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Date : 20040423

Dossier : T-23-04

Référence : 2004 CF 608

Ottawa (Ontario), le 23 avril 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                                                   MORESBY EXPLORERS LTD.

et DOUGLAS GOULD

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                          - et -

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et LA NATION HAÏDA

                                                                                                                                          défendeurs

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                Par des ordonnances datées du 16 février 2004 et du 25 février 2004, le protonotaire a accueilli la requête présentée par Moresby Explorers Ltd. et Douglas Gould (les demandeurs) en vue de la réduction des délais habituels pour les demandes de contrôle judiciaire, de sorte que la présente affaire puisse être instruite et tranchée avant juin 2004.


[2]                En l'espèce, le procureur général du Canada (le procureur général) en appelle par voie de requête de la décision du protonotaire de recourir au processus accéléré d'audience.

[3]                Le procureur général sollicite une ordonnance prévoyant :

1.          l'annulation de l'ordonnance du 16 février 2004 par laquelle le protonotaire a ordonné le recours au processus accéléré d'audience pour la demande de contrôle judiciaire;

2.          l'annulation de l'ordonnance du 25 février 2004 fixant aux 26 et 27 mai 2004 l'instruction de la demande de contrôle judiciaire;

3.          l'octroi des dépens afférents à la présente requête;

4.          les autres mesures de réparation que les avocats pourront recommander et que la Cour jugera bon d'accorder.

Le contexte

[4]                Les demandeurs exploitent une entreprise de tourisme et de transport dans la réserve du parc national de Gwaii Haanas (Gwaii Haanas), dans les îles de la Reine-Charlotte. Le 8 décembre 2003, le Comité de gestion de l'archipel de Gwaii Haanas a délivré aux demandeurs un permis d'exploitation de commerce pour 2004, assorti de conditions, dont un nombre maximal de clients pouvant être emmenés à Gwaii Haanas chaque jour (22) et pendant une année (2 372 jours-utilisateurs ou nuitées, un certain dépassement de quota étant autorisé).


[5]                Dans la demande de contrôle judiciaire à laquelle la présente instance se rapporte, les demandeurs contestent la constitutionnalité des restrictions visant leur permis d'exploitation, qui contreviendraient au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, soit la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11.

[6]                Le permis d'exploitation contesté par les demandeurs a été délivré en vertu de l'article 4.1 du Règlement sur l'exploitation de commerces dans les parcs nationaux du Canada, DORS/2002-370, édicté en vertu de la Loi sur les parcs nationaux du Canada, L.C. 2000, ch. 32.

[7]                Le 22 janvier 2004, les demandeurs ont demandé par requête qu'on recoure au processus accéléré d'audience au motif que, si on ne raccourcissait pas les délais prévus dans les Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106 (les Règles), ils se verraient privés d'un recours judiciaire utile. Selon les demandeurs, décision doit être rendue avant juin 2004, soit lorsque débute le tourisme estival, à l'égard du contrôle judiciaire, pour que celui-ci puisse produire ses effets.


La décision du protonotaire

[8]                À l'appui de leur requête pour un processus accéléré, les demandeurs ont présenté au protonotaire l'affidavit du 20 janvier 2004 de Douglas Gould, dans lequel ce dernier déclarait que l'entreprise des demandeurs subirait un préjudice et la demande deviendrait sans portée pratique si celle-ci était tranchée pendant ou après la saison touristique estivale de 2004. Les demandeurs ont également soutenu qu'il ne serait pas nécessaire de contre-interroger les déposants, qu'un avis de question constitutionnelle avait déjà été donné et que, puisque de nombreux principes de droit constitutionnels ont été établis dans la cause de 2001, les plaidoiries ne devraient pas durer plus d'une journée. Par conséquent, les demandeurs soutiennent-ils, rien n'empêche au plan pratique la Cour d'ordonner une instruction accélérée.

