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     Date : 19980515

     Dossier : IMM-2793-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 15 MAI 1998

EN PRÉSENCE DU JUGE NADON

ENTRE :

     RADESH BIKHARI,

     demandeur,

     - ET -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     Demande fondée sur l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration en vue du contrôle judiciaire de la décision rendue le 16 juin 1997 par la commissaire Paule Champoux de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié dans le dossier no M96-09401.

     ORDONNANCE

     La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                 " MARC NADON "

                                          Juge

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     Date : 19980515

     Dossier : IMM-2793-97

ENTRE :

     RADESH BIKHARI,

     demandeur,

     - ET -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]      Le demandeur veut obtenir l'annulation de la décision que la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Section d'appel) a rendue le 6 juin 1997. Par la voix de la présidente de l'audience, Paule Champoux, la Section d'appel a refusé de suspendre ou d'annuler la mesure d'expulsion prise contre le demandeur.

[2]      Les faits pertinents peuvent être résumés brièvement de la manière suivante. Le demandeur est arrivé au Canada en juillet 1987 et est devenu un résident permanent de ce pays. Il est âgé de 28 ans et est originaire du Guyana. De décembre 1991 à septembre 1996, le demandeur a été reconnu coupable de plusieurs infractions graves, dont la conduite d'un véhicule automobile avec facultés affaiblies, la possession d'une arme prohibée, des voies de fait graves et la possession de biens criminellement obtenus. De plus, le demandeur a fait l'objet de deux rapports de police en 1995 concernant des actes de violence commis contre sa conjointe de fait et sa maîtresse respectivement. Il a également été établi que le demandeur a eu quatre enfants avec ces deux femmes et que les mères et les enfants ont la citoyenneté canadienne.

[3]      Le 14 août 1996, l'arbitre Pierre Turmel a, en application du paragraphe 32(2) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), pris une mesure d'expulsion contre le demandeur. L'arbitre a conclu que le demandeur était une personne visée au sous-alinéa 27(1)b)(ii) de la Loi puisqu'il avait été déclaré coupable au Canada d'infractions prévues par une loi fédérale qui pouvaient être punissables d'un emprisonnement supérieur à cinq ans.

[4]      À l'audience devant l'arbitre Turmel le 14 août 1996, le demandeur, par l'entremise de son avocate, a reconnu l'exactitude des renseignements contenus dans les rapports préparés en vertu de l'article 27 de la Loi et déposés en preuve comme pièces C-2 et C-4, à savoir qu'il avait été déclaré coupable au Canada d'une infraction prévue par une loi fédérale qui pouvait être punissable d'un emprisonnement égal ou supérieur à cinq ans. En particulier, la pièce C-4 montre que le demandeur a été déclaré coupable à Montréal le 22 février 1995 de possession de biens criminellement obtenus, infraction prévue à l'article 354 et à l'alinéa 355a) du Code criminel et punissable d'un emprisonnement maximal de dix ans.

[5]      Le demandeur a interjeté appel de la décision de l'arbitre Turmel en application de l'alinéa 70(1)b) de la Loi, qui dispose :

70. (1) Subject to subsections (4) and (5), where a removal order or conditional removal order is made against a permanent resident or against a person lawfully in possession of a valid returning resident permit issued to that person pursuant to the regulations, that person may appeal to the Appeal Division on either or both of the following grounds, namely,

     ...

(b) on the ground that, having regard to all the circumstances of the case, the person should not be removed from Canada.

70. (1) Sous réserve des paragraphes (4) et (5), les résidents permanents et les titulaires de permis de retour en cours de validité et conformes aux règlements peuvent faire appel devant la section d'appel d'une mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel en invoquant les moyens suivants :

     ...

b) le fait que, eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, ils ne devraient pas être renvoyés au Canada.

[6]      L'audition devant la commissaire Champoux a eu lieu le 30 mai 1997. Le 6 juin 1997, Mme Champoux a rendu l'ordonnance suivante :

         [traduction] LA SECTION D'APPEL ORDONNE le rejet de l'appel. La mesure de renvoi prise le 14e jour d'août 1996 est conforme à la loi et l'appelant n'a pas démontré que, eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, il ne devrait pas être renvoyé du Canada.                 

