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Date : 20040818

Dossier : T-1482-02

Référence : 2004 CF 1146

ENTRE :

                                                       H & R TRANSPORT LTD.

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                                            BRENDA BALDREY

                                                                                                                                      défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LA JUGE SIMPSON

[1]                En l'espèce, l'employée défenderesse a fait part de son intention de démissionner et a par la suite été congédiée par son employeur. La présente demande concerne le contrôle judiciaire de la décision d'un arbitre (l'arbitre), datée du 13 juin 2001 (la décision), laquelle a été rendue en vertu de la section XIV, partie III, du Code canadien du travail, L.R., ch. L-1, art. 1. Dans la décision, l'arbitre a conclu que la défenderesse, Brenda Baldrey (l'employée), avait été injustement congédiée. La décision n'a traité que de la question de la responsabilité. Elle a été rendue suite à des audiences tenues les 20 avril et 7 juin 2001 lors desquelles l'employée se représentait elle-même.

[2]                Deux mois plus tard, l'arbitre a rendu une décision, datée du 15 août 2002, accordant des dommages-intérêts. Bien qu'elle soit mentionnée dans la demande de contrôle judiciaire, je n'ai pas été saisie de la décision accordant des dommages-intérêts, parce que les parties ont convenu que le paiement de dommages-intérêts suivrait l'issue de la présente demande de contrôle judiciaire.

Les faits

[3]                La demanderesse, H & R Transport Ltd. (l'employeur), est une entreprise de camionnage pour laquelle l'employée a travaillé pendant six ans à titre de préposée au service à la clientèle au service d'expédition pour les États-Unis. Selon la preuve, elle était une [traduction] « employée modèle » .

[4]                Toutefois, le vendredi 28 janvier 2000 vers 16 h, elle assistait à une réunion des membres de son service (la réunion) lorsque, peu après le début de la réunion, elle a annoncé qu'elle [traduction] « démissionnait » et qu'elle [traduction] « n'en pouvait plus » pour ensuite quitter la réunion (l'incident). Son superviseur, Mark Fodor (le superviseur), l'a suivie à l'extérieur du local et lui a demandé de retourner à la réunion mais elle a refusé.

[5]                La preuve au sujet de la conduite de l'employée après l'incident démontre que :


(i)         après avoir refusé de retourner à la réunion, elle a quitté les locaux de l'employeur sans vider son bureau ni retourner ses clés;

(ii)         elle a essayé de rencontrer son médecin le vendredi, en fin d'après-midi, mais celui-ci n'était pas disponible;

(iii)        elle n'a pas communiqué avec son employeur ni cherché à obtenir une aide médicale au cours de la fin de semaine;

(iv)        le lundi 31 janvier 2000, elle n'est pas retournée au travail et n'a fait aucun effort pour communiquer avec son employeur. Elle a toutefois rencontré son médecin et a obtenu une note, datée du 31 janvier 2000, la dispensant de travailler (la note). Elle se lit ainsi :

[traduction]

Brenda ne pourra pas se rendre au travail pour des raisons de santé du 28 janvier 2000 au 1er mars 2000.

(v)         le mardi 1er février 2000, elle n'est pas retournée au travail et n'a fait aucun effort pour communiquer avec son employeur afin de lui expliquer sa situation;

(vi)        le mercredi 2 février 2000, à 7 h 15, elle a appelé son employeur et a mentionné à son superviseur qu'elle avait la note et qu'elle la ferait livrer à l'employeur ce jour-là. Au cours de la conversation téléphonique, elle a également demandé à son employeur de préparer un relevé d'emploi (le RE) dont elle affirmait avoir besoin pour demander des prestations de maladie;

(vii)       plus tard ce jour-là, le conjoint de l'employée a livré la note et a ramassé le RE, lequel mentionnait qu'elle avait [traduction] « abandonné son travail » ;


(viii)       l'employée ne s'est pas plainte au sujet de la déclaration selon laquelle elle avait abandonné son travail;

(ix)        deux semaines après l'incident, l'employée a reçu un chèque de paie final qui comprenait sa paie de vacances pour les crédits accumulés. Toutefois, elle ne s'est pas plainte auprès de son employeur au sujet de son congédiement apparent.

Les questions en litige

[6]                L'employeur affirme que :

1.          la décision était manifestement déraisonnable parce que l'arbitre avait examiné la conduite de l'employeur à la suite de l'incident alors qu'il aurait dû se concentrer uniquement sur celle de l'employée;

2.          l'arbitre a commis une erreur lorsqu'il a conclu que le témoignage de l'employée au sujet des événements qui ont précédé la réunion n'était pas exact mais que son témoignage relativement à ceux qui ont eu lieu après l'incident était fiable;

3.          la conclusion de l'arbitre selon laquelle l'employée n'avait pas remarqué, en raison de son état émotionnel fragile, le commentaire se trouvant sur le RE, qui mentionnait qu'elle avait [traduction] « abandonné » son travail, était manifestement déraisonnable parce qu'elle n'était appuyée par aucun élément de preuve;


4.          l'arbitre a commis une erreur en ne tenant pas compte des implications de l'omission de l'employée de se plaindre auprès de l'employeur au sujet de son congédiement lorsqu'elle a reçu son chèque pour sa paie de vacances.

