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Date: 20000529


Dossier : IMM-1931-99

OTTAWA (Ontario), le 29 mai 2000

DEVANT : Monsieur le juge Rouleau

ENTRE :


DALVIR KAUR SIDHU

Harminder et Simranjit


demandeurs


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


défendeur




ORDONNANCE


[1]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.



                             « P. ROULEAU »

                                     JUGE

Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.





Date: 20000529


Dossier : IMM-1931-99


ENTRE :


DALVIR KAUR SIDHU

Harminder et Simranjit


demandeurs


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


défendeur




MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]      Il s'agit d'une demande présentée conformément à l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, en vue de l'obtention de l'autorisation et du contrôle judiciaire d'une décision par laquelle un agent d'immigration de Citoyenneté et Immigration Canada a conclu, le 22 mars 1999, qu'il n'existait pas suffisamment de raisons d'ordre humanitaire pour permettre à la demanderesse d'obtenir le droit d'établissement au pays.

[2]      La demanderesse, Dalvir Kaur Sidhu, est citoyenne de l'Inde. Elle allègue craindre avec raison d'être persécutée du fait de son appartenance à un groupe social, à savoir son sexe et le fait que des membres de sa famille sont soupçonnés d'être des militants au Pendjab.

[3]      Au mois de juin 1994, l'ami du mari de la demanderesse, qui s'intéressait fort activement à l'All India Sikh Student Federation (l'AISSF) a communiqué avec son mari et avec elle pour qu'ils deviennent membres de cette association. Ils ont adhéré à l'AISSF et ont appuyé sa cause en donnant de l'argent ainsi qu'en participant à divers rassemblements et à diverses manifestations. En 1995, des militants se sont présentés chez la demanderesse, ce qui a attiré l'attention de la police. La demanderesse aurait censément été contrainte de donner à manger aux militants.

[4]      Après le départ des militants, la police s'est rendue chez eux et a arrêté le mari de la demanderesse. Le mari a été détenu et battu. Après avoir été mis en liberté, le mari est parti et s'est caché parce qu'il craignait la police. La police s'est mise à harceler la demanderesse, qui a subséquemment été victime d'une agression sexuelle. La demanderesse s'est ensuite installée à divers endroits parce qu'elle craignait pour sa vie et celle de ses enfants. Elle est arrivée au Canada au mois d'août 1996. La revendication qu'elle avait présentée en vue d'obtenir le statut de réfugié a été refusée. L'entrevue prévue au paragraphe 114(2) a eu lieu au mois d'octobre 1998.

[5]      Le 6 avril 1999, la demanderesse a reçu la décision qui avait été prise à la suite de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. Aucun motif n'était donné à l'appui de la décision, qui a été prise le 22 mars 1999. À la suite de la demande que le greffier de la Cour fédérale avait faite au CIC régional de Mississauga conformément à la règle 9 des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration, le directeur a envoyé à la demanderesse un avis en vertu de l'alinéa 9(2)b) pour l'informer qu'aucun motif écrit n'était donné. Cet avis a été reçu le 12 mai 1999.

[6]      La demanderesse soutient qu'il n'a pas été tenu compte du Dossier d'information sur le pays qui était mentionné dans ses observations aux fins de la décision. Elle soutient que, dans ce document, il est fait mention de la situation critique des femmes ainsi que de la conduite de la police au Pendjab. Elle affirme que ces renseignements font partie de la question à examiner, que l'agent d'immigration a donc commis une erreur de droit en omettant d'en tenir compte et que l'on n'a pas effectué un examen complet et équitable en vue de déterminer s'il existait des raisons d'ordre humanitaire.

    

[7]      L'avocat de la demanderesse soutient en outre que l'agent en question a complètement omis de tenir compte des épreuves auxquelles les deux fils de la demanderesse, qui sont maintenant âgés de huit et douze ans, feraient face s'ils retournaient en Inde. Leur père ou le mari de la demanderesse n'est pas là pour subvenir à leurs besoins; l'agent a omis de tenir compte des difficultés extrêmes auxquelles les enfants et la demanderesse feraient face si elle était renvoyée du Canada ainsi que du fait qu'elle est maintenant établie au Canada, qu'elle a trouvé un emploi et que ses enfants fréquentent l'école.

[8]      Dans ses conclusions finales, la demanderesse souligne qu'au cours de l'entrevue, l'agent avait demandé à l'interprète de ne pas parler « au nom de » la demanderesse, mais de traduire ce qu'elle disait. La demanderesse a eu la possibilité d'être entendue, mais l'interprète est intervenu. Il est soutenu que l'agent a apprécié la preuve alors qu'il subsistait encore des doutes au sujet de la source de la preuve, ce qui soulève une question de partialité.

