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Date : 19990630


Dossier : IMM-2940-98

Entre :

     THOMAS GOMES MASTER

     MARIA GOMES MASTER

     Partie demanderesse

Et:

     LE MINISTRE

     Partie défenderesse

     MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire interjetée à l'encontre de la décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut du réfugié (la Commission) rendue le 27 avril 1998, selon laquelle les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention.

[2]      Les demandeurs veulent une ordonnance infirmant la décision de la Commission et renvoyant leur dossier pour une redétermination par un nouveau panel.

[3]      Thomas Gomes Master et son épouse, Maria Gomes Master sont des citoyens du Bangladesh. Ils disent craindre d'être persécutés dans leur pays en raison de leur religion chrétienne.

[4]      De 1978 à 1996, le demandeur a travaillé comme comptable à Sharjah aux Émirats Arabes Unis (ÉAU), ne revenant au Bangladesh que pour les vacances. Son épouse et leurs quatre enfants ont vécu pendant ce temps à Dhaka, au Bangladesh. Dans son FRP, le demandeur allègue que sa famille et lui ont été persécutés en raison de leur religion. En effet, sa famille et lui-même, pendant ses vacances au Bangladesh, auraient été victimes d'extorsion et de menaces de la part de la police et des sbires des trois partis politiques qui ont été successivement au pouvoir: le Jatiya Party, le Bangladesh Nationalist Party (BNP) et l'Awami League. Ils auraient aussi été victimes d'extorsion de la part des hommes de main du parti islamique Jamaat-e-Islami.

[5]      Le demandeur a pris sa retraite en juin 1996 et est rentré au pays. Il affirme que sa vie et sa sécurité étaient en danger en raison de sa richesse et de son engagement dans la communauté chrétienne. À cause des vols, du vandalisme et de l'extorsion, il a perdu le commerce qu'il a ouvert avec son fils en décembre 1996.

[6]      Le demandeur affirme que le représentant local du Jamaat-e-Islami et celui du BNP lui ont demandé de leur vendre sa maison à Dhaka pour un prix nominal. Ils l'ont menacé quand il a refusé. Le 14 février 1997, un groupe de gangsters est venu à sa maison. Ils lui ont dit de vendre sa maison à leurs chefs au prix offert, sinon ils le tueraient. Les voyous ont ensuite pillé la maison, emportant de l'argent et des objet de valeur.

[7]      Après cet incident, le demandeur et sa famille sont partis pour leur maison de campagne. Ayant obtenu des visas américains, le couple est parti pour les États-Unis le 26 février 1997. Ils y ont séjourné pendant deux mois et demi. Puis, ils sont venus au Canada, et y ont demandé le statut de réfugié. Deux de leurs enfants ont obtenu le statut de réfugié au Canada en 1995. Les deux autres demeurent au Bangladesh.

[8]      La Commission a rejeté la revendication des demandeurs. Tout d"abord, elle n'était pas convaincue que les problèmes vécus par les demandeurs étaient liés à un motif énoncé dans la Convention. Les demandeurs auraient été ciblés en raison de leur aisance financière, et non pas en raison de leur religion. Leurs problèmes au Bangladesh se limitent à l'extorsion et des cambriolages par des bandits. L"extorsion est monnaie courante au Bangladesh. Le demandeur a témoigné que toutes les personnes qui ont travaillé à l'étranger, ainsi que les autres personnes financièrement à l"aise subissent le même sort.

[9]      La Commission a relevé certaines contradictions dans le témoignage des demandeurs. Tout d'abord, le demandeur, dans son FRP, a écrit qu'il avait été victime d'extorsion de la part de la police. Or, à l"audience, il n"a mentionné que la persécution aux mains des sbires des quatre partis politiques. Même en réponse aux questions de son procureur, le demandeur a confirmé qu"il ne s"est pas plaint à la police parce qu"elle lui aurait demandé de l"argent. Son épouse a mentionné qu'elle ne s"est jamais plaint à la police, car elle craignait des représailles des truands.