[9]                Le procureur général a déposé en réplique l'affidavit d'Anna Gajda, fait le 29 janvier 2004, et a soutenu que les demandeurs n'avaient pas démontré l'existence d'une situation d'urgence, d'un préjudice irréparable ou d'une situation exceptionnelle d'un autre type justifiant de s'écarter du calendrier habituel pour les demandes de contrôle judiciaire. Le procureur général a également signalé que les demandeurs ne s'étaient pas empressés et n'avaient pas présenté leur demande de contrôle judiciaire immédiatement après la délivrance de leur permis d'exploitation. Ils ont plutôt déposé leur avis de demande le tout dernier jour autorisé par les Règles, ce qui tend à démentir leurs prétentions quant à la nécessité que la Cour tranche d'urgence les questions en jeu.


[10]            De l'avis du procureur général, en outre, la présente demande ne soulève pas des questions de droit administratif toutes simples qu'il y a lieu de trancher à la hâte. Le procureur général affirme qu'au contraire, les demandeurs contestent une politique mise en oeuvre par l'Agence Parcs Canada et le Comité de gestion de l'archipel de Gwaii Haanas et visant à aider la Première nation haïda à exploiter une entreprise d'excursions guidées à Gwaii Haanas.

[11]            Le procureur général soutient que, bien que les demandeurs prétendent simplement contester les restrictions dont est assorti leur permis d'exploitation pour 2004, ce qui est en fait contesté dans la présente affaire, c'est la décision stratégique de réserver aux membres de la Nation haïda la moitié des activités disponibles de voyagistes commerciaux attribuées (la politique relative aux Haïdas). Le procureur général a insisté sur le fait que, pour se prononcer sur la constitutionnalité de la politique relative aux Haïdas, il était d'importance primordiale que la Cour soit saisie d'une preuve exhaustive, et qu'il lui soit possible à lui-même de présenter une argumentation valable et complète à l'égard des questions soulevées par les demandeurs.


[12]            Le procureur général a soutenu en outre que les données financières historiques des demandeurs venaient contredire leurs prétentions quant au caractère urgent de la situation. Selon ces données, les demandeurs n'ont pas atteint et encore moins excédé le quota de visiteurs alloué au cours des deux dernières saisons. Cela démontrait, le procureur général a-t-il soutenu, qu'il n'y aurait pas atteinte grave aux intérêts commerciaux des demandeurs, si la demande de contrôle devait être instruite selon les délais habituels.

[13]            Le procureur général a également soutenu qu'il n'était pas vraisemblable pour les demandeurs de prétendre que la Cour doit sans délai annuler, pour inconstitutionnalité, l'attribution d'un quota de visiteurs. Les demandeurs ont eu l'occasion, en effet, de faire valoir une telle contestation dans des instances antérieures et ils ne l'ont pas fait.

[14]            Finalement, le procureur général souligne que lorsque les demandeurs ont contesté les restrictions assortissant leur permis d'exploitation de 2001, le protonotaire Lafrenière a refusé d'accélérer l'instruction de la demande parce qu'ils n'avaient pas démontré l'existence de quelconques circonstances exceptionnelles le justifiant. D'après le procureur général, si un processus accéléré d'audience n'était pas indiqué en 2001 alors que le demandeur n'avait pas soulevé de questions constitutionnelles, un tel processus se justifiait d'autant moins en l'espèce.

[15]            En accueillant la requête des demandeurs en faveur d'une instruction accélérée, le protonotaire a fait noter que, bien que le calendrier prévu dans les Règles soit approprié dans bien des cas, celles-ci ne permettraient pas d'obtenir un redressement valable dans la présente affaire à moins qu'il n'y ait réduction des délais.

