'il a rendu visite à leur fille, qui vit à la Grenade avec la mère de la demanderesse.

[6]                Elle est venue au Canada le 20 juin 1999. Au cours des années précédentes, elle était venue au Canada plusieurs fois pour rendre visite à des parents.

La décision de la SPR

[7]                Dès le début, la SPR a décidé que les principales questions de l'affaire portaient sur l'allégation de la demanderesse selon laquelle l'État n'offre pas une protection adéquate aux femmes qui craignent les actes de violence dirigées contre elles. La SPR a précisé avoir tenu compte des Directives sur la persécution fondée sur le sexe.


[8]                La SPR a conclu que la demanderesse n'avait pas réfuté les éléments de preuve qui indiquaient que la Grenade était capable de protéger ses citoyens. La demanderesse n'a pas donné d'explication satisfaisante concernant le fait qu'elle n'avait pas demandé à la police de lui accorder sa protection; elle n'a rien fait pour obtenir une protection car ses problèmes avaient pris fin avant qu'elle quitte la Grenade.

[9]                La SPR a aussi conclu qu'elle ne pouvait pas déclarer que les prétentions de la demanderesse étaient fondées parce que, à la Grenade, les femmes victimes de mauvais traitements peuvent obtenir une protection parfaitement adéquate.

Les observations de la demanderesse


[10]            En ce qui a trait à la première question, la demanderesse soutient que la SPR n'a pas correctement interprété le droit et les éléments de preuve, et qu'elle a fondé sa décision sur ses propres conjectures erronées et des inférences injustifées. La SPR a reconnu que la demanderesse avait demandé à la police de lui accorder sa protection, mais elle lui a reproché de ne pas avoir demandé à l'État avec plus de persévérance une protection renforcée. La demanderesse qualifie cette norme ou ce fardeau d'absurde, eu égard à son jeune âge et à son ignorance. La demanderesse, qui invoque l'arrêt Canada c. Ward[1], soutient qu'elle n'était pas tenue de risquer sa vie en tentant d'obtenir une protection illusoire de la part de l'État à la seule fin de prouver l'efficacité de cette protection.

[11]            En outre, la demanderesse allègue que la SPR a fait erreur lorsqu'elle a conclu que, puisque la police avait un dossier relatif à sa plainte, elle s'était désintéressée de son affaire; sa plainte n'a donné lieu ni à une arrestation, ni à des poursuites pénales. La position de la SPR n'est pas conforme à l'arrêt Ward, dans lequel la Cour suprême a insisté sur l'efficacité de la protection offerte. La demanderesse invoque aussi l'arrêt Elcock Milkson et al. c. MCI[2].

[12]            La demanderesse soutient que la SPR a conclu que la Grenade lui offrait une protection adéquate sans donner de motifs.

Les observations du défendeur


[13]            Le défendeur soutient que les conclusions de la SPR sont raisonnables. Les observations de la demanderesse reflètent son désaccord sur la manière dont la SPR a apprécié les éléments de preuve, mais elle n'a pas établi que la SPR n'a pas tenu compte de faits pertinents. Il est présumé que le tribunal a pesé et étudié tous les éléments de preuve produits devant lui, et la demanderesse n'a pas établi le contraire. La preuve documentaire donne à penser que le gouvernement de la Grenade a pris des mesures de lutte contre la violence conjugale.

[14]            Le défendeur soutient principalement que la demanderesse n'a pas réfuté la présomption selon laquelle elle pouvait avoir recours à la protection de l'État et qu'elle n'a pas établi que cette conclusion était manifestement déraisonnable. Selon la preuve produite, elle n'a déposé qu'une seule plainte à la police; elle ne s'est pas ainsi déchargée du fardeau de la preuve. La demanderesse a déclaré qu'elle ne s'est pas adressée à nouveau à la police parce que [TRADUCTION] « M. Phillip ne l'avait pas menacée depuis qu'elle avait déposé plainte à la police en mars; il le savait et il est probable qu'il a fait l'objet de mesures de contrôle » .


[15]            En ce qui a trait à la question de la protection offerte par l'État, la demanderesse doit produire des preuves claires et convainquantes montrant que la Grenade est incapable de la protéger. À cet égard, c'est elle qui a la charge de la preuve, comme l'a déclaré la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Canada c. Ward[3]: « En l'absence d'une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens » .

[16]            En l'espèce, aucun élément de preuve n'indique que le pays de la demanderesse est incapable de lui offrir sa protection. Elle a déclaré qu'elle s'était adressée une fois à la police, et cela semble avoir donné le résultat recherché puisqu'il a cessé de la menacer. La demanderesse n'a pas été capable de convaincre la Cour que la décision de la SPR sur cette question était déraisonnable.

[17]            Comme la Cour suprême l'a dit dans l'arrêt Ward, précité, il est exigé « une preuve claire et convaincante de l'incapacité d'un État d'assurer la protection » . Cette incapacité peut être établie lorsque le revendicateur s'est concrètement adressé à l'État et s'est vu refuser sa protection par le passé. Aucun élément de preuve ne montre que la SPR en soit arrivée à une conclusion déraisonnable sur la question.

[18]            La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

« P. Rouleau »


      Juge

Ottawa (Ontario)

Le 18 janvier 2005               

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                    IMM-722-04

INTITULÉ:                                                     JULIE-ANNE AMABELLE (A T) ALEXANDER

c.

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO).

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 10 JANVIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE 18 JANVIER 2005

COMPARUTIONS:                                    

Kingsley I. Jesuorobo                                    POUR LA DEMANDERESSE                                

Margherita Braccio                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:                     

Kingsley I. Jesuorobo           

Avocat

North York (Ontario)                           POUR LA DEMANDERESSE        

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada             POUR LE DÉFENDEUR



[1] [1993] 2 R.C.S. 689.

[2] IMM-2985-98, (1999-09-20), le juge Gibson.

[3][1993] 2 R.C.S. 689, par. 50.


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