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Date : 20060511

Dossier : IMM-4601-05

Référence : 2006 CF 571

 

ENTRE :

MARCOS HUGO ARAYA ATENCIO

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Pinard

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), rendue le 28 juin 2005, dans laquelle la Commission a conclu que le demandeur n’était pas un « réfugié au sens de la Convention » ni une « personne à protéger » aux termes des articles 96 et 97, respectivement, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

 

[2]               Marcos Hugo Araya Atencio (le demandeur) est un citoyen du Costa Rica et sa demande est fondée sur une crainte de persécution et sur le fait que Juan Rafael Casasola Mora, un criminel bien connu au Costa Rica, l’avait menacé de le tuer ou de le blesser.

 

[3]               La Commission a conclu que le Costa Rica est une démocratie constitutionnelle stable de longue date, dont l’appareil judiciaire indépendant réprime efficacement la criminalité individuelle. À la lumière de ces faits, la Commission a conclu que le demandeur n’avait pas pris des mesures raisonnables pour obtenir la protection du Costa Rica, et que par conséquent il n’avait pas réfuté la présomption de l’existence de la protection de l’État.

 

[4]               Dans ses motifs, la Commission a déclaré que « [j]e conviens que l’auteur du crime visait le demandeur au début et que le demandeur s’est acheté un révolver pour se protéger. Je conviens également que l’auteur du crime est un trafiquant de stupéfiants reconnu, qu’il purge une longue peine de prison et qu’il a menacé de tuer le demandeur lorsqu’il sera libéré. »

 

[5]               Le demandeur allègue que, comme la Commission n’a pas mis en doute sa crédibilité, elle a commis une erreur en ne croyant pas son affirmation selon laquelle l’État n’est pas disposé à lui offrir une protection adéquate.

 

[6]               Le demandeur soutient que, dans l’affaire Moya c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2002 CFPI 1147, la Cour fédérale a noté :

[27]     Encore une fois, je partage l'avis exprimé au paragraphe 34 du mémoire des prétentions du demandeur : [TRADUCTION] « Étant donné que le tribunal a déclaré que le témoignage du demandeur n'était entaché d'aucune contradiction ou incohérence majeure et que sa crédibilité n'était pas en cause, il est manifestement déraisonnable qu'il ait conclu que la déclaration précitée du demandeur, portant qu'il ne pouvait obtenir la protection efficace de l'État au Mexique, n'était pas crédible. »

 

 

[7]               Dans le même ordre d’idées, selon le demandeur, il n’y avait aucune question grave au sujet de la crédibilité en l’espèce, et par conséquent, il était manifestement déraisonnable que la Commission conclue que sa déclaration selon laquelle il ne pouvait pas se prévaloir d’une protection de l’État adéquate n’était pas crédible.

 

[8]               Cependant, dans l’affaire Hernandez c. Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1994), 79 F.T.R. 198, au paragraphe 6, la Cour fédérale a souligné que la présomption de vérité ne s’applique pas aux inférences que le demandeur tire des faits qu’il a relatés :

[…] la présomption de vérité qui s'applique aux faits relatés par la requérante ne vaut pas quant aux déductions que l'on tire de ces faits […]

 

 

 

[9]               Dans le même ordre d’idées, la Cour fédérale a fait la déclaration suivante dans l’affaire Derbas c. Canada (Solliciteur général), [1993] A.C.F. no 829 (1re inst.) (QL) :

En acceptant comme un fait la version des événements donnée par le requérant, la Commission n'était certainement pas tenue de souscrire à l'interprétation qu'il donne de ces événements. Elle devait quand même examiner si les événements, vus objectivement, sous-tendaient suffisamment une crainte de persécution fondée.

 

 

 

[10]           Il est de droit constant que c’est la Commission, et non le demandeur, qui examine la preuve et qui détermine si l’État est disposé à offrir une protection adéquate et s’il est en mesure de le faire. L’argument du demandeur selon lequel, parce que la Commission a conclu qu’il était crédible, elle devait accepter son affirmation au sujet de l’incapacité de l’État de lui offrir une protection adéquate, est donc intenable.

 

[11]           En ce qui a trait à la protection de l’État, la Cour suprême du Canada a statué que l’important pour une enquête au sujet d’une demande du statut de réfugié est de déterminer s’il y a une « crainte fondée de persécution » et que « [t]ant l'existence d'une crainte subjective que le fondement objectif de cette crainte doivent être établis selon la prépondérance des probabilités » (Chan c. Canada (M.E.I.), [1995] 3 R.C.S. 593. Voir aussi l’affaire Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689; Rajudeen c. Canada (M.E.I.) (1984), 55 N.R. 129 (C.A.F.)).

 

[12]           L’élément important lorsqu’il s’agit de déterminer si la crainte d’un demandeur est fondée est l’incapacité de l’État de le protéger. De plus, l’incapacité de l’État de protéger un demandeur est l’élément crucial de l’évaluation du caractère raisonnable et objectif de la réticence du demandeur à demander la protection de l’État (voir l’affaire Ward, précitée).

