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Date : 20060404

Dossier : T-496-05

Référence : 2006 CF 436

Ottawa (Ontario), le 4 avril 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN

ENTRE :

CERTAINTEED CORPORATION

appelante

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

LE COMMISSAIRE AUX BREVETS

intimés

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

I. Introduction

[1]                CertainTeed Corporation (l'appelante) interjette appel de la décision datée du 16 septembre 2004 par laquelle le commissaire aux brevets a confirmé la décision finale de l'examinateur de rejeter la demande de brevet no 2,055,020 (la demande 020) de l'appelante. Le rejet s'appuyait sur l'article 28.3 de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4 et ses modifications (la Loi). L'appelante sollicite une ordonnance enjoignant au commissaire aux brevets d'accorder un brevet pour sa demande 020.

II. Contexte

[2]                L'appelante est cessionnaire de la demande 020. La demande revendiquait la priorité sur la demande de brevet déposée aux États-Unis le 9 avril 1991. Les deux demandes de brevet ont trait à une invention appelée « bardeau de toit » qui, selon l'appelante, est unique. L'invention décrite dans la demande 020 vise un bardeau d'asphalte dont le rapport dimensionnel est différent de celui d'un bardeau classique. Ce rapport permet de réduire le nombre de bardeaux et de clous nécessaires par unité de toiture, d'employer le matériau plus efficacement dans le procédé de production et de créer un bardeau qui peut être expédié facilement sur des palettes sans ballottement.

[3]                En règle générale, les bardeaux classiques ont douze pouces de hauteur et trente-six pouces de largeur. Lorsqu'on les fixe à un toit par chevauchement, cinq pouces du bardeau restent exposés. Cent pieds carrés de toiture (ou unité de toiture) sont couverts par quatre-vingts de ces bardeaux classiques.

[4]                Les bardeaux décrits dans la demande 020 ont dix-huit pouces de hauteur et, une fois installés, il reste huit pouces de surface exposée. Selon l'appelante, le rapport dimensionnel décrit dans la demande 020 offre un certain nombre d'avantages, dont les suivants :

1.       nombre moindre de bardeaux par 100 pi2 de couverture (50 bardeaux au lieu de 80 dans le cas de bardeaux classiques);

2.       nombre moindre de clous par 100 pi2 de couverture (200 pour des bardeaux à trois jupes et 250 pour des bardeaux à quatre jupes);

3.       efficacité d'utilisation des matériaux, définie selon le rapport pureau-hauteur totale, de 44,4 % comparativement à 41,7 % dans le cas de bardeaux classiques, ce qui se traduit par une économie de matériaux;

4.       possibilité de fabrication de deux bardeaux côte à côte à partir de feuilles de base de 36 po de largeur, ce qui permet une réduction des opérations de coupe en cours de fabrication;

5.       à partir d'une feuille de base de 300 pieds linéaires, possibilité de production de 200 bardeaux permettant de couvrir une superficie de 400 pi2, comparativement à 300 bardeaux classiques permettant de couvrir une superficie de 375 pi2;

6.       assurance d'une charge stable et efficace sur palettes de 36 po x 36 po;

7.       pour deux rangs de bardeaux installés, pureau de 16 po correspondant aux repères sur les rubans à mesurer utilisés par les couvreurs, lesquels sont généralement marqués à intervalles de 16 po.

[5]                L'appelante a déposé la demande 020 le 6 novembre 1991. Le premier examen de la demande a été effectué le 12 août 1994. L'examinateur a rejeté toutes les revendications pour cause d'évidence, déclarant qu'il était « manifestement évident » qu'un bardeau plus large offrirait une meilleure efficacité d'utilisation qu'un bardeau plus étroit. Il a renvoyé au brevet américain no 2,045,423 délivré à Topping et a rejeté la demande.