[10]      Le demandeur a témoigné à l"audience que sa famille et lui avaient été ciblés par les bandits, à cause de leurs richesses et de son engagement dans la communauté chrétienne. Il a affirmé que la communauté chrétienne n'a pas de voix au Bangladesh. Le demandeur a admis cependant que sa communauté était libre de pratiquer sa religion, avait un cimetière, un hall communautaire et une école du dimanche. Il s'est marié, ses enfants sont baptisés et la famille allait à la messe tous les dimanche au Bangladesh, sans éprouver de problèmes.

[11]      De plus, selon la Commission, le comportement des demandeurs n"était pas compatible avec celui d"une personne qui craint la persécution. Le demandeur a travaillé aux ÉAU pendant 18 ans. Son épouse et ses enfants ne sont jamais venus le rejoindre. Il a tout d'abord dit que son épouse n'avait pas de permis de résident. La Commission a trouvé dans le passeport de la demanderesse un permis de résident pour les ÉAU. Le demandeur a alors admis qu'elle aurait pu le rejoindre, mais qu'elle ne l"avait pas fait car elle devait s'occuper des enfants et de leurs propriétés.

[12]      De plus, le demandeur a voyagé aux États-Unis trois fois, soit en 1993, en 1995 et en 1997. Il n'y a jamais demandé le statut de réfugié. Son épouse l'a accompagné en 1993 et en 1997. Elle avait un visa pour venir en 1995, mais elle serait restée au Bangladesh pour s'occuper des enfants et de la maison. Pourtant, en 1995, le plus jeune enfant avait 19 ans. Il a quitté le Bangladesh la même année avec sa soeur pour venir au Canada.

[13]      De plus, le demandeur a voyagé aux États-Unis trois fois, soit en 1993, en 1995 et en 1997. Il n'y a jamais demandé le statut de réfugié. Son épouse l'a accompagné en 1993 et en 1997. Elle avait un visa pour venir en 1995, mais elle serait restée au Bangladesh pour s'occuper des enfants et de la maison. Pourtant, en 1995, le plus jeune enfant avait 19 ans. Il a quitté le Bangladesh la même année avec sa soeur pour venir au Canada.

[14]      Enfin, la preuve documentaire ne corrobore pas les allégations que les chrétiens sont persécutés en raison de leur religion au Bangladesh. Certes, il y a des problèmes quelques fois entre les musulmans et les membres des minorités religieuses, particulièrement les Hindous. Cependant, en général, les membres des minorités religieuses sont capables de vivre, travailler et pratiquer leur religion sans trop de difficultés.

[15]      La Commission a conclu que les demandeurs ne s"étaient pas déchargés du fardeau de prouver qu'il existe une possibilité raisonnable de persécution en cas de retour au Bangladesh. En conséquence, leur demande a été rejetée.

[16]      À l"audience, le demandeur n"a traité que deux des cinq arguments soulevés dans son mémoire. Ils sont:

1.      Est-ce que la Commission a interprété la preuve documentaire de façon manifestement déraisonnable?
2.      Est-ce que la Commission a erré en concluant que les demandeurs n"étaient pas ciblés en raison de leur religion?

[17]      La Commission a décidé, en se fondant sur la preuve documentaire, que les demandeurs n"avaient pas de crainte objective de persécution au Bangladesh en raison de leur religion chrétienne. Selon les demandeurs, cette conclusion est déraisonnable, et ne s"appuie pas sur la preuve. Ils citent à l"appui ce passage d"un document provenant du U.S. Bureau of Democracy, Human Right and Labour:

                 The dominance in Bangladesh of Islam (constitutionally declared the state religion), can place members of minority religious groups, such as Hindus, Christians and Buddhists at a disadvantage, both socially and economically. They are also sometimes the object of communal violence.                 

[18]      Cependant, une lecture complète du document révèle ce qui suit:

                 Nevertheless, the minority religious communities in Bangladesh have generally been able to live and worship with relatively few difficulties. There are occasional reports of violence directed against religious minorities, for example against Christians during the Persian Gulf War and against Hindus following communal conflicts in India in late 1992 and early 1993. But in both instances the government moved quickly to contain these outbreaks. Islamic fundamentalism is not an important force in Bangladesh, partially because Bangladesh"s political history has associated fundamentalists with the anti-independence movement.                 

[19]      En conséquence, je ne peux conclure que la Commission ait mal interprété ce document.

