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Date : 20010209

Dossier : IMM-1291-99

Référence : 2001 CFPI 48

ENTRE :

                                               KULAMANIDEVI YOGESWARAN

JEEVARAJ YOGESWARAN

THARSA YOGESWARAN

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                          - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MACKAY :

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision rendue par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SSR), en date du 17 février 1999, par laquelle celle-ci a statué que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention aux termes de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, sous sa forme modifiée [la Loi].


[2]                La demanderesse principale est Kulamanidevi Yogeswaran, une femme âgée de 41 ans. Elle est la représentante désignée pour les demandeurs d'âge mineur, soit son fils de 11 ans Jeevaraj Yogeswaran et sa fille de 10 ans Tharsa Yogeswaran. Le 6 novembre 1997, les demandeurs sont arrivés au Canada et ont revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention. Ils prétendent avoir une crainte fondée de persécution du fait de leur race, de leur nationalité, de leurs opinions politiques_et de leur appartenance à un groupe social, nommément les jeunes Tamouls de Jaffna.

[3]                On peut résumer de la manière suivante le fondement sur lequel les demandeurs s'appuient pour revendiquer le statut de réfugié. La demanderesse principale prétend qu'elle et son époux ont fait l'objet de harcèlement de la part des Tigres de libération de l'Eelam tamoul (TLET) lorsque le couple vivait dans la région de Jaffna, au Sri Lanka. Ils étaient tenus de leur verser une taxe d'affaires mensuelle et étaient contraints à travailler pour eux. La demanderesse principale allègue qu'en octobre 1995, on a forcé sa famille à fuir vers le sud jusqu'à Kilinochchi, puis à Puthukudiyiruppu où, en juin 1997, son époux aurait été enlevé par les TLET. Avec l'aide de son beau-père, la demanderesse principale et ses deux enfants se sont rendus à Colombo. Ils n'ont pu y trouver de logement permanent et la demanderesse principale n'a pu inscrire ses enfants à l'école. Elle dit avoir été contrainte à signer un document rédigé en singhalais et à se présenter à un poste de police sur une base hebdomadaire. Les demandeurs prétendent qu'ils ont quitté le Sri Lanka parce qu'ils ne pouvaient plus [TRADUCTION] « mener de vie normale à Colombo » .


[4]                Le 23 novembre 1998, une formation d'une personne de la SSR (la commission) a été saisie de la revendication. Les deux questions principales qui ont été soulevées lors de l'audience portaient sur l'identité des demandeurs et leur crédibilité. Afin de prouver leur identité, les demandeurs ont présenté leurs cartes d'identité nationale du Sri Lanka ainsi que leurs certificats de naissance.

[5]                Dans sa décision du 17 février 1999, la commission a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. De l'avis de la commission, les demandeurs ne se sont pas acquittés de leur fardeau de preuve pour démontrer qu'ils sont réellement les personnes qu'ils prétendent être, ni pour produire des éléments de preuve crédibles ou dignes de foi. La commission a motivé de la manière suivante sa conclusion portant que la demanderesse principale n'a pas prouvé l'identité des demandeurs.


[6]                Il ressort de la carte d'identité nationale de la demanderesse principale que son nom de jeune fille est Kandiah Kulamanidevi, alors que les Renseignements sur l'admissibilité au Canada et la revendication du statut de réfugié (formulaire CIC) révèlent que son nom de jeune fille est « Kandappoo » , tandis que son certificat de naissance indique que le nom de son père est Shanmugan Kanthappu. Lorsqu'on l'a interrogée relativement à ces incohérences, la demanderesse principale a indiqué que son père s'appelle Kanthappu Kandiah et que le certificat de naissance comporte des renseignements erronés. Lors de l'audience, les demandeurs d'âge mineur ont témoigné qu'ils ne connaissaient leur grand-père maternel que sous le nom de « Kandappoo » . La commission a déterminé que les incohérences inexpliquées soulevaient de sérieux doutes à propos de l'identité de la demanderesse principale et des documents qu'elle a produits.