[6]                L'appelante a fourni d'autres renseignements le 10 février 1995 et a modifié la demande 020. Elle a demandé que l'on réexamine la question de l'évidence. Elle a soutenu que la demande avait trait au rapport dimensionnel spécifique du bardeau et non à sa taille. Elle a invoqué deux brevets canadiens délivrés à Bondoc comme précédents pour la délivrance d'un brevet fondé sur le rapport dimensionnel. Ce sont les brevets canadiens nos 1,312,439 et 1,277,117. L'appelante a mis en garde l'examinateur en garde contre une analyse ex post facto.

[7]                L'examinateur a rejeté une deuxième fois toutes les revendications de la demande 020 le 18 août 1995 parce qu'il a jugé qu'elles ne définissaient [traduction] « rien qui ne soit dans le champ de compétence de l'artisan » . L'examinateur a également tenu compte des antériorités, constituées par trois brevets américains, et il a conclu qu'elles prouvaient que l'on connaissait bien les bardeaux de différentes hauteurs et de différents ratios d'exposition. Ces brevets américains étaient le brevet no 4,333,279 délivré à Corbin et autres le 8 juin 1982 et le brevet no 4,825,616 délivré à Bondoc le 2 mai 1989, ainsi que le brevet de Topping, dont l'examinateur a de nouveau tenu compte.

[8]                L'appelante a répondu au deuxième rejet le 19 février 1996 en déposant deux affidavits, le premier souscrit par Robert L. Jenkins, spécialiste de l'industrie de la couverture n'ayant aucun lien avec l'appelante, et le second souscrit par Marcia G. Hannah, vice-présidente au marketing de l'appelante.

[9]                M. Jenkins a déclaré que le bardeau de l'appelante est unique en raison de ses dimensions. Selon lui, nul dans le domaine de l'art du bardeau n'aurait conçu les avantages créés par ces dimensions. Mme Hannah a déclaré pour sa part que les dimensions des bardeaux n'étaient pas évidentes et différaient de la pratique conventionnelle du secteur à ce moment-là. Elle a également parlé de l'énorme succès commercial de ces bardeaux et s'est efforcée de distinguer le bardeau décrit dans la demande 020 des bardeaux antérieurs.

[10]            Ces renseignements supplémentaires n'ont pas convaincu l'examinateur qui, le 20 décembre 1996, a rejeté une fois de plus la demande 020. Un troisième brevet américain, le brevet Morgan no 3,624,975, délivré le 7 décembre 1971, a également été examiné à titre d'antériorité, mais l'examinateur n'a pas changé d'avis, estimant toujours que les revendications de la demande 020 relevaient des compétences d'un artisan.

[11]            L'appelante a déposé d'autres observations le 20 juin 1997, déclarant que le rapport dimensionnel n'était pas suggéré ni enseigné par les antériorités. Elle a réitéré son argument voulant que les antériorités révèlent qu'un rapport dimensionnel entraînant des avantages particuliers peut justifier l'obtention d'un brevet pour des bardeaux de toit au Canada.

[12]            Le 21 octobre 1997, l'examinateur a une fois encore rejeté la demande 020. Il a invoqué spécifiquement le brevet américain Bondoc comme antériorité et il a conclu qu'il était évident qu'il fallait moins de bardeaux plus grands pour couvrir une toiture. Il a également conclu que l'usage plus efficace du matériau était évident et il a renvoyé à l'article 28.3 de la Loi.

[13]            L'appelante a répondu au quatrième rejet le 14 avril 1998. Elle a souligné que le brevet américain Bondoc indique qu'un bardeau multicouches n'offre pas d'avantages supplémentaires et entraîne un gaspillage du matériau, ce qui est contraire à l'interprétation de l'examinateur. L'appelante a fait valoir que le brevet américain Bondoc ne parlait pas de bardeaux plus grands et que, par conséquent, l'objet de la demande 020 n'était pas évident. Par ailleurs, les dimensions spécifiques dont il est question dans la demande 020 donnent lieu à la possibilité d'un transport stable, caractéristique dont il n'est pas question dans les antériorités.

