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Date : 20040408

Dossier : T-1295-01

Référence : 2004 CF 547

OTTAWA (ONTARIO), LE 8e JOUR DU MOIS D'AVRIL 2004

Présent :          L'HONORABLE JUGE MARTINEAU

ENTRE :

                                                 SHAHROKH AHMADZADEGAN

                                                                                                                                         Demandeur

                                                                          - et -

                                             LA COMMISSION NATIONALE DES

                                             LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES

- et -

PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA

                                                                             

                                                                                                                                   Défenderesses

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                En 1989, le demandeur, un citoyen iranien, est déclaré coupable au Canada de plusieurs accusations relatives à des stupéfiants. Condamné à 25 ans d'emprisonnement, il purge actuellement sa peine dans un pénitencier à sécurité maximum. En avril 1998, il est à nouveau trouvé coupable de trafic de stupéfiants. Cette fois, l'infraction est survenue à l'intérieur de l'établissement; cinq années d'emprisonnement consécutives lui sont en conséquence imposées.

[2]                Le 8 mars 2001, la Commission nationale des libérations conditionnelles refuse au demandeur la semi-liberté et la libération conditionnelle totale (la décision de 1re instance). Conformément à l'article 147 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. (1992), ch. 20 (la Loi), le demandeur en appelle de cette décision négative. Le 15 juin 2001, la section d'appel de la Commission rejette l'appel du demandeur, d'où la présente demande de contrôle judiciaire.

[3]                Essentiellement, le rôle de la section d'appel est de s'assurer que la Commission s'est conformée à la Loi et à ses politiques, qu'elle a respecté les règles de justice fondamentale et que ses décisions sont basées sur des renseignements pertinents et fiables. Ce n'est que dans la mesure où les conclusions de la section d'appel sont manifestement déraisonnables que l'intervention de cette Cour est justifiée (Costiuc c. Canada (Procureur Général), [1999] A.C.F. no 241 au para. 6 (C.F. 1re inst.) (QL); Migneault c. Canada (Procureur Général), [2003] A.C.F. no 372 au para. 14 (C.F. 1re inst.) (QL); Petanic c. Canada (Procureur Général), [2003] A.C.F. no 1281 (C.F.) (QL); et D.T. c. Canada (Attorney General), [2003] F.C.J. No. 1452 au para. 9 (C.F.) (QL)).


[4]                La Cour suprême du Canada, dans l'affaire Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 R.C.S. 75 (C.S.C.), a déjà défini l'obligation d'agir équitablement qui incombe à la Commission. Ainsi, au paragraphe 36 on peut lire :

En quoi consiste "l'obligation d'agir équitablement" qui incombe à la Commission?    Le contenu de cette obligation varie selon la structure et la fonction de la commission ou du tribunal administratif en cause. En matière de libération conditionnelle, la Commission doit s'assurer que les renseignements sur lesquels elle se fonde pour agir sont sûrs et convaincants. Pour prendre un cas extrême, la Commission ne pourrait pas considérer comme sûrs des renseignements obtenus par la torture, et il serait inéquitable qu'elle agisse sur la foi de tels renseignements. Il lui incomberait donc de les écarter, quelle que soit leur pertinence relativement à la décision à prendre. Chaque fois que des renseignements ou des "éléments de preuve" lui sont soumis, la Commission doit en déterminer la provenance et décider s'il serait équitable qu'elle s'en serve pour prendre sa décision.

[mon soulignement]

[5]                À mon avis, la section d'appel a pleinement exercé sa compétence. En l'espèce, la section d'appel conclut que la décision de première instance est juste et raisonnable, qu'elle est basée sur des informations pertinentes, crédibles et convaincantes, qu'elle est conforme à la Loi et aux politiques de la Commission, et enfin que le demandeur a été traité équitablement par la Commission. En ce faisant, la section d'appel n'a commis aucune erreur de droit. Je suis satisfait ici que la section d'appel a déterminé ultimement que l'obligation de s'assurer du caractère sûr et convaincant des renseignements a bel et bien été respectée par la Commission. De surcroît, la décision de la section d'appel m'apparaît à tous égards raisonnable dans les circonstances et le demandeur ne m'a pas démontré que celle-ci est révisable pour l'un des motifs prévus au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7.

[6]                À cet égard, le reproche principal formulé par le demandeur me semble être que la section d'appel n'a pas ou a mal appliqué le test énoncé dans l'arrêt Mooring, supra. Le demandeur reproche notamment à la Commission ainsi qu'à la section d'appel d'avoir ignoré le fait qu'il a été antérieurement décidé que les rapports de police à l'effet que le demandeur serait un chef de la mafia iranienne ne constituent pas une information fiable et convaincante.

[7]                Les reproches du demandeur ne sont pas fondés. Tout d'abord, il m'apparaît que la décision antérieure de la section d'appel, en date du 28 mai 1998, est citée hors contexte par le demandeur. Le passage pertinent se lit comme suit :

[...] les rapports de police à cet effet [chef de la mafia iranienne] ne font preuve d'aucun détail qui pourrait nous aider à déterminer le bien-fondé de cette information. Nous concluons donc que les informations fournies par la GRC ne constituent pas une information fiable et convaincante qui pourrait nous permettre d'établir une base sur laquelle nous en viendrons à la conclusion que vous êtes susceptible de commettre une infraction violente.

[mon soulignement]

[8]                Ceci étant dit, il est clair que la décision négative de la Commission dont il est question ici ne repose pas sur le fait que le demandeur serait un chef de la mafia iranienne. Quoiqu'il en soit, la section d'appel indique clairement que la Commission en rendant sa décision était bien consciente des dénégations et/ou explications apportées par le demandeur.