[7]                La demanderesse principale a produit quatre pièces d'identité indiquant trois différentes dates de naissance. Dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), elle a indiqué que sa date de naissance est le 14 novembre 1957. Cette date de naissance figure également sur sa carte d'identité nationale. Cependant, son certificat de naissance indique qu'elle est née le 26 novembre 1957. Les certificats de naissance des demandeurs d'âge mineur attestent que la date de naissance de leur mère, la demanderesse principale, est le 29 novembre 1957. Celle-ci a témoigné que c'est son époux qui a fait les démarches pour l'obtention des certificats de naissance et qu'il a dû commettre une erreur en raison de la confusion entraînée par le déplacement de la famille. Elle a en outre déposé que lorsque son époux a obtenu les certificats de naissance, il n'avait pas en sa possession la carte d'identité nationale de la demanderesse principale, car son beau-père l'avait emmenée avec lui pour enregistrer autre chose. La commission a noté que, quoique l'époux de la demanderesse principale ait supposément obtenu les certificats de naissance, sa propre date de naissance sur ces certificats porte la mention [TRADUCTION] « Inconnu » .


[8]                Dans son FRP, la demanderesse principale a uniquement indiqué le mois et l'année de naissance de son époux, soit mai 1957. Elle a témoigné qu'elle ne connaissait pas la date de naissance exacte de son époux. La commission n'a pas trouvé que cette explication était raisonnable. Pour compliquer davantage la situation, la demanderesse principale a inscrit la date de naissance de son époux comme étant le 16 juin 1957 sur son formulaire CIC et sur celui de ses enfants.

[9]                De plus, la commission a noté que, bien que les certificats de naissance de la demanderesse principale et de ses deux enfants comportent les mêmes dates de demande et d'émission, soit le 31 janvier 1994, la date de naissance de la demanderesse principale qui est consignée dans ces documents n'est pas constante.


[10]            Dès le début de l'audience, la demanderesse principale a modifié son FRP et celui de son fils en changeant la date de naissance de celui-ci. Elle a également modifié le FRP de sa fille en changeant sa date de naissance. Les dates modifiées correspondent à celles qui figurent sur les certificats de naissance des demandeurs d'âge mineur. La commission a conclu que la demanderesse principale a modifié les FRP afin de les rendre conformes aux certificats de naissance qu'elle affirmait être authentiques. La commission a en outre noté que les dates de naissance des demandeurs d'âge mineur qui apparaissent sur leurs formulaires CIC ne correspondent pas aux dates de naissance qui figurent sur leurs FRP et leurs certificats de naissance. La commission a estimé qu'il n'était pas raisonnable d'accepter que la demanderesse principale ne connaisse pas les dates de naissance exactes de ses propres enfants, même si c'est ce qui paraissait ressortir des modifications apportées aux FRP.

[11]            La commission a tiré la conclusion suivante relativement à l'identité des demandeurs :

[TRADUCTION] Le fait que la demanderesse principale ne sache pas les dates de naissance de son époux et de ses enfants, de même que les incohérences quant aux dates de naissance qui figurent sur les pièces d'identité, appuient la conclusion de la formation que les demandeurs n'ont pas produit d'éléments de preuve crédibles ou dignes de foi pour prouver leur identité. La formation conclut en outre que les pièces d'identité produites ne sont pas fiables. En conséquence, elle en vient à la conclusion que les demandeurs ne se sont pas acquittés de leur fardeau de preuve pour démontrer qu'ils sont, en réalité, les personnes qu'ils prétendent être.

[12]            La commission a noté que deux aspects du témoignage de la demanderesse principale portaient directement sur la question de la crédibilité. Premièrement, la commission n'a pas accepté les explications fournies par la demanderesse principale, estimant qu'elles n'étaient pas raisonnables pour justifier les incohérences quant à savoir depuis combien de temps elle était séparée de son époux. À son arrivée au Canada en novembre 1997, elle a indiqué à l'agent d'immigration qu'elle était séparée de son époux depuis deux ans, mais dans la déclaration consignée dans le FRP, elle a indiqué que son époux avait été enlevé par les TLET en juin 1997, quelque cinq mois avant son arrivée au Canada. Lorsqu'on l'a interrogée à propos de cette incohérence au cours de l'audience, la demanderesse principale a témoigné que, lorsqu'elle est arrivée au Canada, elle [TRADUCTION] « ne se souvenait plus de grand-chose » . La commission n'a pas estimé que cette explication était raisonnable et a conclu qu'elle a produit des éléments de preuve incohérents quant à savoir depuis quand elle était séparée de son époux.