 

[13]           Sauf dans le cas où un État est dans une situation d’effondrement total, un État est présumé être en mesure de protéger ses citoyens. Cette présomption ne peut être réfutée que par une preuve « claire et convaincante » de l’incapacité de l’État à protéger ses citoyens (Kadenko c. Canada (Solliciteur général) (1996), 143 D.L.R. (4th) 532 (C.A.F.)).

 

[14]           Dans l’affaire Canada (M.E.I.) c. Villafranca, [1992] A.C.F. no 1189 (QL), la Cour d’appel a laissé entendre qu’il n’est pas nécessaire que la protection de l’État soit parfaite :

     Aucun gouvernement qui professe des valeurs démocratiques ou affirme son respect des droits de la personne ne peut garantir la protection de chacun de ses citoyens en tout temps. Ainsi donc, il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n'a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation.  […]

 

 

 

[15]           Un pays n’a la responsabilité d’offrir une protection internationale qu’en l’absence de protection nationale ou de protection de l’État dans le pays du demandeur (voir l’affaire Ward, précitée).

 

[16]           D’après la jurisprudence, la protection de l’État peut être offerte non seulement par la police mais aussi par des organismes administrés ou financés par l'État (Pal c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2003 CFPI 698; Nagy c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2002 CFPI 281; Zsuzsanna c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2002 CFPI 1206).

 

[17]           En l’espèce, la Commission a statué :

[…] Je ne suis pas d’accord avec la position du conseil, qui fait valoir que le demandeur a épuisé tous les recours qu’il pouvait raisonnablement exercer pour obtenir une protection et je détermine que la décision TA2-14980 s’applique en l’espèce. La possibilité d’obtenir une protection de l’État au Costa Rica a été amplement analysée dans cette affaire, et le raisonnement suivi en ce qui a trait à la protection de l’État s’applique aux faits de l’espèce. En conséquence, j’adopte le raisonnement suivi dans la décision TA2-14980.

 

 

 

[18]           La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de l’existence de la protection de l’État, parce qu’il avait seulement communiqué avec un policier au sujet des renseignements qu’il avait reçus selon lesquels le criminel avait l’intention de le tuer à sa sortie de prison, et la preuve dont la Commission était saisie démontrait que l’État était capable de protéger ses citoyens contre des criminels dans des cas semblables.

 

[19]           À mon avis, les principaux éléments de la demande du demandeur sont les mêmes que dans l’affaire TA2-14980, soit la crainte que des criminels se vengent s’il retournait au Costa Rica, le mécontentement quant à la façon dont sa plainte a été traitée par les policiers locaux et le défaut d’avoir demandé réparation auprès du Bureau de l’ombudsman. Le point de la décision TA2‑14980 qui sert de fondement au guide jurisprudentiel de la Commission est la décision qu’il existait une protection de l’État.

 

[20]           À mon avis, la Commission a eu raison d’examiner et d’appliquer le guide jurisprudentiel en l’espèce. Il ne s’agit pas d’un cas pour lequel la Commission n’a pas fait preuve d’indépendance, mais plutôt d’un cas pour lequel la Commission a examiné les lignes directrices et, par conséquent, s’est assurée que sa décision était compatible avec les autres décisions rendues pour des demandeurs dans une situation analogue (Khon c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CF 143).

 

[21]           En l’espèce, la Commission s’est demandé si le demandeur aurait dû raisonnablement se prévaloir des autres mesures auxquelles il n’a pas eu recours. La Commission a conclu que le fait que le demandeur ait cherché à obtenir la protection de la police locale ne représentait pas un effort suffisant parce que, selon la preuve documentaire sur la situation du pays au Costa Rica, il existe d’autres institutions policières, politiques et judiciaires, telles que la police chargée des enquêtes judiciaires et le Bureau de l’ombudsman, à qui le demandeur aurait pu s’adresser pour obtenir de l’aide, ce qu’il n’a pas fait.

 

[22]           À mon avis, la Commission pouvait tirer ces conclusions en se fondant sur la preuve. La preuve documentaire atteste que le gouvernement du Costa Rica concentre ses efforts sur sa lutte contre le crime et a mis en place des organismes et des mécanismes, autres que la police locale, pour protéger les citoyens comme le demandeur. La Commission pouvait raisonnablement conclure que si le demandeur s’était plaint au Bureau de l’ombudsman ou à la police chargée des enquêtes judiciaires, cette plainte aurait reçu considération.

 

[23]           À mon avis, pour tous ces motifs, les allégations du demandeur ne justifient pas l’intervention de la Cour.

 

[24]           Au bout du compte, en ce qui a trait à l’appréciation des faits par la Commission, y compris la preuve documentaire, le demandeur n’a pas réussi à me convaincre que la Commission « a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont [elle] dispose » (alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7).

 

[25]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 11 mai 2006

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-4601-05

 

INTITULÉ :                                                   MARCOS HUGO ARAYA ATENCIO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 27 avril 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 11 mai 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeinis Patel                                                        POUR LE DEMANDEUR

 

Anshumala Juyal                                               POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jeinis S. Patel                                                   POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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