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     Date : 19990122

     Dossier : T-1263-98

ENTRE :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     appelant,

     - et -

     YA YUN YANG,

     intimée.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE BLAIS

[1]      Il s'agit d'un appel interjeté au nom du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté et de l'article 21 de la Loi sur la Cour fédérale contre la décision en date du 21 avril 1998 par laquelle le juge de la citoyenneté J. Hong a approuvé la demande d'attribution de citoyenneté présentée par l'intimée en vertu du paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté.

[2]      Par sa décision en date du 21 avril 1998, le juge de la citoyenneté a conclu que l'intimée avait rempli les conditions en matière de résidence prescrites à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, en dépit du fait qu'elle avait été physiquement présente au Canada pendant 584,5 jours seulement et qu'il lui manquait 510,5 jours pour satisfaire à la condition d'une présence minimale de trois ans (1 095 jours) au Canada dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande de citoyenneté.

[3]      L'avocat de l'appelant affirme que le juge de la citoyenneté a commis une erreur en concluant que l'intimée avait rempli les conditions de résidence prescrites à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, c'est-à-dire que dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, l'intimée avait accumulé au moins trois années de résidence au Canada.

[4]      L'avocat de l'appelant affirme en outre que l'intimée n'a pas centralisé son mode de vie au Canada et que le juge de la citoyenneté a commis une erreur de droit et une erreur de fait en approuvant la demande de citoyenneté de l'intimée.

LES FAITS

[5]      L'intimée est née à Taïwan le 31 décembre 1974. Elle est entrée au Canada munie d'un visa d'étudiant le 8 septembre 1991. Elle a fait des études secondaires à Vancouver et a obtenu son diplôme d'études secondaires en juin 1995. Le 23 mars 1995, l'intimée, ainsi que ses parents et son frère, a obtenu la résidence permanente au Canada.

[6]      L'intimée est ensuite restée au Canada pendant environ trois mois, soit jusqu'au 30 juin 1995, puis elle est retournée à Taïwan pour des vacances qui ont duré soixante-huit jours. Elle est revenue au Canada le 6 septembre 1995 et y est demeurée jusqu'au 9 décembre 1995, date à laquelle elle est retournée à Taïwan pour des vacances qui ont duré trente-deux jours. Elle est revenue au Canada le 10 janvier 1996 et y est demeurée jusqu'au 13 avril 1996. Elle a ensuite quitté le Canada pendant cent soixante-dix jours pour aller prendre soin de sa grand-mère malade à Taïwan. L'intimée est revenue au Canada le 30 septembre 1996 et y est restée pendant quatre jours. Elle est retournée à Taïwan le 3 octobre 1996, encore une fois pour aller voir sa grand-mère malade. Elle est restée à Taïwan pendant cent soixante-quatre jours avant de revenir au Canada le 16 mars 1997. Le 26 mars 1997, elle a demandé la citoyenneté canadienne.

[7]      Au total, l'intimée a été physiquement présente au Canada pendant 584,5 jours au cours des quatre ans qui ont précédé sa demande de citoyenneté, de sorte qu'il lui manquait 510,5 jours.

[8]      L'intimée a fourni peu ou pas d'éléments de preuve indiquant qu'elle a des attaches personnelles, importantes et permanentes avec la collectivité canadienne. En fait, il ressort de la preuve qui a été soumise au juge de la citoyenneté que l'intimée elle-même a déclaré aux agents d'immigration qu'elle n'avait pas vécu au Canada depuis qu'elle avait obtenu le droit d'établissement et qu'elle ne pouvait pas y vivre parce qu'elle devait travailler pour l'entreprise familiale.

[9]      Au cours de la période pertinente, l'intimée a fait quelques brefs séjours au Canada. Après le mois de janvier 1996, elle n'a ni travaillé, ni exploité une entreprise ni étudié au Canada. Je crois savoir que l'intimée a inscrit sur sa demande d'admission dans une université ontarienne qu'elle avait suivi des cours à l'Université York de septembre 1995 à avril 1996. L'intimée a affirmé qu'elle avait interrompu ses études. Ensuite, la preuve indique qu'elle a présenté une demande d'admission en économie dans une université ontarienne, soit l'Université York, le 13 avril 1998. Elle a comparu devant le juge de la citoyenneté une semaine plus tard. Nous ne savons pas si elle est actuellement aux études ou si elle est toujours en congé.

