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     Date : 19980414

     Dossier : IMM-1889-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 14 AVRIL 1998

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

ENTRE :

     JOSE ANIBAL CORTEZ CORDON,

     demandeur,

     - et -

     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     O R D O N N A N C E

     Pour les raisons indiquées dans mes motifs d'ordonnance, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                

     " Max M. Teitelbaum "

                                     J.C.F.C.

                                

Traduction certifiée conforme

Christiane Delon, LL.L.

     Date : 19980414

     Dossier : IMM-1889-97

ENTRE :

     JOSE ANIBAL CORTEZ CORDON,

     demandeur,

     - et -

     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

INTRODUCTION

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire concernant une décision datée du 15 avril 1997 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié [ la Section du statut] a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.


LES FAITS

[2]      Le demandeur, Jose Anibal Cortez Cordon, est citoyen du Guatémala. Lorsqu'il a constaté qu'il ne pouvait plus trouver d'emploi comme enseignant, il a décidé de s'inscrire à une école de cadets de la police, la Guardia de Hacienda, où il est resté de janvier 1983 à novembre 1984. En janvier 1985, il a joint les rangs de la Guardia de Hacienda, une organisation qui, croyait-il, était respectable.


[3]      Pendant les trois premiers mois, le demandeur a exercé les fonctions de gardien au bureau du colonel Pacheco, directeur de la Guardia de Hacienda. Il a ensuite été affecté comme gardien à l'entrée du quartier général de la police. Durant ce temps, il a suivi un cours de radiocommunications.


[4]      Entre les mois de novembre 1985 et juin 1986, le demandeur a servi comme opérateur radio dans la région de Champerico. Il a déclaré que c'est en écoutant les communications radio qu'il a appris que les forces policières et l'armée commettaient des crimes.


[5]      En juin 1986, le demandeur a été muté à Malacatan pour exercer les fonctions d'inspecteur des douanes.


[6]      En octobre 1986, le demandeur, un collègue et trois recrues ont été envoyés sans explication à Cabanas. Le demandeur a vite constaté qu'il s'agissait d'un cimetière clandestin. En plus de remplir ses fonctions d'opérateur radio, le demandeur a dû aider ses collègues à enterrer des corps dans des fosses communes.


[7]      Le demandeur a déclaré qu'avant Noël 1986, il a été contraint de faire partie d'un peloton d'exécution, qui a tué deux personnes accusées d'être des guérilleros. Il a dit qu'il n'a pas tiré sur ces personnes, et visé à côté, mais la transcription de l'audience indique le contraire. Il a profité d'une permission de quatre jours pour fuire le Guatémala le 24 décembre 1986, et est arrivé au Canada le 2 février 1987.


[8]      Le demandeur a fourni un premier formulaire de renseignements personnels (FRP) le 27 octobre 1989, et un second le 27 février 1994. Le demandeur a été admis comme réfugié au sens de la Convention par la Section du statut le 18 mars 1994. Le 20 avril 1995, le juge Pinard a fait droit à la demande de contrôle judiciaire du défendeur et renvoyé l'affaire à un tribunal différemment constitué pour qu'il procède à une nouvelle audition [voir Canada (M.E.I.) c. Cordon (1995), 94 F.T.R. 208]. Le juge a décrété que la Section du statut n'avait pas tenu compte de l'ensemble des éléments de preuve pertinents dans sa décision concernant l'application de la clause d'exclusion.


[9]      Le 15 avril 1997, la Section du statut a déterminé que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention parce qu'il était exclu en vertu de l'alinéa 1Fa) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. La Section du statut a fondé ce résultat sur ses conclusions selon lesquelles le demandeur était au courant des agissements des forces de sécurité, sur le fait qu'il avait pris part à certains de ces agissements et sur le fait qu'il n'avait pas quitté la police à la première occasion venue.