[16]            Le protonotaire a signalé que la présente demande ne constituait pas la première contestation par les demandeurs des restrictions assortissant leur permis d'exploitation. Bien que la Cour ait refusé d'instruire la contestation des demandeurs visant leur permis de 1999, parce que la question était devenue sans objet au moment où elle en a été saisie et parce que les demandeurs étaient hors délai, le juge Pelletier a fait remarquer en passant que, si les délais courants ne permettaient pas de saisir la Cour en temps utile, les demandeurs pouvaient demander qu'on fixe un calendrier d'instruction accélérée (se reporter à Moresby Explorers c. Réserve du parc national de Gwaii Haanas, [2000] A.C.F. n ° 1944 (1re inst.)(QL)). Lorsque les demandeurs ont contesté le permis qui leur a été délivré en 2001, l'instruction accélérée sollicitée ne leur a pas été accordée. Quoique les demandeurs ont eu gain de cause en bout de ligne, la décision a été prononcée en juillet 2001 alors que la saison touristique était pratiquement terminée (se reporter à Moresby Explorers c. Canada (Procureur général), [2001] 4 C.F. 591, 2001 CFPI 780).

[17]            Le protonotaire a fixé le calendrier accéléré préalable à l'instruction suivant : les affidavits des défendeurs devaient être signifiés et déposés d'ici le 2 avril 2004, le contre-interrogatoire de l'auteur des affidavits terminé d'ici le 16 avril 2004, le dossier des demandeurs et le dossier des défendeurs signifiés et déposés d'ici, respectivement, le 4 mai 2004 et le 21 mai 2004 et l'audience tenue les 26 et 27 mai 2004.

[18]            Le débat sur le présent appel, interjeté par le procureur général, s'est déroulé devant moi le 8 mars 2004. Depuis cette date, un délai additionnel a été accordé aux deux défendeurs en vue du dépôt de leurs affidavits à l'appui.

Argumentation du procureur général (appelant en l'espèce et défendeur dans le cadre de la demande principale)

[19]            Le procureur général soutient que la décision du protonotaire de réduire les délais habituels n'a pas une influence déterminante sur la solution des questions en litige dans la cause. En conséquence, la norme appropriée pour l'appel serait celle de la décision « manifestement erronée » , selon les critères énoncés dans Z.I. Pompey Industrie c. ECU-Line N.V., [2003] 1 R.C.S. 450. Le procureur général soutient que son appel devrait être accueilli parce qu'eu égard aux faits d'espèce, la décision du protonotaire de réduire les délais prévus par les Règles était manifestement erronée.

[20]            Selon le procureur général, la décision du protonotaire était manifestement erronée pour les quatre raisons suivantes :

1.          celui-ci a conclu qu'en n'accélérant pas l'instruction, les demandeurs seraient privés de l'occasion de « [traduction] valablement faire instruire leur cause _;

2.          il a conclu qu'il s'agissait d'une affaire simple pouvant être instruite avant juin 2004 et ne requérant pas plus d'un jour d'instruction;


3.          il a conclu qu'un processus accéléré ne causerait pas préjudice au procureur général;

4.          il a fait abstraction du fait que les demandeurs n'avaient pas contesté la politique relative aux Haïdas dans des instances antérieures.

[21]            Le procureur général soutient que la décision du protonotaire était manifestement erronée comme, premièrement, celui-ci a conclu que le rejet de la requête des demandeurs empêcherait ceux-ci de « valablement faire instruire leur cause » . Le procureur général prétend que, le protonotaire ayant conclu que les demandeurs n'avaient pas démontré que l'absence de processus accéléré d'instruction pour leur demande principale causerait un préjudice irréparable à leur entreprise, il était incongru pour lui de conclure ensuite que ceux-ci seraient privés de l'occasion de faire instruire leur cause si l'affaire n'était pas tranchée avant juin 2004. Selon le procureur général, le protonotaire ne tient pas compte du fait, dans sa décision, que les demandeurs contestent en réalité la politique relative aux Haïdas. Si l'on suppose aux fins de l'argumentation que cette politique influe sur le quota d'utilisateurs attribué aux demandeurs, le procureur général soutient-il, la décision de la Cour quant à la validité constitutionnelle de la politique aura une incidence continue sur le quota attribué pour les années futures.


