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Date : 20020503

Dossier : IMM-1832-02

Référence neutre : 2002 CFPI 510

ENTRE :

                                                                     IVAN MARICIC

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]                 Il s'agit d'une demande de sursis d'exécution d'une mesure de renvoi déposée contre le demandeur ordonnant que ce dernier soit immédiatement renvoyé du Canada.

[2]                 Le demandeur, un citoyen de la Yougoslavie âgé de 22 ans, est arrivée à l'Aéroport international Pearson, le 8 avril 2002, à 16 heures. Il a voyagé de Belgrade en destination du Canada par l'entremise de la compagnie aérienne British Airways. À son arrivée, après avoir vérifié les documents du demandeur, l'agent principal (l'AP) a décidé qu'il devait faire l'objet d'une entrevue.


[3]                 Le demandeur est arrivé au Canada avec un passeport valide ainsi qu'un livret de marin de la Yougoslavie. Avant de se présenter à l'entrevue, le demandeur s'est assuré d'être accompagné d'un interprète serbo-croate agréé. Selon ses notes, le demandeur était en compagnie de l'agent principal de 17 à 18 h. Il a joint à sa déclaration sous serment les notes qu'il avait rédigées à la suite de l'entretien.

[4]                 Un deuxième agent principal a interrogé le demandeur de 18 h 30 à 20 h 30, et il a également joint les notes qu'il a rédigées à sa déclaration sous serment.

[5]                 Le demandeur a présenté un livret de marin qui était émis à son nom à titre de preuve d'identité. Après avoir été questionné, il a prétendu auprès des agents d'immigration qu'il était au Canada pour se présenter sur un navire en vue de remplir une obligation d'emploi. Les agents d'immigration ont tenté de corroborer les allégations du demandeur, mais ils n'ont pas été en mesure de le faire. En fait, après que les agents ont procédé aux interrogations, il a été déterminé que le navire auquel faisait référence le demandeur n'existait pas ou ne naviguait pas sur les eaux canadiennes, ni n'était attendu au cours de la période pertinente. Le demandeur n'a nié aucun des faits tels qu'il lui ont été présentés par les agents d'immigration, néanmoins il a continué à maintenir la véracité de son récit.

[6]                 Les agents d'immigration ont finalement déterminé que le demandeur tentait d'entrer au Canada à titre d'immigrant sans être en possession d'un visa d'immigrant et que, par conséquent, il n'avait aucun droit de demeurer au Canada. Conséquemment, une mesure de renvoi a été déposée contre le demandeur. Il a été, par la suite, informé qu'il serait détenu jusqu'à ce que des dispositions soient prises concernant son retour en Yougoslavie, son pays d'origine et ce, le plus rapidement possible. On lui a lu ses droits à la suite de quoi le demandeur a attesté qu'il craignait de retourner en Yougoslavie et qu'il était au Canada pour tenter d'obtenir le statut de réfugié.

[7]                 Dans sa déclaration sous serment, M. Maricic indique qu'il était en possession d'un passeport de marin qui avait été délivré à son nom, mais qu'il l'avait obtenu de façon irrégulière puisqu'il n'était pas un marin. Il affirme que ce document a été préparé par un passeur de clandestins afin de lui permettre de quitter la Yougoslavie et de voyager en destination du Canada. Il prétend qu'il est venu au Canada parce qu'il craignait d'être persécuté dans son pays d'origine, la Yougoslavie, et qu'il voulait tenter d'obtenir le statut de réfugié au Canada.


