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Date : 19981126


Dossier : IMM-5440-97

ENTRE :

     AKBAR MOKHTARI ABADI

     REIHANEH MIRZABOLAND,

     demandeurs,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE REED


[1]      Les demandeurs sollicitent de la Cour l'annulation d'une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié au motif : 1) que la Commission n'a pas veillé à ce que les demandeurs se voient assurer les services d'un interprète qualifié; 2) que les demandeurs ont subi un déni de justice naturelle du fait que leur avocate les a abandonnés et négligé de déposer, en leur nom, des observations écrites; 3) que la Commission n'a pas apprécié correctement le témoignage écrit de la demanderesse (en l'occurrence son formulaire de renseignements personnels; 4) que la Commission s'est en partie fondée sur certains renseignements auxquels lui donnait accès son expertise mais n'en a pas avisé les demandeurs alors qu'elle est tenue de le faire de par le paragraphe 68(5) de la Loi sur l'immigration.


[2]      Il convient en premier lieu d'exposer les faits visés aux deux premiers motifs. Les demandes de statut déposées par les demandeurs ont été entendues le 26 juin 1997. En début d'audience, la Commission a demandé à l'interprète s'il s'était entretenu avec les demandeurs et s'il les comprenait. Il répondit que oui. La Commission demanda ensuite aux demandeurs s'ils comprenaient l'interprète. Ils ont répondu que oui. En fin d'audience, l'avocate des demandeurs demanda que l'on procède à un contrôle de la qualité de l'interprétation fournie. Dans les deux semaines suivant ce contrôle, elle devait présenter ses observations écrites sur la demande formulée par les demandeurs.


[3]      Le contrôle s'achève le 29 juillet 1997. Il ne révèle aucun problème particulier quant à l'interprétation. Les résultats de ce contrôle sont envoyés à l'avocate le 1er août 1997 et on lui fait savoir qu'elle aura jusqu'au 18 août 1997 pour présenter des observations écrites au nom de ses clients. Le 27 août 1997, l'avocate des demandeurs écrit à la Commission au sujet d'une conversation téléphonique que sa collaboratrice avait eue la semaine précédente avec la Commission pour faire savoir à celle-ci que l'avocate s'étant trouvée en vacances, elle demandait que le délai pour le dépôt des observations écrites soit porté au 5 septembre 1997. Il est fait droit à cette demande. Le 9 septembre 1997, l'avocate écrit à nouveau pour faire savoir que le contrôle avait omis de relever certains des passages qui, disait-elle, se fondant en cela sur les notes qu'elle avait prises alors, constituaient sans nul doute des erreurs d'interprétation étant donné le caractère forcé de la syntaxe et les hésitations et imprécisions de l'interprétation. Elle demandait que l'on procède à un second contrôle, s'engageant à déposer, dans les deux jours suivant l'achèvement de ce deuxième contrôle, des observations écrites concernant la revendication des demandeurs.


[4]      La Commission accorda une nouvelle prolongation des délais pour le dépôt des observations écrites, en attente d'un second contrôle, faisant cependant savoir que les demandeurs devraient assumer les coûts de ce second contrôle. L'avocate des demandeurs écrivit à la Commission le 8 octobre 1997 pour lui faire savoir que les résultats du second contrôle seraient prêts au plus tard le 10 octobre 1997. L'avocate n'a transmis à la Commission ni les résultats du second contrôle, ni d'observations écrites. Le 20 octobre 1997, la Commission téléphonait à l'avocate pour lui rappeler qu'elle n'avait pas encore présenté d'observations écrites. L'avocate n'a pas en fin de compte présenté d'observations au nom de ses clients. Le 18 novembre 1997, la Commission rendait sa décision.


[5]      La Commission évoqua, dans sa décision, la demande que soit contrôlée la qualité de l'interprétation. Elle précisait que, pour le premier contrôle, on avait analysé trois extraits des enregistrements magnétiques de l'audience, chacun d'une durée de quinze minutes et choisi de façon aléatoire. Elle précisait également ne pas avoir vu l'utilité du second contrôle, laissant toutefois à l'avocate le soin d'y faire elle-même procéder et lui demandant d'en transmettre les résultats à la Commission avec les observations qu'elle devait présenter au nom des demandeurs et tout renseignement supplémentaire qui pourrait en découler. La Commission précisait que puisqu'elle n'avait reçu ni les résultats du contrôle ni d'observations écrites, elle avait décidé de rendre sa décision au vu des éléments figurant au dossier.