[10]      La Section du statut a relevé plusieurs incohérences entre les FRP et les déclarations faites par le demandeur aux deux audiences, incohérences que ce dernier n'a pas expliquées convenablement. La Section du statut a cru aussi que le demandeur avait minimisé sa participation au sein de la Guardia de Hacienda et de l'armée, de même que la connaissance qu'il avait de ces deux organisations. Par exemple, il a dit qu'il entendait les communications radio et les transmettaient à ses supérieurs, mais qu'il ne savait pas si les ordres étaient exécutés. Toutefois, à la première audience, le demandeur a dit qu'il savait tout ce qui se passait dans le pays. La Section du statut a décrété qu'il était peu plausible que le demandeur ne soit pas au courant des activités d'autres corps policiers ou si les ordres étaient exécutés ou non. Elle a fait remarquer que le demandeur savait bel et bien que les ordres d'assassinat avaient été exécutés dans un cas précis parce qu'il avait entendu un message indiquant que [TRADUCTION] " l'opération est terminée ".


[11]      Le demandeur s'est également contredit lui-même en déclarant à la première audience qu'il avait porté une arme, mais en changeant sa version à l'audience suivante. En outre, à la première audience, le demandeur a déclaré que lors de son séjour à Malacatan, il avait des permissions de deux ou trois jours et se rendait à d'autres endroits. Il a raconté une histoire différente à la seconde audience, où il a indiqué qu'il n'avait jamais de telles permissions et qu'il ne s'était jamais rendu à d'autres endroits.


[12]      Le demandeur a soutenu aussi qu'il n'avait pas été témoin d'actes illégaux à Malacatan en déclarant que son avocat ou lui-même s'était trompé en rédigeant son premier FRP. La Section du statut n'a pas ajouté foi à cette déclaration car elle a conclu que le demandeur était au courant de ce qui était écrit dans ce FRP et qu'il avait une bonne connaissance du français. Elle a conclu que le demandeur n'avait pas expliqué cette incohérence de manière satisfaisante.


[13]      Il y avait aussi une autre différence entre les deux FRP du demandeur : dans le premier, il a déclaré que lors de son séjour à Malacatan, il s'occupait de mettre à jour les voies que suivaient les trafiquants de drogue, mais, dans son second FRP, il a indiqué qu'on lui avait demandé d'agir comme inspecteur et qu'il était sorti à quelques occasions pour identifier des plantations.


[14]      La Section du statut a examiné cette preuve et l'a comparée à la clause d'exclusion visée à l'alinéa 1Fa), de même qu'à la jurisprudence connexe. La Section du statut a cité le critère énoncé dans l'arrêt Ramirez c. Canada (MEI), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.), selon lequel il doit y avoir des raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis des crimes contre l'humanité. La Section du statut a également appliqué le critère à trois volets que le juge MacKay a exposé dans l'arrêt Gutierrez c. Canada (MCI) (1994), 84 F.T.R. 227, afin d'aider à déterminer si le demandeur avait pris part à des crimes contre l'humanité (p. 234) :

         1) l'appartenance à une organisation où la perpétration des infractions internationales fait continûment et régulièrement partie de l'opération,                 
         2) la participation personnelle et consciente, et                 
         3) l'omission de dissocier de l'organisation dès qu'il est possible de le faire en toute sécurité.                 

[15]      Au sujet du premier volet, la Section du statut a fait remarquer que le demandeur avait joint volontairement les rangs de la Guardia de Hacienda. Elle a cité un témoignage où le demandeur a admis qu'il savait que l'armée commettait des actes illégaux et que la police agissait de la même façon. Il avait eu connaissance de cette information en décodant et en transmettant des messages en tant qu'opérateur radio, et il était au courant du sort réservé aux personnes que l'on soupçonnait d'être opposées au gouvernement. Il existait aussi des preuves documentaires à cet effet. La Section du statut a donc conclu que le demandeur était membre et complice d'un groupe qui perpétrait des infractions internationales.

[16]      En ce qui concerne le deuxième volet du critère, la Section du statut a cité le témoignage du demandeur où il a déclaré avoir entendu parler d'assassinats et du sort réservé à des personnes soupçonnées d'opposition au gouvernement. Le demandeur a indiqué aussi que les escadrons de la mort tuaient tous les jours des gens. Il a également cité un cas où il avait vu une personne que l'on enterrait vivante. La Section du statut a conclu que le demandeur était au courant de ces crimes et que, malgré cela, il est resté à la Guardia de Hacienda entre 1983 et 1986.