[8]                 Il poursuit en indiquant que le passeur de clandestins lui avait conseillé, dès son arrivée au Canada, de mentionner aux agents qu'il était de passage pour se rendre sur un navire pour le compte duquel il occupait un emploi et qu'après avoir clarifié sa situation en matière d'immigration et à son arrivée à Toronto, de réclamer le statut de réfugié. Il ajoute que le passeur de clandestins lui avait expliqué que s'il avouait aux agents d'immigration qu'il était en possession de faux documents, il serait immédiatement mis en détention et renvoyé en Yougoslavie sans avoir la possibilité de revendiquer le statut de réfugié. Lorsque les agents d'immigration l'ont confronté à l'Aéroport international Pearson, il leur a indiqué qu'il était un marin et qu'il était au pays pour se rapporter à l'équipage d'un navire comme on le lui avait ordonné. Même lorsque les agents d'immigration l'ont confronté en lui indiquant que le navire n'existait pas, il a continué de suivre les directives du passeur de clandestins et a maintenu qu'il était un marin qui devait se présenter sur un navire. Ce n'est qu'après que l'on ait ordonné une mesure de renvoi que le demandeur a admis aux agents d'immigration pour la première fois qu'il ne pouvait pas retourner en Yougoslavie parce qu'il craignait d'être persécuté et qu'il était venu au Canada pour revendiquer le statut de réfugié.

[9]                 L'agent d'immigration lui a indiqué qu'il ne pouvait plus revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention parce qu'il faisait l'objet d'une ordonnance d'une mesure de renvoi. Il est évident, même selon la déclaration sous serment du demandeur, que l'agent d'immigration n'a pas cru le présent demandeur en dépit de vives protestations.


[10]            Le fondement de la présente revendication du statut de réfugié consiste en une crainte fondée de persécution pour le motif qu'il appartient à un groupe politique, à une ethnie et à une religion puisqu'il vient d'une famille mixte d'origine serbe et musulmane. La présente demande vise à solliciter une injonction à l'encontre de la mesure de renvoi du Canada ordonnée à l'égard du demandeur jusqu'à ce que sa revendication du statut de réfugié au Canada puisse être entendue et qu'une ordonnance aux fins d'annulation de la mesure de renvoi à l'égard du demandeur soit prononcée. Il est soumis devant la présente Cour que si le demandeur devait être renvoyé du Canada avant qu'une décision ne soit rendue concernant sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention, cela soulèverait d'importantes questions; en outre, le fait qu'en vertu de la mesure de renvoi, il n'avait pas le droit de revendiquer le statut de réfugié constitue une autre question pouvant faire l'objet d'un litige.   

[11]            Il a été soumis que l'on n'avait procédé à aucune évaluation des risques et que le ministre avait délibérément et sciemment ignoré de tenir compte du fait qu'il était probable que la vie du demandeur soit en danger et qu'il risquait d'être victime de mauvais traitements s'il retournait en Yougoslavie.

[12]            Il a également été soumis que la mesure de renvoi aurait pour conséquence de causer au demandeur des préjudices irréparables qui pourraient difficilement constituer des dommages compensables et que la preuve révélait qu'il serait victime de préjudices irréparables s'il était, en ce moment, renvoyé du Canada.

[13]            En ce qui concerne la prépondérance des inconvénients, on affirme qu'elle joue en faveur de l'appelant puisqu'il n'a eu qu'une seule possibilité de déposer sa revendication afin d'établir le fait qu'il était un revendicateur du statut de réfugié admissible.


[14]            Le défendeur soutient que les faits selon lesquels l'appelant n'occupait aucun emploi et qu'aucun navire n'a pu être identifié à la satisfaction des agents d'immigration n'ont pas été niés et que même après qu'il ait été informé qu'aucun navire ne naviguait sur les eaux canadiennes au cours de la période pertinente, il n'a pas nié ces faits, mais a plutôt continué à affirmer la véracité de son récit. Par la suite, une mesure de renvoi a été ordonnée à l'égard du demandeur. Ce n'est qu'après qu'on l'ait informé de ses droits et qu'on lui ait indiqué qu'il serait mis en détention et qu'il serait renvoyé en Yougoslavie qu'il a affirmé qu'il craignait de retourner en Yougoslavie et qu'il était venu au Canada pour tenter de revendiquer le statut de réfugié.

[15]       Voici les critères qu'on doit remplir pour justifier l'octroi d'un sursis : l'existence d'une question grave à trancher; le préjudice irréparable qui serait causé si le sursis n'était pas accordé; le fait que la prépondérance des inconvénients est favorable à l'octroi d'un sursis.


