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                                                                                                                                 Date : 20050620

                                                                                                                    Dossier : IMM-9426-04

                                                                                                                  Référence : 2005 CF 876

ENTRE :

                                                     AMEIR (MAKAME) AMEIR

                                                                                                                                         demandeur,

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

INTRODUCTION                                               

[1]                Le demandeur, Ameir (Makame) Ameir, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 19 octobre 2004 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) lui a refusé le statut de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger.

[2]                Le demandeur demande à la Cour d'infirmer la décision de la Commission.                   


LES FAITS

[3]                Le demandeur, qui est citoyen de Tanzanie, prétend avoir une crainte fondée de la persécution des autorités tanzaniennes pour ses opinions politiques à titre de membre du Front civique uni (FCU) dont il est devenu membre en 1994.

[4]                La revendication du demandeur repose sur les allégations de fait suivantes. À cause de son appartenance au FCU, il a été arrêté, détenu, battu et torturé, à plusieurs reprises. En 1995, des membres du parti au pouvoir Chama Cha Mapinduzi (CCM) sont venus chez lui pour le battre tout en menaçant de le tuer s'il continuait de supporter le FCU. En 1998, il a été arrêté, de même que trois autres membres du FCU, détenu pendant trois semaines et battu. En 1999, des membres du CCM l'ont battu si brutalement qu'il a dû subir une chirurgie. En 2000, il a été arrêté, détenu pendant sept jours et torturé. Cette année-là, il a également été battu plusieurs fois par la police et des membres du CCM. En janvier 2001, alors qu'il participait à une manifestation organisée par le FCU, le demandeur a été battu par la police, et sa mère a été attaquée par des membres du CCM. Enfin, en 2003, le demandeur et son meilleur ami, Ali Shaban, étaient dans un groupe poursuivi par la police. Incapable de s'échapper, son ami a été battu à mort.

[5]                Au début du mois de novembre 2003, le demandeur déclare qu'il s'est rendu à Tanga, en Tanzanie, près de la frontière avec le Kenya, pour parvenir ensuite à la capitale, Dar es Salaam, où il s'est organisé pour venir au Canada. Arrivé à Toronto le 9 novembre 2003, il a revendiqué l'asile au point d'entrée.                                    


[6]                La Commission a entendu la revendication du demandeur le 8 septembre 2004 et l'a rejetée le 19 octobre 2004. L'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire a été accordée le 18 février 2005.

LA DÉCISION EN CAUSE

[7]                Il a été présenté à la Commission, outre le témoignage du demandeur, la preuve documentaire suivante : le formulaire de renseignements personnels du demandeur (PRF), son PRF modifié, les notes prises au point d'entrée, le rapport d'un psychologue, un rapport médical et des documents sur la situation en Tanzanie.

[8]                La Commission a conclu que le demandeur n'était ni crédible, ni digne de foi, et qu'il n'avait donc pas démontré sa crainte subjective de persécution. Elle n'a pas cru que les autorités tanzaniennes ciblaient le demandeur parce qu'il était un membre du FCU. Elle a aussi conclu que la crainte de persécution du demandeur n'était pas objectivement fondée, étant donné les changements intervenus en Tanzanie.

[9]                En ce qui a trait à la crainte subjective de persécution du demandeur, la Commission a statué que la question centrale en l'espèce était de savoir s'il était crédible que les autorités tanzaniennes cible le demandeur en raison de son appartenance au FUC. La Commission a tiré des inférences négatives des écarts entre le témoignage du demandeur, les réponses qu'il avait données à l'agent d'immigration lors de l'entretien au point d'entrée et les renseignements contenus dans son FRP et son FRP modifié.