[10]      L'avocat de l'appelant a fait valoir qu'il ressort de la preuve soumise au juge de la citoyenneté qu'à son retour au Canada le 16 mars 1997 (juste avant sa demande de citoyenneté) après une absence de 164 jours, l'intimée a fait la déclaration suivante à un agent d'immigration au point d'entrée, ainsi que l'attestent les notes de l'agent :

     [traduction] L'intéressée a immigré au Canada le 23 mars 1995. Elle n'a pas vécu au Canada depuis cette date. L'intéressée affirme qu'elle ne peut pas vivre au Canada parce qu'elle doit travailler pour l'entreprise familiale à Taïwan. L'intéressée affirme qu'elle restera au Canada pendant un mois puis retournera chez elle à Taïwan. L'intéressée affirme que sa famille possède une maison au Canada et que son frère va à l'école au Canada. Aucun autre membre de sa famille n'est au Canada. Aucun membre de sa famille ne travaille au Canada. Les seuls impôts payés sont des impôts fonciers.         

[11]      De plus, lorsque l'intimée a demandé un permis de retour pour résident permanent le 22 septembre 1997, elle a fait la déclaration suivante à un agent d'immigration :

     [traduction] PRR /R001699036 Délivré à la cliente le 22 sept. 97 et valide jusqu'au 22 sept. 98. Délivré en vertu du sous-alinéa 26(2)c)(iv). L'intéressée dispose de biens. Elle affirme qu'elle terminait des études universitaires auparavant et qu'elle recommencera à vivre en permanence au Canada en sept. 98. Droits acquittés #16835. Cr/3708.         

[12]      La seule preuve documentaire que l'intimée a soumise au juge de la citoyenneté concernant ses activités au Canada était une copie d'un compte bancaire, d'une carte d'assurance sociale, d'un permis de conduire de l'Ontario et d'une carte de crédit.

[13]      Je dois répondre à une question très simple : l'intimée a-t-elle centralisé son mode de vie au Canada?

[14]      Dans l'affaire Koo, Madame le juge Reed a déclaré :

     La conclusion que je tire de la jurisprudence est la suivante: le critère est celui de savoir si l'on peut dire que le Canada est le lieu où le requérant "vit régulièrement, normalement ou habituellement". Le critère peut être tourné autrement: le Canada est-il le pays où le requérant a centralisé son mode d'existence? Il y a plusieurs questions que l'on peut poser pour rendre une telle décision:         
     1) la personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?         
     2) où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?         
     3) la forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu'elle n'est qu'en visite?         
     4) quelle est l'étendue des absences physiques (lorsqu'il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?         
     5) l'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger)?         
     6) quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada: sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?1         

[15]      En l'espèce, l'intimée n'a pas rempli les conditions prescrites en matière de résidence durant la période pertinente. L'intimée n'a pas centralisé son mode de vie au Canada.

[16]      Il ressort de la preuve que l'intimée faisait des séjours au Canada d'après ce qu'elle a déclaré aux agents d'immigration lorsqu'elle est entrée au Canada.

[17]      Je suis convaincu que le juge de la citoyenneté a commis une erreur en concluant que l'intimée avait rempli les conditions prescrites en matière de résidence en l'espèce. Il ressort clairement de la preuve au dossier que l'intimée n'a pas établi sa résidence au Canada.

[18]      L'intimée n'étudie pas et ne travaille pas au Canada. De plus, elle n'a pas prouvé qu'elle s'était intégrée à la société canadienne ni qu'elle avait des attaches avec le Canada.

[19]      Pour ces motifs, l'appel est accueilli et la décision du juge de la citoyenneté est annulée.

                                 " Pierre Blais "

                                         Juge

Toronto (Ontario)

Le 22 janvier 1999

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Noms des avocats et avocats inscrits au dossier

NUMÉRO DU GREFFE :              T-1263-98

INTITULÉ :                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     appelant,

                         - et -

                         YA YUN YANG,

     intimée.

DATE DE L'AUDIENCE :              LE JEUDI 21 JANVIER 1999

LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE BLAIS

EN DATE DU :                  VENDREDI 22 JANVIER 1999

COMPARUTIONS :              Stephen Gold

                             Pour l'appelant

                         Aucune comparution

                             Pour l'intimée (qui s'est représentée elle-même)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      Morris Rosenberg

                         Sous-procureur général du Canada

                                 Pour l'appelant

                         Ya Yun Yang

                         210, avenue Maplehurst

                         North York (Ontario)

                         M2N 3C2

                             Pour l'intimée (qui s'est représentée elle-même)

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Date : 19991122

     Dossier : T-1263-98

Entre :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     appelant,

     - et -

YA YUN YANG,

     intimée.

     MOTIFS DU JUGEMENT

__________________

     1      [1993] 1 C.F. 286, aux pages 293 et 294.

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