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                                                                                                                               Date : 20041102

                                                                                                                    Dossier : IMM-1645-04

                                                                                                               Référence : 2004 CF 1483

ENTRE :

                                             Nanette Wilfride MENGA MOKOMBI

                                                                                                                    Partie demanderesse

                                                                          - et -

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                         ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                      Partie défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR), rendue le 27 janvier 2004, statuant que la demanderesse n'est ni une « réfugiée » au sens de la Convention, ni une « personne à protéger » suivant les définitions données aux articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27.

[2]         Madame Menga Mokombi (la demanderesse) est une ressortissante de la République populaire du Congo (RPC). Née en 1971, elle a fait ses études en RPC et travaillait jusqu'en l'an 2000 dans l'entreprise de son père, armateur et commerçant, comme programmeur et gestionnaire.


[3]         La demanderesse est au Canada depuis octobre 2000 pour y faire des études. Elle allègue qu'elle ne peut rentrer dans son pays car elle y serait persécutée par les autorités en raison de son appartenance à un groupe social et d'opinions politiques imputées.

[4]         La CISR a rejeté la demande d'asile parce qu'elle a jugé que la demanderesse ntait pas crédible et que son témoignage ntait pas digne de foi. Le témoignage était confus, vague et hésitant. Les explications données au sujet des apparentes contradictions n'ont pas été trouvées satisfaisantes et le long délai (dix mois) à demander l'asile, après avoir appris de sa mère que les autorités la recherchaient, démontrait une absence d'urgence et de nécessité.

[5]         La demanderesse fonde sa demande de contrôle judiciaire sur deux arguments principaux : le défaut de justice naturelle et l'appréciation erronée de la preuve par la CISR.

[6]         Elle allègue que la commissaire aurait dû lui permettre de répondre en lingala. Deux passages de la transcription nous éclairent là -dessus. Le premier se situe alors qu'on tente dtablir la progression chronologique des actions des autorités en RPC; jusqu'ici, il semble qu'on ait procédé avec interprétation :

Conseiller de la demanderesse (CD) : . . . Quel premier événement qui se produit dans votre vie par les autorités en place ?

Demanderesse (D) : Je peux répondre en disant que les policiers étaient descendus chez nous à l'entreprise là où je travaillais.

CD : C'est ça, c'est parfait. Quelle est la date de cet événement-là ? Est-ce que vous vous en souvenez ?

D : Je... je ne me rappelle pas du mois exactement.

CD : Parfait.

D : Mais c'est... ctait après notre retour de Kinshasa.

CD : Qu'est-ce qui s'est produit lors de cet événement-là ?

D : O.K. Bon, je peux parler en français quelquefois et répondre...

Présidente (P) : Oui. Madame, votre première langue, là , c'est le français ?


D : C'est le français, oui.

P : J'aimerais mieux qu'on continue en français.

D : O.K.

P : D'accord ?

D : D'accord.

P : Parce qu'il y a... si c'est votre première langue, c'est votre première langue, là , on risque moins d'avoir d'erreurs dans... dans l'interprétation du témoignage. D'accord ?

D : D'accord.

P : Alors, j'aimerais ça que vous... prenez votre temps, c'est pas grave, mais répondez en français.

D : O.K.

P : D'accord ?

D : O.K.

[7]         Comme on le constate, c'est la demanderesse elle-même qui offre de parler français; la présidente s'assure qu'il s'agit de sa première langue, et qu'elle est d'accord pour procéder en français.

[8]         Un peu plus tard, alors qu'on lui pose des questions pour qu'elle précise la nature des visites de la police, la demanderesse souhaite revenir au lingala :

P : Alors, pour vous, là , vous dites qu'ils sont venus vous chercher plus de cinq fois. Votre avocat vous demande comment ça se passait ? Alors on veut savoir pour vous comment ça se passait.

D : O.K.

Je peux parler en lingala ? Ça dérange pas ?

P : Mais j'aimerais mieux en français.

D : Français.

P : Bien, prenez votre temps, mais allez-y en français.

D : O.K. Je me rappelle une fois aussi, ils sont venus, jtais à la maison . . .


[9]         À la lecture de la transcription, la demanderesse ne semble avoir aucune difficulté ni à comprendre le français, ni à s'exprimer dans cette langue. Elle a librement indiqué dans son Formulaire sur les renseignements personnels (FRP) qu'il s'agit de sa première langue. Enfin, elle a fait ses études en français.