[16]       L'avocat du demandeur soutient qu'il s'agit d'un résultat étonnant que de refuser d'accorder à un demandeur le droit de revendiquer le statut de réfugié dans les circonstances qui existent relativement à la présente affaire, puisque si le demandeur avait détruit les faux documents de voyage ou s'il avait admis qu'ils étaient faux à son arrivée au pays et qu'il avait revendiqué le statut de réfugié dès son arrivée au Canada, n'ayant jamais prétendu être quelqu'un d'autre sauf qui il est réellement, on lui aurait permis de revendiquer le statut de réfugié. Le demandeur a bénéficié des conseils du passeur de clandestins qui avait pris les dispositions nécessaires pour lui permettre de venir au Canada. Il lui a conseillé de quitter l'aéroport dès son arrivée et de revendiquer le statut de réfugié. Par conséquent, l'avocat soutient que l'approche adoptée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Singh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1985] 17 D.L.R. (4th) 422 en vue de rendre sa décision indique que l'obligation d'agir avec équité à l'égard du demandeur à l'étape de l'entrevue est plus considérable que ce que l'on croyait être au départ.

[17]       Bien que le demandeur ait allégué qu'il ne devait pas être renvoyé avant qu'une décision ne soit rendue à l'égard de sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention au Canada, le défendeur a soutenu que la Loi sur l'immigration, L.R.C., 1985, ch. I-2 était tout à fait claire à ce sujet. Conformément à l'article 44 de la Loi, si une personne est frappée d'une mesure de renvoi qui n'a pas été exécutée, aucune décision ne peut être rendue à l'égard de sa revendication du statut de réfugié. De même, l'article 44 interdit à un agent principal de réviser une décision rendue en faveur d'une mesure de renvoi, et je suis d'accord avec cette disposition.

[18]       Le paragraphe 44(1) de la Loi est ainsi rédigé :


Toute personne se trouvant au Canada peut revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention en avisant en ce sens un agent d'immigration, à condition de ne pas être frappée d'une mesure de renvoi qui n'a pas été exécutée, à moins que la mesure n'ait été annulée en appel.

Any person who is in Canada, other than a person against whom a removal order has been made but not executed, unless an appeal from that order has been allowed, and who claims to be a Convention refugee may seek a determination of the claim by notifying an immigration officer.


[19]       Dans l'arrêt Raman c. Canada, [1994] 4 C.F. 140, la Cour d'appel fédérale, en rédigeant une décision rendue par la Section de première instance, fait référence à celle rendue par le juge de première instance, comme il est énoncé au paragraphe 9 :

À mon avis, le paragraphe 44(1) de la Loi empêche manifestement l'AP de rouvrir une décision visant l'exclusion de l'intéressé. Une fois cette décision rendue, le réfugié ne peut tenter d'obtenir la reconnaissance du statut de réfugié à moins que la mesure n'ait été annulée en appel . Les décisions qu'invoque le requérant se distinguent de la présente espèce en ce sens qu'elles n'émanaient pas d'un AP agissant sous le régime du paragraphe 44(1) de la Loi.


[20]       La Cour d'appel poursuit et indique que :

¶ 9 [...] Le législateur a déterminé que les revendications du statut de réfugié doivent être présentées avant qu'une mesure de renvoi soit prise contre une personne. Il a expressément indiqué que les revendications du statut de réfugié ne peuvent être entendues dans une situation en particulier, c'est-à-dire lorsque la revendication est présentée après qu'une mesure de renvoi a été prise. En adoptant cet article, le législateur avait manifestement l'intention d'empêcher certaines personnes, ayant été exclues du Canada sur la base d'un premier récit, de revendiquer le statut de réfugié en modifiant ce récit. Si la présente Cour autorisait la réouverture de mesures de renvoi afin de permettre l'examen de ces revendications, cet article perdrait tout son effet.