[22]            Le procureur général soutient que la décision du protonotaire était manifestement déraisonnable comme, deuxièmement, celui-ci a conclu qu'il s'agissait d'une affaire simple où les questions administratives ont déjà été tranchées et ne requérant qu'une journée de débat. Le procureur général souligne qu'au contraire, on conteste la politique relative aux Haïdas pour des motifs constitutionnels dans la présente demande, ce qui n'a pas été fait dans les précédentes. Par conséquent, une preuve exhaustive doit être présentée à la Cour en regard des articles premier et 15 de la Charte. D'après le procureur général, trois jours de débat seront requis pour faire le tour valablement des questions soulevées par les demandeurs.

[23]            Le procureur général soutient, troisièmement, que l'ordonnance du procureur général lui rend plus difficile de bâtir une preuve solide en réponse aux questions soulevées relativement à la Charte par les demandeurs. Le procureur général affirme avoir en outre subi préjudice du fait que le protonotaire a ordonné l'instruction de la présente affaire à des dates où son avocat a clairement déclaré ne pas être disponible. Selon le procureur général, la décision du protonotaire de rejeter la demande faite par son avocat - soit qu'on tienne compte de son emploi du temps - était manifestement déraisonnable.

[24]            Le procureur général a finalement soutenu qu'il n'était pas vraisemblable pour les demandeurs de prétendre que la Cour doit, sans délai, se prononcer sur la constitutionnalité de la politique relative aux Haïdas. Les demandeurs, en effet, connaissent cette politique depuis plus de quatre ans et, malgré cela, ils ne l'ont pas contestée sur le fond dans des instances antérieures. Le procureur général soutient qu'en faisant totalement abstraction de ce facteur, le protonotaire a apprécié faussement les faits; sa décision était donc manifestement erronée.

[25]            Le procureur général sollicite l'annulation des ordonnances du 16 février et du 25 février 2004 du protonotaire et la condamnation des demandeurs aux dépens.

Argumentation du Conseil de la Nation haïda (défendeur dans le cadre de la demande principale)

[26]            La Nation haïda a appuyé la position du procureur général, tout en faisant remarquer que différait l'historique de leur participation à tous deux dans le cadre de la présente demande.

[27]            La Nation haïda a soutenu que deux jours d'instruction ne suffiraient pas pour la présente affaire. Elle a également déclaré qu'elle renverrait à l'Entente Gwaii Haanas signée le 30 janvier 1993.

Argumentation de Moresby Explorers Ltd. et Douglas Gould (intimés dans le présent appel, demandeurs dans le cadre de la demande principale)

[28]            Les demandeurs soutiennent que la décision du protonotaire ne devrait pas être écartée, puisque le procureur général n'avait pas démontré, en fonction du seuil élevé requis, qu'elle était « manifestement erronée » .


[29]            Les demandeurs soutiennent que, contrairement aux prétentions du procureur général, il n'y a pas lieu de tirer de conclusions défavorables de la date où l'instance principale a été introduite ou de l'absence de contestation de la politique relative aux Haïdas dans le cadre des demandes antérieures. Les demandeurs déclarent, en premier lieu, que ces questions sont sans lien avec l'appel du procureur général. Ils affirment, en second lieu, que le dépôt a été effectué le 7 janvier 2004 en raison de problèmes d'organisation, et que les arguments de nature constitutionnelle ont été avancés pour la première fois dans la présente demande parce que ce n'est que depuis peu que la croissance de leur entreprise se voit restreindre par la politique relative aux Haïdas.

