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Date : 19990222


Dossier : T-1597-98

Entre :

     VASILE COSTIUC

     Demandeur

     - et -

     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Défendeur

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE TREMBLAY-LAMER :

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire interjetée à l"encontre de la décision de la section d"appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles (section d"appel) datée du 8 juillet 1998 confirmant la décision de première instance de la Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC) refusant une libération conditionnelle totale pour expulsion au demandeur.

[2]      Le demandeur est un citoyen roumain. Il affirme avoir été persécuté en Roumanie pour des raisons politiques. Il est arrivé au Québec le 4 février 1994 et a demandé le statut de réfugié. Il a vécu au Canada un an et demi avant d"avoir été arrêté.

[3]      Le 12 janvier 1996, le demandeur a été condamné à purger une peine d"une durée de six ans dans un pénitencier relativement à des délits graves contre la personne: homicide involontaire et voies de fait avec arme et menaces de mort et blessures. Il était sous l"effet de l"alcool pendant la commission de ces crimes. En ce qui a trait à l"homicide, il a poignardé sa victime à deux reprises au niveau du coeur et des poumons. Quant aux voies de fait et menaces, il a placé un couteau à la gorge de sa victime et lui a dit qu"il allait lui couper la gorge.

[4]      Le demandeur a déposé une demande de libération conditionnelle que la CNLC a reçue le 20 janvier 1997. L"audience a eu lieu le 23 décembre 1997 et a été refusée le même jour.

[5]      Le demandeur a interjeté appel de la décision à la section d"appel au motif que la CNLC avait violé un principe de justice fondamentale en ne lui fournissant pas les services d"un interprète roumain et qu"elle avait fondé sa décision sur des renseignements erronés ou incomplets. La section d"appel rejetait son appel quant aux deux motifs invoqués.

QUESTIONS EN LITIGE

     1.      La section d"appel a-t-elle erré en ne reconnaissant pas que le droit du demandeur à l"équité procédurale avait été brimé lors de l"audience devant la CNLC?         
     2.      La section d"appel a-t-elle erré en concluant que l"évaluation du risque faite par la CNLC était raisonnablement bien fondée en faits?         

ANALYSE

[6]      Le rôle de la section d"appel est de s"assurer que la CNLC s"est conformée à la Loi et à ses politiques, qu"elle a respecté les règles de justice fondamentale et que ses décisions sont basées sur des renseignements pertinents et fiables. Ce n"est que dans la mesure où ses conclusions sont manifestement déraisonnables que l"intervention de cette Cour est justifiée.

     1)      Le droit à l"interprète

[7]      Selon l"article 149(9) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition 1 (la Loi), un délinquant a droit à l"assistance d"un interprète s"il ne comprend pas de façon satisfaisante l"une des langues officielles du Canada. En l"espèce l"étude du dossier révèle que dans les documents d"admission en établissement datés du 13 janvier 1996, le demandeur a indiqué, sans réserve, le français comme langue parlée et écrite, et aussi comme langue d"audience. Il a demandé que son audience se déroule en français. Il ne s"est jamais objecté à cette manière de procéder. Selon les membres de la section d"appel, l"enregistrement de l"audience devant le CNLC ne démontre aucunement que le demandeur éprouvait des difficultés à comprendre ou s"exprimer en français. De fait, le demandeur n"a jamais manifesté le désir de recourir aux services d"un interprète. Une lecture attentive des documents dont il est fait mention ainsi que la transcription de l"audience confirme que le demandeur avait une connaissance satisfaisante du français. Il ne fait aucun doute que la décision de la section d"appel était bien fondée sur ce point.

     2)      L"évaluation du risque

[8]      Il appartient à la CNLC de soupeser la preuve et de tirer ses propres conclusions. Comme je l"ai indiqué précédemment, la section d"appel devait s"assurer que sa décision était basée sur des renseignements pertinents et fiables.

[9]      La CNLC a pris le dossier carcéral du demandeur en considération en rendant sa décision. Elle a noté que :

"Les besoins qui avaient été identifiés au moment de votre incarcération étaient nombreux et le risque que vous représentiez était élevé. À cet égard et malgré un comportement somme toute assez conformiste en établissement, nous ne pouvons voir de changement significatif stable et durable et qui serait proportionnel à la gravité des gestes qui ont été posés.2

[10]      Cette conclusion repose principalement sur une récente évaluation de Mme Perreault, la psychologue qui indique dans son rapport du 25 novembre 1997 :

La psychologue considère que M. Costiuc adopte une attitude minimisante face aux délits pour lesquels il a été trouvé coupable. Elle relate que le sujet maintient sa position défensive et que ses perceptions sont mobilisées par la méfiance. Mme Perreault souligne que le sujet ne présente pas les caractéristiques d"une personnalité antisociale mais plutôt celles d"une pathologie profonde résultant de l"environnement et les circonstances dans lesquels il a évolué. Enfin, le rapport indique l"influence significative de l"état intoxiqué du sujet dans la commission du délit.

En résumé, la spécialiste considère que les changements sont plutôt faibles et que les défenses de Monsieur Costiuc ont entravé le processus de remise en question et d"introspection. L"aspect du pronostic en terme de potentiel agressif n"a pas été abordé. Toutefois, elle est en accord avec la recommandation favorable de l"EGC.

[11]      Bien qu"elle soit en accord avec la recommandation de l"équipe de gestion quant à la libération de M. Costiuc, néanmoins elle a considéré que les changements étaient plutôt faibles depuis son incarcération. Il y avait donc des éléments de preuve pertinents sur lesquels la CNLC a fondé sa décision ce qu"a constaté la section d"appel. Elle n"a donc commis aucune erreur de faits sur ce point.

[12]      Quant à l"argument du procureur du demandeur à l"effet que la CNLC avait fondé sa décision sur des renseignements incomplets puisqu"elle ne possédait pas toute l"information concernant le demandeur en Roumanie cet argument fut aussi rejeté par la section d"appel. Celle-ci constate que la CNLC devait fonder sa décision eu égard à toutes les informations disponibles au dossier.

[13]      En l"espèce, la CNLC mentionne simplement le manque d"information en ce qui a trait aux antécédents criminels du demandeur. Le fondement de sa décision ne repose pas sur ces renseignements incomplets. Elle n"en tire aucune inférence négative. Il s"agit d"un facteur neutre qu"elle ne fait que mentionner. Le demandeur n"en subi aucun préjudice.

[14]      En résumé l"évaluation du risque faite par la CNLC était fondée sur des renseignements pertinents. La CNLC n"avait pas l"obligation d"entériner la recommandation de l"équipe de gestion. Elle devait faire sa propre évaluation. Puisque les éléments de preuve au dossier appuyait sa décision, elle est bien fondée en faits, ce qu"a constaté la section d"appel. Je ne peux conclure qu"une telle décision était manifestement déraisonnable.

[15]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

     "Danièle Tremblay-Lamer"

                                     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 22 février 1999.

__________________

1      S.R.C. 1992, c. 20.

2      Dossier du demandeur à la p. 12.

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