[10] Je suis également d'avis que le législateur, en adoptant le paragraphe 44(1), avait l'intention de permettre le contrôle judiciaire des mesures de renvoi. Il convient de noter que le paragraphe 44(1) de la Loi parle d'un « appel » interjeté contre une mesure de renvoi, alors qu'en fait aucun « appel » n'est véritablement prévu. À mon avis, le législateur voulait que le mot « appel » utilisé au paragraphe 44(1) englobe le contrôle judiciaire. Il s'ensuit que la procédure appropriée pour contester une mesure de renvoi n'est pas d'en demander la réouverture, mais plutôt le contrôle judiciaire devant la Section de première instance de la présente Cour.

[21]       Dans l'arrêt Sahi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 523 (QL) (C.F. 1ère inst.), Madame le juge Reed stipule aux paragraphes 6 à 8 que :

Il ne fait aucun doute, à mon avis, que l'agent d'immigration supérieur a signé la mesure d'exclusion avant que le demandeur ne lui révèle sa véritable identité et que celui-ci mentionne qu'il souhaitait revendiquer le statut de réfugié. [...] Comme je l'ai déjà souligné, la mesure a été signée avant que le demandeur ne mentionne son intention de revendiquer le statut de réfugié. La présente affaire ne soulève pas de question grave à trancher pour ce qui est de cette affirmation de fait.


[22]       Bien qu'il ait été suggéré à la présente Cour que l'obligation d'agir avec équité comportait la nécessité que les agents d'immigration évaluent la possibilité d'une revendication du statut de réfugié, au cours de l'entrevue, et de donner une chance à l'appelant de déposer une revendication du statut de réfugié avant qu'il ne soit frappé d'une mesure de renvoi, la jurisprudence stipule en des termes très simples qu'une telle obligation n'existe pas dans le contexte de l'immigration. À cet effet, la décision de la Section d'appel de l'immigration (la SAI) rendue dans l'arrêt Nguyen c. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), [1996] I.A.D.D. no 474 (QL) est ainsi

énoncée :

[TRADUCTION]

¶ 10      Dans le contexte de l'immigration, comme dans tout autre contexte, la règle exigeant d'assurer adéquatement la possibilité d'être entendu (la règle du audi alteram partem) comporte plusieurs éléments, notamment le droit d'être informé d'une procédure, le droit de connaître l'affaire à l'égard de laquelle la Cour doit rendre une décision, le droit à l'interprétation et à un avocat, le droit à une participation entière ainsi que le droit d'être entendu par la ou les personnes appelées à rendre une décision.

¶ 11      Le demandeur ne prétend pas qu'on lui ait refusé le droit de participer entièrement à l'enquête. Il ne prétend pas que les arbitres qui ont pris une mesure d'expulsion contre le demandeur lui aient refusé le droit d'être entendu. Il ne prétend pas non plus qu'on lui ait refusé le droit à un interprète. Cependant, il prétend qu'il n'a pu bénéficier de son droit à un avocat en raison de sa situation financière et que, conséquemment, les renseignements concernant la nature et les conséquences de l'enquête dont il a fait l'objet ne lui ont pas été fournis au moment opportun. Par conséquent, il prétend qu'on lui a effectivement refusé le droit d'être informé d'une procédure ainsi que le droit de connaître l'affaire à l'égard de laquelle la Cour doit rendre une décision.

¶ 13      Le tribunal admet également qu'un arbitre, au même titre que tout autre preneur de décision, doit être méticuleux lorsqu'il doit exécuter ses fonctions. Le tribunal admet notamment qu'un arbitre doit être particulièrement vigilant lorsqu'il s'agit de protéger les droits d'une personne non représentée par un avocat. Cependant, de l'avis du tribunal, un arbitre ne doit pas outrepasser ses fonctions, telles qu'elles sont mandatées par la Loi ou le droit commun, conformément aux principes de la justice naturelle.