[14]            Le 20 août 1998, l'examinateur a rejeté la demande 020 pour la cinquième fois. C'était la décision définitive de l'examinateur. Il a encore une fois examiné les antériorités constituées par les brevets américains délivrés à Morgan et Bondoc et il a conclu de nouveau que l'objet de la demande 020 est évident pour une personne versée dans le domaine de la couverture. Il a estimé qu'une variation de la taille des bardeaux ne constituait pas un élément inventif compte tenu des connaissances courantes dans le domaine et des antériorités.

[15]            L'appelante a répondu au cinquième rejet le 22 février 1999. Elle a fait une distinction entre la demande 020 et les antériorités, en faisant valoir que le brevet Morgan ne parle pas de l'usage efficace du matériau et ne précise pas les dimensions fournies dans la demande 020. Le brevet américain Bondoc indique que l'augmentation de la taille des bardeaux n'a aucun avantage et entraîne un gaspillage du matériau. Selon l'appelante, la taille des bardeaux et l'usage efficace du matériau sont les éléments fondamentaux de la demande 020. Elle a soutenu qu'elle a démontré que la plus grande dimension des bardeaux est avantageuse et que cela représente l'élément d'inventivité nécessaire pour que son bardeau constitue une invention brevetable.

[16]            Le 16 septembre 2004, le commissaire aux brevets a rendu sa décision, dans laquelle il a souscrit aux conclusions et à la recommandation de la Commission d'appel des brevets, et il a rejeté la demande de brevet de l'appelante. Dans sa décision, la Commission a précisé trois questions ayant trait à l'évaluation de l'évidence d'une invention :

1) Quel était le problème de la technique que devait solutionner le demandeur et dont le brevet fournit la solution?

2) Le demandeur a-t-il suivi une voie évidente et bien tracée, en faisant appel à des techniques et procédés connus, pour trouver la solution que fournit le brevet?

3) Le demandeur a-t-il éprouvé, en cherchant la solution, des difficultés auxquelles ne serait pas attendue une personne versée dans l'art ou qui n'auraient pas été surmontées par le recours à des compétences ordinaires?

[17]            Appliquant ces critères à la demande 020, la Commission d'appel des brevets a conclu que les dimensions du bardeau et le gain d'efficacité d'utilisation associé au bardeau de plus grande dimension étaient « évidents au vu de l'état antérieur de la technique et des connaissances courantes » . Le commissaire a ajouté par ailleurs :

[...] le technicien versé dans l'art mais dépourvu d'esprit inventif ou d'imagination aurait pu suivre une voie bien tracée, en recourant à des techniques et procédés connus, pour arriver directement et sans difficulté à l'invention divulguée et revendiquée dans la demande en cause.

III. Questions en litige

[18]            Trois questions sont soulevés dans le présent appel :

1.       Le commissaire a-t-il mal compris et mal appliqué le critère pertinent en matière d'évidence?

2.       Le commissaire a-t-il omis de tenir compte des éléments de preuve produits par l'appelante?

3.       Le commissaire a-t-il commis conclu à tort que les brevets Morgan ou Bondoc font partie des connaissances générales courantes?

IV. Analyse et décision

[19]            L'appelante est la seule à avoir déposé des observations écrites en l'espèce. Ni le commissaire ni le procureur général n'ont participé.

[20]            L'appelante soutient que le commissaire a appliqué un critère erroné en matière d'évidence en voulant appliquer un critère à trois volets au lieu d'un seul critère. Selon elle, le critère qui convient consiste à se demander si un technicien compétent, mais peu imaginatif, serait directement et facilement arrivé à la solution que préconise le brevet.

[21]            Par ailleurs, l'appelante fait valoir que le commissaire a commis une erreur en effectuant une analyse ex post facto de l'invention. Il est facile de dire qu'une invention est évidente après coup.