[9]                Les parties ne contestent pas le fait que toutes les informations sur lesquelles s'est basée la Commission en rendant sa décision figurent au dossier du demandeur. Je note à cet égard que la décision de la Commission repose sur un ensemble de facteurs, dont l'attitude et les gestes posés par le demandeur depuis son incarcération. Entre autre, il est notamment souligné par la Commission que le demandeur demeure d'un intérêt particulier pour la sécurité préventive, et ce principalement en raison du fait qu'il a été identifié comme trafiquant de la drogue à l'intérieur de l'établissement. D'autre part, selon la preuve au dossier, le 7 juillet 2000, le demandeur a été placé en isolement préventif en raison du fait qu'il a agi agressivement à l'égard d'un officier du Service correctionnel du Canada. Le 20 octobre 2000, le demandeur a été à nouveau placé en isolement préventif puisqu'il avait frappé un détenu au visage et l'agressa verbalement. De plus, le dossier du demandeur indique que celui-ci n'a pas intégré les habiletés étudiées lors des différents cours qu'il a suivis. Au mois de janvier 2001, la cote de sécurité du demandeur a été ré-évaluée et il a été classifié sous la cote de sécurité maximale. Or, il est manifeste que la pertinence et le caractère déterminant de ces informations, dont la fiabilité n'a pas été sérieusement contestée par le demandeur, ont été ré-examinés par la section d'appel.

[10]            Je note également que la décision de la section d'appel aborde les principaux motifs d'appel du demandeur. Celle-ci m'apparaît également suffisamment motivée. Par ailleurs, rien n'indique que celle-ci soit fondée sur des facteurs non pertinents. Or, les éléments particuliers suivants m'apparaissent déterminants :

Légal : Mooring.

Vous soumettez que la Commission a erré en fondant sa décision sur de l'information fausse, telle l'information policière vous décrivant comme le chef de la mafia iranienne, les renseignements à l'effet qu'un individu aurait introduit des stupéfiants pour votre compte et vos agissements agressifs envers un agent et un co-détenu. Vous maintenez que la Commission aurait dû pousser plus loin son enquête afin de satisfaire son obligation de s'assurer de l'exactitude et de la valeur persuasive des informations qu'elle reçoit, ce qui, d'après vous, constitue une erreur de droit.


Caractère raisonnable de la décision.

[...]

Nous tenons d'abord à vous rappeler que le rôle de la Commission n'est pas de faire des enquêtes mais de procéder à l'analyse du risque à partir de toute l'information disponible, obtenue tant par tous les rapports mis à sa disposition que par les renseignements ressortant de l'audience. La Commission en rendant sa décision était bien consciente des dénégations et / ou des explications que vous aviez apportées sur les informations susmentionnées, lesquelles n'ont pas été par contre, des facteurs déterminants dans la décision dont vous faites appel. Votre criminalité reliée aux stupéfiants dont votre dernière sentence pour des crimes alors que vous étiez incarcéré et qui vous a valu cinq ans consécutifs pour un total de 30 ans d'emprisonnement, les rapports de renseignements protégés vous reliant encore, et cela à plusieurs dates différentes, au milieu des drogues, informations qui originaient de source digne de confiance et l'absence d'une sérieuse remise en question, malgré les programmes suivis, tels sont les facteurs qui ont été déterminants pour justifier le refus de toute forme de libération.

La Section d'appel est satisfaite que les informations déterminantes qui ont justifié le refus de toute libération étaient crédibles et persuasives.

[mon soulignement]

[11]            En l'occurrence, le demandeur n'a pas réussi à me convaincre que le raisonnement de la section d'appel exposé plus haut est manifestement déraisonnable ou est autrement contraire à la Loi. Aussi, les quelques erreurs de fait, s'il en est, soulignées par le demandeur n'affectent pas la conclusion générale de la Commission dont la validité a été confirmée par la section d'appel. Je conclus également que le demandeur a été traité équitablement.


[12]            Dans son mémoire écrit, le demandeur soutient finalement que la Commission n'a pas compétence pour s'ingérer dans le dossier du statut du demandeur face à Immigration Canada, de sorte que celle-ci a excédé sa compétence en exigeant que le demandeur produise à l'appui de son projet de sortie un passeport ou autre document de voyage valable. Je note que ce dernier argument n'a pas été repris à l'audience devant cette Cour et semble avoir été abandonné par le demandeur. Quoiqu'il en soit, la section d'appel a jugé que les commentaires de la Commission vis-à-vis l'absence de plan de sortie n'était pas un élément déterminant au refus d'accorder la libération conditionnelle du demandeur. Cette conclusion m'apparaît raisonnable et il n'y a pas lieu d'intervenir en l'espèce.

[13]            En conclusion, l'intervention de cette Cour n'est pas justifiée, de sorte que la présente demande de contrôle judiciaire, doit être rejetée, et ce, tous facteurs considérés, avec dépens contre le demandeur.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles en date du 15 juin 2001 soit rejetée avec dépens contre le demandeur.

                   « Luc Martineau »                  

                                                                                                     Juge                                 


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-1295-01

INTITULÉ :               SHAHROKH AHMADZADEGAN c. LA COMMISSION NATIONALE DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE :                        QUÉBEC (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE 9 MARS 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                             L'HONORABLE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                             LE 8 AVRIL 2004

COMPARUTIONS :

ME JULIE GAGNÉ                                    POUR LE DEMANDEUR

ME SÉBASTIEN GAGNÉ                               POUR LES DÉFENDERESSES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ME JULIE GAGNÉ                                    POUR LE DEMANDEUR

QUÉBEC (QUÉBEC)

M. MORRIS ROSENBERG                             POUR LES DÉFENDERESSES

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA


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