[10]       Sur la base de la jurisprudence de notre Cour et de la Cour d'appel fédérale, je ne crois pas qu'on puisse soutenir ici qu'il y a eu défaut de justice naturelle du fait que la demanderesse n'a pu à certains moments s'exprimer « dans la langue de son choix » (voir Bykov c. Canada (M.C.I.), [1999] A.C.F. no 1459 (1re inst.) (QL), Mosa v. Canada (M.E.I.), [1993] A.C.F. no 348 (C.A.F.) (QL) et Tung c. Canada (M.E.I.), [1991] A.C.F. no 292 (C.A.F.) (QL)). Ni dans son affidavit, ni dans son mémoire, prétend-elle ne pas comprendre ou ne pas parler le français, seuil nécessaire pour enclencher l'application de l'article 14 de la Charte canadienne des droits et libertés (voir R. c. Tran, [1994] 2 R.C.S. 951). La personne qui se plaint de l'interprétation doit établir qu'un préjudice lui a été causé du fait de la mauvaise qualité de celle-ci, ce qui n'est pas en cause ici. La demanderesse revendique plutôt le droit de ne pas s'exprimer dans sa première langue. L'argument est absurde, d'autant plus que la demanderesse n'explique pas en quoi le fait de s'exprimer en lingala aurait rendu son témoignage plus crédible.

[11]       Le deuxième argument de la demanderesse porte sur l'appréciation erronée de la preuve. La CISR, par exemple, n'aurait pas tenu compte du document d'emploi qui montre qu'elle a bel et bien travaillé chez son père. Or, ce n'est pas son emploi qui a posé problème en termes de crédibilité. Ce que la CISR a de la difficulté à croire, c'est plutôt la persécution par les autorités : comment a-t-elle pu sortir trois fois du pays, y rentrer deux fois, se faire accorder une bourse, si elle était effectivement considérée comme ennemi du régime?


[12]       La demanderesse indique que son poste à l'entreprise lui a permis de verser des fonds au Mouvement congolais pour la démocratie et le développement intégral (MCDDI) et que ces versements sont la raison de sa persécution par les autorités. Elle témoigne à l'audience qu'elle faisait des chèques libellés au MCDDI, précisant qu'il s'agit du Mouvement congolais pour la démocratie et le développement intégral. Elle déclare dans son témoignage que cela représentait environ 20 millions de CFA, à raison de trois ou quatre millions à chaque fois. Pourtant, à l'entrevue avec l'agente d'immigration, elle n'arrive pas à dire ce que représente le sigle MCDDI, (elle répond « Mouvement quelque chose » ), ni les montants versés à sa connaissance. Confrontée à ce sujet par la commissaire à l'audience, la demanderesse répond qu'elle ne s'attendait pas à ces questions de la part de l'agente d'immigration.

[13]       Dans sa décision, la CISR souligne les invraisemblances de la revendication. La demanderesse prétend qu'elle et son père sont la cible d'actions policières en raison de l'association au parti de l'opposition MCDDI; pourtant, la demanderesse est sortie sans problème de son pays, à trois reprises, et elle y est revenue deux fois, sans ennui. Avant de quitter pour le Canada, elle se déplace en RPC d'une ville à l'autre, entre Pointe-Noire et Brazzaville, sans problème. Elle demande et obtient une bourse dtudes. Enfin, elle attend quelque dix mois avant de demander l'asile au Canada, ce qui mine aussi la crédibilité de sa crainte subjective.

[14]       La CISR souligne également les incohérences du témoignage. La demanderesse est incapable de fournir le déroulement chronologique des événements traduisant la persécution policière, contredisant aussi dans son témoignage ce qu'elle a écrit dans son FRP. Dans celui-ci, les ennuis avec la police se continuent en l'an 2000; dans son témoignage, elle situe les événements d'août à octobre 1999. Confrontée à cette contradiction, elle dit que les visites de la police continuent, mais qu'elles sont moins brutales.


[15]       La décision de revendiquer l'asile se fonde, d'après le FRP et le témoignage, sur les communications reçues de sa mère en janvier 2002 et février 2002, selon lesquelles, respectivement, son père aurait été arrêté et un mandat d'arrestation aurait été émis à son endroit. Pourtant, dans l'entrevue du 15 novembre 2002 avec l'agente d'immigration, à lpoque où se constitue son dossier aux fins de la demande d'asile, elle dit ne pas savoir quand son père a été arrêté et que sa mère lui a dit en janvier 2001 qu'elle était recherchée par les autorités.

[16]       Aux termes du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, je ne puis intervenir dans une décision fondée sur une conclusion de fait que si celle-ci a été tirée de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte de la preuve. À la lecture du FRP, des notes de l'agente d'immigration et de la transcription, je suis d'avis que la CISR, qui est présumée avoir pris connaissance de toute la preuve, y inclus la preuve documentaire, avait des motifs sérieux pour douter de la crédibilité de la demanderesse. J'estime en outre que l'utilisation du français, la première langue de la demanderesse, langue qu'elle parle encore et dans laquelle elle a fait ses études, ne lui a pas causé préjudice.

[17]       Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                    

       JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 2 novembre 2004


                                                              COUR FÉDÉRALE

                                               AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-1645-04

INTITULÉ :                                                       NANETTE WILFRIDE MENGA MOKOMBI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                               Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                             Le 21 septembre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                 Le juge Pinard

DATE DES MOTIFS :                                   Le 2 novembre 2004            

COMPARUTIONS :

Me Dany Brouillette                                        POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Ian Demers                                               POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dany Brouillette                                              POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Laval (Québec)

Morris Rosenberg                                          POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


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