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Date : 20050310

Dossier : IMM-2124-04

Référence : 2005 CF 354

Ottawa (Ontario), le 10 mars 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

                                                        AHMED SALEEM AZIZI

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                M. Azizi, un citoyen de l'Afghanistan, sollicite le contrôle judiciaire d'une décision par laquelle la Section d'appel de l'immigration (la SAI) a refusé d'infirmer la décision d'un agent des visas, lequel avait conclu que la femme de M. Azizi, Wahida, et leurs deux filles (Saher, née en 1999 et Heeley, née en 2000) n'appartenaient pas à la catégorie du regroupement familial et qu'elles ne pouvaient donc pas être parrainées par M. Azizi.


LE CONTEXTE

[2]                M. Azizi est arrivé au Canada le 21 août 2001 à titre de réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller. Il était parrainé par Entraide universitaire mondiale du Canada (EUMC), un organisme qui l'aidait à poursuivre ses études dans un établissement post-secondaire canadien. Sa fiche relative au droit d'établissement - dans laquelle on trouve une attestation signée certifiant la véracité et l'exactitude des déclarations qu'elle renferme - ne fait aucune mention de sa femme ou de ses filles. Il a répondu _ NO _ ( « Non » ) à la question « Outres celles qui sont mentionnées ci-dessus, avez-vous d'autres personnes à votre charge? » . Plus tôt, dans la demande de résidence permanente au Canada qu'il avait soumise le 9 février 2001, la case portant la mention « célibataire » était cochée et la mention _ N/A _ ( « S/O » ) était inscrite à côté des questions relatives à la date et au lieu du mariage et aux renseignements personnels concernant les personnes à charge.

[3]                Le 28 juin 2002, la nouvelle Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) et le nouveau Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS-2002-227 (le Règlement) sont entrés en vigueur. L'alinéa 117(9)d) du nouveau règlement prévoit que n'est pas considérée comme appartenant à la catégorie du regroupement familial la personne n'ayant pas fait l'objet d'un contrôle à l'époque où son répondant a présenté une demande de résidence permanente.

[4]                M. Azizi a présenté en avril 2003 une demande en vue de parrainer sa femme et ses filles. Sa demande a d'abord été rejetée le 30 mai 2003 mais elle a été transmise au bureau d'Islamabad pour un examen plus approfondi. Dans une lettre adressée à M. Azizi et dans une lettre distincte envoyée à Wahida le 11 novembre 2003, un agent des visas d'Islamabad a estimé que Wahida n'était pas admissible au parrainage au motif qu'elle n'appartenait pas à la catégorie du regroupement familial en raison de l'application de l'alinéa 117(9)d). Au moment où son répondant avait demandé la résidence permanente, elle était en effet un « membre de la famille du répondant n'accompagnant pas ce dernier » et _ n'a pas fait l'objet d'un contrôle _. Bien que cet aspect ne soit pas expressément mentionné dans la lettre, la décision valait également pour les deux filles.

[5]                M. Azizi a interjeté appel à la SAI en vertu du paragraphe 63(1) de la LIPR. M. Azizi a expliqué à la SAI, dans une lettre datée du 5 février 2004, qu'avant de venir au Canada, il avait vécu comme réfugié au Pakistan après avoir fui les Talibans en Afghanistan. Il a expliqué qu'il n'était pas en mesure de poursuivre des études post-secondaires là-bas et que la seule façon pour lui de quitter le Pakistan était de se faire parrainer par l'EUMC et d'obtenir une bourse de cet organisme. Comme le programme de bourses d'études de l'EUMC exigeait qu'il soit célibataire, il n'a pas divulgué l'existence de sa femme et de ses enfants. Il a fait valoir que la SAI devait accueillir son appel en tenant compte de motifs d'ordre humanitaire.