[30]            Selon les demandeurs, les arguments du procureur général reposent sur une qualification erronée des faits d'espèce. Premièrement, les demandeurs n'ont jamais déclaré qu'il « [traduction] n'y aurait pas de contre-interrogatoire » . Ils étaient plutôt d'avis que la présente affaire devrait pouvoir être instruite sans contre-interrogatoire. C'est uniquement lorsque les défendeurs ont dit désirer recourir à celui-ci que les demandeurs ont déclaré vouloir aussi contre-interroger les déclarants.


[31]            Les demandeurs soutiennent qu'aucun des arguments du procureur général ne résiste à l'analyse, plusieurs d'entre eux n'étant nullement étayés par la preuve ou n'ayant aucun lien avec les véritables questions en litige en appel. Selon les demandeurs, le seul motif du présent appel c'est que les dates fixées pour l'instruction ne cadrent pas avec l'emploi du temps de l'avocat du procureur général. Selon les demandeurs, on ne peut s'attendre à ce que la Cour soit assez souple pour s'adapter à l'emploi du temps de cet avocat, le procureur général dispose d'autres avocats pouvant plaider cette cause et ce dernier, en outre, pourrait retenir les services d'avocats de l'extérieur.

[32]            Les demandeurs sollicitent le rejet du présent appel, avec dépens sans égard à l'issue de l'instance.

Questions en litige

[33]            Voici les questions en litige :

1.          Quelle est la norme de contrôle judiciaire applicable à la décision du protonotaire?

2.          Faut-il accueillir l'appel interjeté à l'encontre des ordonnances du protonotaire?

Dispositions législatives et réglementaires applicables

[34]            Le paragraphe 8(1) des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106 autorise la Cour à proroger ou abréger tout délai prévu par les Règles :

8. (1) La Cour peut, sur requête, proroger ou abréger tout délai prévu par les présentes règles ou fixé par ordonnance.

8. (1) On motion, the Court may extend or abridge a period provided by these Rules or fixed by an order.


[35]            L'article 51 régit l'appel interjeté à l'encontre de l'ordonnance d'un protonotaire :

51. (1) L'ordonnance du protonotaire peut être portée en appel par voie de requête présentée à un juge de la Section de première instance.

51. (1) An order of a prothonotary may be appealed by a motion to a judge of the Trial Division.

Analyse et décision

[36]            1re question en litige

Quelle est la norme de contrôle judiciaire applicable à la décision du protonotaire?

Le juge MacGuigan s'est prononcé, dans Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.), sur le degré de retenue dont il y a lieu de faire preuve en appel face aux décisions d'un protonotaire :

[...] le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

a) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits,

b) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal.

Si l'ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.


Je suis d'avis, en appliquant aux deux ordonnances les critères énoncés dans Aqua-Gem, précitée, qu'il me faut exercer mon pouvoir discrétionnaire et reprendre l'affaire de novo, les ordonnances prononcées par le protonotaire étant manifestement erronées.

[37]            2e question en litige

Faut-il accueillir l'appel interjeté à l'encontre des ordonnances du protonotaire?

L'ordonnance du 16 février 2004 portant qu'il fallait recourir au processus accéléré d'audience à l'égard de la demande de contrôle judiciaire.

Voici le paragraphe 8(1) des Règles :

8. (1) La Cour peut, sur requête, proroger ou abréger tout délai prévu par les présentes règles ou fixé par ordonnance.

8. (1) On motion, the Court may extend or abridge a period provided by these Rules or fixed by an order.

En l'espèce, les demandeurs ont sollicité de la Cour le processus accéléré (c'est-à-dire, en ce qui concerne les délais pour certaines étapes). Dans un tel cas, la personne qui sollicite un mode accéléré d'instruction devrait établir le caractère urgent de la situation ou l'existence de tout autre motif justifiant l'octroi d'une ordonnance en ce sens.

