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Date : 20010402

Dossier : IMM-2745-00

Référence neutre : 2001 CFPI 274

ENTRE :

                                     LUCIE FRIMPONG

                                                     et

                                  SAMUEL FRIMPONG

                                                                                        demandeurs

                                                    ET

                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                               ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                           défendeur

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]    Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire concernant la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié [la Commission] en date du 2 mai 2000, dans laquelle la Commission a statué que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention.


[2]    La demanderesse principale, Lucy Frimpong [la demanderesse], est une Ghanéenne de 35 ans. Elle est venue au Canada accompagnée du demandeur mineur dans la présente instance, soit Samuel Frimpong, son fils de 2 ans qui est également citoyen du Ghana.

[3]    La demanderesse prétend avoir une crainte fondée d'être persécutée par le gouvernement ghanéen du fait qu'elle est la femme d'un membre d'un parti politique et du fait de son appartenance à une organisation apolitique de femmes appelée « L'Association des femmes engagées de Kumasi/Ejuso » .

[4]    Dans sa FRP, la demanderesse alléguait qu'elle avait perdu son passeport israélien, mais elle a omis d'indiquer qu'elle avait voyagé munie d'un passeport du Swaziland qui a été confisqué par son accompagnateur. La Commission a jugé que ces deux omissions ont miné sa crédibilité.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[5]    La présente affaire soulève les questions suivantes :

1.         La Commission avait-elle un préjugé contre la demanderesse et a-t-elle porté atteinte au droit de la demanderesse à une audition impartiale?

2.         La Commission a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité de la demanderesse?

3.         La Commission a-t-elle commis une erreur en ne mentionnant pas une preuve pertinente et probante concernant la situation qui règne au Ghana?


4.         L'expulsion de la demanderesse contreviendrait-elle à ses droits garantis par les articles 7 et 12 de la Charte et aux obligations contractées par le Canada en vertu du droit international?

ANALYSE

1. La Commission avait-elle un préjugé contre la demanderesse et a-t-elle porté atteinte au droit de la demanderesse à une audition impartiale?

[6]                La demanderesse prétend que les membres de la Commission étaient partiaux et qu'elle n'a pas obtenu une audition impartiale parce que les membres de la Commission l'ont constamment interrompue pendant qu'elle était interrogée par son avocat. En outre, l'interrogatoire effectué par les membres de la Commission était en fait un contre-interrogatoire qui a été extrêmement dur.

[7]                Le critère permettant de déterminer l'existence d'une crainte raisonnable de partialité a été expliqué dans les termes suivants dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. L'Office national de l'énergie, [1987] 1 R.C.S. 369, à la page 394 :

[...] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet [...] [Le] critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. »

[8]                Dans l'arrêt R. c. R.D.S., [1997] 3 R.C.S. 484, le juge Cory a statué de la façon suivante :


La personne raisonnable doit de plus être une personne bien renseignée, au courant de l'ensemble des circonstances pertinentes, y compris [TRADUCTION] « des traditions historiques d'intégrité et d'impartialité, et consciente aussi du fait que l'impartialité est l'une des obligations que les juges ont fait le serment de respecter » : R. c. Elrick, [1983] O.J. No. 515 (H.C.), au par. 14.

[9]                Après avoir soigneusement examiné la transcription, je ne peux conclure que la Commission a empêché la tenue d'une audition impartiale. Les membres de la Commission ont interrompu l'interrogatoire principal quand ils avaient de la difficulté à comprendre les réponses de la demanderesse ou quand ils souhaitaient avoir des précisions. Même s'ils ont effectivement posé de nombreuses questions à la fin de l'audience, ces questions avaient pour but de préciser certains points. En outre, il convient de noter qu'aucun ACR n'était présent et que la Commission n'a pu bénéficier du fait qu'une personne autre que l'avocat de la demanderesse interroge cette dernière. Par conséquent, je ne peux conclure que la Commission n'a pas accordé une audition impartiale parce que ses membres ont posé des questions qui les ont aidés à mieux comprendre certains points ou qui ont aidé à couvrir le récit plus en détail.