[10]            Pour statuer que la crainte du demandeur n'était pas objectivement fondée, la Commission s'est appuyée sur la preuve documentaire qui fait état du changement des circonstances en Tanzanie depuis la signature de l'Accord d'octobre, une entente de réconciliation politique entre le CCM et le FCU. Depuis mai 2001, cette entente a incité des milliers de Tanzaniens qui avaient fui le Kenya à retourner au pays, y compris des députés et des membres du FCU. La preuve documentaire indiquait en outre que tous les détenus politiques arrêtés à la suite du 27 janvier 2001 avaient été relâchés et que les accusations en cours contre les membres du FCU avaient été retirées.

[11]            Enfin, la Commission a statué que le demandeur, étant donné son peu de crédibilité, ne pouvait être considéré comme une personne à protéger au sens du paragraphe 97(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). Sa demande a été rejetée.

QESTIONS EN LITIGE

[12]            La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

1.         La Commission a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité du demandeur?

2.          La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la crainte de persécution du demandeur était sans fondement objectif?

3.          La Commission a-t-elle commis une erreur en rendant une décision qui ne tenait pas compte de la preuve présentée?


4.          La Commission a-t-elle manqué à son obligation d'équité envers le demandeur en lui appliquant un raisonnement stéréotypé?

ANALYSE

1)         La Commission a-t-elle commis une erreur dons son évaluation de la crédibilité du demandeur?            

[13]            Le demandeur conteste certaines conclusions de la Commission sur sa crédibilité. Le défendeur soutient que ces conclusions de la Commission ne sont pas manifestement déraisonnables.

[14]            Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en attaquant sa crédibilité sur les points suivants :            

-           Le demandeur n'a pas immédiatement demandé l'asile à son arrivée, mais a plutôt déclaré, sur l'avis de son agent, qu'il visitait le Canada pour affaires.

-           Le demandeur a témoigné qu'il avait demandé à sa mère, en mars 2004, d'obtenir une lettre du FCU attestant de son appartenance à ce parti. La Commission a noté que la lettre était datée du 20 janvier 2004, soit avant que le demandeur ne la demande.

-           La lettre du FCU précisait que le demandeur participait à des manifestations et qu'il en organisait, alors qu'il avait écrit dans son FRP qu'il ne faisait qu'y participer. La Commission a également tiré des inférences négatives du fait que la lettre ne mentionnait pas que le demandeur avait été arrêté, battu ou torturé.


-           La Commission a remarqué que le demandeur avait modifié son FRP initial, selon lequel il était membre du FCU depuis 1994, pour l'accorder avec la lettre du FCU, selon laquelle il n'en était membre que depuis 1995.

-           La Commission n'a accordé aucun poids au rapport du psychologue et au rapport médical pour établir que le demandeur avait subi les torts qu'il prétendait.

-           La Commission a noté que la modification du FRP faisait état d'un mandat d'amener à l'égard du demandeur au Zanzibar, mandat qui n'était pas mentionné dans le FRP initial pourtant écrit un mois seulement après que le demandeur ait été prétendument mis au courant du mandat. La Commission, ayant statué que cette information « l'avait mené à fuir le pays de sa nationalité » , aucune raison ne pouvait donc expliquer son oubli d'une information si importante.

[15]            Il est de jurisprudence constante que la norme de contrôle applicable aux décisions touchant à la crédibilité est celle de la décision manifestement déraisonnable : Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (QL); R.K.L. c.Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 116, [2003] A.C.F. no 162 (QL). L'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, prévoit également un seuil élevé pour que la Cour puisse intervenir sur des conclusions de fait.



18. Motifs

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l'office fédéral, selon le cas :

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

18. Grounds of review

(4) The Federal Court may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;


[16]            La Commission a tiré une inférence défavorable du fait que le demandeur n'avait pas revendiqué l'asile immédiatement à son arrivée au point d'entrée. Il avait d'abord dit à l'agent d'immigration qu'il visitait le Canada pour affaires et ce n'est qu'ensuite, après avoir été interrogé, qu'il a demandé la protection du Canada. La Commission a rejeté l'explication du demandeur selon laquelle il ne faisait que suivre l'avis de son conseil et qu'il voulait rencontrer les membres de la communauté de Zanzibar à Toronto pour solliciter leur aide avant de revendiquer le statut de réfugié. Selon une jurisprudence de la Cour, ceux qui fuient la persécution grâce à de faux documents, en raison de leur crainte et de leur vulnérabilité, agissent souvent conformément aux instructions des agents qui ont organisé leur fuite. Cette même jurisprudence donne à penser que le fait pour un revendicateur de ne pas être franc à propos de documents de voyage a peu d'effet direct sur la question de savoir s'il est véritablement un réfugié : Takhar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 240 (QL).