LA DÉCISION FAISANT L'OBJET DU CONTRÔLE

[6]                Le 17 février 2004, la SAI a estimé que c'était à bon droit que l'agent des visas avait décidé que Wahida et les filles n'appartenaient pas à la catégorie du regroupement familial en raison de l'application de l'alinéa 117(9)d) du Règlement. À cause de la première conclusion, la SAI a estimé, en vertu de l'article 65 de la LIPR, qu'elle n'avait pas compétence pour prendre en considération des motifs d'ordre humanitaire.

[7]                Le 26 mars 2004, la Commission a modifié sa décision pour y insérer un paragraphe dans lequel elle acceptait que M. Azizi était marié à Wahida et qu'il avait deux filles, tout en expliquant que, comme leur existence n'avait pas été révélée à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), les membres de la famille de M. Azizi n'avaient pas fait l'objet d'un contrôle.

L'AVIS DE QUESTION CONSTITUTIONNELLE

[8]                L'instruction de la présente demande était prévue pour le 16 décembre 2004 à Winnipeg. Le demandeur a été avisé de la date d'audience par l'entremise de son avocat, par lettre recommandée datée du 17 septembre 2004.


[9]                Le 15 décembre 2004, la veille de l'audience, l'avocat du demandeur a signifié au Procureur général du Canada et à ceux des provinces un avis de question constitutionnelle dans lequel il alléguait que l'alinéa 117(9)d) du Règlement violait les articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.

[10]            Comme l'avis de question constitutionnelle n'avait pas été présenté dans le délai prescrit par le paragraphe 57(2) de la Loi sur les Cours fédérales, j'ai refusé d'examiner les questions constitutionnelles. J'ai également refusé d'accorder un ajournement pour permettre le dépôt d'un avis en bonne et due forme.

[11]            Dans l'arrêt Gitxsan Treaty Society c. Hospital Employee's Union, [2000] 1 C.F. 135 (C.A.), la Cour d'appel a jugé que l'obligation de communiquer un avis était impérative, avec peut-être deux exceptions : lorsque les procureurs généraux donnent leur consentement ou lorsqu'un avis de facto a été donné. Selon le dossier qui m'a été soumis, il n'y avait aucun consentement en vue de dispenser l'intéressé de son obligation de donner un avis et rien ne permettait de penser qu'un avis de facto avait été transmis.

[12]            Dans l'arrêt Bekker c. Canada, 2004 CAF 186, la Cour d'appel a déclaré que cet avis n'est pas qu'une simple formalité que la Cour peut ignorer ou à l'égard de laquelle elle peut accorder une dispense. C'est une question qui a trait à la compétence de la Cour pour examiner une question. Il n'est pas loisible non plus à la Cour d'accorder un ajournement pour permettre la signification d'un avis (voir aussi l'arrêt Giagnocavo c. Canada, (1995), 189 N.R. 225 (C.A.F.)).


LES QUESTIONS EN LITIGE

[13]            1           Quelle est la norme de contrôle appropriée?

2.          La SAI a-t-elle commis une erreur en concluant que l'alinéa 117(9)d) s'applique au cas qui nous occupe?

3.          La SAI a-t-elle commis une erreur en ne concluant pas que l'alinéa 117(9)d) était ultra vires de la LIPR?

La norme de contrôle

[14]            Le demandeur fait valoir que la norme de contrôle applicable à la décision de la SAI devrait être celle de la décision correcte. Le défendeur n'a formulé aucune observation à ce sujet. Vu les quatre facteurs dont la Cour doit tenir compte pour déterminer la norme de contrôle de toute décision administrative, je conclus que, dans le cas des questions mixtes de droit et de fait, la norme de contrôle devrait être celle de la décision raisonnable (Ly c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 4 C.F. 658, et Collier c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1209). Dans le cas des questions portant sur l'interprétation de la loi, la norme applicable est celle de la décision correcte (Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982)


L'application de l'alinéa 117(9)d)

[15]            Le demandeur affirme que l'alinéa 117(9)d) du Règlement ne devrait pas s'appliquer à la situation des membres de sa famille de manière que ceux-ci ne puissent être considérés comme appartenant à la catégorie du regroupement familial. Au moment des faits, l'alinéa 117(9)d) était ainsi libellé :

117(9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes [...]

d) dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d'une demande à cet effet, l'étranger qui, à l'époque où cette demande a été faite, n'a pas fait l'objet d'un contrôle et était un membre de la famille du répondant n'accompagnant pas ce dernier ou était un ex-époux ou ancien conjoint de fait du répondant.