[10]            La demanderesse soutient également que les membres de la Commission l'ont intimidée et n'ont témoigné aucun respect ni à son avocat, ni à la demanderesse et à sa famille. Selon elle, cette attitude très belliqueuse ressort également de la page 3 de la décision où la Commission fait des observations sur la supposée « question suggestive » .


[11]            À la page 3 de la décision, la Commission déclare ce qui suit :

[TRADUCTION]

Pendant son témoignage, elle a hésité et démontré un manque de spontanéité. Elle n'avait aucune difficulté à témoigner quand son avocat employait des questions suggestives.

La formation a discuté de sa préoccupation concernant les questions suggestives avec son avocat, mais ce dernier a répondu qu'il n'était pas interdit d'utiliser des questions suggestives au cours d'une audience devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.

[12]            Je ne crois pas que cette observation faite par la Commission dans sa décision témoigne d'une « attitude très belliqueuse » de ses membres à l'égard de la demanderesse. L'évaluation de la crédibilité de la demanderesse fait partie du rôle de la Commission. Celle-ci a demandé à l'avocat de la demanderesse de s'abstenir de poser des questions suggestives et l'observation formulée à ce sujet dans la décision fait ressortir l'impression que la Commission a eue du témoignage de la demanderesse.

[13]            Par conséquent, je ne peux conclure que la demanderesse n'a pas obtenu une audition impartiale. Je conclus en outre qu'une personne bien renseignée aurait conclu que l'observation et l'attitude de la Commission à l'audience ne soulèvent pas une crainte raisonnable de partialité.

[14]            Je suis également préoccupé par la suggestion formulée par l'avocat de la demanderesse selon laquelle la formation, et particulièrement Mme Beaubien-Duque, a fait preuve d'un préjugé racial.


[15]            L'avocat de la demanderesse n'a jamais soulevé ce point devant la formation. Quand la Cour lui a demandé d'expliquer cette allégation, il n'a pu trouver un seul élément qui pourrait amener la Cour à conclure qu'il y a eu un préjugé racial.

[16]            L'avocat de la demanderesse a fondé son explication sur des décisions rendues par le même membre de la Commission après la présente affaire.

[17]            À mon avis, l'avocat de la demanderesse ne peut justifier de quelque façon que ce soit cette prétention non fondée qui a un effet direct sur sa propre crédibilité et qui devrait être évitée.

2. La Commission a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité de la demanderesse?

[18]            Dans l'arrêt Aguebor c. M.E.I. (1993) 160 N.R. 315 (C.A.F), la Cour d'appel fédérale a expliqué quelle était la norme applicable lorsqu'elle revoit les conclusions de la Commission sur une question de crédibilité :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ces conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être.


[19]            Dans la décision Boye c. Canada (M.E.I.) (1994), 83 F.T.R. 1 (C.F.P.I.), le juge en chef adjoint Jerome a statué ce qui suit :

Tout d'abord, les questions de crédibilité et de poids de la preuve relèvent de la compétence de la section du statut de réfugié en sa qualité de juge des faits en ce qui concerne les revendications du statut de réfugié au sens de la Convention. Lorsque la conclusion du tribunal qui est contestée porte sur la crédibilité d'un témoin, la Cour hésite à la modifier, étant donné la possibilité et la capacité qu'a le tribunal de juger le témoin, son comportement, sa franchise, la spontanéité avec laquelle il répond, et la cohérence et l'uniformité des témoignages oraux.

[20]            La demanderesse ne soulève pas de question précise au sujet de la conclusion de la Commission concernant sa crédibilité. L'argument de la demanderesse est général et fait valoir que la Commission n'avait pas de raison valable de douter de son récit.

[21]            La Cour doit témoigner de la déférence à l'égard de la Commission étant donné que cette dernière a eu la possibilité d'entendre le témoignage de la demanderesse et qu'elle était dans une bien meilleure position que moi pour évaluer la crédibilité de celle-ci. Les incohérences auxquelles la Commission a fait référence sont importantes et elles minent effectivement la crédibilité de la demanderesse.

