Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                                  Date : 20041001

                                                                                                                               Dossier : T-708-03

                                                                                                                   Référence : 2004 CF 1325

ENTRE :

                                   PILOTES DU SAINT-LAURENT CENTRAL INC.,

                                    personne morale de droit privé, ayant sa principale

                                             place d'affaires au 1545, rue Du fleuve,

                                   bureau 200, en les ville et district de Trois-Rivières,

                                                    province de Québec, G9A 6K4;

                                                                                                                           Requérante/Intimée

                                                                          - et -

                           ADMINISTRATION DE PILOTAGE DES LAURENTIDES,

                                 personne morale de droit public, constituée en vertu de

                                         la Loi concernant le pilotage, S.R.C. c. P-14,

                             ayant sa principale place d'affaires au 715, Square Victoria,

                                                  en les ville et district de Montréal,

                                                    province de Québec, H2Y 2H7;

                                                                                                                             Intimée/Appelante

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD :

[1]         L'intimée/appelante Administration de pilotage des Laurentides (APL) présente une requête en appel d'une décision rendue le 15 décembre 2003 par le protonotaire Me Richard Morneau de cette Cour. Par cette décision, le protonotaire a accueilli la requête en homologation de la sentence arbitrale rendue par l'arbitre Me Richard Marcheterre, le 12 mars 2003, requête présentée en vertu de l'article 946.1 du Code de procédure civile du Québec, L.R.Q., ch. C-25 (le C.p.c.).


[2]         APL est un organisme de l'administration publique fédérale créé par la Loi sur le pilotage, L.R.C. (1985), ch. P-14 (la Loi). En vertu de l'article 18 de cette Loi, l'APL gère un service de pilotage sur le fleuve Saint-Laurent, service qui consiste à confier obligatoirement la conduite de navires circulant dans certaines zones du fleuve à des pilotes dont la connaissance de ce cours d'eau est reconnue afin d'assurer la sécurité de la navigation. La requérante/intimée Pilotes du Saint-Laurent Central Inc. (PSLC) est une personne morale de droit privé qui fournit à l'APL des services de pilotage de navires circulant sur le fleuve Saint-Laurent.

[3]         Deux des circonscriptions dans la région gérée par l'APL sont desservies par des corporations formées par les pilotes disposant d'un brevet pour le secteur approprié, conformément à l'article 15 de la Loi. Le pilotage dans les eaux entre la ville de Québec et Les Escoumins a fait l'objet d'un contrat particulier entre l'APL et les Pilotes du Bas St-Laurent Inc. (PBSL), alors que le pilotage dans les eaux entre l'écluse de St-Lambert et la ville de Québec a fait l'objet d'un contrat entre l'APL et PSLC signé le 7 septembre 1999.

[4]         Les articles 15.02 et 15.03 de l'annexe « A » de ce dernier contrat entre les parties au présent litige traitent des honoraires de pilotage. D'une durée de quatre ans, le contrat prévoit des augmentations annuelles des honoraires de 3 p. 100. En vertu de l'article 15.03, l'une des parties peut dénoncer l'augmentation de 3 p. 100 pour la dernière année du contrat, soit celle allant du 1er juillet 2002 au 30 juin 2003. PSLC s'est prévalue de ce droit pour réclamer une hausse de 12 p. 100 de ses honoraires pour cette dernière année du contrat. Les discussions entre les parties à ce sujet n'ayant pas permis d'en arriver à une entente, un arbitre fut saisi du cas en vertu de l'article 19 du contrat afin de déterminer le quantum de l'augmentation des honoraires en question.


[5]         Le 12 mars 2003, l'arbitre a rendu sa décision ordonnant que soit versée une augmentation de 8 p. 100 des honoraires de PSLC pour la période du 1er juillet 2002 au 30 juin 2003. Le dispositif de sa décision se lit en effet comme suit :

151.          Pour ces motifs, le tribunal hausse les honoraires des pilotes du Saint-Laurent Central de huit pour-cent (8%), pour la quatrième année de leur contrat, soit du 1er juillet 2002 au 30 juin 2003.

[6]         PSLC, se prévalant de l'article 946.1 du C.p.c., a ensuite présenté une requête en homologation de cette sentence arbitrale devant cette Cour. Pour sa part, l'APL s'est prévalue de l'article 947.1 du C.p.c. pour s'opposer à cette homologation et demander l'annulation de la sentence arbitrale. Le protonotaire Morneau, le 15 décembre 2003, a accueilli la requête en homologation et rejeté la demande d'annulation de la sentence arbitrale concernée, d'où le présent appel.