[17]            Quoique la Commission ait tiré des inférences défavorables de l'incident au point d'entrée, on ne peut pas dire qu'elle se soit appesantie sur les circonstances ayant entouré le retard du demandeur à revendiquer le statut de réfugié au point d'entrée. À mon avis, la Commission aurait commis une erreur si elle l'avait fait, d'autant que la preuve en l'espèce montre que le demandeur avait revendiqué le statut de réfugié peu après avoir été interrogé. C'est un élément dont il faut tenir compte pour décider de la crédibilité du demandeur, mais qui à lui seul est clairement insuffisant pour conclure que le demandeur n'est généralement pas crédible. D'autres éléments doivent être présents. Le défendeur soutient que d'autres éléments justifient la conclusion de la Commission. Je me pencherai maintenant sur ces éléments.

[18]            Le demandeur déclare avoir fait valoir qu'il avait demandé à sa mère d'obtenir une lettre du FCU au commencement de l'année et non en mars comme la Commission l'a constaté. Le demandeur soutient qu'il n'y a pas d'incohérence dans sa preuve et il explique que sa mère lui a posté la lettre, qui est datée du 20 janvier 2004, en mars. Le défendeur soutient _traduction_ « ... que les motifs de la Commission devraient contenir une fabrication pure et simple, et non seulement un témoignage mal entendu, pour que la version du demandeur soit vraie » .


[19]            La Commission a fait quelques erreurs dans ses motifs, certaines d'entre elles simples et évidentes. Ces erreurs, qui pour la plupart ne sont pas importantes, indiquent que la Commission a fait preuve d'inattention au détail et, clairement, d'un travail superficiel et négligent dans l'examen de la preuve et la rédaction de ses motifs. En voici seulement quelques exemples. La Commission, en plus d'une occasion, s'est référée au revendicateur comme s'il s'agissait d'une femme et a épelé incorrectement le nom de l'ami du demandeur « Shaban » et de la tante « Lukia Mohammed Ali » . La Commission a mélangé la date d'un article dans la preuve documentaire, avec celle de la signature de l'entente pour sauvegarder la mise en oeuvre de l'Accord d'octobre. De plus, la Commission a indiqué que, pour parvenir à sa décision, elle avait tenu compte des « Directives sur la persécution fondée sur le sexe » ayant trait aux revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe. Il est clair que ces directives ne s'appliquent pas au demandeur puisqu'il est de sexe masculin. Il y a d'autres exemples, dont je traiterai plus loin dans les présents motifs, de la manière dont la Commission a mal saisi la preuve, exemples importants pour certaines de ses conclusions. Bref, je ne suis guère convaincu que la Commission en l'espèce a examiné la preuve avec l'attention nécessaire. Pour cette raison, je rejette le plaidoyer du défendeur en faveur de mon admission de la version des événements donnée par la Commission et, en conséquence, je statue que la Commission a manqué à son devoir de tenir compte du témoignage du demandeur, en ce qui a trait à la date à laquelle la lettre du FCU avait été requise et postée, et que la Commission a commis une erreur en attaquant la preuve du demandeur sur ce point.