[38]            Dans Office des pommes de terre de l'Île-du-Prince-Édouard c. Canada (Ministre de l'Agriculture) (1992), 56 F.T.R. 150 (1re inst.), une affaire où il était demandé de fixer un calendrier d'instruction accélérée, le juge Muldoon de notre Cour a déclaré ce qui suit (à la page 153) :


Le requérant n'a pas établi qu'il y avait extrême urgence en l'espèce, ou tout autre motif qui justifierait l'audition hâtive de la demande.

[39]            En l'espèce, le protonotaire a déclaré ce qui suit, au paragraphe 11 de sa décision :

[traduction]

La preuve est contradictoire quant à l'urgente nécessité d'une certaine modification du permis pour s'adapter à une augmentation prévue de la clientèle. Selon la prépondérance des probabilités, même si la baisse prévue de clientèle entraînait une perte de revenus ne pouvant jamais être recouvrée, les demandeurs n'ont pas prouvé l'existence d'un degré de certitude suffisant, puis à son tour d'un préjudice irréparable.

J'estime, en fonction de ce qui précède, que le protonotaire ne croyait pas au caractère urgent de la situation, du fait de la perte de clientèle, qui justifierait le recours au processus accéléré d'audience.

[40]            Je souscris à la conclusion du protonotaire quant à l'absence d'une situation d'urgence. La preuve a révélé que le quota d'utilisateurs des demandeurs pour les saisons touristiques de 2002, 2003 et 2004 était et est toujours de 2 372 jours-utilisateurs ou nuitées, par suite d'une décision antérieure de notre Cour. Anna Gajda déclare ce qui suit, aux paragraphes 7, 8 et 9 de son affidavit :

[traduction]

7. J'ai examiné les registres des visiteurs de MEL (Moresby Explorers Ltd.) pour la saison touristique 2003. J'en déduis que, bien que MEL n'ait pas vu ses activités restreintes, elle n'a dépassé la restriction en cause de 22 visiteurs par jour pendant aucun jour ouvrable en 2003.

8. Mon examen a également révélé qu'en moyenne, MEL a eu 7 clients par jour pour les excursions en bateau à moteur et 6 clients par jour pour les excursions de plusieurs jours.


9. J'ai également examiné l'information financière historique relative à MEL et je relève que celle-ci n'a pas obtenu pendant les deux dernières saisons, et encore moins dépassé, le nombre de visiteurs attribués. En 2003, ainsi qu'en 2002, MEL s'est vu attribuer 2 372 jours-utilisateurs ou nuitées, mais elle n'a atteint que le nombre de 1 749 en 2003 et de 1 808 en 2002. Cela étant, j'estime qu'il n'y a pas de raison de croire que MEL dépassera le quota pour l'année de 2 372 jours-utilisateurs ou nuitées et le quota de 22 clients par jour pour les excursions.

Les faits énoncés dans cet affidavit étayent, selon moi, la conclusion du protonotaire quant à l'absence d'urgence en raison d'éventuelles pertes commerciales.

[41]            Le protonotaire a ensuite conclu que les demandeurs ne subiraient pas un préjudice irréparable du fait d'une atteinte à leur droit à une instruction valable de leur cause. J'estime, comme le procureur général, que les demandeurs ne seront pas privés de comparaître en temps opportun, le protonotaire ayant conclu qu'il n'était pas urgent d'instruire la demande. Le calendrier prévu dans les Règles convient pour l'instruction de la demande de contrôle judiciaire.

[42]            La question à trancher dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire est celle de la constitutionnalité de la politique relative aux Haïdas. Celle-ci contrevient à l'article 15 de la Charte selon les demandeurs. C'est là, selon moi, une grave question juridique que les demandeurs n'ont pas soulevée lors des demandes antérieures. Le procureur général a déclaré devoir présenter une preuve relativement à la question de la Charte. Le protonotaire n'a pas tenu compte de cet aspect de l'affaire dans les motifs de son ordonnance, concluant qu'on avait réglé les questions de nature administrative dans les instances antérieures et qu'une seule journée d'audience suffirait.