[7]         Comme la décision du protonotaire est déterminante à l'égard des requêtes en homologation et en annulation, je dois exercer mon propre pouvoir discrétionnaire et reprendre l'affaire de novo (Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425).

                                                             * * * * * * * * * * * *

[8]         Les dispositions législatives et contractuelles suivantes sont notamment pertinentes :

a)    Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25


946. La sentence arbitrale n'est susceptible d'exécution forcée qu'après avoir été homologuée.

946.1 Une partie peut, par requête, demander au tribunal l'homologation de la sentence arbitrale.

946.2 Le tribunal saisi d'une requête en homologation ne peut examiner le fond du différend.

[. . .]


946. An arbitration award cannot be put into compulsory execution until it has been homologated.

946.1 A party may, by motion, apply to the court for homologation of the arbitration award.

946.2 The court examining a motion for homologation cannot enquire into the merits of the dispute.

[. . .]



946.4 Le tribunal ne peut refuser l'homologation que s'il est établi :

   1 ° qu'une partie n'avait pas la capacité pour conclure la convention d'arbitrage;

   2 ° que la convention d'arbitrage est invalide en vertu de la loi choisie par les parties ou, à défaut d'indication à cet égard, en vertu de la loi du Québec;

   3 ° que la partie contre laquelle la sentence est invoquée n'a pas été dûment informée de la désignation d'un arbitre ou de la procédure arbitrale, ou qu'il lui a été impossible pour une autre raison de faire valoir ses moyens;

   4 ° que la sentence porte sur un différend non visé dans la convention d'arbitrage ou n'entrant pas dans ses prévisions, ou qu'elle contient des décisions qui en dépassent les termes; ou

   5 ° que le mode de nomination des arbitres ou la procédure arbitrale applicable n'a pas été respecté.

   Toutefois, dans le cas prévu au paragraphe 4 ° , seule une disposition de la sentence arbitrale à l'égard de laquelle un vice mentionné à ce paragraphe existe n'est pas homologuée, si cette disposition peut être dissociée des autres dispositions de la sentence.

946.5 Le tribunal ne peut refuser d'office l'homologation que s'il constate que l'objet du différend ne peut être réglé par arbitrage au Québec ou que la sentence est contraire à l'ordre public.

946.6 La sentence arbitrale telle qu'homologuée est exécutoire comme un jugement du tribunal.

947. La demande d'annulation de la sentence arbitrale est le seul recours possible contre celle-ci.

947.1 L'annulation s'obtient par requête au tribunal ou en défense à une requête en homologation.

947.2 Les articles 946.2 à 946.5 s'appliquent, avec les adaptations nécessaires, à la demande d'annulation de la sentence arbitrale.


946.4 The court cannot refuse homologation except on proof that

   (1) one of the parties was not qualified to enter into the arbitration agreement;

   (2) the arbitration agreement is invalid under the law elected by the parties or, failing any indication in that regard, under the laws of Québec;

   (3) the party against whom the award is invoked was not given proper notice of the appointment of an arbitrator or of the arbitration proceedings or was otherwise unable to present his case;

   (4) the award deals with a dispute not contemplated by or not falling within the terms of the arbitration agreement, or it contains decisions on matters beyond the scope of the agreement; or

   (5) the mode of appointment of arbitrators or the applicable arbitration procedure was not observed.

   In the case of subparagraph (4) of the first paragraph, the only provision not homologated is the irregular provision described in that paragraph, if it can be dissociated from the rest.

946.5 The court cannot refuse homologation of its own motion unless it finds that the matter in dispute cannot be settled by arbitration in Québec or that the award is contrary to public order.

946.6 The arbitration award as homologated is executory as a judgment of the court.

947. The only possible recourse against an arbitration award is an application for its annulment.

947.1 Annulment is obtained by motion to the court or by opposition to a motion for homologation.

947.2 Articles 946.2 to 946.5, adapted as required, apply to an application for annulment of an arbitration award.


b)    Loi sur le pilotage, L.R.C. (1985), ch. P-14 :


15. (1) Sous réserve du paragraphe (2), une Administration peut employer le personnel, notamment les pilotes brevetés et les apprentis-pilotes, qu'elle estime nécessaire à l'exercice de ses activités.