[9]      Le défendeur affirme que l'examen fondé sur les raisons d'ordre humanitaire constitue une considération individuelle spéciale additionnelle en vue d'être dispensé de l'application des lois canadiennes en matière d'immigration et que, partant, un agent d'immigration devrait avoir droit à ce que l'on fasse preuve d'une retenue considérable à l'égard de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[10]      Le défendeur affirme en outre que rien ne montre que la demanderesse ou son avocat se soient opposés à la qualité de l'interprétation au cours de l'entrevue. Il déclare qu'il est de droit constant qu'une partie qui allègue subir un préjudice par suite d'une interprétation fautive doit le faire au cours de la procédure. Il signale également que la demanderesse n'a pas soulevé cette question dans l'affidavit qu'elle a déposé à l'appui de sa demande.

[11]      Enfin, le défendeur soutient que le dossier montre clairement que l'agent a examiné toutes les éléments de preuve et que les longues notes qu'il a prises au cours de l'entrevue établissent amplement qu'il a minutieusement analysé tous les faits pertinents aux fins de cette audience relative aux raisons d'ordre humanitaire.

[12]      Comme il a été établi dans l'arrêt Baker1, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable.

[13]      En vertu de l'article 114(2) de la Loi, le ministre ou son fondé de pouvoir sont autorisés à accorder, pour des raisons d'ordre humanitaire, une dispense d'application de la Loi et à faciliter l'admission au Canada. Il est clairement établi que le pouvoir discrétionnaire que possède l'agent d'immigration en vertu du paragraphe 114(2) « relève entièrement de son jugement et de son pouvoir discrétionnaire et [que] la Loi ne confère aucun droit au requérant en ce qui a trait au dispositif de cette décision » 2.

[14]      Dans la décision Gomes3, Monsieur le juge Cullen a dit que la décision que prend l'agent d'immigration au sujet de la question de savoir s'il convient d'accorder une dispense en vertu du paragraphe 114(2) est une décision fort discrétionnaire, l'obligation d'équité étant située à l'extrémité inférieure du spectre. Dans la décision Shah4, qui a été rendue avant l'arrêt Baker (supra), l'obligation d'équité qui s'applique aux demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire a été établie. Dans la décision Shah, Monsieur le juge Hugessen a fait les remarques suivantes :

Il est bien établi que la teneur de l'obligation d'agir équitablement varie selon les circonstances. En l'espèce, nous sommes tous d'avis que la teneur de cette obligation était minimale. La décision visée [...] a été rendue par une agente d'immigration chargée de faire une recommandation au gouverneur en conseil quant à l'exercice du pouvoir discrétionnaire de ce dernier d'accorder au requérant une dispense de l'application du paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration pour des raisons d'ordre humanitaire. C'est le paragraphe 114(2) de la Loi qui lui confère le pouvoir d'accorder une dispense de cette nature. Cette décision relève entièrement de son jugement et de son pouvoir discrétionnaire et la Loi ne confère aucun droit au requérant en ce qui a trait au dispositif de cette décision. [...]
En l'espèce, le requérant ne doit pas répondre à des allégations dont il faut lui donner avis; c'est plutôt à lui de convaincre la personne investie d'un pouvoir discrétionnaire qu'il doit recevoir un traitement exceptionnel et obtenir une dispense de l'application générale de la Loi. [...] L'agente n'a pas l'obligation d'exposer au requérant les conclusions éventuelles qu'elle est susceptible de tirer des éléments dont elle dispose, ni même les éléments en apparence contradictoires qui sèment le doute dans son esprit. [...]
Pour avoir gain de cause, la partie requérante doit démontrer que la personne investie d'un pouvoir discrétionnaire a commis une erreur de droit, a appliqué un principe erroné ou inapplicable ou a agi de mauvaise foi.

[15]      Les questions concernant la preuve documentaire relèvent à juste titre du pouvoir discrétionnaire des agents d'immigration et ne devraient pas être assujetties à un examen de la part de cette cour5. Il existe également une présomption voulant que le décideur tienne compte de tous les éléments de preuve fournis et qu'il ne soit pas nécessaire qu'il mentionne ou cite la preuve en entier en prenant sa décision, dans la mesure où la Cour est convaincue que tous les faits pertinents ont été soumis à l'agent et qu'ils ont été examinés6.

[16]      Selon la jurisprudence de cette cour, les agents d'immigration qui prennent une décision en vertu du paragraphe 114(2) peuvent se fonder sur une évaluation des risques effectuée par un agent chargé de la révision des revendications refusées7. En l'espèce, en examinant la demande, l'agent chargé de la révision des revendications refusées a mentionné, dans l'avis qu'il a exprimé au sujet des risques, qu'il tenait compte de tous les documents mis à sa disposition et a en outre conclu qu'aucun élément de preuve ne montrait que des épreuves indues ou disproportionnées seraient subies si la demanderesse retournait en Inde.