117 (9) No foreign national may be considered a member of the family class by virtue of their relationship to a sponsor if...

(d) the sponsor previously made an application for permanent residence and became a resident permanent and, at the time of that application, the foreign national was a non-accompanying family member or a former spouse or former common-law partner of the sponsor and was not examined.

[16]            Un projet de modification était à l'étude lorsque la SAI a rendu sa décision. Le 23 juin 2003, le défendeur a publié une Note de service sur les opérations, Traitement des demandes à l'étranger (le guide OP) dont voici un extrait :

Nous avons l'intention de modifier le R117(9)d) pour faire en sorte que seules les personnes que le demandeur a décidé, en toute connaissance de cause, d'exclure ne soient pas des membres de la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant. Si CIC a décidé de ne pas faire subir de contrôle au membre de la famille par suite d'une décision administrative ou à cause d'une erreur administrative ou encore pour des raisons de politique, le membre de la famille ne sera pas exclu de la catégorie du regroupement familial.


[17]            Par conséquent, en attendant que le règlement soit modifié, les agents des visas avaient reçu pour instructions de s'assurer que les demandeurs soient mis pleinement au courant des conséquences du défaut de soumettre à un contrôle les membres de la famille ne les accompagnant pas.

[18]            Le règlement a été modifié, après que la SAI eut rendu sa décision dans la présente affaire, pour bien préciser que la décision d'un agent des visas de ne pas faire subir de contrôle à un membre de la famille n'emportait pas exclusion de ce dernier. Le nouveau paragraphe 117(10) prévoit que l'alinéa (9)d) ne s'applique pas au membre de la famille du répondant qui n'accompagnait pas ce dernier et qui n'a pas fait l'objet d'un contrôle parce qu'un agent a décidé que le contrôle n'était pas exigé (DORS/2004-167).

[19]            M. Azizi a présenté une demande en vue d'immigrer au Canada à titre de réfugié sous le régime de l'ancienne Loi sur l'immigration. Au moment de sa demande et de son établissement, ni la loi ni le règlement n'exigeaient que les personnes à charge n'accompagnant pas le répondant fassent l'objet d'un contrôle et ni l'un ni l'autre ne les assujettissaient à des conditions d'admissibilité. Seules les personnes à charge accompagnant le répondant étaient tenues de faire l'objet d'un contrôle. Ainsi, selon M. Azizi, le fait de ne pas déclarer les personnes à charge qui ne l'accompagnaient pas était sans effet sur son admissibilité. Son défaut de déclarer ses personnes à charge n'entraînait aucune conséquence sur le plan juridique parce que, même s'il les avait déclarées, les membres de sa famille n'auraient pas fait l'objet d'un contrôle puisqu'ils demeuraient au Pakistan.

[20]            Le demandeur cite l'arrêt Mundi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 1 C.F. 182 (C.A.) à l'appui de son argument qu'il n'était nullement tenu de répondre franchement à des questions qui n'étaient pas essentielles. Il cite également l'arrêt Brooks c. Canada (Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration), [1974] R.C.S. 850, à l'appui du principe que seules les fausses déclarations portant sur des faits importants devraient avoir des conséquences néfastes.

[21]            Le défendeur rappelle l'obligation de véracité que l'on trouve au paragraphe 9(3) de l'ancienne Loi sur l'immigration :

9(3) Toute personne doit répondre franchement aux questions de l'agent des visas et produire toutes les pièces qu'exige celui-ci pour établir que son admission ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements.

9(3) Every person shall answer truthfully all questions put to that person by a visa officer and shall produce such documentation as may be required by the visa officer for the purpose of establishing that his admission would not be contrary to this Act or the regulations.