¶ 14       Un examen du dossier du présent appel révèle que le demandeur a reçu des copies des documents portant sur l'enquête avant que celle-ci ne débute. Ces documents ont été traduits à son intention et inclus un RAPPORT EN VERTU DE L'ARTICLE 27 DE LA LOI SUR L'IMMIGRATION ainsi que des DIRECTIVES AUX FINS D'ENQUÊTE EN VERTU DU PARAGRAPHE 27(3) DE LA LOI SUR L'IMMIGRATION DE 1976. Ainsi, l'arbitre a expliqué l'objectif général de l'enquête, puis a énoncé en détail les implications d'une mesure d'expulsion, dans la mesure où celles-ci sont en rapport avec le renvoi du Canada, ainsi que celles d'un retour subséquent. Enfin, il énonce également le droit du demandeur d'interjeter appel devant la Section d'appel. L'appelant ne prétend pas qu'on lui ait refusé le droit d'être adéquatement informé d'une procédure ou d'accéder à des renseignements concernant l'affaire à trancher à cet égard. Cependant, il prétend qu'à d'autres égards, on lui a refusé le droit d'être adéquatement informé et d'accéder à des renseignements pertinents. Il prétend qu'une personne qui n'est pas représentée par un avocat dans le cadre d'une enquête ne peut être censément au courant du processus de décision à l'égard d'une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention. Il prétend également qu'une telle personne ne peut être censément au courant qu'une mesure d'expulsion exclut effectivement toute éventuelle revendication du statut de réfugié au sens de la Convention. Bien qu'il reconnaisse que la Loi n'exige pas qu'un arbitre évalue la possibilité de déposer une revendication du statut de réfugié au cours d'une enquête, il prétend, en raison des conséquences d'une mesure d'expulsion, que les principes de la justice naturelle, pour leur part, l'exigent.

¶ 15      Le demandeur et le défendeur s'accordent pour reconnaître qu'à compter du 1er février 1993, la Loi a été modifiée en vue d'apporter des changements aux fonctions particulières d'un arbitre dans le cadre d'une enquête. Avant cette date, un arbitre était tenu d'évaluer la possibilité de déposer une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention dans le cadre de chaque enquête. Lorsqu'une telle revendication était déposée selon les procédures, celle-ci était renvoyée à la Section du statut de réfugié aux fins d'examen, et au cours de cet examen, l'enquête était suspendue. Dorénavant, un arbitre n'est plus tenu d'évaluer la possibilité de déposer une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention dans le cadre de chaque enquête. Cependant, si une telle revendication est déposée selon les procédures, celle-ci est renvoyée à un agent principal aux fins d'étude, et l'enquête se poursuit néanmoins jusqu'à sa conclusion. Alors qu'auparavant il était nécessaire qu'une mesure d'expulsion soit prononcée, la Loi prévoit une ordonnance de mesure d'expulsion conditionnelle pendant le processus d'examen d'une revendication du statut de réfugié. Tout comme auparavant, avant que les modifications n'entrent en vigueur, aucune revendication du statut de réfugié au sens de la Convention ne peut être déposée une fois la mesure d'expulsion prononcée, y compris une mesure d'expulsion conditionnelle.

¶ 16      Ces modifications apportées à la Loi changent-elles fondamentalement les fonctions d'un arbitre dans le cadre d'une enquête? Dans l'arrêt Do Dao, Ngoc Quy c. M.E.I., un collègue de la Section d'appel, appelé à trancher à l'égard d'allégations semblables à celles émises par le présent demandeur, a conclu que tel était en effet le cas du simple fait de leur existence. De plus, une analyse du régime législatif maintenant énoncé dans la Loi peut amener la Cour à parvenir à une conclusion semblable, bien que l'on puisse constater qu'elle diffère légèrement en matière de raisonnement. L'obligation précédemment citée prévue par la Loi selon laquelle un arbitre est tenu d'évaluer la possibilité de déposer une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention peut bien avoir été ajoutée à la Loi tout simplement parce qu'une enquête devait être suspendue au cours du processus d'examen d'une telle revendication, ce qui, bien sûr, n'est plus le cas maintenant. Étant donné qu'un arbitre peut maintenant conclure une enquête simultanément ou subséquemment à un processus d'examen d'une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention et qu'il est uniquement appelé à déterminer si une mesure d'expulsion doit être conditionnelle ou inconditionnelle, il ne lui est plus nécessaire d'évaluer la possibilité de déposer une revendication du statut de réfugié au cours d'une enquête. La Loi a manifestement été modifiée afin d'éliminer l'obligation de l'arbitre à cet égard et, conséquemment, la présente Cour peut considérer qu'il s'agit d'une conclusion relativement à la présente affaire.

