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Date : 20060407

Dossier : IMM-792-05

Référence : 2006 CF 449

Ottawa (Ontario), le 7 avril 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

ENTRE :

CRISTINA SIRBU

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                Il s'agit d'une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire, déposée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), d'une décision de la Section d'appel de l'immigration (SAI) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, rendue le 14 janvier 2005. Dans cette décision, la SAI a rejeté la demande de parrainage que la demanderesse a présentée à l'égard de son père, Gheorghe Constantin.

[2]                La demanderesse a déposé une demande de parrainage de la demande de résidence permanente de ses parents, à titre de membres de la catégorie du regroupement familial.

[3]                Les parents de la demanderesse ont subi des examens médicaux. L'examen médical du père de la demanderesse a révélé qu'il souffrait de cardiopathie ischémique chronique. Un agent des visas a conclu que le père de la demanderesse nécessiterait des soins médicaux importants, s'il obtenait le statut de résident permanent, aux termes du paragraphe 38(1) de la LIPR. Ce paragraphe se lit comme suit :

38.(1) Emporte, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour motifs sanitaires l'état de santé de l'étranger constituant vraisemblablement un danger pour la santé ou la sécurité publiques ou risquant d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé.

38.(1) A foreign national is inadmissible on health grounds if their health condition

...

(c) might reasonable be expected to cause excessive demand on health or social services.

[4]                L'agent a conclu que le père de la demanderesse, s'il était admis au Canada, aurait besoin de soins importants, y compris une opération chirurgicale, afin de traiter sa cardiopathie. L'agent a ajouté que le coût des soins pour le père de la demanderesse excèderait la moyenne, par habitant, des dépenses en soins de santé, et que son traitement pourrait avoir priorité sur celui d'une personne au Canada qui attend des soins semblables.

[5]                L'agent a rendu une décision défavorable au sujet de la demande de parrainage en ce qui a trait au père de la demanderesse. La demanderesse a porté la décision de l'agent en appel devant la SAI.

[6]                La SAI a confirmé la décision de l'agent parce qu'elle a conclu que la décision au sujet de la non-admissibilité pour des raisons d'ordre médical était valide et qu'il n'existait aucun motif d'ordre humanitaire, au sens de l'article 25 de la LIPR, qui justifiait une exception dans le cas du père de la demanderesse.

[7]                La SAI a examiné le diagnostic au sujet du père de la demanderesse et a confirmé que la décision de l'agent, prise au vu du paragraphe 38(1) de la LIPR, était fondée sur un diagnostic médical valide. La SAI a aussi examiné un rapport médical soumis par la Dr Tudor, une médecin qui avait examiné le père de la demanderesse. Le rapport recommandait un traitement pour le père de la demanderesse et donnait un pronostic positif en ce qui avait trait à sa cardiopathie. La SAI a tiré la conclusion suivante au sujet du rapport :

Même si le rapport médical du Dr Tudor indique que l'état de santé du demandeur s'est amélioré au cours des deux dernières années, et que le médecin considère que le pronostic est bon avec le traitement recommandé, le diagnostic n'est pas incompatible avec celui du Dr Jeremy Brown. Le rapport produit par l'appelante ne traite pas de la possibilité qu'une intervention chirurgicale s'avère nécessaire. En outre, la spécialiste mentionne que le demandeur a besoin d'examens périodiques, ce qui confirme l'opinion du Dr Jeremy Brown selon laquelle le demandeur aura besoin des services de spécialistes en cardiologie au Canada. Comme l'a indiqué le Dr Jeremy Brown, la maladie du demandeur risque de nécessiter des services de santé qui imposeraient une charge dont le coût prévisible dépasse la moyenne, par habitant au Canada, des dépenses sur une période de 5 (ou 10) années, et qui viendrait allonger les listes d'attente actuelles.

[8]                La SAI a conclu que le rapport de la Dr Tudor ne contredisait pas celui du Dr Brown et que, par conséquent, la décision de l'agent était fondée en droit.

[9]                La SAI a ensuite examiné s'il existait des motifs d'ordre humanitaire justifiant qu'une exception soit faite pour le père de la demanderesse et lui permettre de recevoir le statut de résident permanent en vertu de l'article 25 de la LIPR.