[13]            De l'avis de la commission, la seconde question portant directement sur la crédibilité de la demanderesse principale a trait au caractère vague de ses réponses et à son incapacité à fournir des détails relativement à la route vers le sud qu'elle a prise pour se rendre à Colombo, étant donné qu'elle [TRADUCTION] « ne semblait pas être une femme naïve ou simple d'esprit » . La commission a estimé que [TRADUCTION] « [...] l'absence de détails fournis par la demanderesse principale quant à leur déplacement au sud vers Colombo donne à penser que les demandeurs n'ont pas effectué le voyage comme ils prétendent l'avoir fait, s'ils ont effectivement entrepris le voyage en question » . Elle poursuit :

[TRADUCTION] Compte tenu de toutes ces conclusions défavorables quant à la crédibilité, y compris celles qui portent sur les pièces d'identité qui seraient propres aux demandeurs, la formation conclut que les demandeurs n'ont pas produit d'éléments de preuve suffisamment crédibles ou dignes de foi pour fonder une conclusion favorable à leur revendication du statut de réfugié au sens de la Convention. En conséquence, les demandeurs n'étaient pas seulement des témoins non crédibles, ils ne pouvaient pas non plus prouver leur identité de manière convaincante.

Après avoir soigneusement examiné les éléments de preuve produits et pour les motifs précités, la Section du statut de réfugié conclut que Kulamanidevi Yogeswaran et ses deux enfants, Jeevaraj Yogeswaran et Tharsa Yogeswaran, ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention.


[14]            L'avocat des demandeurs soutient que la commission a commis une erreur dans son appréciation de l'identité des demandeurs, en ce sens qu'elle a tiré une conclusion en se fondant sur une évaluation profane des pièces d'identité des demandeurs, au lieu de soumettre ces documents à une procédure de vérification appropriée afin d'évaluer leur authenticité. Bien qu'il reconnaisse que la question de l'identité des demandeurs revêt une importance centrale pour les fins de la reconnaissance du statut de réfugié, et bien qu'il admette que la revendication du statut échouerait en l'absence de toute preuve d'identité, l'avocat plaide que la commission a commis une erreur en l'espèce et qu'elle a privé les demandeurs des éléments de justice naturelle en mettant en doute les pièces d'identité produites sans s'assurer au préalable de leur caractère authentique.

[15]            L'avocat des demandeurs fait valoir qu'il relève de la politique et de la pratique de la SSR de soumettre les documents, comme les pièces d'identité en l'espèce, à une procédure de vérification appropriée. L'avocat note qu'au terme de l'audience devant la commission, dans le cadre des conclusions finales, on a demandé à la commission de soumettre les documents en cause à une analyse judiciaire si elle avait encore des doutes au sujet de leur authenticité.


[16]            L'avocat des demandeurs affirme que la conclusion portant que les documents ne sont pas dignes de foi n'équivaut pas nécessairement au rejet de la revendication du statut de réfugié. Pour étayer cette proposition, l'avocat s'appuie sur la décision rendue par Madame le juge Tremblay-Lamer dans l'affaire Seevaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 694 (1re inst.), dans laquelle on a établi une distinction entre la crédibilité ou le témoin crédible, d'une part, et les éléments de preuve crédibles, d'autre part. Établissant cette distinction dans l'affaire Seevaratnam, le juge Tremblay-Lamer a fait référence à une décision rendue antérieurement par le juge MacGuigan, de la Cour d'appel, dans l'arrêt Sheikh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 238, à la p. 244 (C.A.). Dans l'affaire Seevaratnam, le juge Tremblay-Lamer écrit :

[...] S'exprimant au nom de la Cour, le juge MacGuigan a déclaré que la décision d'un tribunal que le demandeur n'est pas un témoin crédible peut équivaloir à la conclusion qu'il n'existe aucun élément de preuve crédible, lorsque la seule preuve soumise au tribunal qui relie le demandeur à sa demande est celle que ce dernier fournit lui-même.   

