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     Date: 19971222

     T-1459-97

Entre :

     ITV TECHNOLOGIES, INC.

     demanderesse

     (défenderesse reconventionnelle)

     - et -

     WIC TELEVISION LTD.

     défenderesse

     (demanderesse reconventionnelle)

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD :

[1]      Voici les motifs à l'appui de l'ordonnance que j'ai prononcée à Vancouver, le 17 décembre 1997, par laquelle j'ai rejeté la requête de la défenderesse (demanderesse reconventionnelle) WIC Television Ltd. (WIC) en vue de l'obtention d'une injonction interlocutoire et d'une réparation connexe par suite de la prétendue usurpation par la demanderesse (défenderesse reconventionnelle), ITV Technologies Inc. (Technologies), des marques de commerce déposées de WIC, enregistrées sous les numéros TMA 467,002 et TMA 286,066 (les marques de commerce ITV). La défenderesse prétend que la demanderesse a usurpé ces marques de commerce en les employant dans sa dénomination sociale, dans son nom commercial et dans sa désignation ou son adresse internet "WWW.itv.net", et dans la programmation liée à cette adresse.

Historique

[2]      Technologies exploite un site web depuis 1995, auquel elle a donné le nom "itv.net". Elle utilise cette désignation comme nom commercial dans son entreprise de diffusion par Internet. Elle n'exploite pas de station de télévision.

[3]      WIC, une société canadienne de communication et de télédiffusion, possède et exploite des stations de télévision "ITV" à Edmonton (Alberta). Elle et ses prédécesseurs ont utilisé sans arrêt les marques de commerce ITV depuis 1974, en liaison avec la radiodiffusion, la télévision et la production. WIC affiche également ses marques de commerce ITV dans l'exploitation de son site Internet "itv.ca", qui depuis mars 1995 donne des renseignements sur sa programmation. Elle a également diffusé des émissions de télévision ITV sur son site web.

[4]      Au mois de janvier 1997, WIC a commencé à protester au sujet de l'utilisation par Technologies du nom commercial "itv.net", affirmant qu'il s'agissait d'une usurpation de ses marques ITV. Technologies a fini par intenter, le 4 juillet 1997, une action contestant la validité des marques de commerce ITV. Le 24 octobre 1997, WIC a déposé une défense et demande reconventionnelle dans laquelle elle faisait valoir que ses marques de commerce étaient valides et qu'elles étaient opposables à Technologies.

[5]      Le 10 novembre 1997, WIC a présenté une demande d'injonction provisoire, interlocutoire et permanente assortie de réparations connexes, par suite de la prétendue usurpation par Technologies des marques de commerce ITV. Cette demande devait être entendue le 24 novembre 1997 à Edmonton (Alberta). L'avocat qui représentait alors Technologies a écrit à la Cour pour demander un ajournement, mais ne s'est pas présenté à la date prévue pour l'audition de la demande. Étant donné ces circonstances, la demande a été entendue sans opposition devant le juge MacKay, lequel a octroyé l'injonction provisoire et fixé au 17 décembre 1997 la date à laquelle l'audition de la demande d'injonction interlocutoire devait se tenir, à Vancouver (Colombie-Britannique).

Les points en litige

[6]      Les seules questions qui se posent en l'espèce sont les suivantes :

     1.      WIC subira-t-elle un préjudice irréparable si l'injonction interlocutoire n'est pas octroyée et, le cas échéant,
     2.      la prépondérance des inconvénients favorise-t-elle l'octroi de l'injonction demandée?

[7]      Les parties conviennent que le critère applicable en matière d'injonction interlocutoire est celui que la Cour d'appel fédérale a énoncé dans l'arrêt Turbo Resources Ltd. c. Petro Canada Inc. (1989), 24 C.P.R. (3d) 1, lequel requiert que le requérant satisfasse à trois exigences :

     (i)          il doit démontrer l'existence d'une question sérieuse à trancher;
     (ii)          il doit convaincre la Cour qu'il subira un préjudice irréparable si l'injonction n'est pas octroyée;
     (iii)      la prépondérance des inconvénients favorise l'octroi de l'injonction.