[20]            Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a mis en doute sa crédibilité pour la raison que la lettre du FCU indiquait que le demandeur était un organisateur de la manifestation du 27 janvier 2001, manifestation à laquelle il n'avait fait, selon son PRF, que participer. Il me semble utile de citer le passage pertinent de la lettre : [traduction] « ... et en vertu de la Charte des Nations Unies sur les droits de l'homme de 1948, M. Ameir Makame s'est vu, de manière anticonstitutionnelle, accusé par les autorités de Zanzibar de participer et d'organiser la manifestation contre le gouvernement révolutionnaire de Zanzibar dans un ralliement d'opposition bien connu le 27 janvier 2001... » Le défendeur soutient qu'on peut interpréter ces mots de plus d'une façon et qu'il est loisible à la Commission de lire la lettre comme elle l'a fait et de statuer que son auteur avait en effet écrit que le demandeur avait été accusé d'organiser la manifestation et, par conséquent, que la preuve contredisait son PRF. À mon avis, l'interprétation la plus plausible est que l'auteur de la lettre racontait simplement que le demandeur avait été accusé par les autorités de participer et d'organiser la manifestation, une accusation niée par le demandeur. Dans ces circonstances, on aurait dû donner le bénéfice du doute au demandeur. De toute façon, sur ces points, il n'était pas loisible à la Commission de statuer que la lettre contredisait le PRF du demandeur et de mettre ainsi en doute sa crédibilité.

[21]            Pour attaquer la crédibilité du demandeur, la Commission s'est appuyée sur le fait qu'il avait modifié son FRP en y indiquant qu'il s'était joint au FCU en 1995, et non 1994 selon sa première déclaration. La Commission a statué que, puisque le demandeur avait corrigé son FRP après l'envoi de la lettre, d'après laquelle le demandeur était membre depuis 1995, il était probable que le demandeur avait corrigé son FRP pour corroborer son témoignage. Le demandeur a attribué son erreur à une faute de typographie. La Commission a estimé que cette explication était plausible, mais elle a néanmoins attaqué la crédibilité du demandeur à la lumière de son « témoignage d'ensemble » . À mon avis, la conclusion de la Commission touchant la crédibilité est manifestement déraisonnable. Le paragraphe 6(4) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (les Règles), accorde aux parties la possibilité de corriger leur FRP. Dans les circonstances, il n'est pas loisible à la Commission de statuer comme elle l'a fait en s'appuyant sur le « témoignage d'ensemble » du demandeur. Le demandeur a donné une explication plausible de sa correction et la possibilité de corriger un FRP est prévu par les Règles. La Commission n'a donné aucune raison valable pour attaquer la crédibilité du demandeur sur ces faits. La conclusion sur la crédibilité est manifestement déraisonnable.


[22]            Le demandeur a apporté ce que la Commission considère être une modification importante à son FRP en avril 2004, en y écrivant que [traduction] « j'ai été informé qu'un mandat d'amener à mon égard a été émis à Zanzibar en raison de mon implication dans des activités politiques » . La Commission n'a pas accepté l'explication du demandeur selon laquelle il n'avait pas inscrit cette information dans son FRP initial parce qu'il « avait oublié de le mentionner » . Raisonnant que cette information était importante puisqu'elle provoqué la fuite du demandeur hors de son pays, la Commission a statué qu'il était inexplicable que celui-ci ne la mentionne pas dans son FRP initial et a en conséquence conclu que l'information avait été ajoutée pour fabriquer sa revendication du statut de réfugié.


[23]            Le demandeur fait valoir que le FRP constitue un exposé succinct des prétentions d'un revendicateur et non une documentation complète de son cas : Singh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 1034 (QL). Il affirme avoir déclaré à la Commission que son omission de certains détails dans son FRP s'expliquait par sa crainte que son histoire ne soit trop longue, s'il la racontait toute, et par sa difficulté à se souvenir de tout à la fois au moment de remplir le FRP. De plus, le demandeur soutient que la Commission a erronément conclu que cette information l'avait incité à fuir la Tanzanie, ce qu'il n'avait jamais déclaré. Il allègue que la Commission, au début de ses motifs, a traité de ce qui l'avait amené à fuir la Tanzanie. Dans son résumé des allégations, la Commission a déclaré : « En 2003, l'ami du demandeur de statut, « Ali Shavan » , a été battu à mort dans un assassinat à motifs politiques. C'est pourquoi en novembre 2003, le revendicateur s'est rendu à Tanga où il s'est organisé pour fuir la Tanzanie » . Après cela, la Commission ne mentionne pas dans ses motifs le mandat d'amener comme cause de la fuite hors de Tanzanie.