Le concept de la crédibilité des éléments de preuve et celui de la crédibilité du demandeur sont évidemment deux choses différentes, mais il est évident que lorsque la seule preuve soumise au tribunal qui relie le demandeur à sa demande est celle que ce dernier fournit lui-même (outre, peut-être, les dossiers sur différents pays dont on ne peut rien déduire directement à l'égard de la revendication du demandeur), la perception du tribunal que le demandeur n'est pas un témoin crédible équivaut en fait à la conclusion qu'il n'existe aucun élément crédible sur lequel pourrait se fonder le second palier d'audience pour faire droit à la demande.

J'ajouterais qu'à mon sens, même sans mettre en doute chacune des paroles du demandeur, le premier palier d'audience peut douter raisonnablement de sa crédibilité au point de conclure qu'il n'existe aucun élément de preuve crédible ayant trait à la revendication sur lequel le second palier d'audience pourrait se fonder pour y faire droit. En d'autres termes, la conclusion générale du manque de crédibilité du demandeur de statut peut fort bien s'étendre à tous les éléments de preuve pertinents de son témoignage.

[17]            Le juge Tremblay-Lamer a fait droit à la demande de contrôle judiciaire, concluant que la SSR « [...] n'a pas tenu compte de la preuve qui émanait d'autres sources que le témoignage de la demanderesse principale et qui confirmait le risque que courent les jeunes femmes tamoules au Sri Lanka » .


[18]            L'avocat des demandeurs soutient que, même si la commission n'avait pas conclu au manque de crédibilité de la demanderesse principale, elle se devait d'apprécier objectivement les faits et déterminer si les demandeurs avaient une crainte fondée de persécution. Il fait valoir que la commission avait l'obligation d'évaluer les autres éléments de preuve dont elle disposait, comme des documents objectifs sur le pays en question, ce qu'elle a omis de faire. L'avocat a cité à cet égard la décision rendue par le juge Gibson dans l'affaire Mylvaganam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1195 (1re inst.). Il a attiré plus particulièrement l'attention de la Cour sur le paragraphe 10 des motifs du juge Gibson :

La SSR disposait de preuves documentaires nombreuses démontrant les difficultés auxquelles font face tous les jeunes Tamouls, en particulier ceux qui viennent du nord du Sri Lanka. Même en écartant carrément, comme elle l'a fait, les actes de persécution que le demandeur prétend avoir subis, elle ne paraît pas avoir, dans le raisonnement sur lequel elle appuie sa décision en l'espèce, nié le fait que le demandeur était bien un jeune Tamoul originaire du nord du Sri Lanka. La SSR a accepté ce fait et ensuite écarté les preuves matérielles dont elle disposait selon lesquelles une personne comme ce demandeur risquait de faire l'objet de persécution s'il était obligé de retourner au Sri Lanka, qu'il pourrait donc fort bien avoir une crainte subjective d'être persécuté et que cette crainte reposait aussi sur une base objective réelle. La SSR n'a même pas envisagé cette possibilité et je suis convaincu qu'elle a pris sa décision sans tenir compte de tous les éléments de preuve dont elle disposait. En fait, elle s'est tellement axée sur la crédibilité du demandeur et sur le rapport existant entre cet aspect et le rapport psychiatrique qui lui a été soumis qu'elle semble avoir écarté tous les autres éléments de preuve susceptibles d'être qualifiés de pertinents à la demande présentée par le demandeur. En conséquence, sur ce fondement, je suis convaincu que la SSR a commis une erreur susceptible de contrôle. Pour ce seul motif, je conclus que la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie, la décision de la SSR, annulée, et l'affaire renvoyée pour nouvelle audience et nouvelle décision.

[19]            À mon sens, il est possible d'établir une distinction entre l'affaire Mylvaganam et celle en l'espèce. Dans la première affaire, la commission n'avait pas mis en doute l'identité de la demanderesse, élément dont l'importance est centrale à la décision de la commission en l'espèce.