[8]      En l'espèce, personne ne conteste que la partie requérant l'injonction interlocutoire a démontré l'existence d'une question sérieuse à instruire. Après avoir examiné la preuve, je partage l'avis du juge MacKay selon lequel : [TRADUCTION] "L'action intentée par la demanderesse et la demande reconventionnelle de la défenderesse soulèvent des questions sérieuses"1.

Analyse

[9]      La défenderesse WIC invoque trois décisions de la Section de première instance à l'appui de son affirmation selon laquelle, [TRADUCTION] "lorsqu'on peut prétendre qu'il y a eu atteinte aux droits d'un propriétaire dans sa marque de commerce, cela suffit pour constituer un préjudice qui ne peut être réparé par des dommages-intérêts", et [TRADUCTION] "lorsque l'achalandage afférent aux marques de commerce du requérant représente un actif très important, la diminution de cet achalandage causera un préjudice irréparable"2. Ces trois décisions ont été rendues avant les quatre arrêts suivants de la Cour d'appel fédérale établissant clairement le droit applicable : Turbo Resources, précité, Syntex Inc. c. Novopharm Ltd. (1991), 36 C.P.R. (3d) 129, Nature Co. c. Sci-Tech Educational Inc. (1992), 41 C.P.R. (3d) 359, Centre Ice Ltd. c. NHL (1994), 53 C.P.R. (3d) 34, et Man and His Home Ltd. c. Mansoor Electronics Ltd. (1996), 62 C.P.R. (3d) 239.

[10]      Dans l'arrêt Turbo Resources, précité, le juge Stone exprime l'opinion suivante à la p. 19 :

         [...] Lorsque les dommages-intérêts que le demandeur pourrait obtenir à l'égard de la poursuite par le défendeur de ses activités pendant l'instance indemniseraient adéquatement le demandeur et seraient à la mesure des moyens financiers du défendeur, l'injonction interlocutoire ne devrait normalement pas être accordée;                 

[11]      Dans les arrêts Syntex, Nature et Centre Ice, précités, la Cour d'appel a réitéré clairement que la preuve établissant que le requérant subira un préjudice irréparable doit être catégorique et non conjecturale. La Cour d'appel a affirmé également que la simple violation d'un droit de propriété sur une marque de commerce ne constitue pas en soi un préjudice irréparable lorsque la validité de la marque est contestée. Dans l'arrêt Syntex, le juge Heald a écrit, à la p. 135:

         [...] Cette Cour a posé pour règle jurisprudentielle que la preuve du préjudice irréparable doit être catégorique et non pas conjecturale [...]                 

Il a ajouté , à la p. 138:

         [...] À mon avis, une décision au fond qui nécessite des preuves et témoignages considérables sur des points litigieux touchant à la question cruciale de la validité de la marque ne saurait être rendue au stade de l'injonction interlocutoire. En pareil état de la cause, la conclusion que la simple violation du droit du propriétaire à l'emploi exclusif constitue un préjudice irréparable est plutôt paradoxale puisque c'est "ce droit du propriétaire" lui-même qui est en cause. La juridiction qui décide, par voie d'injonction interlocutoire, qu'un plaignant a des "droits de propriété sur une marque de commerce", décide de ce fait du litige qui doit être tranché au procès. À mon avis, pareille décision ne doit pas être rendue au stade de l'injonction interlocutoire où, comme en l'espèce, la question de validité est vigoureusement disputée par les deux parties.                 

[12]      La Cour d'appel a répété ces principes dans l'arrêt Nature, précité, à la p. 367, et dans l'arrêt Centre Ice, précité, aux pp. 52 à 54.