[24]            Le défendeur soutient que la Commission pouvait conclure que le mandat d'amener avait incité le demandeur à fuir puisque celui-ci n'avait pas juré dans son affidavit que ce n'était pas l'une des raisons de sa fuite.

[25]            Quoique l'on puisse débattre à partir de la preuve du facteur qui a amené le demandeur à fuir la Tanzanie, il ressort clairement du dossier que le demandeur n'a pas ajouté ce renseignement à son FRP pour fabriquer sa revendication de statut, puisque ce renseignement avait déjà été présenté à la Commission. La Commission disposait des notes prises au point d'entrée qui indiquaient clairement que le demandeur avait mentionné le mandat d'amener en répondant aux questions de l'agent d'immigration. La Commission n'a pas mentionné cela dans ses raisons. À mon avis, la Commission ne pouvait pas conclure que le renseignement avait été ajouté pour fabriquer sa revendication de statut sans traiter de la preuve du demandeur au point d'entrée, laquelle étaye une conclusion différente de celle de la Commission. Il me faut conclure que la décision a été prise sans tenir compte de la preuve et constitue donc une erreur.

[26]            Les erreurs ci-dessus suffisent à mettre en doute la conclusion de la Commission quant au manque général de crédibilité du défendeur. En conséquence, la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur a omis d'apporter la preuve suffisante, crédible et fiable du bien-fondé de sa revendication ne tient pas.



[27]            La Commission ne tient pas compte des deux rapports médicaux. D'abord, le rapport psychologique du Dr Devin qui fait état des symptômes du demandeur provoqués par le mauvais traitement que celui-ci prétend avoir reçu de la part des autorités tanzaniennes. Puis, l'opinion clinique du Dr Hirsz selon lequel le demandeur avait subi une voie de fait et que ses cicatrices concordaient avec les allégations de trauma. Aucune valeur probante n'a été accordée à ces deux rapports parce que la Commission avait conclu que le demandeur n'avait pas établi de manière crédible le bien-fondé de sa revendication. Le demandeur soutient que ces rapports touchent à sa crédibilité et que la Commission aurait dû en tenir compte dans son appréciation. Le demandeur soutient que la Commission a plutôt fondé sa décision de rejeter les rapports sur sa conclusion quant à son manque de crédibilité. Ce n'est pas à l'expert médical qu'il incombe d'apprécier et de déterminer la crédibilité d'un demandeur de statut; c'est la fonction de la Commission. La Commission peut n'accorder aucune valeur probante à un rapport médical lorsqu'il est essentiellement fondé sur les allégations, qu'elle ne croit pas, du revendicateur. Cependant, il arrive que des rapports reposent aussi sur les observations cliniques qui sont tirées indépendamment de la crédibilité du revendicateur. En l'espèce, le rapport médical du Dr Hirsz repose, au moins en partie, sur des examens indépendants et objectifs. Dans de tels cas, les rapports d'experts peuvent servir de preuve corroborante pour décider de la crédibilité d'un revendicateur et il faut donc en traiter avant de les rejeter. En l'espèce, la Commission a, toutefois, rejeté les deux rapports sur le seul fondement de sa conclusion que le demandeur n'était généralement pas crédible. Étant donné ma décision que la Commission a commis une erreur dans sa décision touchant la crédibilité, il s'ensuit que sa conclusion sur ces deux rapports ne tient pas.

[28]            Je me pencherai maintenant sur la conclusion de la Commission selon laquelle la revendication du statut du demandeur n'était pas objectivement fondée.