[22]            L'arrêt Mundi portait sur l'effet sur l'admissibilité des demandeurs d'une fausse attestation de fin d'études qui avait été produite pour établir l'âge d'un des membres de la famille. La Cour d'appel a estimé que ce fait n'avait aucune incidence sur l'admissibilité des autres membres de la famille. On ne peut établir de parallèle direct entre cette affaire et les faits de la présente espèce. Je ne suis pas d'accord pour dire que cette décision appuie la proposition beaucoup plus large avancée par l'avocat et suivant laquelle un demandeur peut allègrement mentir lorsqu'il répond à des questions qui ne sont pas essentielles. Je doute aussi que l'arrêt Brooks aille aussi loin que ce que prétend le demandeur. À mon sens, la Cour suprême a nettement reconnu dans cet arrêt qu'il existe un devoir général de répondre franchement et complètement aux questions posées au sujet de l'admissibilité. Certes, ce ne sont pas toutes les réponses fallacieuses ou trompeuses qui seraient suffisantes pour justifier une conclusion de non-admissibilité, mais les fausses déclarations sont importantes si elles ont pour effet d'empêcher ou de prévenir d'autres questions.

[23]            Ainsi que le défendeur le signale, dans le cas qui nous occupe, même s'il n'était pas nécessaire que les personnes à charge fassent l'objet d'un contrôle pour déterminer l'admissibilité de M. Azizi, il y a d'autres raisons pour lesquelles le demandeur était tenu de divulguer l'existence de toutes les personnes à sa charge. Ainsi, la nationalité ou le statut de ces personnes à charge pouvait commander l'adoption d'une solution durable à l'extérieur du Canada, alors que le programme « Femmes en détresse » exigeait que des renseignements soient communiqués au sujet des membres de la famille. En dissimulant l'existence de sa famille, le demandeur a effectivement empêché que d'autres questions soient posées au sujet de ces faits lors de l'examen de sa demande de résidence permanente. Il importe peu à mon avis de savoir si ces questions ont effectivement été posées ou si d'autres solutions durables et réalistes existaient par ailleurs. La question posée au sujet des personnes à sa charge était importante et il aurait dû y répondre franchement.

[24]            Le demandeur affirme que, dans sa rédaction en vigueur à l'époque, l'alinéa 117(9)a) devrait être interprété comme s'il renfermait des mots supplémentaires comme suit :


« [...] l'étranger qui, à l'époque où cette demande a été faite, devait faire l'objet d'un contrôle et n'a pas fait l'objet d'un contrôle et était un membre de la famille du répondant n'accompagnant pas ce dernier. »

Comme il n'était pas nécessaire que les membres de sa famille fassent l'objet d'un contrôle sous le régime de l'ancienne loi, ils ne tombent donc pas sous le coup de l'exclusion et ils pourraient maintenant envisager de demander la résidence permanente si l'on interprète le règlement de cette manière.

[25]            Il est acquis aux débats que, tel qu'il était auparavant rédigé, le règlement s'appliquait de manière inéquitable lorsque l'agent des visas décidait de ne pas soumettre à un contrôle les membres de la famille qui n'accompagnaient pas le demandeur. Une simple mesure administrative avait ainsi pour effet d'exclure ces personnes de la catégorie du regroupement familial. Cette iniquité a depuis été corrigée à la suite des modifications qui ont été apportées au règlement.


[26]            Le demandeur soutient que les modifications et les instructions aux agents des visas qui étaient contenues dans le Guide OP avant que les modifications ne soient apportées appuient son interprétation du Règlement, qui ne s'applique pas, selon lui, aux membres de la famille dont l'identité n'a pas été divulguée et qui, sous le régime de l'ancienne Loi sur l'immigration, n'avaient pas à se soumettre à un contrôle. Il soutient que sa famille devrait bénéficier rétrospectivement des modifications apportées à la politique et au Règlement, qui devraient être interprétés comme s'ils renfermaient le passage supplémentaire proposé.