[20]      La Commission s"est aussi basée sur ce passage provenant du Country Profile: Bangladesh, du Department of Foreign Affairs and Trade de l"Australie:

                 while there is in general tolerance of Hindu, Buddhist and Christian minorities, they are often socially restricted" (...) However, it is unlikely that any individual Hindu now in Australia could claim that they would face inevitable persecution if they returned to Bangladesh.                 

Elle a conclu:

                 Cette dernière phrase s"applique encore davantage aux chrétiens, car le nombre d"incidents contre cette communauté rapportés dans la preuve documentaire est infiniment plus petit que le nombre d"incidents contre les Hindous.                 

[21]      En d'autres mots, la Commission a déduit de cette phrase que si les Hindous, qui sont plus tourmentés par les musulmans que les chrétiens, n'ont pas de crainte raisonnable de persécution, les chrétiens ne doivent pas craindre la persécution non plus.

[22]      Selon les demandeurs, la Commission a mal interprété et a ajouté à cette preuve. Le texte vise les Hindous, pas les chrétiens. La déduction de la Commission est erronée: si les Hindous sont victimes de plus d'incidents que les chrétiens, c'est tout simplement car ils sont plus nombreux que les chrétiens au Bangladesh.

[23]      À mon avis, la conclusion de la Commission n"est pas déraisonnable. De toute façon, même si on accepte que le nombre d'incidents est nécessairement proportionel au nombre des membres d'une religion, il demeure que la conclusion de la Commission en l'absence d'une crainte objective raisonnable de persécution est bien fondée sur les autres éléments de la preuve documentaire mentionnés dans ses motifs.

[24]      Les demandeurs affirment que la Commission a erré en concluant qu'ils n"avaient pas été ciblés en raison de leur religion. Le demandeur a témoigné à l'audience et a écrit dans son FRP avoir été persécuté en raison de sa religion.

[25]      Il appartient aux demandeurs d'établir un lien entre leur crainte de persécution et l'un des cinq motifs prévus dans la Convention1. La question de l"existence d"un lien entre la crainte de persécution et les motifs prévus dans la Convention est une question de fait qui relève de la compétence de la Commission. Comme l'a dit Jerome A.C.J. dans l"affaire Leon c. Canada (M.C.I.) (19 septembre 1995) IMM-3520-94:

                 I am also satisfied that the Refugee Division reasonably and properly concluded that the applicants' story, even if true, did not disclose a nexus to any ground set out in the Convention refugee definition. A determination with respect to "nexus" is largely a question of fact and therefore entirely within the tribunal's expertise to make.                 

[26]      II appartient à la Commission d'examiner l'ensemble de la preuve et d'en tirer des inférences. Cette Cour ne peut intervenir que si la conclusion tirée ne semble arbitraire ou déraisonnable2.

[27]      En l"espèce, la preuve documentaire établit que les membres des minorités religieuses peuvent vivre et pratiquer leur religion sans trop d"ennuis. Le demandeur a témoigné qu'il n'a jamais eu de problème pour se marier, aller à la messe ou baptiser ses enfants. La Commission affirme que l"extorsion est monnaie courante au Bangladesh, et semble être pratiquée contre toute personne financièrement aisée, sans distinction par rapport à la religion. Le demandeur ne signale aucune pièce de la preuve qui contredit cette affirmation. Même, à l"audience devant la Commission, il a admis que l'extorsion est un grave problème au Bangladesh. Il a ajouté que la plupart des gens travaillant à l"étranger ont eu des problèmes similaires. Les criminels supposent que ces gens ont de l'argent et s'en prennent à eux. Son épouse a témoigné que les bandits les tourmentaient par jalousie, car son mari faisait beaucoup d'argent. En conséquence, je suis d'avis que la décision de la Commission est raisonnable et fondée sur la preuve qui lui a été présentée.

[28]      La demande est rejetée.

                                     JUGE

OTTAWA, Ontario

Le 30 juin 1999

__________________

     1 Rizkallah c. Canada (M.E.I.) (1992), 156 N.R. 1 (C.A.F.).

     2 Sagharichi c. Canada (M.E.I.) (1993), 182 N.R. 398 (C.A.F.).

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