[7]      Devant la Section d'appel, le demandeur a témoigné au sujet de ses condamnations au criminel et des actes de violence commis contre sa conjointe de fait et sa maîtresse, lesquels ont fait l'objet de deux rapports de police en 1995. Le demandeur a déclaré qu'il regrettait profondément sa conduite criminelle et qu'il avait compris ses erreurs. Il a en outre témoigné qu'il avait eu un grave problème d'alcool entre 1988 et 1996 de sorte que chaque fois qu'il prenait un verre, il devenait violent. Il a déclaré qu'il avait cessé de boire, exception faite de quelques bières durant la fin de semaine. Le demandeur n'a entrepris aucune thérapie parce qu'il estime qu'il s'est guéri. Le demandeur a également soumis des éléments de preuve visant à démontrer qu'il a subvenu aux besoins matériels de ses enfants. Comme je l'ai mentionné aux avocates à l'audience, ces éléments de preuve m'ont quelque peu surpris étant donné que le demandeur a déclaré un revenu imposable de moins de 2 000 $ pendant les années en cause.

[8]      L'avocate du demandeur a affirmé qu'elle ne pouvait pas accepter le fait que la Section d'appel a refusé d'annuler ou de suspendre la mesure d'expulsion prise contre son client. Comme celui-ci a déclaré devant la Section d'appel qu'il s'était guéri de son problème d'alcool et, partant, ne commettrait pas d'autres crimes, l'avocate du demandeur semble avoir l'impression que l'affaire s'arrête là et que la preuve règle en quelque sorte les problèmes auxquels son client fait face en vertu du sous-alinéa 27(1)b)(ii) de la Loi. En ce qui concerne la conjointe de fait, la maîtresse et les enfants du demandeur, l'avocate a attiré mon attention sur la preuve soumise à la Section d'appel au sujet du versement par le demandeur de la somme de 100 $ par semaine à chaque femme pour les soins aux enfants. L'avocate a soutenu que c'était sans l'ombre d'un doute avantageux pour la société canadienne de garder son client au Canada afin que celui-ci puisse continuer de verser des pensions alimentaires pour enfants. De plus, l'avocate m'a rappelé que la Section d'appel avait également été saisie d'éléments de preuve selon lesquels la plupart des membres de la famille du demandeur vivaient au Canada et qu'il n'était dans l'intérêt de personne de séparer le demandeur de ses enfants.

[9]      Malheureusement pour le demandeur, la Section d'appel a conclu que, eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, la mesure d'expulsion ne devrait pas être annulée ni suspendue. Le demandeur conteste cette décision, mais, à mon avis, il n'a pas démontré que la Section d'appel a commis une erreur de fait ou de droit qui m'autoriserait à modifier sa décision. Dans l'arrêt Canepa c. M.E.I., [1992] 3 C.F. 270, la Cour d'appel fédérale a eu à expliquer le sens de l'expression " eu égard aux circonstances particulières de l'espèce " qui est employée à l'alinéa 70(1)b ) de la Loi. Aux pages 285 et 286, le juge MacGuigan a donné l'explication suivante :

             La deuxième objection concerne la déclaration de la Commission selon laquelle "dans ce genre d'affaire, la Commission doit soigneusement soupeser les intérêts de la société canadienne et ceux de la personne en cause". Il s'agit, soutient l'appelant, d'un critère différent de celui prescrit par la loi, c'est-à-dire la question de savoir si "compte tenu des circonstances de l'espèce, [la personne] ne devrait pas être renvoyée du Canada".                 
             Je ne peux croire que la phrase [sic] "compte tenu des circonstances de l'espèce" signifie qu'un tribunal devrait, pour tirer une telle conclusion, détacher l'appelant de la société au sein de laquelle il vit. Le libellé législatif ne renvoie pas seulement aux circonstances de la personne , mais plutôt aux circonstances de l'affaire. Cette expression comprend certainement la personne dans son contexte global et elle fait intervenir le bien de la société et celui de la personne en particulier. Je ne peux concevoir que les considérations d'ordre social aient été envisagées de façon définitive par la mesure d'expulsion elle-même. À mon avis, l'alinéa 70(1)b) de la Loi exige qu'elles soient considérées de nouveau, mais cette fois-ci, de pair avec toutes les circonstances atténuantes pouvant être invoquées en faveur de l'expulsé.                 

[10]      Par conséquent, la Section d'appel devait, pour statuer sur l'opportunité d'annuler ou de suspendre la mesure d'expulsion, tenir compte de l'intérêt de la société canadienne et de celui du demandeur. La commissaire Champoux n'a pas motivé la décision défavorable qu'elle a rendue en l'espèce. Par ailleurs, le demandeur, qui était représenté par un avocat tant devant l'arbitre Turmel que devant la Section d'appel, n'a pas demandé à obtenir une décision motivée comme il avait le droit de le faire en application du paragraphe 69.4(5) de la Loi.