[22]            La première question à examiner est celle de la norme de contrôle applicable, puisque la décision en cause a été rendue par un décideur exerçant un pouvoir délégué en vertu de la loi. À cet égard, je renvoie à l'arrêt Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226. Pour déterminer la norme applicable, la Cour doit faire une analyse pragmatique et fonctionnelle en tenant compte de quatre facteurs : l'existence ou l'absence d'une clause privative, l'expertise du tribunal, l'objet de la loi et la nature de la question.

[23]            La Loi ne comporte aucune clause privative et l'article 41 permet de faire appel d'une décision du commissaire. Le premier facteur est donc neutre.

[24]            Le commissaire a de l'expérience dans l'examen des demandes de brevet et des appels interjetés en vertu de la Loi. Il possède une expertise dans le domaine et, par conséquent, ses décisions commandent un degré élevé de retenue.

[25]            L'objet de la Loi est d'encourager l'invention et de réglementer la délivrance de brevets au Canada; voir Pope Appliance Corp. c. Spanish River Pulp and Paper Mills Ltd., [1929] A.C. 269 (C.P. Canada).

[26]            Il y a enfin la nature de la question. La demande 020 a été rejetée pour cause d'évidence. L'évidence est une question de fait; voir Lido Industrial Products Ltd. c. Teledyne Industries Inc. (1981), 57 C.P.R. (2d) 29 (C.A.F.). Cependant, la question en litige dans le présent appel est celle de savoir si la Commission a appliqué le critère qui convenait en matière d'évidence, et c'est là une question de droit.

[27]            Tout bien pesé, je conclus que la norme de contrôle applicable en l'espèce est celle de la décision correcte. En vertu de l'article 41 de la Loi, la Cour peut appliquer de novo le critère qui convient; voir Progressive Games, Inc. c. Canada (Commissaire aux brevets) (1999), 177 F.T.R. 241 (1re inst.).

[28]            La Loi prévoit qu'une invention ne doit pas être évidente. L'article 28.3 est ainsi libellé :

28.3 L'objet que définit la revendication d'une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l'art ou la science dont relève l'objet, eu égard à toute communication :

a) qui a été faite, plus d'un an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l'information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu'elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu'elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

28.3 The subject-matter defined by a claim in an application for a patent in Canada must be subject-matter that would not have been obvious on the claim date to a person skilled in the art or science to which it pertains, having regard to

(a) information disclosed more than one year before the filing date by the applicant, or by a person who obtained knowledge, directly or indirectly, from the applicant in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere; and

(b) information disclosed before the claim date by a person not mentioned in paragraph (a) in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere.

[29]            La Loi ne définit pas ce qu'est l'évidence, mais ce terme a été interprété dans la jurisprudence. Dans la décision Bayer Aktiengesellschaft c. Apotex Inc. (1995), 60 C.P.R. (3d) 58 (Div. gén. Ont.), à la page 79, la Cour a décrit l' « évidence » de la manière suivante :

[traduction] L'évidence, cela va de soi, indique quelque chose qui aurait été apparent ou, dans le langage ordinaire, « simple comme bonjour » ou « clair comme de l'eau de roche » pour le technicien de métier moyen à la date de l'invention.

[30]            Dans l'arrêt Beecham Canada Ltd. c. Procter & Gamble Co. (1982), 61 C.P.R. (2d) 1 (C.A.F.), à la page 27, la Cour d'appel fédérale a défini le critère de l'évidence dans les termes suivants :

La question est de savoir si, à l'époque de l'invention [...] un technicien qualifié mais peu imaginatif, se fondant sur ses connaissances générales, sur ce qui avait été écrit dans le domaine et sur les renseignements qu'il avait à sa disposition, aurait été amené directement et sans aucune difficulté à l'invention [...]