[17]      En ce qui concerne le dernier volet du critère, la Section du statut a fait remarquer que d'après le témoignage du demandeur, ce dernier avait souvent des temps libres, se rendait en ville et avait parfois des permissions de quatre jours. La Section du statut a conclu que le demandeur avait eu l'occasion de partir, mais qu'il ne l'avait fait qu'après l'incident du peloton d'exécution. Le tribunal a noté aussi qu'avant cet incident, le demandeur n'avait jamais contesté les ordres de ses supérieurs. En fait, un collègue a tenté de prévenir le demandeur avant qu'il soit muté à Cabanas, mais il a cru que cette personne était simplement jalouse du fait qu'il avait été choisi pour cette mutation. La Section du statut a décrété que le demandeur n'avait pas profité de la première occasion venue pour s'enfuir.

[18]      La Section du statut a donc conclu que le demandeur devait être exclu de la définition d'un réfugié au sens de la Convention parce qu'il y avait des raisons sérieuses de penser qu'il avait commis des crimes contre l'humanité.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[19]      La définition d'un réfugié au sens de la Convention est donnée au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration. Cette disposition intègre l'alinéa 1Fa) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, qui empêche que l'on reconnaisse le statut de réfugié au sens de la Convention aux personnes ayant commis de tels crimes. Les dispositions applicables sont libellées en ces termes :

         " Réfugié au sens de la Convention " toute personne :                 
         a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :                 
         i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,                 
         ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;                 
         b) n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2).                 
         sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi;                 

[20]      Le texte de l'annexe mentionnée à la définition d'un " réfugié au sens de la Convention " est le suivant :

         F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :                 
         a) qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;                 
         b) qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admise comme réfugiées;                 
         c) qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.                 

[21]      L'article 6 de la Charte de Londres [Accord concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des puissances de l'Axe européen, 8 août 1945, 82 U.N.T.S. 279] définit en ces termes les crimes contre l'humanité :

         (c) Crimes contre l'humanité : c'est-à-dire l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux lorsque ces actes ou persécutions, qu'ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime.                 

ARGUMENTS INVOQUÉS

1. Les arguments du demandeur

[22]      L'argument préliminaire du demandeur est que la Section du statut ne devrait pas examiner de trop près les présumées contradictions dans le témoignage du demandeur et ses FRP car une période de 14 années sépare la date des événements et les audiences. En outre, ajoute-t-il, les événements en question ont été très traumatisants et, de ce fait, la Section du statut ne devrait pas pénaliser le demandeur pour n'avoir pas été en mesure de fournir des détails complets.

[23]      Le demandeur fait valoir aussi qu'en 1989, il ne s'exprimait pas couramment en français, de sorte qu'il ne peut être tenu tout à fait responsable de la teneur de son FRP daté d'octobre 1989. Il a déclaré que l'épouse de son employeur a aidé à remplir le formulaire en son nom. En outre, il soutient que l'annexe de ce FRP ne lui a pas été traduite, n'a pas été signée par lui ou un interprète, et n'est pas non plus datée. Le demandeur réfute une grande partie des informations qui apparaissent dans cette annexe, indiquant qu'elle a été rédigée par son avocat.

[24]      Pour ce qui est des points de droit, l'argument premier du demandeur est que la Section du statut a commis une erreur en omettant de trancher le bien-fondé de sa revendication avant d'examiner l'application de la clause d'exclusion. Il ajoute que cette procédure diffère de celle qui est recommandée dans le guide du HCNUR. Le demandeur déclare de plus que la Section du statut doit établir une prépondérance entre la nature de l'infraction présumée et le degré de persécution appréhendé.

[25]      Le deuxième argument du demandeur est que la Section du statut a mal interprété l'expression " crimes contre l'humanité " telle qu'employée à l'alinéa 1Fa ) de la Convention. Selon lui, ses agissements ne dénotent pas l'existence d'une complicité suffisante pour justifier l'application de la clause d'exclusion.