[6]      Évaluant le travail de l'interprète, la Commission a relevé que l'interprétation [traduction] " était parfois maladroite et contenait, à plusieurs endroits, des déformations syntaxiques de la langue anglaise ". La Commission ajouta que cela avait effectivement été observé et que la question avait été débattue en conférence à l'audience même par l'avocate et les membres de la Commission. La Commission déclara cependant qu'à son avis le contrôle [traduction ] " ne permettait pas d'affirmer que les éventuelles erreurs ou fautes d'interprétation portaient sur la substance même des réponses faites par le demandeur ". La Commission a estimé que l'interprétation avait été [traduction ] " fiable et intelligible; malgré les maladresses que l'on pouvait relever ici et là " et que cette interprétation n'était pas [traduction ] " telle qu'elle aurait porté le tribunal à se tromper sur les éléments du témoignage livré par les demandeurs et sur le sens de leur récit ".


[7]      L'avocat des demandeurs affirme que la Commission s'est trompée de critère et qu'elle devait appliquer en l'occurrence la norme d'interprétation établie dans l'affaire Tran v. La Reine (1994), 92 C.C.C. (3d) 218 (C.S.C.), selon laquelle cette norme en est une " de continuité, de fidélité, d'impartialité, de compétence et de concomitance " (à la page 250). Selon cet arrêt, il y a lieu de se demander dans chaque cas d'espèce s'il se peut que l'intéressé ait mal compris une partie des débats en raison de sa connaissance imparfaite de la langue.


[8]      Je suis en l'occurrence disposée à retenir l'hypothèse voulant que le critère établi dans l'arrêt Tran s'applique effectivement aux audiences de la Commission. On ne saurait cependant conclure à l'inobservation de ce critère en l'espèce. Le dossier ne permet pas de conclure que la Commission ne se serait pas suffisamment penchée sur la qualité de l'interprétation. Aucun des éléments produits devant la Commission n'attestait, de la part des demandeurs, un manque de compréhension, ou une erreur effective d'interprétation, si ce n'est quelques tournures maladroites en anglais, tournures qui peut-être ne faisaient que traduire certaines maladresses dans la manière dont les demandeurs s'étaient exprimés dans leur propre langue. Il n'a été produit devant la Commission aucun élément d'analyse (autre que pour ce qui est du premier contrôle) portant sur la qualité de l'interprétation. N'a été produit devant la Cour aucun élément susceptible de conforter l'allégation voulant qu'en l'espèce l'interprétation ne répondait pas aux critères de l'arrêt Tran. En l'absence d'une preuve produite par les demandeurs, ou d'un expert confirmant les inexactitudes de l'interprétation, la Cour ne saurait retenir l'hypothèse d'une interprétation inexacte au seul vu de certaines maladresses syntaxiques, voire de certaines formules utilisées par l'interprète et pouvant paraître saugrenues. Comme je l'ai déjà noté, les maladresses syntaxiques ainsi relevées correspondent peut-être à ce que le témoin déclarait effectivement, cela pouvant également être vrai des formules saugrenues. Le premier motif invoqué à l'encontre de la décision n'est guère fondé au vu du dossier.


[9]      En ce qui concerne le déni de justice naturelle lié, dit-on, au fait que l'avocate des demandeurs n'avait pas transmis en leur nom d'observations écrites, je reconnais que dans plusieurs affaires, où elle avait estimé qu'un avocat s'était comporté de manière particulièrement répréhensible, la Cour a effectivement conclu à un déni de justice naturelle. Le fait de ne pas avoir déposé d'observations écrites ne relève cependant pas de cette catégorie. Si les demandeurs estiment avoir été desservis par leur avocate, ils doivent s'adresser au Barreau. On ne saurait conclure notamment que le fait de ne pas avoir déposé d'observations écrites confinait, de la part de l'avocate, à l'abandon des demandeurs, ses clients, et n'était pas simplement le fruit d'une décision, prise d'un commun accord entre l'avocate et ses clients, de ne pas persister dans une demande qui, auraient-ils décidé, n'était pas vraiment fondé. En faisant droit à une demande d'annulation d'une décision de la SSR au simple motif qu'un avocat a négligé de déposer des observations écrites au nom de ses clients, la Cour ouvrirait la voie à tous les abus. Les affaires portant à conclure que le comportement d'un avocat a effectivement entraîné, pour son client, une atteinte à la justice naturelle, seront d'après moi extrêmement rares.