[17]      La demanderesse soutient en outre que l'agent ne l'a pas informée de toutes les préoccupations qu'il avait au sujet de sa demande. Toutefois, il a été établi que l'agent des visas n'est pas tenu de rendre compte dans les moindres détails au demandeur des préoccupations qu'il a sur des points précis.

[18]      Au cours de l'entrevue, il a été noté que l'agent avait été obligé de rappeler à l'interprète de ne pas parler à la demanderesse. Dans ses notes, voici ce qu'a dit l'agent : [TRADUCTION] « L'interprète essayait constamment de répondre pour la cliente -- je me suis vu à maintes reprises obligé de l'informer qu'il devait traduire intégralement ce que je disais et ce que la personne concernée disait. »

[19]      L'avocat a soutenu que le fait que l'agent s'était vu à plusieurs reprises obligé de réprimander l'interprète montrait qu'il était partial et que cela étayerait l'argument selon lequel on a fait preuve d'un manque d'objectivité dans la conduite de l'entrevue.

[20]      J'ai examiné les notes et je conclus qu'elles n'étayent pas pareille prétention et que, s'il s'agissait d'une question importante, comme l'avocate du défendeur l'a soutenu, il n'a pas été déclaré dans l'affidavit qui a été déposé à l'appui de la présente demande qu'il s'agit d'une question si cruciale ou si importante qu'il convient d'annuler la décision.

[21]      L'un des arguments les plus convaincants que l'avocat de la demanderesse veut invoquer se rapporte à l'allégation selon laquelle le cas des enfants n'avait pas été examiné d'une façon appropriée ou adéquate avant que la décision soit prise et que personne n'a réellement tenu compte des épreuves qui résulteraient de la décision. De toute évidence, pendant toute la durée de l'entrevue et dans les notes de l'agent, il est fait mention des enfants à trois ou quatre reprises et l'agent signale qu'ils n'ont pas de parents au Canada, que la famille de la demanderesse est encore en Inde et que celle-ci pourrait les aider à leur retour.

[22]      Enfin, il est soutenu que la demanderesse est fermement établie au Canada et que cet aspect n'a pas été examiné d'une façon appropriée. L'examen des notes de l'agent étaye la prétention de la Couronne selon laquelle l'agent savait que la demanderesse n'était au pays que depuis deux ans, qu'elle avait longtemps touché des prestations d'aide sociale, qu'elle n'était pas qualifiée, qu'elle avait de la difficulté à s'exprimer en anglais et qu'elle n'avait trouvé un emploi d'opératrice de machine à coudre que récemment. De toute évidence, la décision relevait du pouvoir discrétionnaire de l'agent et la situation de la demanderesse ne semble pas être conforme aux lignes directrices générales en ce qui concerne l'établissement. La demanderesse n'a jamais eu un emploi stable, et elle n'a pas de parents au Canada.

[23]      Il faudrait se rappeler que ces décisions dépendent du pouvoir discrétionnaire des agents d'immigration, à moins que la Cour ne soit convaincue qu'il y a eu un manque d'équité ou que la décision était déraisonnable compte tenu de la preuve dont disposait le préposé à l'entrevue. La charge de la preuve incombe aux demandeurs.

[24]      Je ne suis pas convaincu que la Cour doive intervenir et, par conséquent, la demande est rejetée.


                             « P. ROULEAU »

                                     JUGE

OTTAWA (Ontario)

le 29 mai 2000

Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.



COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :      IMM-1931-99

    

INTITULÉ DE LA CAUSE :      DALVIR KAUR SIDHU c. MCI
LIEU DE L'AUDIENCE :      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 17 mai 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Rouleau en date du 29 mai 2000


ONT COMPARU :

Marshall E. Drukarsh          POUR LA DEMANDERESSE

Negar Hashemi          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Green & Spiegel          POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada         

__________________

1Baker c. Canada (MCI), [1992] 2 R.C.S. 817.

2Ogunfowora c. Canada (MCI), [1997] A.C.F. no 456.

3Gomes c. Canada (MCI), [1999] A.C.F. no1362.

4Shah c. Canada (MCI), [1994] A.C.F. no1299.

5Hoang c. Canada (MEI), [1990] A.C.F. no 1096.

6Hasson c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1992), 147 N.R. 317; Ogunfowora c. Canada (MCI), [1997] A.C.F. no 456.

7Voir supra Gomes.

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