15. (1) Subject to subsection (2), an Authority may employ such officers and employees, including licensed pilots and apprentice pilots, as are necessary for the proper conduct of the work of the Authority.



(2) Lorsque la majorité des pilotes brevetés de la région - ou d'une partie de la région - décrite à l'annexe au regard d'une Administration donnée forment une personne morale ou en sont membres ou actionnaires et choisissent de ne pas devenir membres du personnel de l'Administration, celle-ci peut conclure avec la personne morale un contrat de louage de services pour les services de pilotes brevetés et la formation d'apprentis-pilotes dans la région - ou partie de région - visée par le contrat; l'Administration ne peut alors engager de pilotes ou d'apprentis-pilotes dans la région - ou partie de région - en cause.

[. . .]


(2) Where a majority of licensed pilots within the region, or any part thereof, set out in respect of an Authority in the schedule who form or are members or shareholders of a body corporate elect not to become employees of the Authority, the Authority may contract with that body corporate for the services of licensed pilots and the training of apprentice pilots in the region or part thereof where the contract is to be effective, and the Authority shall not employ pilots or apprentice pilots in the region or that part thereof where such a contract is in effect.

[. . .]


c)    Annexe « A » du Contrat de service de pilotage conclut entre les parties :

15.02       a)             À compter du 1er juillet 2000, tous les montants d'honoraires des pilotes contenus à l'annexe « A » en vigueur au 30 juin 2000 sont augmentés d'un pourcentage égal à 3%.

b)             À compter du 1er juillet 2001, tous les montants d'honoraires des pilotes contenus à l'annexe « A » en vigueur au 30 juin 2001 sont augmentés d'un pourcentage égal à 3%.

c)             À compter du 1er juillet 2002, tous les montants d'honoraires des pilotes contenus à l'annexe « A » en vigueur au 30 juin 2002 sont augmentés d'un pourcentage égal à 3%.

15.03       Nonobstant le paragraphe 15.02 c), l'une ou l'autre des PARTIES pourra, en donnant un préavis écrit à l'autre 90 jours avant le 1er juillet 2002, dénoncer l'augmentation des honoraires de la présente Annexe prévue pour le 1er juillet 2002. Les PARTIES devront alors négocier de bonne foi l'augmentation des honoraires prévue pour la période visée à l'article 15.02 c) et, à défaut d'entente négociée à ce sujet dans un délai raisonnable, la procédure de règlement des litiges ou mésententes prévue à l'article 19 du Contrat de service se trouvera engagée pour déterminer le quantum de cette augmentation des honoraires de l'article 15.02 c) ci-haut.

d)    Contrat de service de pilotage entre les parties :

19.09        L'arbitre ne peut ni amender, ni modifier, ni ajouter aux dispositions du présent contrat. Cependant, l'arbitre possède tous les pouvoirs requis à l'exercice de sa juridiction, y compris le pouvoir d'émettre des subpoenas. [. . .]

19.11        Advenant la nécessité de procéder devant les tribunaux, les PARTIES conviennent et s'assurent que de telles procédures judiciaires seront intentées devant la Cour Fédérale du Canada pour tous les cas où cette Cour a juridiction.



                                                             * * * * * * * * * * * *

[9]         L'APL soumet que le protonotaire a erré en refusant de reconnaître que l'arbitre a excédé sa compétence, que la sentence de ce dernier est contraire à l'ordre public, et enfin, que l'arbitre n'a pas respecté les principes de justice fondamentale.

[10]       Au sujet de l'excès de compétence, l'APL invoque le paragraphe 4o de l'article 946.4 du C.p.c. et soumet, dans un premier temps, que l'arbitre s'est arrogé le mandat d'établir la parité entre les honoraires versés aux deux corporations de pilotes, soit PSLC et PBSL, sans même tenir compte du fait qu'il existait déjà une différence importante entre la rémunération de chacune d'elles en vertu des contrats signés. L'APL précise que les honoraires versés à ces deux corporations sont établis d'après une formule de calcul selon laquelle un nombre d'unités et un facteur temps sont multipliés par une valeur monétaire. L'APL souligne que cette valeur monétaire est convenue entre les parties dans le cadre des négociations de chacun des contrats de service et qu'il existe un écart en termes monétaires entre la valeur économique des services de pilotage fournis par PSLC et ceux de PBSL. L'APL soumet donc que le protonotaire a erré en ignorant que l'arbitre a pris pour acquis que les parties ont attribué la même valeur au pilotage dans les deux circonscriptions.