[27]            M. Azizi affirme que, bien qu'il se soit vu refuser la possibilité de contester la constitutionnalité du règlement en raison de son défaut de donner un avis en temps opportun, la Cour devrait appliquer les principes consacrés aux articles 7 et 15 de la Charte comme outils d'interprétation pour déterminer si l'alinéa 117(9)d) s'applique à sa situation familiale. Il affirme que, sans les modifications et l'ajout des mots proposés, le Règlement a pour effet de violer rétroactivement les principes de justice fondamentale consacrés à l'article 7 de la Charte et de lui nier un droit que l'ancienne Loi sur l'immigration lui reconnaissait, en l'occurrence celui de parrainer les personnes à sa charge non déclarées en tant que membres de la catégorie de la famille.

[28]            À mon avis, l'application prospective du règlement n'entraîne aucune violation des principes de justice fondamentale. Le droit de parrainer les personnes à charge n'était pas un droit acquis lorsque la LIPR a été édictée et, même dans le cas contraire, la suppression d'un droit acquis ne constitue pas une atteinte aux principes de justice fondamentale (Huynh c. Canada, [1995] 1 C.F. 633 (1re inst.), aux paragraphes 53 à 56, et Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national), [1977] 1 R.C.S. 271).

[29]            Le demandeur soutient en outre que, dans sa rédaction actuelle, l'alinéa 117(9)d) réserve un traitement spécial aux réfugiés en leur niant le droit au regroupement familial et en leur niant le droit à une protection égale de la loi, puisqu'ils ne peuvent retourner dans leur pays d'origine pour y réintégrer leur famille, à la différence d'autres personnes visées par le Règlement. Je ne perçois aucun traitement sensiblement différent qui serait fondé sur une ou sur plusieurs caractéristiques personnelles entre le demandeur et les non-réfugiés et qui justifierait de conclure que le règlement viole l'article 15 de la Charte. Les inconvénients que le demandeur peut subir sont le résultat de son propre défaut de fournir des renseignements véridiques.

[30]            En tout état de cause, je ne décèle dans le Règlement aucune ambiguïté qui permettrait de faire intervenir la Charte de manière à appliquer une interprétation téléologique qui satisferait le demandeur. Il n'est pas non plus nécessaire que j'examine la question de savoir s'il y a lieu d'appliquer rétrospectivement le Règlement modifié étant donné qu'à mon avis, ni les modifications ni le texte du Guide OP n'ont le sens que le demandeur souhaiterait que je leur donne. Ils n'appuient pas l'interprétation selon laquelle il n'était pas nécessaire de déclarer les membres de la famille qui n'accompagnaient pas le demandeur, mais ils précisent plutôt que, comme il n'était pas nécessaire, aux termes de l'ancienne loi, de soumettre à un contrôle les membres de la famille qui n'accompagnaient pas le demandeur, ceux-ci ne devraient pas être pénalisés sous le régime de la LIPR si ce sont des fonctionnaires qui ont décidé de les soumettre ou non à un tel contrôle. Je ne saurais interpoler dans le texte des mots qui changeraient ce que j'estime être le sens non ambigu du Règlement.


[31]            Si j'ai bien compris, l'alinéa 117(9)d) a pour but d'exclure de la catégorie du regroupement familial les personnes que le demandeur a sciemment omis de déclarer comme personnes à charge lorsqu'il a présenté sa demande de résidence permanente (décision Collier, précitée). Il ne s'agit pas d'un cas, comme celui sur lequel le juge Shore s'est penché dans la décision Jean-Jacques c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 104, dans lequel le demandeur n'était pas au courant, lorsqu'il est arrivé au Canada, qu'il était le père d'un enfant qu'il avait laissé derrière lui. En l'espèce, M. Azizi a délibérément choisi, pour des raisons que l'on peut comprendre, de dissimuler le fait qu'il était marié et qu'il était père pour profiter du parrainage et de la bourse offerts aux étudiants célibataires. Ainsi, l'alinéa 117(9)d) s'applique aux faits de la présente affaire et la SAI n'a pas commis d'erreur en concluant que l'agent des visas avait correctement appliqué le règlement.