[10]      J'examine maintenant l'argument voulant que la Commission ne se soit pas suffisamment penchée sur le témoignage de la demanderesse, parce qu'elle n'a pas explicitement analysé les renseignements que la demanderesse avait consignés dans son formulaire de renseignements personnels. La demanderesse est arrivée au Canada avant son mari. Elle a revendiqué le statut de réfugié et exposé, dans son FRP, les événements qui sont le fondement même de la demande de statut formulée par elle et par son mari. Le mari a lui-même basé sa demande de statut sur le FRP de son épouse. Il était, à l'audience de la Commission, le témoin principal, son épouse n'intervenant guère. La Commission s'est livrée à un exposé détaillé des motifs la portant à ne pas croire au récit du demandeur. Par son analyse, la Commission se trouvait à rejeter implicitement les informations que la demanderesse avait consignées dans son FRP. Ce serait vraiment couper les cheveux en quatre que d'infirmer la décision de la Commission du simple fait qu'elle n'aurait pas expressément mentionné dans ses motifs le FRP de la demanderesse. La décision de la Commission doit s'interpréter dans le contexte qui lui est propre.


[11]      Pour ce qui est du dernier argument, la Commission évoque dans ses motifs certaines lettres émanant du président du " Iranian Monarchist Council of Canada and Front Line: The Constitutionalist Movement of Iran in Eastern Canada ". La Commission n'a reconnu à ces lettres aucune valeur probante, y voyant des lettres types ne livrant guère de détails sur les prétendues activités des demandeurs. La Commission a conclu que les lettres n'avaient été obtenues que pour appuyer la demande de statut déposée par les demandeurs. Dans une note en bas de page, la Commission précisa que [traduction ] " le président du tribunal a eu, dans le cadre d'autres dossiers, connaissance d'au moins une douzaine de lettres analogues, émanant de la même source et rédigées en les mêmes termes exactement ". L'avocat des demandeurs a raison d'affirmer que si la Commission entend se fonder sur l'expertise que lui procure le grand nombre d'affaires analogues dont elle a eu à connaître, et d'en extraire des renseignements pertinents au niveau de la décision visant les demandeurs, elle doit les en informer et leur donner l'occasion de livrer leurs commentaires sur les renseignements en question. Cela dit, dans le contexte de la présente affaire, il n'y a là rien qui justifie que l'on infirme la décision de la Commission.


[12]      L'avocat des demandeurs demande à la Cour de certifier la question suivante :

         [TRADUCTION] Les critères de l'affaire Tran concernant la qualité de l'interprétation s'appliquent-ils aux audiences de la Section du statut de réfugié relatives à des demandes de statut?         

Ce n'est cependant pas au regard de cette question que peut être tranchée la présente demande car, dans la mesure où celle-ci porte sur la qualité de l'interprétation, ce qu'il y a lieu de retenir c'est l'absence de toute preuve confirmant que l'interprétation était mauvaise au point que les demandeurs auraient pu se méprendre sur certaines parties des débats. On ne saurait dire, au vu du dossier, que la qualité de l'interprétation n'a pas été évaluée au regard du bon critère.

[13]      Pour ces motifs, la demande est rejetée.

                             " B. Reed "

                             Juge

TORONTO (ONTARIO)

Le 26 novembre 1998

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes

COUR FÉDÉRALE DU CANADA


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :      IMM-5440-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      AKBAR MOKHTARI ABADI

     REIHANEH MIRZABOLAND

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
     ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :      LE MERCREDI 25 NOVEMBRE 1998

    

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      LE JUGE REED

DATE :      LE JEUDI 26 NOVEMBRE 1998

ONT COMPARU :      M. Michael Crane

         pour les demandeurs

     M. Kevin Lunney

         pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      Michael Crane

     Barrister & Solicitor

     200 - 166, rue Pearl

     Toronto (Ontario)

     M5H 1L3

         pour les demandeurs

     Morris Rosenberg

     Sous-procureur général

     du Canada

         pour le défendeur

                                                      Dossier : IMM-5440-97

Entre :

AKBAR MOKHTARI ABADI

REIHANEH MIRZABOLAND,


demandeurs,

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION,


défendeur.


MOTIFS DE L'ORDONNANCE


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