[11]       Deuxièmement, l'APL reproche à l'arbitre d'avoir outrepassé son mandat en modifiant les honoraires convenus pour les trois premières années du contrat. Elle soumet que la majoration de 8 p. 100 des honoraires est fondée sur l'écart des augmentations accordées, selon l'arbitre, aux deux corporations de pilotes depuis l'an 2000. Selon l'APL, l'arbitre a ainsi ignoré les négociations antérieures entre les parties pour établir la rémunération de la quatrième année et a porté jugement sur des années du contrat dont il n'était pas saisi.


[12]       Troisièmement, l'APL soumet que le protonotaire a erré en homologuant la sentence arbitrale parce qu'il n'entrait pas dans la compétence de l'arbitre de refaire ses prévisions budgétaires dans le but d'apprécier sa capacité de payer l'honoraire de 8 p. 100 pour la quatrième année du contrat.

[13]       En ce qui concerne l'ordre public, l'APL invoque l'article 946.5 du C.p.c. et souligne que la sentence arbitrale porte atteinte à l'ordre public, vu les contrôles financiers très stricts qui lui sont imposés en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques et la Loi sur le pilotage. L'APL précise que le résultat de la sentence arbitrale est de l'obliger à contracter un emprunt sans qu'elle ne détienne les approbations gouvernementales requises par des lois d'ordre public, ce qui tend à lier illégalement l'excercice de la discrétion du ministre des Finances, du Conseil du Trésor et du gouverneur en conseil.

[14]       Enfin, l'APL invoque le paragraphe 3o de l'article 946.4 du C.p.c. et reproche au protonotaire de ne pas avoir retenu un bris des principes de justice fondamentale du fait que l'arbitre l'a empêchée de faire valoir ses moyens en lui refusant le droit d'interroger un représentant de PSLC au sujet des dépenses de cette dernière.

                                                             * * * * * * * * * * * *

[15]       Il m'est impossible d'apprécier les arguments de l'APL reliés à l'excès de compétence de l'arbitre sans devoir examiner le fond du différend, ce que m'interdit clairement de faire l'article 946.2 du C.p.c. Dans l'arrêt Desputeaux c. Éditions Chouette (1987) Inc., [2003] 1 R.C.S. 178, à la page 218, la Cour suprême du Canada a particulièrement considéré l'application de cet article 946.2 du C.p.c. :


[67]      Le législateur a consacré l'autonomie de l'arbitrage en affirmant à l'art. 946.2 C.p.c. que « [l]e tribunal saisi d'une requête en homologation ne peut examiner le fond du différend » . (Cette disposition est applicable à l'annulation d'une sentence arbitrale par le renvoi prévu à l'art. 947.2 C.p.c.) De plus, les motifs permettant à un tribunal de refuser d'homologuer ou d'annuler une sentence arbitrale sont exhaustivement prévus aux art. 946.4 et 946.5 C.p.c.

[16]       Dans l'arrêt Gazette c. Blondin (6 août 2003), 500-09-011439-015, la Cour d'appel du Québec, en regard du paragraphe 4o de l'article 946.4 du C.p.c., a exprimé ce qui suit :

[50]      Toujours en application du paragraphe 4o de l'article 946.4 C.p.c., cependant, il faut aussi se demander si la sentence Sylvestre no 2 contient « des décisions qui [...] dépassent les termes [de la convention d'arbitrage] » - si la sentence, selon la version anglaise de l'article 946.4, paragraphe 4o, « contains decisions on matters beyond the scope of the [arbitration] agreement » . S'interrogeant sur le sens qu'il faut donner à cette périphrase, notre collègue la juge Thibault écrivait dans l'arrêt Laurentienne-vie (La), compagnie d'assurances inc. c. Empire (L'), compagnie d'assurance-vie [[2000] R.J.Q. 1708, [44]] :

Il me semble que, pour décider si la sentence arbitrale dépasse les termes de la convention d'arbitrage, il faille faire abstraction de l'interprétation qui a mené au résultat pour se concentrer sur celui-ci. Cette interprétation du motif d'annulation prévu à l'article 946.4 paragraphe 4 C.p.c., en plus d'être conforme à l'article 946.2 C.p.c., qui interdit au tribunal saisi d'une demande d'annulation de sentence arbitrale d'examiner le fond du litige, est conforme à l'approche retenue par l'auteure Sabine Thuilleaux.