¶ 17      Il va sans dire que le tribunal ne peut deviner les intentions du Parlement concernant les modifications législatives, et nous ne pouvons pas supposer qu'il s'agit d'un caprice ou qu'elles ont été apportées par inadvertance. Cependant, ceci étant dit, les principes de la justice naturelle peuvent prévoir des obligations à l'égard des décideurs lorsque les lois ne stipulent aucune disposition à cet égard. L'ancienne loi prévoyant l'obligation d'un arbitre dans le cadre d'une enquête s'articulait-elle autour des ces principes? Si tel est le cas, alors la suppression de cette obligation dans la Loi ne modifie pas nécessairement les fonctions que doit exécuter un arbitre dans le cadre d'une enquête.


¶ 18       Bien que les principes de la justice naturelle soient souples, selon la nature de l'affaire en vertu de laquelle ils doivent être évalués, le droit d'être informé d'une procédure et le droit de connaître l'affaire à trancher sont en général interprétés de manière à signifier qu'une personne faisant l'objet de l'exercice de pouvoirs quasi-judiciaires doit être informée de la nature d'une décision en instance, du moment du prononcé et de ses conséquences, ainsi que de la preuve sur laquelle s'appuiera le tribunal. Par conséquent, ces droits sont particulièrement concernés tout en assurant une véritable possibilité de présenter entièrement une affaire devant un décideur. Le tribunal ne connaît aucun cas où il n'a pas été tenu d'exiger que des renseignements relatifs à des questions qui n'étaient pas directement en cause soient fournis dans le cadre d'une procédure, ce qui signifie que nous ne connaissons aucun cas où il a été tenu d'exiger qu'un arbitre explique en détail les implications indirectes de la façon dont une affaire sera tranchée. Par exemple, un juge n'est pas tenu d'aborder les conséquences d'une condamnation à l'égard d'un statut d'immigrant sans avoir d'abord reçu un plaidoyer, entendu les allégations, ou sans être parvenu à une conclusion ou sans avoir imposé une peine dans le cadre d'un procès criminel. De même, un membre d'un tribunal administratif n'est pas tenu d'aborder les conséquences des modifications en instance apportées aux lois sans avoir d'abord reçu, examiné et traité une demande de remise de procès qui pourrait, en raison du délai, avoir un effet sur certains droits fondamentaux. Les principes de justice naturelle, néanmoins, n'obligent-ils pas un arbitre à évaluer la possibilité de déposer une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention avant de conclure une enquête? Si tel est le cas, à notre avis il doit en être ainsi selon la nature d'une revendication du statut de réfugié et du rejet final d'une telle revendication, conformément au processus d'enquête.

¶ 19       Le tribunal admet que des personnes qui craignent d'être persécutées dans d'autres pays manifestent un intérêt considérable quant à la possibilité d'accéder au processus de détermination du statut de réfugié au sens de la Convention en vigueur dans ce pays. Il admet que le droit à une vie exempte d'une telle crainte représente un droit fondamental qui doit être largement protégé. Ceci étant dit, le tribunal est convaincu, au même titre que notre collègue susmentionné, que le fardeau de porter à la connaissance du demandeur le fonctionnement de notre système de détermination du statut de réfugié semble être entièrement lié à la personne qui souhaite se réclamer de sa protection.