[10]            La SAI a examiné s'il existait des circonstances justifiant une telle exception, y compris l'effet de la décision sur tout enfant qui serait directement touché, et la capacité du père de la demanderesse de recevoir des soins médicaux adéquats en Roumanie. La SAI a conclu que, bien que la demanderesse et ses enfants entretiennent une relation étroite avec son père (le grand-père des enfants), la preuve ne permettait pas de tirer la conclusion que la demanderesse et ses enfants seraient incapables de se rendre en Roumanie dans un proche avenir. La SAI a aussi conclu que le père de la demanderesse avait déjà accès à des soins médicaux adéquats en Roumanie. La SAI a conclu que la demanderesse et ses parents ne subiraient aucun préjudice injustifié.

[11]            La demanderesse demande maintenant à la Cour fédérale le contrôle judiciaire de la décision de la SAI. Elle soulève trois questions :

(i)                   Elle allègue qu'il y a eu manquement à l'équité procédurale au cours de l'audience parce que le Dr Tudor n'a pas témoigné;

(ii)                 Elle allègue que la conclusion au sujet de la non-admissibilité pour des raisons d'ordre médical est entachée d'erreur;

(iii)                Elle allègue que la SAI a mal interprété la preuve qu'elle avait présentée au sujet du préjudice.

[12]            La demanderesse soutient que la SAI a manqué à l'obligation d'équité procédurale en ne lui donnant pas la chance de convoquer la Dr Tudor à titre de témoin expert. Cependant, la preuve contredit cette allégation. Au cours de l'audience, on a demandé à la demanderesse si elle souhaitait convoquer la Dr Tudor à titre de témoin, et elle a répondu par la négative.

[13]            La demanderesse soutient qu'elle était décontenancée et intimidée par le processus et qu'elle avait pleinement l'intention de convoquer la Dr Tudor comme témoin au cours de l'audience. Cependant, comme le défendeur le rappelle, on a demandé deux fois à la demanderesse si elle souhaitait convoquer la Dr Tudor. La première fois, elle a répondu que le tribunal pouvait [TRADUCTION] « oublier ça » et, la deuxième fois, elle a simplement répondu par la négative. Je suis d'avis que la réponse négative de la demanderesse, à deux reprises, est suffisante pour que l'on puisse conclure qu'elle n'avait pas l'intention de convoquer la Dr Tudor à l'audience.

[14]            Indépendamment des réponses négatives de la demanderesse, j'ajouterai que la SAI a bel et bien examiné la preuve de la Dr Tudor, soit son rapport. La SAI pouvait conclure, vu les faits en l'espèce, que ce rapport ne contredisait pas le diagnostic du Dr Brown. Le témoignage de la Dr Tudor n'aurait servi qu'à renforcer les aspects du rapport examinés par la SAI. Comme le rapport a été pris en considération, et indépendamment du fait que la demanderesse a abandonné son intention de convoquer la Dr Tudor, je suis d'avis que la SAI a tenu compte de l'opinion médicale de la Dr Tudor, contenue dans son rapport, et qu'elle a conclu avec raison qu'elle ne contredisait pas le diagnostic du Dr Brown au sujet du père de la demanderesse. Par conséquent, l'allégation de la demanderesse selon laquelle il y a eu manquement au principe d'équité procédurale ne tient pas et doit être rejetée.

[15]            La deuxième question soulevée par la demanderesse porte sur la conclusion de non-admissibilité pour des raisons d'ordre médical. Elle allègue qu'un rapport de médecin peut être écarté s'il comporte une erreur de fait manifestement déraisonnable (voir Masood c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1411). La demanderesse renvoie la Cour au diagnostic établi au sujet de son père, qui mentionne en partie :

[TRADUCTION]

[Le] demandeur de soixante-quatre ans, dont la province de destination au Canada est l'Ontario, souffre d'une cardiopathie ischémique depuis 1960, et il a été admis la dernière fois à l'hôpital en février 2002 avec une angine accélérée qui a été stabilisée au moyen de soins médicaux.

[16]            La demanderesse soutient que son père ne souffre pas de cardiopathie ischémique depuis 1960 - le premier diagnostic date de 1998, alors qu'il se trouvait au Canada. La demanderesse prétend que l'affirmation selon laquelle son père souffre de cardiopathie depuis 1960 constituait une erreur de fait manifestement déraisonnable et que, par conséquent, la SAI ne pouvait pas s'appuyer sur ce rapport.