[26]      Le demandeur allègue qu'il a joint volontairement les rangs de la Guardia de Hacienda, mais pas ceux de l'armée ou de la police secrète. Il ajoute qu'il a suivi une formation dans le domaine de la reconnaissance instantanée, des arts martiaux, de l'auto-défense et l'auto-contrôle, du maniement des armes et des opérations radio, mais non pour les incidents auxquels il a été forcé de participer. Il allègue donc qu'il n'appartenait pas à une organisation qui perpétrait des infractions internationales. Il était simplement membre de la Guardia de Hacienda, et non de la police secrète ou de l'armée.

[27]      Par ailleurs, le demandeur soutient que l'on ne peut considérer qu'il était complice des crimes commis par le corps de police, car il ne partage pas le même objectif que ce dernier. Il allègue qu'il a simplement entendu des messages, les a décodés et les a transmis à ses supérieurs. Il n'a rien fait, ajoute-t-il, pour faciliter la perpétration de l'infraction.

[28]      Le demandeur allègue également que le contenu des transmissions radio le troublait, mais qu'il ne pouvait partir parce qu'il craignait pour sa vie et pour sa famille. Il soutient qu'il n'avait aucune intention criminelle de participer à ces infractions ou d'en être complice.

[29]      Le demandeur cite également la décision rendue dans l'affaire Moreno c. Canada (M.E.I.), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.) à l'appui de la thèse selon laquelle plus le grade est élevé au sein de l'organisation, plus il y a de chances que l'on tire une inférence de complicité. Il soutient qu'il n'occupait pas un poste important dans la police et que, durant sa période de service, il n'a jamais eu de promotion ou d'augmentation de solde.

[30]      Le demandeur cite également la décision rendue dans l'affaire Aden c. Canada (M.E.I.), [1994] 1 C.F. 625 (1re inst.), où la cour a décrété que le revendicateur n'avait pas participé à la perpétration des infractions ou n'en était pas complice parce qu'il était éloigné des lieux où les crimes avaient été commis et qu'il n'avait aucun pouvoir décisionnel. Le demandeur fait valoir qu'il était lui aussi éloigné des lieux où les infractions avaient été perpétrées et qu'il n'avait aucun pouvoir décisionnel.

[31]      Le demandeur fait valoir également qu'il n'a commis aucun agissement contraire aux dispositions de la Section 1F. Il soutient que le fait d'arrêter des gens et/ou de les remettre aux autorités ne constitue pas un crime contre l'humanité.

[32]      Enfin, le demandeur soutient que ses activités ont consisté uniquement à exercer des fonctions de gardien ou d'opérateur radio jusqu'à ce qu'il soit muté à Cabanas en octobre 1996. Il ajoute qu'il a vite découvert qu'il s'agissait d'un cimetière clandestin. Après l'incident du peloton d'exécution, qui était la première fois que le demandeur recevait l'ordre de tuer, il s'est enfui du Guatémala à la première occasion.

2. Les arguments du défendeur

[33]      Le défendeur fait valoir que la Section du statut n'a pas commis d'erreur en concluant qu'il y avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur avait commis des crimes contre l'humanité.

[34]      Le défendeur note que dans le FRP d'octobre 1989, le demandeur a écrit ce qui suit :

         Quand j'étais dans l'armée je devais exécuter les ordres donnés, et j'ai dû exécuter des personnes qui n'étaient pas du bord du gouvernement. Selon ma conscience, je ne pouvais plus tuer des gens innocents. J'ai donc fuit [sic] mon pays.                 

[35]      Le défendeur cite aussi ce qu'a déclaré le demandeur à l'audience du 22 mars 1994, à savoir qu'il était au courant de l'annexe accompagnant le FRP d'octobre 1989, mais qu'il en niait la teneur. Le défendeur signale que le demandeur a signé une déclaration indiquant que les deux FRP étaient véridiques et exacts.

[36]      Le défendeur soutient que la Guardia de Hacienda est une organisation qui participe à la perpétration de crimes contre l'humanité. Il signale les propres dires du demandeur selon lesquels les membres de la Guardia de Hacienda " travaillaient dans le même sens que l'armée ". Le défendeur cite également les propres arguments du demandeur, où ce dernier indique que la Guardia de Hacienda arrêtait les opposants au gouvernement et les remetttait à l'armée. Le défendeur signale en outre que le demandeur était au courant des activités de l'armée à cause de son expérience comme opérateur radio. Par ailleurs, le défendeur soutient que les supérieurs du demandeur au sein de la Guardia de Hacienda ont envoyé ce dernier à Cabanas et lui ont donné l'ordre de faire partie du peloton d'exécution.