[20]            Dans le cas qui nous occupe, l'avocat du ministre met l'accent sur l'importance de prouver l'identité de la personne qui présente la demande en citant l'affaire Husein c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 726 (1re inst.), dans laquelle la SSR a conclu que la demanderesse n'était pas crédible en ce qui concerne la question de l'identité. Dans cette affaire-là, le seul document qui a été produit est le certificat de naissance de la demanderesse que la SSR ne croyait pas être authentique. La SSR a refusé d'accorder le statut de réfugié à la demanderesse en raison des explications contradictoires qu'elle a fournies et des incohérences entre son témoignage et les documents qu'elle a déposés, comme son FRP. Le juge Joyal a fait les commentaires suivants relativement à la question de la crédibilité :

Dans le cadre d'une revendication du statut de réfugié, l'appréciation de la crédibilité est une question de fait qui relève de la compétence de la Commission. Bien que le caractère déraisonnable d'une décision soit plus évident en ce qui concerne la plausibilité, la Commission est toujours la mieux placée pour évaluer la crédibilité d'un revendicateur. Il est reconnu que des contradictions et des incohérences dans la preuve peuvent justifier une conclusion d'absence de crédibilité. La Cour ne devrait pas modifier la conclusion de la Commission à moins qu'elle ne soit manifestement déraisonnable.

Lorsqu'elle rend sa décision, la Commission doit respecter certaines conditions afin de se mettre à l'abri d'une procédure de contrôle judiciaire. Une conclusion défavorable sur la crédibilité doit être motivée « en termes clairs et non équivoques » , en regard de la totalité de la preuve. Un revendicateur doit avoir l'occasion d'expliquer les contradictions et, pour apprécier la preuve, la Commission doit s'assurer de ne pas appliquer les normes occidentales de rationalité à la situation particulière d'un revendicateur. Néanmoins, c'est à la demanderesse qu'il incombe de démontrer que les inférences tirées par la Commission sont déraisonnables compte tenu de la preuve qui lui a été soumise.

[21]            En outre, l'avocat du ministre plaide qu'une fois que la commission a conclu que l'identité des demandeurs n'a pas été établie, il ne lui est pas nécessaire de poursuivre l'analyse des éléments de preuve. Une fois de plus, l'avocat du ministre renvoie à l'affaire Husein :

[...] Je suis d'avis qu'il n'était pas nécessaire que la Commission poursuive son analyse de la preuve après avoir conclu que l'identité des revendicateurs n'était pas établie ou que la principale demanderesse n'avait pas prouvé qu'elle était bien la personne qu'elle prétendait être. La question de l'identité revêtait une importance cruciale en l'espèce. Le défaut de la demanderesse principale de prouver qu'elle appartenait bien à un clan victime de persécution a véritablement porté atteinte à la crédibilité de sa prétention qu'elle avait une crainte bien fondée d'être persécutée.


[22]            L'avocat du ministre affirme en l'espèce que la SSR a fondé sa décision sur la crédibilité ou sur l'absence de celle-ci, non seulement en ce qui concerne l'identité des demandeurs mais également en raison du peu de connaissances qu'avait la demanderesse principale quant à la route qu'elle aurait empruntée pour se rendre de Jaffna à Colombo, et sur les incohérences relevées dans les éléments de preuve portant sur la date à laquelle la demanderesse principale se serait séparée de son époux.

[23]            L'avocat du ministre a ensuite cité l'arrêt Yassine c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 949 (C.A.). Dans cet arrêt, la SSR a estimé que le demandeur n'était pas crédible et la Cour d'appel a confirmé la conclusion défavorable quant à la crédibilité. Cependant, dans cet arrêt-là, l'un des motifs étayant la conclusion défavorable portait que le demandeur s'était initialement rendu aux États-Unis, où il n'était pas autorisé à s'établir et où il a travaillé de façon illégale. Il s'est ensuite présenté à la frontière canadienne pour revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention. Il a par la suite renoncé à cette revendication. Ce n'est que beaucoup plus tard qu'il a revendiqué de nouveau le statut de réfugié au Canada. La Cour d'appel a fait sienne la conclusion tirée par la SSR selon laquelle les démarches entreprises par le demandeur ont sérieusement miné sa crédibilité. À mon avis, les circonstances donnant lieu à la revendication des demandeurs en l'espèce n'ont rien à voir avec ceux de l'arrêt Yassine.


[24]            De plus, l'avocat du ministre plaide que les demandeurs ont omis d'établir un lien personnel entre eux-mêmes et la persécution dont ils affirment avoir fait l'objet. S'appuyant sur la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Pour-Shariati c.Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 810 (C.A.), il fait valoir qu'une persécution indirecte n'équivaut pas à la persécution au sens où l'entend la Loi lorsqu'il est question de réfugiés au sens de la Convention.