2.          La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la crainte de persécution du demandeur était sans fondement objectif?

[29]            Le demandeur soutient que les informations sur les conditions du pays font état de répression et de violence de la part du parti gouvernemental CCM contre le parti d'opposition FCU dont le demandeur était membre. Le demandeur reconnaît que, suite à l'entente du 3 janvier 2002, la répression s'est temporairement calmée. Cependant, il soutient que, au moment de l'audience et de la décision, la répression faisait encore rage. Pour le démontrer, il a soumis une preuve selon laquelle l'Accord du 3 janvier 2002 n'avait pas tenu. Le demandeur soutient que la Commission a l'obligation de reconnaître expressément cette preuve qui contredit directement sa décision et qu'elle a commis une erreur en ne le faisant pas.


[30]            Le défendeur soutient que l'élément de preuve relaté par le demandeur ne contredit pas directement la conclusion de la Commission. Seul un incident de conduite inacceptable de la part de la police, visant le FCU, s'est produit, soit l'arrestation d'un des députés du FCU. Le défendeur soutient que cet élément de preuve, quoique troublant, ne suffit pas à fonder la prétention du demandeur, selon laquelle la Commission a commis une erreur de droit en concluant que les changements en Tanzanie la justifiaient de décider que la crainte de persécution du demandeur n'était pas objectivement fondée.

[31]            Je statue qu'il existe une preuve étayant la prétention du demandeur que la situation en Tanzanie depuis la signature de l'Accord du 3 janvier 2002 fait encore problème pour le FCU. Le fait que la Commission n'ait pas reconnu expressément cette preuve dans ses motifs constitue une erreur susceptible de révision. En d'autres circonstances, je pourrais arriver à une conclusion différente. L'appréciation de la preuve documentaire sur l'état d'un pays relève de la compétence d'un tribunal d'experts et la déférence de la Cour est justifiée. Cependant, vu l'approche de la Commission quant à la composante subjective de la revendication du demandeur, et eu égard particulièrement à son inattention démontrée à la preuve, je ne suis guère rassuré par l'analyse objective de la Commission et par la profondeur de son examen des preuves documentaires sur les conditions en Tanzanie depuis la signature de l'Accord du 3 janvier.

CONCLUSION

[32]            Puisque je suis d'avis que la Commission a commis des erreurs susceptibles de révision dans son appréciation des éléments subjectifs et objectifs de la revendication du demandeur, j'accueille la demande de contrôle judiciaire. Les erreurs étant décisives, il n'est pas nécessaire de traiter des autres questions soulevées dans la demande.


[33]            Les avocats sont invités à signifier et à déposer leurs observations à l'égard de la certification d'une question grave de portée générale, le cas échéant, dans les dix (10) jours suivant la réception des présents motifs de l'ordonnance. Chacune des parties aura une période additionnelle de quatre (4) jours pour signifier et déposer une réponse aux observations de la partie adverse. Après examen de ces observations, je rendrai une ordonnance accueillant la demande de contrôle judiciaire et réglant la question de la certification d'une question grave de portée générale en vertu de l'alinéa 74d) de la LIPR.

                                                                                                                     « Edmond P. Blanchard »            

                                                                                                                                                     Juge                      

Ottawa (Ontario)

Le 20 juin 2005

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                                    Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                         IMM-9426-04

INTITULÉ DE LA CAUSE: AMEIR (MAKAME) AMEIR c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                  WINNIPEG (MANITOBA)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 11 MARS 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE BLANCHARD

DATE DES MOTIFS :                       LE 20 JUIN 2005

COMPARUTIONS :                            

David Matas                                                               POUR LE DEMANDEUR

Sharlene Telles-Langdon                                             POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                                                                                           

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :               

David Matas                                                               POUR LE DEMANDEUR

602-225 rue Vaughan

Winnipeg (Manitoba)

John H. Sims, c.r.                                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

301-310 Broadway

Winnipeg (Manitoba)


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