¶ 20       L'appelant était au Canada depuis presque onze ans avant que son enquête ne débute. Il pouvait réclamer le statut de réfugié au sens de la Convention en tout temps au cour de la période en cause. Il a été informé de son enquête, de son objectif et de ses conséquences qui lui ont été expliquées. Il a été informé des conséquences d'une mesure d'expulsion, dans la mesure où celle-ci aurait un effet sur son renvoi du Canada et prévoirait des restrictions dans l'éventualité d'un retour au Canada. Il a été informé des preuves déposées en vue d'appuyer la mesure d'expulsion et il a eu la possibilité de les réfuter. L'enquête n'a, d'aucune façon, été menée en vue de traiter une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention. Le processus de détermination du statut de réfugié est assez distinct du processus d'enquête, hormis la conséquence indirecte selon laquelle une personne n'est libre de déposer une revendication du statut de réfugié que lorsqu'une mesure d'expulsion est réellement déposée contre elle. Une mesure d'expulsion, qu'elle soit conditionnelle ou inconditionnelle, peut être présentée devant la Section d'appel afin que celle-ci puisse procéder à un examen minutieux semblable. Bien qu'il soit prudent, ou tout simplement humain de le faire, le tribunal est convaincu que les principes de la justice naturelle, en particulier ceux en rapport avec la règle du audi alteram partem, n'obligent pas un arbitre d'enquêter sur une crainte de persécution ou d'indiquer qu'une mesure d'expulsion empêche d'accéder au processus de détermination du statut de réfugié au sens de la Convention au Canada. [Non souligné dans l'original et citations omises.]


[23]       Le juge Pinard a traité de la question d'une entrevue de deuxième étape dans Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 44 Imm. L.R. (2d) 129. Il a écrit :

            [...] en réalité, c'est le manque de franchise de la requérante qui lui a fait perdre le droit de revendiquer le statut de réfugié (voir, par exemple, les arrêts Mbulu c. Canada (M.C.I.) (1995), 94 F.T.R. 81, et Nayci c. Canada (M.C.I.) (1995), 105 F.T.R. 122). Dans les circonstances de la présente affaire, je suis donc d'avis qu'il n'était pas nécessaire, au nom de l'équité, d'aviser la requérante de la nature et des conséquences du deuxième interrogatoire. En réalité, la requérante aurait dû savoir qu'elle risquait de ne pas être autorisée à entrer au Canada. (Voir également Umba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2001] A.C.F. no 870 (QL) aux paragraphes 16 et 17.)

[24]       Enfin, la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Raman, précité, est appelée à trancher une affaire très semblable à celle en cause en ce sens que l'omission de revendiquer le statut de réfugié immédiatement à l'arrivée au pays représentait le résultat de renseignements erronés fournis au demandeur. Ainsi, dans sa décision, la Cour stipule au paragraphe 14 :

Bien que l'on puisse soutenir que l'appelant a été mal informé concernant le moment le plus approprié pour revendiquer le statut de réfugié, je ne vois pas comment cela peut le décharger de son obligation de dire la vérité quand il se présente à la frontière d'un pays. Un agent principal n'a aucunement l'obligation de reconsidérer les déclarations de personnes qui refusent de se prévaloir de la possibilité de revendiquer le statut de réfugié.


[25]       L'avocat du défendeur m'a renvoyé aux notes qu'avait prises le premier agent principal lorsqu'il avait interrogé le présent demandeur à l'aéroport. Bien qu'on ne lui ait pas demandé s'il souhaitait revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention, on lui a cependant précisément demandé la question suivante : « Votre retour en Yougoslavie peut-il s'avérer problématique pour vous? » , le demandeur a répondu par la négative. Par ailleurs, même après que le deuxième agent chargé d'interroger le demandeur lui ait mentionné les difficultés à tenter de localiser le navire ou de procéder à une enquête plus approfondie, et après qu'il ait confronté le demandeur avec ces faits, ce dernier a toujours affirmé la véracité de son récit.

[26]       Le demandeur a également suggéré que l'absence d'une évaluation des risques contrevient aux principes de la justice naturelle.