[31]            Par la suite, la Cour d'appel fédérale a dit, dans l'arrêt Beloit Canada Ltd. c. Valmet Oy (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.), à la page 294, que le critère était le suivant :

Pour établir si une invention est évidente, il ne s'agit pas de se demander ce que des inventeurs compétents ont ou auraient fait pour solutionner le problème. Un inventeur est par définition inventif. La pierre de touche classique de l'évidence de l'invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d'esprit inventif ou d'imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d'intuition; un triomphe de l'hémisphère gauche sur le droit. Il s'agit de se demander si, compte tenu de l'état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l'invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout-le-monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C'est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.

[32]            En l'espèce, le commissaire a appliqué un critère à trois volets pour évaluer la question de l'évidence. Il semble qu'il a tenté de résumer divers principes ayant trait à l'évidence en énonçant « les questions auxquelles il faut répondre » . Le commissaire a peut-être essayé de simplifier les exigences en matière d'évidence, mais le résultat est qu'il a modifié le critère.

[33]            J'estime que le commissaire a commis une erreur en énonçant et en appliquant le critère de l'évidence. Il a mis l'accent sur la démarche de l'inventeur entre le moment de la détermination du problème et celui de la réalisation de l'invention visée par le brevet. Le critère énoncé dans les arrêts Beecham et Beloit prévoit clairement que l'évaluation de l'évidence ne concerne pas ce que l'inventeur a fait, mais plutôt la question de savoir si une personne versée dans l'art, mais peu imaginative, aurait pu trouver la solution du problème, directement et sans difficulté.

[34]            Ayant conclu que le commissaire n'a pas appliqué le critère qui convenait en ce qui a trait à l'évidence, la Cour peut examiner de novo la demande de l'appelante et faire sa propre évaluation de la demande 020, comme cela a été le cas dans la décision Progressive Games.

[35]            Le critère juridique selon lequel une invention ne doit pas être évidente signifie qu'il doit y avoir au moins une étincelle de génie inventif et que le nouvel article doit être plus qu'un simple perfectionnement en atelier. À ce sujet, voir les arrêts Beloit et Diversified Products Corp. c. Tye-Sil Corp. (1991), 35 C.P.R. (3d) 350 (C.A.F.).

[36]            En l'espèce, l'appelante a fait plus qu'améliorer la conception du bardeau classique. Elle a créé un rapport dimensionnel spécifique qui a donné lieu à des résultats uniques qui ont permis d'augmenter l'efficacité d'utilisation, facilité son expédition et diminué le gaspillage du matériau. Le rapport dimensionnel spécifique d'un bardeau fait l'objet de brevets au Canada, soit le brevet Bondoc no 1,277,177 pour le bardeau d'asphalte et le brevet Bondoc no 1,312,439 pour le bardeau de toiture, et aux États-Unis, soit le brevet Morgan no 3,624,975.

[37]            Après que l'appelante eut déposé la demande 020, cinq brevets ont été délivrés aux États-Unis à Marcia Hannah et à d'autres pour le même rapport dimensionnel spécifique de bardeau de toit que celui qui fait l'objet de la demande 020. Ces brevets américains portant les nos 5,287,669, 5,375,491, 5,400,558, 5,421,134 et 5,501,056, ont été délivrés entre le 22 février 1994 et le 26 mars 1996. Ils ont été cédés à l'appelante.

[38]            Dans l'arrêt Beloit, la Cour d'appel fédérale a dit que si des antériorités nous éloignent d'une invention, ce facteur tend à réfuter une conclusion d'évidence. Le brevet Morgan prévoit l'usage de bardeaux plus longs, mais il n'y est pas question des dimensions spécifiques contenues dans la demande 020 ni des autres avantages qui peuvent être associés à cette longueur supplémentaire.

[39]            Selon le brevet Bondoc, des bardeaux plus grands n'ont aucun avantage supplémentaire et entraîneraient un plus grand gaspillage du matériau au cours de la production.

[40]            Je souscris aux observations de l'appelante lorsqu'elle affirme que les antériorités que représentent les brevets Morgan et Bondoc ne rendent pas évidentes les revendications contenues dans la demande 020.