[37]      Le défendeur prétend que selon l'arrêt Ramirez, précité, la preuve nécessaire pour conclure qu'une personne a commis des crimes contre l'humanité est moindre que la prépondérance des probabilités. Le défendeur soutient donc qu'il n'était pas raisonnable que la Section du statut conclue qu'il y avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur avait commis des crimes contre l'humanité. Il ajoute que l'exécution extrajudiciaire systématique de personnes opposées au gouvernement tombe sous le coup de la section 1F de la Convention.

[38]      En ce qui concerne les dires du demandeur selon lesquels il n'était pas personnellement responsable des agissements commis, le défendeur fait valoir que la question qui se pose est celle de savoir s'il s'agissait d'une participation personnelle et consciente. Le défendeur cite également Sivakumar c. Canada (M.C.I.), [1996] 2 C.F. 872 (C.A.) à l'appui de la thèse selon laquelle cette participation est essentiellement une question de faits. Il cite les faits suivants à l'appui de sa prétention selon laquelle le demandeur était un participant : il s'est joint volontairement à la Guardia de Hacienda, il a eu de nombreux jours de permission durant lesquels il n'a pas déserté, la preuve montre que la Guardia de Hacienda aidait systématiquement l'armée à empêcher des gens soupçonnés d'agir contre le gouvernement de franchir la frontière et était impliquée dans l'assassinat extrajudiciaire et l'enterrement de ces personnes. Le défendeur fait donc valoir que la Section du statut était tout à fait justifiée de conclure que la Guardia de Hacienda était une organisation qui visait un objectif limité et brutal. En outre, le demandeur ne peut faire la preuve que la Section du statut a conclu de manière déraisonnable qu'il avait participé personnellement et sciemment aux actes perpétrés par la Guardia de Hacienda.

[39]      Le défendeur fait valoir que, d'après la preuve, le demandeur a participé sciemment aux activités de la police en transmettant les ordres d'exécuter des guérilleros, ainsi que des messages rendant compte des résultats des activités. En outre, à Cabanas, le demandeur a exercé les fonctions de gardien, et il avait aidé à enterrer des gens dans des fosses communes et avait fait partie d'un peloton d'exécution. Le défendeur fait donc valoir que la Section du statut avait le droit de conclure qu'il y avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur avait commis des crimes contre l'humanité.

[40]      Enfin, le défendeur allègue que la Section du statut n'a pas besoin de déterminer si le demandeur courait un risque sérieux de persécution, en raison de la décision rendue dans l'affaire Gonzalez c. Canada (M.E.I.), [1994] 3 C.F. 646 (C.A.).

ANALYSE

[41]      Dans l'arrêt Gonzalez, précité, la cour a statué de manière définitive que la Section du statut n'est nullement tenue d'examiner si le demandeur tomberait sous le coup de la définition d'un réfugié au sens de la Convention (p. 657) :

         Quel que soit par ailleurs le bien-fondé de sa revendication, le demandeur ne peut aucunement être un réfugié au sens de la Convention si l'exclusion s'applique.                 
             À mon avis, l'une ou l'autre voie est exempte d'erreur de droit mais il serait souhaitable, pour des raisons pratiques, que la Section du statut de réfugié traite dans sa décision de tous les éléments d'une revendication. Si, en l'absence d'erreur susceptible d'examen, elle devait décider que, n'eût été l'exclusion, la revendication était mal fondée, il ne serait pas nécessaire, contrairement à ce qui s'est passé dans l'arrêt Moreno, de renvoyer l'affaire pour une nouvelle audition dans le cas où le tribunal conclurait que l'exclusion a été invoquée à tort. Par contre, si elle devait décider, comme dans les arrêts Ramirez et Sivakumar, que la revendication aurait été bien fondée n'eût été l'application de la clause d'exclusion mais qu'à la différence de ces arrêts, il était jugé en appel que la Section avait commis une erreur en appliquant cette clause, le tribunal ferait alors la déclaration nécessaire mais sans exiger que la Section du statut se saisisse à nouveau de l'affaire. Les contribuables apprécieraient peut-être l'économie ainsi réalisée.                 