Discussion

Première question en litige

[7]                Les parties conviennent que l'employée avait le fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu'elle n'avait pas démissionné mais qu'elle avait été congédiée. Toutefois, les parties ne s'entendent pas au sujet de ce que constitue une preuve pertinente. L'employeur invoque le passage suivant du Canadian Labour Arbitration (3e éd.) de Brown et Beatty, par. 7:7100 [onglet 6], à la page 7-290 :

[traduction]

En général, lorsque l'employée a exprimé une intention de démissionner, il ressort des décisions publiées que ce n'est que lorsque les circonstances entourant l'expression initiale de son intention sont incompatibles avec une intention subjective de démissionner ou, subsidiairement, que lorsqu'il y a certains actes subséquents de la part de l'employée qui étaient, en fait, incompatibles avec l'intention exprimée qu'il a été décidé que l'expression de l'employée manifestait une autre intention que celle de démissionner.

[Non souligné dans l'original.]

[8]                L'avocat de l'employeur affirme que l'arbitre a commis une erreur de droit lorsqu'il a inclus une appréciation de la conduite de l'employeur dans son analyse. Les seuls éléments de preuve pertinents, selon lui, ce sont ceux qui concernent le comportement de l'employée.

[9]                L'employeur prétend que l'erreur de l'arbitre est évidente à la page 21 de sa décision lorsqu'il déclare :

Pour toutes les raisons énoncées ci-dessus, j'estime qu'un observateur objectif aurait conclu que Baldrey croyait toujours être à l'emploi de H & R et qu'elle s'abstenait de revenir au travail conformément à l'ordonnance de son médecin, qui lui avait demandé de prendre congé. Un observateur objectif conclurait que H & R l'avait autorisée à prendre congé.

[10]            Toutefois, l'arbitre a déclaré ce qui suit à la page 19 de sa décision :

En définitive, j'en conclus que, lorsque Baldrey a remis sa démission, elle souffrait de troubles émotifs. Il est par conséquent douteux qu'elle ait exprimé une véritable intention de rompre le lien d'emploi. Si, par la suite, elle avait eu un comportement qui confirme objectivement son intention déclarée, je pourrais en conclure qu'elle a effectivement démissionné. La question est donc de savoir si les événements survenus pendant les deux semaines qui ont suivi son départ, examinés de manière objective, favorisent la thèse de la démission.

Dans ce passage, l'arbitre a bien défini le point central de son analyse comme constituant une opinion objective de la conduite de l'employée après l'incident. Toutefois, malgré cette déclaration, il a étendu son analyse pour examiner tant la conduite de l'employeur que celle de l'employée.

[11]            Un examen de la conduite de l'employée après l'incident jusqu'à la fin de la journée du mardi 1er février 2000 révèle que, du point de vue de l'employeur, tous les actes qu'elle a posés étaient compatibles avec son intention exprimée de démissionner. Elle avait dit qu'elle démissionnait un vendredi après-midi et à 17 h le mardi suivant, elle n'était pas retournée au travail et n'avait pas communiqué avec son employeur.

[12]            Toutefois, si on regarde cela objectivement, on remarque que, si l'employée avait eu une intention objective de démissionner, elle n'aurait pas demandé la note à son médecin. Si elle avait réellement eu l'intention de démissionner, il n'aurait pas été nécessaire de préparer une explication pour l'employeur au sujet de son absence. La note était écrite dans des mots qui donnent à penser qu'elle avait dit à son médecin qu'elle conservait son emploi mais qu'elle avait besoin d'un congé de maladie. Par conséquent, j'estime que, le lundi après-midi, un observateur objectif aurait conclu, en se basant uniquement sur sa conduite, qu'elle n'avait pas l'intention de démissionner lors de la réunion du vendredi précédent.

[13]            Le mercredi 2 février 2000, elle a parlé de la note à son employeur et a demandé à son conjoint de la lui livrer. À mon avis, un employé qui a démissionné ne présente pas à son employeur une note de médecin prescrivant un congé de maladie.

[14]            J'en conclus que le mercredi matin, il était clair, tant du point de vue d'un observateur objectif que de celui de l'employeur, que lorsque l'employée a démissionné à la réunion le vendredi précédent en après-midi, elle n'avait pas exprimé une véritable intention de rompre son lien d'emploi avec l'employeur.


[15]            Lorsque le conjoint de l'employée a livré la note le mercredi 2 février en après-midi, il a ramassé le RE que l'employée avait demandé dans sa conversation antérieure avec son superviseur. Sur le formulaire de RE, l'employeur devait choisir un motif pour la délivrance du formulaire. Il aurait pu insérer l'élément codé « E » qui aurait indiqué que l'employée avait démissionné. L'employeur aurait également pu écrire « N » pour « congé » . Au lieu de cela, c'est le code alphabétique « K » qui a été utilisé. Il signifie « autre » et, lorsqu'il est utilisé, le formulaire mentionne qu'il faut expliquer le motif de délivrance du RE dans la case prévue pour les commentaires. C'est dans cette case que l'employeur a écrit [traduction] « abandon du travail » (le commentaire). Rien dans la preuve n'indique que l'employée a vu le commentaire. En l'absence d'une telle preuve, aucun inférence ne peut être tirée au sujet de l'omission de l'employée d'appeler son employeur pour se plaindre au sujet de cette caractérisation de son comportement.