[17]            Lors de l'audience devant la SAI, la demanderesse a déclaré qu'elle ne contestait pas la validité de la conclusion de non-admissibilité tirée par l'agent en s'appuyant sur des raisons d'ordre médical. Par conséquent, l'argument présenté devant la Cour n'a pas été présenté devant la SAI comme il se devait. Si la demanderesse avait l'intention de contester le rapport de l'agent, elle devait le faire devant la SAI. Comme elle n'a pas présenté cet argument à la SAI, elle ne peut pas le présenter en l'espèce. Par conséquent, la Cour n'a pas à examiner l'argument de la demanderesse en ce qui a trait à la conclusion de non-admissibilité pour des raisons d'ordre médical et elle le rejettera.

[18]            J'ajouterai, comme remarque incidente, que je suis d'avis que la date indiquée dans le rapport ne constitue pas une erreur de fait manifestement déraisonnable, comme cela avait été le cas dans l'affaire Masood, précitée. L'aspect important du rapport porte sur le fait qu'on a diagnostiqué en 1998 une cardiopathie ischémique chez le père de la demanderesse, qui est alors non-admissible au Canada conformément au paragraphe 38(1) de la LIPR. De plus, certains éléments de preuves donnent à penser que le rapport mentionné par la demanderesse portait sur le diagnostic d'une personne souffrant de tuberculose. Le père de la demanderesse ne souffre pas de tuberculose et la preuve sur laquelle s'est fondée la SAI portait clairement sur le diagnostic du père de la demanderesse, et non pas sur le diagnostic d'une personne atteinte de tuberculose. Même si la demanderesse avait soulevé cette question à l'audience, son argument au sujet de l'erreur dans le rapport n'aurait pas révélé une erreur manifestement déraisonnable et ne justifierait pas que le contrôle judiciaire lui soit accordé.

[19]            La demanderesse n'a pas mentionné la question du rapport médical devant la SAI et, par conséquent, la Cour rejettera le deuxième motif de contrôle judiciaire.

[20]            Le troisième et dernier motif soulevé par la demanderesse porte sur le fait que la SAI aurait mal interprété la preuve de la demanderesse en ce qui a trait aux motifs d'ordre humanitaire. La demanderesse soutient que la preuve a été mal interprétée lorsque la SAI a déclaré que « le tribunal espère que les demandeurs seront aussi autorisés à venir voir leurs petits-enfants au Canada dans l'avenir » .

[21]            La demanderesse allègue que la conclusion au sujet de la non-admissibilité entraînera l'irrecevabilité de futures demandes de visa de visiteur et que la conclusion de la SAI est incompatible avec la capacité de son père de visiter le Canada dans l'avenir. La demanderesse soutient aussi qu'au cours de l'audience, l'avocat du défendeur a reconnu que ses parents pourraient avoir de la difficulté à venir en visite au Canada dans l'avenir.

[22]            Je suis d'avis que l'argument de la demanderesse, en ce qui a trait à la troisième question en litige, n'est pas fondé. La SAI a simplement dit que le tribunal « espérait » que les parents de la demanderesse pourraient venir en visite au Canada dans l'avenir. Le commentaire de la SAI ne démontre aucune mauvaise interprétation des faits, puisqu'il ne s'agit pas d'une garantie que les parents de la demanderesse pourront venir en visite au Canada. La SAI a simplement exprimé le souhait que les parents de la demanderesse puissent avoir la chance de venir au Canada dans l'avenir pour rendre visite à leur fille et à leurs petits enfants. L'avocat du défendeur, par son commentaire, ainsi qu'un agent des visas en Roumanie dans une lettre envoyée au père de la demanderesse, admettent que le père de la demanderesse pourrait avoir des difficultés à obtenir un visa de visiteur en raison du rejet de sa demande de résidence permanente. Cependant, la possibilité qu'il en obtienne un n'en est pas pour autant éliminée. Par conséquent, la SAI pouvait exprimer le souhait que les parents de la demanderesse puissent venir en visite au Canada dans l'avenir. La Cour rejettera aussi le troisième motif de contrôle judiciaire.

[23]            Les trois questions en litige ne justifient pas que la Cour accueille la présente demande et, par conséquent, la demande sera rejetée.

[24]            J'ajoute aussi que le défendeur devrait faire de son mieux pour accorder des visas de visiteurs aux parents de la demanderesse pour qu'ils puissent rendre visite à leur fille et à leurs petits-enfants.

JUGEMENT

            La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n'ont pas demandé la certification d'une question.

« Max M. Teitelbaum »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-792-05

INTITULÉ :                                       Cristina Sirbu c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 24 mars 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE TEITELBAUM

DATE DES MOTIFS :                       Le 7 avril 2006

COMPARUTIONS :

John Howorun

POUR LA DEMANDERESSE

Martin Anderson

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John Howorun

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

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