[22]            Après avoir soigneusement examiné la transcription et la décision, j'estime que les conclusions de la Commission concernant la crédibilité de la demanderesse sont étayées par la preuve dont elle était saisie et ne sont pas manifestement déraisonnables.


3. La Commission a-t-elle commis une erreur en ne mentionnant pas une preuve pertinente et probante concernant la situation qui règne au Ghana?

[23]            La demanderesse soutient que l'omission complète d'examiner ou de mentionner une preuve extrêmement pertinente et probante équivaut à une erreur de droit qui justifie l'intervention de la Cour. Selon elle, la Commission n'a fait aucune référence à la preuve volumineuse concernant les abus des droits de la personne qui sont encore commis aujourd'hui.

[24]            Il est bien établi en droit que la Commission n'a pas à mentionner chaque élément de preuve qui lui est présenté et qu'elle n'a pas à expliquer pourquoi elle n'a pas tenu compte de certains documents.

[25]            Dans l'arrêt Florea c. Canada (M.E.I), [1993] A.C.F. no 598 (A-1307-91, 11 juin 1993) (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a déclaré ce qui suit au paragraphe 1 :

Le fait que la Section n'a pas mentionné tous et chacun des documents mis en preuve devant elle n'est pas un indice qu'elle n'en a pas tenu compte; au contraire un tribunal est présumé avoir pesé et considéré toute la preuve dont il est saisi jusqu'à preuve du contraire. Les conclusions du tribunal trouvant appui dans la preuve, l'appel sera rejeté.

[26]            La décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (M.C.I) (1998), 157 F.T.R. 35, indique ceci au paragraphe 16 :


Par ailleurs, les motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal (Medina c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990) 12 Imm. L.R. (2d) 33 (C.A.F.)), et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve (voir, par exemple, Hassan c. Canada Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)). Imposer une telle obligation aux décideurs administratifs, qui sont peut-être déjà aux prises avec une charge de travail imposante et des ressources inadéquates, constituerait un fardeau beaucoup trop lourd. Une simple déclaration par l'organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examiné l'ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, que l'organisme a analysé l'ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait.

[27]            En l'espèce, la Commission a fait référence à des documents récents sur la situation au Ghana et le fait de ne pas faire référence à l'ensemble de la preuve documentaire dont elle était saisie n'est pas une erreur. Je ne peux conclure que la Commission a omis d'examiner une preuve pertinente.

4. L'expulsion de la demanderesse contreviendrait-elle à ses droits garantis par les articles 7 et 12 de la Charte et aux obligations contractées par le Canada en vertu du droit international?

[28]            La demanderesse prétend que la décision de la Commission et son expulsion ultérieure vont à l'encontre des articles 7 et 12 de la Charte et de ses droits qui sont protégés par l'article 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (1984), par la Convention relative au statut des réfugiés (1951, Nations Unies), par l'article 18 de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l'homme (Organisation des États américains, 1948) et par l'article 13 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Nations Unies, 1966).


[29]            La présente Cour a déclaré à de nombreuses reprises que le rejet d'une revendication du statut de réfugié ne donne pas lieu à l'application des articles 7 et 12 de la Charte parce qu'il ne s'agit pas d'un renvoi : voir Cruz c. Canada (M.C.I.), [1999] A.C.F. no 1266 (C.F.P.I.), Cota c. Canada (M.C.I.) [1999] A.C.F. no 872. Étant donné que l'espèce ne traite pas de l'expulsion de la demanderesse, mais plutôt de sa demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission statuant qu'elle n'est pas une réfugiée au sens de la Convention, j'estime que cette question est soulevée prématurément.

CONCLUSION

[30]            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[31]            Aucun des avocats n'a proposé de question aux fins de la certification.

« Pierre Blais »

J.C.F.C.

OTTAWA (ONTARIO)

Le 2 avril 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL. L., trad. a.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No du GREFFE :                                                           IMM-2745-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                        LUCIE FRIMPONG et autre

c.

M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le 27 mars 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :                      MONSIEUR LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                                                  le 2 avril 2001

ONT COMPARU :

Stewart Istvanffy                                                            POUR LA DEMANDERESSE

Michel Pépin                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Istvanffy                                                            POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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