[11]      La question à trancher en l'espèce est celle de savoir si la Section d'appel a, dans le cadre de l'exercice du pouvoir discrétionnaire que lui accorde l'alinéa 70(1)b) de la Loi, commis une erreur donnant lieu à révision? Dans l'arrêt Boulis c. M.E.I., [1974] R.C.S. 875, la Cour suprême du Canada a clairement énoncé le critère en fonction duquel il faut juger l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire conféré par une loi. À la page 877, le juge Abbott a énoncé ce critère en ces termes :

             À mon avis, cependant, un appel ne peut réussir que si l'on établit que la Commission a) a refusé d'exercer sa compétence ou b) n'a pas exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère l'art. 15 conformément aux principes de droit bien établis. Quant à ces principes, Lord Macmillan, au nom du Comité judiciaire, dit dans l'arrêt D. R. Fraser and Co. Ltd. c. Le ministre du Revenu national, à la p. 36:                 
             [traduction] Les critères selon lesquels il faut juger l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire conféré par une loi ont été définis dans plusieurs arrêts qui font jurisprudence et il est admis que si le pouvoir discrétionnaire a été exercé de bonne foi, sans influence d'aucune considération étrangère, ni de façon arbitraire ou illégale, aucune cour n'a le droit d'intervenir, même si cette cour eût peut-être exercé ce pouvoir discrétionnaire autrement s'il lui avait appartenu.                         

À la page 882, le juge Laskin a expliqué le critère en ces termes :

         [...] Cela étant, la question qui reste à trancher dans la présente affaire est celle de savoir si la Commission a commis une erreur dans son appréciation de la preuve soit en la rapportant ou en la comprenant mal soit en méconnaissant certaines parties pertinentes au point de rendre la décision de la Commission contraire à la preuve. Je ne crois pas que la compétence d'appel de cette Cour à l'égard d'une décision de la Commission rendue en vertu de l'art. 15(1)b)(i) devrait s'étendre jusqu'à modifier le poids que la Commission a attribué à la preuve lorsque, considérée en elle-même ou à la lumière d'une preuve contradictoire ou divergente, la Commission doit décider de sa valeur en regard des critères établis par l'art. 15(1)b)(i).                 

[12]      J'ai examiné attentivement la preuve que le demandeur a soumise à la Section d'appel mais, malgré les arguments très pertinents invoqués par Me Rochester au nom du demandeur, je ne suis pas convaincu que la Section d'appel a commis une erreur m'autorisant à intervenir. Vu la preuve dont Mme Champoux a été saisie, je suis d'avis que la conclusion à laquelle elle est arrivée n'est pas une conclusion qui peut être qualifiée d'abusive. Mme Champoux aurait peut-être pu concevoir la preuve différemment de manière à tirer une conclusion favorable au demandeur, mais je suis convaincu que la reconnaissance du bien-fondé de l'appel n'était pas la seule conclusion qu'elle pouvait tirer. À mon avis, la preuve appuie clairement la décision de Mme Champoux de refuser de suspendre ou d'annuler la mesure d'expulsion. En définitive, Mme Champoux devait apprécier les éléments de preuve qui lui ont été soumis et décider, en gardant à l'esprit l'intérêt du Canada et celui du demandeur, si la mesure d'expulsion devrait être annulée ou suspendue. Mme Champoux a estimé que la mesure d'expulsion devrait être exécutée et, comme je viens de le mentionner, elle pouvait de toute évidence être de cet avis. De plus, il n'existe aucun élément de preuve indiquant que Mme Champoux n'a pas statué sur l'appel du demandeur de bonne foi ou a été influencée par des considérations dénuées de pertinence.

[13]      Le fondement des prétentions de Me Rochester était que son client se comporterait correctement à l'avenir, c'est-à-dire qu'il ne commettrait pas de crime, ne serait pas violent envers sa conjointe de fait ou sa maîtresse et continuerait de subvenir aux besoins matériels de ses enfants. Compte tenu des antécédents du demandeur entre 1991 et 1996 et de la preuve soumise à la Section d'appel, il ne me paraît pas évident que le demandeur a modifié ou modifiera son comportement. Peut-être qu'il le fera, comme Me Rochester le laisse entendre. Toutefois, l'État, représenté par Me Bernard, n'était pas de cet avis. Nous sommes dans le domaine du comportement humain et, par conséquent, rien n'est certain dans un sens ou dans l'autre. C'est la raison pour laquelle Mme Champoux pouvait, à mon avis, trancher l'appel du demandeur comme elle l'a fait.

[14]      Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

                                 " MARC NADON "

                                     Juge

Ottawa (Ontario)

Le 15 mai 1998

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU DOSSIER DE LA COUR :      IMM-2793-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :              RADESH BIKHARI c. MCI
LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE :                  Le 6 mai 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE NADON en date du 15 mai 1998

COMPARUTIONS :

Me Vonnie E. Rochester                  POUR LE DEMANDEUR

Me Christine Bernard                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Vonnie E. Rochester                  POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

M. George Thomson                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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