L'alinéa 117(9)d) est-il ultra vires de la LIPR?

[32]            M. Azizi soutient que, dans sa rédaction actuelle, l'alinéa 117(9)d) du Règlement est ultra vires de la LIPR, car il excède le pouvoir conféré par le législateur de prendre des règlements en application de cette loi.


[33]            La Cour d'appel fédérale a abordé les questions que le tribunal doit examiner pour décider si un règlement déterminé est ultra vires de sa loi habilitante dans l'arrêt Jafari c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 2 C.F. 595. Le juge Strayer déclare ce qui suit, au paragraphe 14 :

Il va sans dire qu'il n'appartient pas à un tribunal de juger de la sagesse de la législation par délégation ni d'en apprécier la validité en se fondant sur ses préférences en matière de politique. La question essentielle que doit toujours se poser le tribunal est la suivante : le pouvoir conféré par la loi permet-il cette législation par délégation particulière? On doit rechercher dans la mesure législative attributive du pouvoir en cause tous les indices possibles de l'objet et de l'étendue de la législation par délégation autorisée. Il faut tenir compte de toute limitation, expresse ou implicite, de l'exercice de ce pouvoir. Il faut ensuite examiner le règlement lui-même pour s'assurer de sa conformité, et s'il est contesté au motif qu'il n'a pas été pris pour des fins autorisées par sa loi habilitante, on doit alors tenter de reconnaître une ou plusieurs des fins pour lesquelles le règlement a été adopté. [...]

[34]            Dans le jugement De Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 257 F.T.R. 290, le juge Kelen analyse à fond l'argument suivant lequel l'alinéa 117(9)d) est ultra vires. Je n'ai pas l'intention de reprendre l'analyse à laquelle il s'est livré pour en arriver à la conclusion que le règlement n'était pas ultra vires. Je fais mien son raisonnement aux fins de la présente demande.

[35]            Dans l'arrêt Jafari, le juge Strayer a fait observer qu'on ne peut se servir d'un vaste pouvoir discrétionnaire dans un but incompatible avec la loi, mais qu'il appartient à celui qui conteste le règlement de démontrer ce que pourrait être cette « fin illicite » . Le demandeur explique qu'en l'espèce, la fin illicite est le fait que le règlement est incompatible avec les objets visés par les paragraphes 3(1) et (2) de la LIPR et qu'il va à l'encontre des objets en question, qui sont de favoriser la réunification des familles au Canada et d'encourager l'autonomie et le bien-être socioéconomique des réfugiés.


[36]            Voici ce que le juge Kelen dit, au paragraphe 38 du jugement De Guzman, au sujet des entraves à l'atteinte de l'objectif de la réunification des familles :

L'objet de la réunification des familles n'outrepasse pas, ne surpasse pas, ne supplante pas ou n'éclipse pas l'exigence de base selon laquelle la législation en matière d'immigration doit être respectée et administrée d'une façon ordonnée et juste. On ne peut pas permettre à une demanderesse de présenter sous un faux jour les membres de sa famille et son état matrimonial afin de se soustraire à la législation en matière d'immigration et, par la suite, de contester la validité de la catégorie du regroupement familial en prétendant qu'elle contrevient à la loi parce qu'elle entrave la réunification de sa famille. L'obtention d'un tel résultat serait contraire à l'administration correcte, juste et ordonnée de la législation en matière d'immigration.

[37]            Bien que, dans l'affaire De Guzman, la demanderesse n'était pas une réfugiée et qu'elle faisait plutôt partie d'une catégorie d'enfants célibataires de citoyens ou de résidents permanents canadiens, je ne vois pas pourquoi l'analyse du juge Kelen ne devrait pas s'appliquer également à la situation du demandeur en l'espèce.

[38]            C'est à bon droit que la SAI a refusé de conclure que le règlement était ultra vires. La demande est par conséquent rejetée.

[39]            En terminant, je tiens à signaler qu'il est toujours loisible à M. Azizi de s'adresser au ministre, en vertu de l'article 25 de la LIPR, pour qu'il examine son cas en tenant compte de motifs d'ordre humanitaire et qu'il le dispense de l'application de l'alinéa 117(9)d).