[13]      En l'espèce, la question de la validité des marques de commerce ITV prend une grande importance. La preuve d'une possible confusion n'établit certainement pas, par elle-même, qu'il y a eu perte d'achalandage ou que le préjudice ne pourra être réparé par des dommages-intérêts. Dans l'arrêt Nature, précité, le juge Stone affirme, à la p. 367 :

         [...] Alors que, comme l'a dit le juge saisi de la requête, la preuve tendait à établir une certaine confusion, les éléments de preuve n'allaient pas jusqu'à montrer, à mon avis, que la confusion causerait un préjudice irréparable à l'intimée. Si je comprends bien, le juge a pu tirer cette conclusion en posant que ce qu'il a considéré comme une perte du caractère distinctif de la marque de l'intimée se produirait si l'on ne mettait pas un frein à cette confusion. Cette dernière conclusion, semble-t-il, était elle-même subordonnée à l'hypothèse voulant que cette marque de commerce contestée doive être présumée valide pour trancher la question du préjudice irréparable.                 

[14]      La Cour d'appel fédérale a également exprimé l'opinion suivante dans l'arrêt Centre Ice, précité, à la p. 53 :

         Je suis incapable de conclure qu'une conclusion de confusion entre des produits concurrents entraîne nécessairement une perte d'achalandage pour laquelle la demanderesse ne pourrait être indemnisée par des dommages-intérêts.                 

[15]      Je souscris à l'affirmation suivante faite par le juge Tremblay-Lamer dans la décision Carterpillar Inc. c. Chaussures Mario Moda Ltd. (1995), 62 C.P.R. (3d) 338 à la p. 344 :

         [...] l'arrêt Centre Ice devrait être interprété de telle sorte que la Cour ne puisse conclure, à partir de la preuve de confusion, à une perte d'achalandage ou à une atteinte à la réputation. Le préjudice irréparable doit être prouvé.                 

[16]      En outre, aucun préjudice n'a été prouvé même si l'indication prétendue fautive faite au public dure depuis environ deux ans. Ce facteur est pertinent et tend à démontrer que le préjudice allégué par WIC n'est qu'hypothétique.

[17]      Dans les circonstances, les engagements, que la demanderesse n'a pris que devant moi, constituent un motif supplémentaire de rejeter l'injonction interlocutoire demandée par la défenderesse. L'avocat de la demanderesse a pris les engagements suivants au nom de cette dernière :

     -      elle indiquera clairement dans son site web qu'"itv.net" n'a aucun lien avec le site web CITV et elle offrira un lien avec ce dernier site;
     -      elle n'effectuera aucune diffusion de productions de CITV ou de productions portant le nom ITV identifié avec la défenderesse, tant que la présente affaire ne sera pas réglée;
     -      elle tiendra une comptabilité de ses revenus et de ses clients jusqu'au procès.

[18]      Pour les motifs qui précèdent, j'ai conclu, le 17 décembre 1997, que le préjudice irréparable n'ayant pas été prouvé, il n'était pas nécessaire d'examiner la question de la prépondérance des inconvénients et qu'il y avait lieu de rejeter la demande d'injonction interlocutoire.

                         Yvon Pinard                                      JUGE

OTTAWA, ONTARIO

22 décembre 1997

TRADUCTION CERTIFIÉE CONFORME         

                             Ghislaine Poitras, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  T-1459-97
INTITULÉ :                  ITV TECHNOLOGIES, INC. c. WIC TELEVISION LTD.

LIEU DE L'AUDIENCE :          VANCOUVER

DATE DE L'AUDIENCE :          le 17 décembre 1997

MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE PINARD

EN DATE DU 22 DÉCEMBRE 1997

COMPARUTIONS :

JOHN J.L. HUNTER      POUR LA DEMANDERESSE

G. MCLENNAN      POUR LA DÉFENDERESSE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

DAVIS & COMPANY, VANCOUVER      POUR LA DEMANDERESSE

MCLENNAN & ROSS, EDMONTON      POUR LA DÉFENDERESSE


__________________

     1      À la page 7 des motifs prononcés par le juge MacKay à l'appui de l'ordonnance octroyant l'injonction provisoire.

     2      Voir Joseph E. Seagram & Sons, Ltd. c. Andres Wines Ltd. (1987), 16 C.P.R. (3d) 481, à la p. 494, Coca-Cola Ltée. c. Fisher Trading Co. Ltd. (1988), 25 C.P.R. (3d) 200, à la p. 210, et Boutique Au Coton Inc. c. Pant-O-Rama (1987), 17 C.P.R. (3d) 409, à la p. 418.

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