[16]            Compte tenu des faits de la présente affaire, je ne puis conclure que l'arbitre a commis une erreur importante lorsqu'il a examiné la conduite de l'employeur ainsi que celle de l'employée. Je dis cela parce que, comme je l'ai déjà démontré, si l'arbitre n'avait examiné que la conduite de l'employée, il en serait venu à la même conclusion, à savoir que sa conduite après l'incident, vue de façon objective, n'étayait pas la thèse d'une véritable intention de démissionner à la réunion.

Deuxième question en litige


[17]            L'arbitre n'a pas accepté les allégations de l'employée au sujet du mauvais traitement qu'elle prétendait avoir subi de la part de son superviseur, tant au cours des jours qui ont précédé la réunion qu'à la réunion. Ces conclusions étaient raisonnables en ce que son témoignage au sujet de ces événements avait été contredit par presque tous les autres témoins. Toutefois, l'arbitre a accepté son témoignage au sujet des événements qui s'étaient produits après la réunion, surtout parce qu'il avait été corroboré par d'autres éléments de preuve. Je ne puis trouver aucune erreur susceptible de révision dans cette approche.

Troisième question en litige

[18]            L'arbitre a suggéré deux explications concernant l'omission de l'employée de réagir au commentaire. Il a affirmé que, en raison de l'état émotionnel de l'employée, cela avait pu lui échapper. Selon l'employeur, cette hypothèse n'était pas étayée par la preuve. Subsidiairement, l'arbitre a conclu que, si l'employée a vu le commentaire, elle n'a pas appelé son superviseur parce qu'elle avait eu l'assurance qu'elle conservait son emploi pendant son congé de maladie, du fait d'une déclaration qu'il lui avait faite plus tôt ce jour-là (et qu'il a témoigné avoir faite) selon laquelle elle devrait prendre tout le temps qu'il lui fallait.

[19]            Bien que je sois d'accord avec l'employeur comme quoi il n'y avait aucune base factuelle appuyant la conclusion selon laquelle l'état émotionnel de l'employée expliquait son omission à réagir au commentaire, je suis convaincue que cette erreur n'était pas importante parce que la conclusion alternative, fondée sur l'assurance donnée par le superviseur, était raisonnable.


Quatrième question en litige

[20]            Deux semaines après l'incident, lorsque l'employée a reçu un chèque comprenant la paie de vacances, sa réaction immédiate a été de communiquer avec son employeur. Toutefois, elle n'a pas communiqué avec le bureau pour parler à son superviseur afin de se plaindre que son congé de maladie avait été annulé. Elle a plutôt demandé à parler au commis de paie pour débattre du montant de paie de vacances auquel elle avait droit. L'employeur affirme que son omission de se plaindre auprès de son superviseur au sujet du fait qu'on lui avait envoyé le chèque constitue une conduite objective qui confirme son intention de démissionner. Sur ce point, l'observation de l'employeur a un certain fondement. Il est étrange que, si elle pensait que son congé de maladie avait été annulé, elle n'ait pas demandé à parler à son superviseur afin d'obtenir une explication.

[21]            Dans d'autres circonstances, cette conduite aurait pu donner à penser qu'elle avait l'intention de démissionner. Toutefois, immédiatement après avoir parlé au service de la paie de l'employeur, elle a téléphoné au Conseil canadien des relations industrielles alléguant qu'elle avait été injustement congédiée. Ce fut une conduite opportune et sans équivoque qui était incompatible avec l'expression d'une véritable intention de démissionner à la réunion et qui, à mon avis, annule toute inférence défavorable qui aurait pu par ailleurs être tirée en se basant sur son omission de parler à son superviseur.


Page : 11

Conclusion

[22]            Pour ces motifs, je ne suis pas convaincue que la décision de l'arbitre était manifestement déraisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

               « Sandra J. Simpson »         

   Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                          T-1482-02

INTITULÉ :                                         H & R TRANSPORT LTD.

c.

BRENDA BALDREY

LIEU DE L'AUDIENCE :                              CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 27 AOÛT 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :    LA JUGE SIMPSON

DATE DES MOTIFS :                                   LE 18 AOÛT 2004

COMPARUTIONS :

William J. Armstrong, c.r.                                  POUR LA DEMANDERESSE

Kenneth G. Torry, c.r.                            POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

LAIRD ARMSTRONG                                    POUR LA DEMANDERESSE

Calgary (Alberta)

Ken H. Lewis, c.r.                                  POUR LA DÉFENDERESSE

TORRY LEWIS ABELLS, LLP

Lethbridge (Alberta)


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