QUESTIONS CERTIFIÉES

[40]            Le demandeur propose la certification des questions suivantes :

1. L'alinéa 117(9)d) devrait-il être interprété comme renfermant les mots « devait faire l'objet d'un contrôle » , de sorte que cet alinéa serait ainsi libellé :

« Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes : [...]

d) dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d'une demande à cet effet, l'étranger qui, à l'époque où cette demande a été faite, devait faire l'objet d'un contrôle, n'a pas fait l'objet d'un contrôle et était un membre de la famille du répondant n'accompagnant pas ce dernier ou était un ex-époux ou ancien conjoint de fait du répondant. »

2. Si la réponse à cette question est négative, l'alinéa 117(9)d) du Règlement est-il ultra vires de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés dans la mesure où il s'applique à un membre de la famille du répondant n'accompagnant pas ce dernier ou à l'ex-époux ou l'ancien conjoint de fait du répondant qui n'était pas tenu de faire l'objet d'un contrôle au moment de la demande du répondant?

3. L'alinéa 117(9)d) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés est-il ambigu dans le cas du demandeur et les valeurs consacrées par les articles 7 et 15 de la Charte éliminent-elles cette ambiguïté?


[41]            Le défendeur propose la certification des questions suivantes :

1. Sous le régime de l'ancienne Loi sur l'immigration, l'auteur d'une demande de résidence permanente dans la catégorie des réfugiés au sens de la Convention cherchant à se réinstaller était-il tenu de divulguer l'existence des membres de sa famille dans sa demande?

2. L'alinéa 117(9)d) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés s'applique-t-il aux réfugiés au sens de la Convention qui se trouvent à l'étranger et/ou aux réfugiés au sens de la Convention qui cherchent à se réinstaller?

[42]            Je signale que le juge Kelen a certifié la question suivante dans la décision De Guzman, précitée :

L'alinéa 117(9)d) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés est-il invalide ou inopérant du fait qu'il est inconstitutionnel étant donné qu'il prive la demanderesse de son droit à la liberté et de son droit à la sécurité de la personne d'une façon incompatible avec les principes de justice fondamentale, en contravention de l'article 7 de la Charte?

[43]            Comme le texte modifié du Règlement ne comporte aucune des ambiguïtés évoquées par le demandeur dans sa première et sa troisième questions, j'estime qu'il ne reste aucune question grave de portée générale à résoudre. La Cour a répondu de façon concluante à la deuxième question dans la décision De Guzman.

[44]            La première des questions proposées par le défendeur est, à mon avis, trop abstraite pour avoir une portée générale faute de contexte précis. La seconde se rapproche davantage du noeud du présent litige. Je vais toutefois la formuler différemment :

L'alinéa 117(9)d) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés a-t-il pour effet d'exclure de la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les réfugiés au sens de la Convention qui se trouvent à l'étranger et les réfugiés au sens de la Convention qui cherchent à se réinstaller si le répondant a, au moment où il a obtenu la résidence permanente, omis de les déclarer en tant que membres de sa famille ne l'accompagnant pas?

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande soit rejetée. La question suivante est certifiée en tant que question grave de portée générale :


L'alinéa 117(9)d) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés a-t-il pour effet d'exclure de la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les réfugiés au sens de la Convention qui se trouvent à l'étranger et les réfugiés au sens de la Convention qui cherchent à se réinstaller si le répondant a, au moment où il a obtenu la résidence permanente, omis de les déclarer en tant que membres de sa famille ne l'accompagnant pas?

                                                                         _ Richard G. Mosley _                   

                                                                                                     Juge                                

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                IMM-2124-04

INTITULÉ :               AHMED SALEEM AZIZI

c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              WINNIPEG (MANITOBA)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 16 DÉCEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                                   LE 10 MARS 2005

COMPARUTIONS :

David Matas                                                      POUR LE DEMANDEUR

Nalini Reddy                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas                                                      POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

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