[25]            En ce qui a trait à la possibilité de soumettre les pièces d'identité à une vérification pour les fins de leur authenticité, l'avocat du ministre soutient que, même si on avait conclu à l'authenticité des documents, cette démarche aurait uniquement démontré l'authenticité des documents sans pour autant expliquer les incohérences relatives aux dates et aux noms.

[26]            Dans sa conclusion finale, l'avocat du ministre avance que, suivant l'arrêt Cihal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 577 (C.A.), la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer à l'égard des décisions de la SSR est celle de la décision manifestement déraisonnable. La Cour doit se garder d'intervenir à l'égard des conclusions tirées par la formation lorsque cette norme ne s'applique pas.

[27]            En définitive, la commission a indiqué que les demandeurs n'avaient pas suffisamment présenté d'éléments de preuve crédibles ou dignes de foi pour fonder une conclusion favorable à leur revendication. Les demandeurs n'étaient pas des témoins crédibles et ils n'ont pas établi leur identité de manière convaincante. À la lecture des motifs exposés par la commission, il est difficile de savoir quelle conclusion, entre la non-fiabilité des pièces d'identité et le manque de crédibilité des demandeurs, a été tirée en premier.


[28]            Madame le juge Dawson a fait remarquer récemment dans l'affaire Thamothampillai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1186 (1re inst.) :

J'accepte la prétention de l'avocate des demandeurs que si la SSR n'avait pas douté de l'identité de ses clients, les autres réserves qu'elle avait n'auraient peut-être pas été suffisantes pour douter, de façon générale, de la crédibilité des demandeurs.

Il ne fait pas de doute que la conclusion de la SSR selon laquelle les demandeurs n'ont pu établir leur identité respective était au coeur de la conclusion qu'elle a tirée au sujet de la crédibilité de ceux-ci et de l'issue de leurs revendications.

Le juge Dawson a néanmoins accueilli la demande de contrôle judiciaire au motif que la commission avait omis de tenir compte de certains éléments de preuve, dont le témoignage du fils des demandeurs.

[29]            Bien que le dossier n'indique pas si la question de l'identité a été portée à l'attention des demandeurs avant la tenue de l'audience, cette question a été soulevée tôt au cours de l'audience et les demandeurs étaient représentés par leur avocat. Nul doute qu'il s'agit d'un élément essentiel à la reconnaissance du statut de réfugié. Dans l'affaire Lembagusala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 531 (1re inst.), une telle absence d'avis constituait un des motifs pour lesquels la décision de la commission a été annulée. Je ne suis pas convaincu qu'en l'espèce l'avis était insuffisant.


[30]            Je suis d'avis que la commission n'a pas commis d'erreur en renvoyant, dans ses conclusions, aux incohérences entre les pièces d'identité et au témoignage de la demanderesse principale pour tirer une conclusion défavorable à l'égard de la revendication du statut de réfugié des demandeurs, sans vérifier au préalable le caractère authentique de ces documents. Je fais mien le point de vue exprimé par le ministre que, même si on concluait à l'authenticité des pièces d'identité produites, on n'aborderait que la question de l'authenticité sans pour autant expliquer les incohérences entre les dates et les noms fournis.

[31]            Au terme de l'audience relative à la présente demande, j'ai indiqué aux avocats que je prendrais la décision en délibéré et que, lorsque les motifs seront rendus, je donnerais l'occasion aux parties de soumettre une question aux fins de la certification, conformément au paragraphe 83(1) de la Loi. Les avocats disposent de 14 jours à compter de la date des présents motifs pour se consulter et soumettre de telles questions, qu'elles soient communes ou propres aux parties respectives qu'ils représentent.

[32]            Pour les motifs précités, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Une ordonnance à cet égard sera rendue après examen des questions qui seront soumises en application du paragraphe 83(1) de la Loi.

           « W. Andrew MacKay »           

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 9 février 2001

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                               IMM-1291-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :             KULAMANIDEVI YOGESWARAN ET AUTRES c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 15 AOÛT 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR LE JUGE MACKAY

EN DATE DU :                                   9 FÉVRIER 2001

ONT COMPARU :

M. M. Berger                                                                POUR LA DEMANDERESSE

M. G. George                                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Berger and Associates                                       POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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