    

[42]      Cette question ayant déjà été tranchée par la Cour d'appel fédérale, je suis convaincu que le demandeur doit être débouté pour ce motif. À l'évidence, la Commission n'est aucunement tenue de déterminer si le demandeur tomberait sous le coup de la définition d'un réfugié au sens de la Convention, même s'il serait plus pratique de le faire.

[43]      Le deuxième point est celui de savoir si la Section du statut a commis une erreur en concluant qu'il y avait des raisons sérieuses de considérer que le demandeur avait commis des crimes contre l'humanité. Je ne crois pas que la Section du statut a commis une erreur susceptible de contrôle.

[44]      La Guardia de Hacienda est une organisation qui a perpétré des infractions internationales dans le cadre continu et ordinaire de ses activités, et elle vise un objectif restreint et brutal. Il ressort de la preuve que la Guardia de Hacienda cherchait les opposants au gouvernement qui tentaient de franchir la frontière et les remettaient entre les mains de l'armée. En outre, les supérieurs du demandeur ont envoyé ce dernier à Cabanas pour y creuser des fosses communes et l'ont forcé à faire partie d'un peloton d'exécution.

[45]      La preuve montre également que le demandeur a transmis des messages radio au sujet des activités illégales du corps policier et de l'armée, et qu'il a transmis ces renseignements à ses supérieurs. Les messages étaient des comptes rendus d'attaques ou de fouilles de personnes sousçonnées d'opposition au gouvernement. À une occasion, au moins, le demandeur a su que des assassinats extrajudiciaires avaient été commis. Il a facilité l'exécution de ces ordres en transmettant les informations et les ordres entre les parties en cause. Le demandeur admet qu'il était au courant de la teneur de ces messages et qu'il était conscient que le corps policier et l'armée commettaient des actes illégaux. En outre, il a participé à des enterrements collectifs à Cabanas durant trois mois, et a fait partie d'un peloton d'exécution.

[46]      Bien que le demandeur fasse valoir qu'il n'avait pas pris part personnellement et sciemment à ces activités, je suis persuadé qu'il était loisible à la Section du statut de tirer une conclusion contraire. Il aurait fallu que le demandeur soit volontairement aveugle pour ne pas être au courant des actes illégaux que commettaient l'armée et le corps de police. Le demandeur a entendu parler de ces activités durant huit mois pendant qu'il exerçait les fonctions d'opérateur radio dans la région de Champerico. Il a participé directement à ces agissements lorsqu'il est arrivé à Cabanas.

[47]      Je signale aussi que le demandeur n'a pas profité de la première occasion venue pour s'enfuir. Il ressort de la preuve qu'il a eu de nombreuses occasions de prendre la fuite et pourtant, il a attendu jusqu'après l'incident du peloton d'exécution pour agir. On peut être sûr que le demandeur a découvert que la Guardia de Hacienda n'était pas un corps de police ordinaire lorsqu'il servait comme opérateur radio dans la régio de Champerico. Pourtant, il a continué d'exercer ses fonctions pendant plusieurs mois. Il est également resté à Cabanas, au cimetière clandestin, pendant trois mois avant de décider de s'enfuir. Il est manifeste que le demandeur n'a pas profité de la première occasion venue pour quitter le pays.

CONCLUSION

[48]      Pour les motifs indiqués plus tôt, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[49]      Ni l'une ni l'autre partie n'ont présenté une question à certifier.

     " Max M. Teitelbaum "

                                     J.C.F.C.

OTTAWA (ONTARIO)

Le 14 avril 1998

Traduction certifiée conforme

Christiane Delon, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :               IMM-1889-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :      JOSE ANIBAL CORTEZ CORDON c.
                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :          MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :          8 AVRIL 1998

MOTIFS D'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

EN DATE DU :              14 AVRIL 1998

ONT COMPARU :

Me MICHAEL GOLDSTEIN          POUR LE DEMANDEUR

Me MARIE NICOLE MOREAU          POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Me MICHAEL GOLDSTEIN          POUR LE DEMANDEUR

MOntréal

Me GEORGE THOMSON              POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

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