(J'ai souligné.)


[17]       Dans le présent cas, si, de la même façon, l'on s'en tient au résultat, c'est-à-dire à la conclusion précise de l'arbitre dans sa sentence arbitrale, il est impossible de conclure que la question qu'il a tranchée n'a pas de lien de connexité avec le litige qui lui était soumis, bien au contraire. En déterminant un pourcentage d'honoraires de 8 p. 100 applicables à la quatrième année du contrat, tel qu'il appert du dispositif de sa décision (paragraphe 151), l'arbitre a tout simplement exercé son mandat selon la volonté des parties exprimé à l'article 15.03 de l'annexe « A » de leur Contrat de service de pilotage. Devant faire abstraction de l'interprétation qui a mené à ce résultat, il ne m'appartient pas de me substituer à l'arbitre dans l'appréciation de la preuve qui lui a été présentée au cours de cinq journées d'audition, lors desquelles l'APL a fait entendre quatre témoins, dont un témoin expert, et PSLC, trois témoins, dont un témoin expert. Je n'ai pas à déterminer si l'arbitre a eu tort de considérer une certaine parité entre PSLC et PBSL, ou s'il a mal apprécié la preuve concernant la capacité d'APL de payer, ou enfin, si l'arbitre a permis un rattrapage d'honoraires à PSLC. Ce qui importe, c'est de constater qu'en attribuant une hausse des honoraires de 8 p. 100 pour la quatrième année du contrat, l'arbitre n'a fait que respecter son mandat, qu'il a agi conformément à sa mission. Comme le souligne la Cour d'appel du Québec dans Gazette c. Blondin, supra, au paragraphe 51 :

. . . L'examen détaillé des motifs sur lesquels s'est appuyé l'arbitre ferait peut-être ressortir qu'un autre arbitre aurait pu disposer de façon différente d'une ou de plusieurs des questions qui étaient soumises à l'arbitre Sylvestre. Là n'est pas la question, cependant : le tribunal saisi d'une demande d'annulation formée en vertu de l'article 947 ne peut, je le rappelle, examiner le fond du différend. [. . .]

(J'ai souligné.)

[18]       En ce qui concerne l'ordre public, je ne peux voir comment l'établissement d'un pourcentage d'honoraires, dans les circonstances, puisse y porter atteinte. L'APL a négocié un contrat qui contient une clause d'arbitrage qui accorde à l'arbitre la compétence de déterminer le quantum de l'augmentation des honoraires de PSLC prévue pour le 1er juillet 2002. On doit présumer que l'APL a négocié les termes de ce contrat de bonne foi. Elle n'est pas justifiée par la suite de prétendre qu'elle n'a pas le moyen de payer, que l'effet de la sentence arbitrale est de forcer la main d'organismes publics et qu'en conséquence il y a bris de l'ordre public. D'abord, l'arbitre a jugé que l'APL était capable de payer et, comme je l'ai déjà dit, il ne m'appartient pas de contrôler le bien-fondé de cette conclusion en examinant le fond du différend. Puis, il importe d'éviter un recours étendu à l'ordre public dans le domaine de l'arbitrage afin de préserver l'autonomie décisionnelle de l'institution arbitrale. Que le résultat du différend puisse avoir un impact sur des tiers, de toute façon, n'est pas un facteur qui peut être retenu pour refuser l'homologation. Tous ces principes sont clairement précisés par la Cour suprême du Canada dans Desputeaux c. Éditions Chouette (1987) Inc., supra, plus particulièrement aux pages 211 à 216 :


[52]      . . . L'élaboration et la mise en oeuvre du concept d'ordre public laissent place à une grande part de discrétion judiciaire dans l'appréciation des valeurs et des principes fondamentaux d'un système juridique. L'interprétation et l'application de cette notion dans le domaine de l'arbitrage conventionnel doivent alors prendre en compte la politique législative qui accepte cette forme de règlement des différends et qui entend même en favoriser le développement. Pour cette raison, afin de préserver l'autonomie décisionnelle de l'institution arbitrale, il importe d'éviter un emploi extensif de ce concept par les tribunaux judiciaires. Un tel recours étendu à l'ordre public dans le domaine de l'arbitrage mettrait en danger cette autonomie, contrairement à des orientations législatives claires et à la politique juridique qui s'en dégage. [. . .]