[41]            L'argument contestant l'évidence est étayé par les considérations accessoires soulevées par l'appelante, à savoir les avantages du bardeau décrit dans la demande 020 par rapport aux antériorités et la question du succès commercial dans le second affidavit d'Hannah.

[42]            Dans la décision Pfizer Canada Inc.c. Apotex Inc. (1997), 77 C.P.R. (3d) 547 (C.F. 1re inst.), à la page 555, la Cour fédérale a énuméré plusieurs facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer si un brevet est évident. Un brevet ne sera pas considéré comme évident si :

1. le dispositif est nouveau et supérieur à ce qui était disponible jusqu'alors;

2. depuis lors, il a été largement utilisé de préférence à d'autres dispositifs;

3. les concurrents ainsi que les experts dans ce domaine n'avaient jamais songé à la combinaison;

4. la première publication a causé l'étonnement;

5. le succès commercial.

Même si pris isolément, aucun de ces facteurs ne détermine nécessairement la question de l'évidence, il est possible d'examiner leur effet cumulatif.

[43]            L'idée que le succès commercial étaye la présomption d'inventivité a été analysée dans l'arrêt Windsurfing International Inc. c. Trilantic Corporation (1985), 8 C.P.R. (3d) 241 (C.A.F.). Bien que ce facteur ne soit pas déterminant, la Cour a conclu que si les membres d'un secteur d'activité se heurtent à un problème sans trouver de solution, c'est la preuve que l'invention n'était pas évidente.

[44]            En l'espèce, le bardeau était nouveau au sens où l'état antérieur de la technique et les connaissances courantes dans l'industrie de la couverture ne prévoyaient pas l'usage de bardeaux plus grands. Selon Mme Hannah, on craignait que des bardeaux plus grands soient difficiles à installer, mais ce n'est apparemment pas le cas. Là encore, Mme Hannah a indiqué dans ses affidavits que les clients de l'appelante préfèrent le nouveau bardeau, plus grand que la norme.

[45]            Dans son affidavit, M. Jenkins confirme qu'aucun technicien versé dans l'art de l'installation des bardeaux n'aurait songé aux nombreux avantages du bardeau décrit dans la demande 020. Il renvoie également au succès commercial des nouveaux bardeaux.

[46]            Compte tenu des éléments de preuve relatifs aux connaissances courantes dans l'industrie de la couverture au moment de l'invention et de tous les facteurs susmentionnés, je conclus que le bardeau dont il est question dans la demande 020 n'est pas une invention évidente. À mon avis, une personne versée dans l'art, mais peu imaginative, n'aurait pas été amenée directement amenée à l'invention étant donné que les antériorités n'y menaient pas et, dans le cas du brevet Bondoc no 4,825,616 délivré aux États-Unis, s'éloignaient de l'utilisation de bardeaux plus grands.

[47]            Par conséquent, l'appel est accueilli et, en vertu de l'article 41 de la Loi, il est ordonné au commissaire aux brevets d'accepter toutes les revendications de la demande 020. L'appelante ne demande pas de dépens et aucune ordonnance ne sera donc rendue quant aux dépens.

ORDONNANCE

            L'appel est accueilli et il est ordonné au commissaire d'accepter toutes les revendications de la demande 020. Aucune ordonnance n'est rendue quant aux dépens.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-496-05

INTITULÉ :                                                    CERTAINTEED CORPORATION c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et LE COMMISSAIRE AUX BREVETS

LIEU DE L'AUDIENCE :                              OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 3 OCTOBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :                                   LE 4 AVRIL 2006

COMPARUTIONS :

Kevin K. Graham                                              POUR L'APPELANTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar                                                 POUR L'APPELANTE

Ottawa (Ontario)

Sous-procureur général du Canada                    POUR LES INTIMÉS

Ottawa (Ontario)

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