[27]       À cet égard, le défendeur affirme que la question fondamentale porte en l'espèce sur la crédibilité. Comme je l'ai souligné dans la citation tirée des notes rédigées par le premier agent chargé d'interroger le demandeur, ce dernier, en aucun moment au cours de son enquête, n'a exprimé une quelconque crainte d'être persécuté s'il retournait en Yougoslavie. S'il l'avait fait bien avant que la mesure d'expulsion ne soit prise à son égard, la fonction de l'arbitre à titre d'agent d'immigration aurait été tout à fait différente. Manifestement, ni l'article 44 de la Loi ni la jurisprudence de la présente Cour n'empêchent quiconque de revendiquer le statut de réfugié au Canada ni ne lui interdisent d'entrer au Canada sans lui avoir au préalable donné la possibilité d'obtenir un tel statut dans de telles circonstances. De telles personnes sont parfaitement libres d'agir ainsi lorsqu'elles modifient leur récit. Cependant, comme je l'ai mentionné, le demandeur, en aucun temps au cours des entretiens qui ont eu lieu avant qu'une mesure d'expulsion ne soit prise contre lui, n'a exprimé une quelconque crainte d'être persécuté s'il retournait en Yougoslavie. De plus, et en bout de ligne, aucune preuve objective qui démontrait que le demandeur avait des motifs raisonnables de craindre que sa vie serait en danger ou qu'il risquerait d'être victime de mauvais traitements s'il devait retourner en Yougoslavie n'a été présentée à la Cour.   


[28]       À la lumière de la jurisprudence existante qui, manifestement, s'applique aux circonstances de l'affaire en l'espèce, je ne peux admettre que l'argument selon lequel la décision rendue dans l'arrêt Singh, antérieure à toutes les décisions auxquelles j'ai précédemment fait référence, change quoi que ce soit relativement à la fonction qui relève d'un agent principal à l'égard d'une personne dans la même situation que le demandeur de la présente affaire. Je ne crois pas, si je me fonde sur cette décision qui appuie une conclusion, que l'obligation d'évaluer la possibilité de revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention au cours de l'enquête avant que ne soit prise une mesure d'expulsion existait dans les circonstances de l'affaire en l'espèce. À mon avis, le demandeur a omis de convaincre la présente Cour du bien-fondé de sa demande.

[29]       En ce qui concerne les préjudices irréparables, comme l'a souligné l'avocat du défendeur, il serait simplement hypothétique, à cette étape-ci, de tenir compte des faits et des circonstances de l'affaire en l'espèce. Il n'y a aucune preuve appuyant l'allégation concernant sa crainte d'être éventuellement persécuté en Yougoslavie.

[30]       Enfin, la prépondérance des inconvénients tend clairement en faveur du ministre. L'intérêt public et la Loi exigent que le ministre mette à exécution les mesures d'expulsion de façon expéditive et le plus rapidement possible, dans la mesure du raisonnable.


[31]       Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire de la mesure d'expulsion est rejetée et le sursis de la mesure de renvoi est refusé.

                                                                                                                                                « P. Rouleau »     

                                                                                                                                                                 Juge           

Ottawa (Ontario)

Le 3 mai 2002

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                   

No DU GREFFE :                                IMM-1832-02

INTITULÉ :                                        Ivan Maricic c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :              Le 29 avril 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS :                      Le 3 mai 2002

COMPARUTIONS:

Rodney Woolf                                                                          POUR LE DEMANDEUR

Michael Butterfield                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Rodney Woolf

Toronto (Ontario)                                                                     POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                        POUR LE DÉFENDEUR


Date : 20020503

Dossier : IMM-1832-02

Ottawa (Ontario), le 3 mai 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

ENTRE :

IVAN MARICIC

demandeur

                                                                                   

                                                                                   et

LE MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE

[1]         La demande du contrôle judiciaire relativement à la mesure de renvoi est refusée et le sursis d'exécution de la mesure de renvoi est rejeté.

                                                                                                                                                « P. Rouleau »          

                                                                                                                                                                 Juge                   

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.

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