[54]     L'ordre public intervient principalement lorsqu'il s'agit d'apprécier la validité de la sentence arbitrale. Les limites de son rôle doivent cependant être correctement définies. D'abord, comme nous l'avons vu, les arbitres sont fréquemment tenus d'examiner des questions et des dispositions législatives d'ordre public pour régler le différend dont ils ont été saisis. Ce seul examen ne rend pas la décision annulable. L'article 946.5 C.p.c. exige plutôt d'examiner la sentence dans son ensemble, afin d'apprécier son résultat. Le tribunal doit rechercher si la décision elle-même, dans son dispositif, contrevient à des dispositions législatives ou à des principes qui relèvent de l'ordre public. Le Code de procédure civile s'intéresse davantage ici à la conformité du dispositif de la décision ou de la solution qu'elle retient qu'à celle de l'exactitude des motifs particuliers qui la justifient. [. . .] Enfin, lors de l'examen de la validité de la sentence, s'impose le respect de la règle claire de l'art. 946.2 C.p.c., qui interdit l'examen du fond du différend. L'application de la notion si flexible et évolutive de l'ordre public doit s'effectuer dans le respect de ces principes fondamentaux, lorsqu'il s'agit d'apprécier la validité d'une sentence arbitrale.

[. . .]

[60]      Ainsi, la sentence en question ne traite pas d'une matière qui échappe par nature à la compétence des arbitres en l'espèce. En ce sens, elle n'est pas contraire à l'ordre public; si elle l'avait été, un tribunal judiciaire aurait été justifié de l'annuler (art. 946.5 C.p.c.). Au contraire, elle se prononce valablement sur une matière, la titularité des droits d'auteur, qui constitue l'un des éléments principaux du litige opposant les parties à propos de l'interprétation et de l'application des ententes intervenues entre elles.

[. . .]

[62]      D'abord, le Code de procédure civile ne considère pas l'effet d'une sentence arbitrale sur les tiers comme un motif permettant de l'annuler ou d'en refuser l'homologation (art. 946.4 C.p.c.). [. . .]

(J'ai souligné.)


[19]       Finalement, l'argument d'APL voulant que l'arbitre l'ait empêchée de faire valoir ses moyens est sans fondement. En effet, après avoir entendu les parties, l'arbitre n'a pas retenu la demande d'interrogatoire formulée par l'APL, la jugeant effectivement non pertinente. Encore ici, il ne m'appartient pas d'examiner le fond du différend pour déterminer si les dépenses de PSLC, dans son mandat de gestionnaire des honoraires de pilotes, sont inadmissibles en preuve dans le contexte de l'établissement des honoraires de ces pilotes en vertu des articles 15.02 c) et 15.03 de l'annexe « A » du Contrat de service en cause. De plus, l'APL a pu faire valoir son point de vue avant que l'arbitre ne tranche à cet égard. Enfin, comme l'indique la Cour suprême du Canada dans Desputeaux, supra, à la page 220 :

[70]      . . . Les modes de preuve demeurent souples et sous le contrôle de l'arbitre, sous réserve des ententes entre les parties. [. . .]

                                                             * * * * * * * * * * * *

[20]       Pour toutes ces raisons, je conclus que l'arbitre a agi conformément à sa mission et qu'il n'a commis aucune erreur donnant ouverture à l'annulation de la sentence arbitrale. Le protonotaire a donc eu raison d'homologuer cette dernière et la requête en appel de sa décision est rejetée, avec dépens.

                                                               

       JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 1er octobre 2004


                                                               COUR FÉDÉRALE

                                     NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                       T-708-03

INTITULÉ :                                                      PILOTES DU SAINT-LAURENT CENTRAL INC. c. ADMINISTRATION DE PILOTAGE DES LAURENTIDES

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                               Le 14 septembre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                  Le juge Pinard

DATE DES MOTIFS :                          Le 1er octobre 2004      

COMPARUTIONS :

Me André Baril                                      POUR LA REQUÉRANTE/INTIMÉE

Me Mario St-Pierre

Me Guy Major                                       POUR L'INTIMÉE/APPELANTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy Tétrault, s.r.l.                                     POUR LA REQUÉRANTE/INTIMÉE

Montréal (Québec)

Dunton Rainville, s.e.n.c.                                   POUR L'INTIMÉE/APPELANTE

Montréal (Québec)


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.