[43]            Le protonotaire ayant conclu qu'il n'y avait pas nécessité urgente d'instruire la demande, je suis d'avis que sa décision de recourir au processus accéléré d'audience était manifestement erronée, au sens où on l'entend dans Aqua-Gem, précitée. L'appel relatif à l'ordonnance du 16 février 2004 est accueilli.

L'ordonnance du 25 février 2004 fixant aux 26 et 27 mai 2004 les dates d'instruction de la demande de contrôle judiciaire.

[44]            Après avoir établi un calendrier d'instruction accélérée, le protonotaire a tenu le 20 février 2004 une conférence téléphonique de gestion d'instance. Le Conseil de la Nation haïda a pris part à la téléconférence, même s'il n'était pas encore mis en cause à ce stade. Par lettre datée du 23 février 2004 ainsi que de vive voix lors de la téléconférence, l'avocat du procureur général a laissé savoir qu'en raison de comparutions prévues dans d'autres affaires, il ne pourrait être disponible les 26 et 27 mai 2004, les dates prévues pour l'instruction par le protonotaire. Par ordonnance du 25 février 2004, le protonotaire a ordonné que l'instruction débute le 26 mai 2004 et ait une durée de deux jours. L'avocat du procureur général avait précisé qu'il serait disponible pour l'instruction toute journée de la semaine du 10 mai et de celle du 31 mai 2004 ainsi que les 7, 21 et 28 juin 2004.


[45]            Puisqu'en l'espèce le protonotaire a conclu que la situation n'était pas urgente au point que s'avère nécessaire une audition accélérée, j'estime qu'il était manifestement erroné pour lui de fixer pour l'instruction des dates où l'avocat du procureur général, comme il l'avait précédemment mentionné, avait à comparaître dans d'autres affaires.

[46]            Pour ce motif, l'appel à l'encontre de l'ordonnance du 25 février 2004 est accueilli.

[47]            Certaines étapes ayant déjà été suivies à l'égard de la présente demande conformément au calendrier établi par le protonotaire, l'une ou l'autre partie pourra faire appel à la Cour si la transition entre les deux calendriers devait poser problème.

[48]            Les dépens suivront l'issue de la cause.

ORDONNANCE

[49]            LA COUR ORDONNE :

1.          L'appel interjeté par le procureur général, à l'encontre de l'ordonnance du 16 février 2004 par laquelle le protonotaire a prescrit l'instruction accélérée du contrôle judiciaire, est accueilli.

2.          L'appel interjeté par le procureur général, à l'encontre de l'ordonnance du 25 février 2004 par laquelle le protonotaire a fixé aux 25 et 26 mai 2004 les dates pour l'instruction du contrôle judiciaire, est accueilli.


3.          L'une ou l'autre partie pourra faire appel à la Cour si la transition de l'ancien à un nouveau calendrier devait occasionner un problème.

4.          Les dépens suivront l'issue de la cause.

                                                                            _ John A. O'Keefe _               

                                                                                                     Juge                            

Ottawa, Ontario

Le 23 avril 2004

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                                                     

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                             T-23-04

INTITULÉ :                            MORESBY EXPLORERS LTD. et

DOUGLAS GOULD

- et -

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et LA NATION HAÏDA

LIEU DE L'AUDIENCE :      Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :    Le 8 mars 204

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :           LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS

ET DE L'ORDONNANCE :

COMPARUTIONS :

Christopher Harvey, c.r.            POUR LES DEMANDEURS

Sean Gaudet                              POUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, DÉFENDEUR

Mary MacAuley                        POUR LA NATION HAÏDA, DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MacKenzie Fujisawa                 POUR LES DEMANDEURS

Vancouver (Colombie-Britannique)

Ministère de la Justice                POUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU

Vancouver (Colombie-Britannique)                   CANADA, DÉFENDEUR

Mandell Pinder                          POUR LA NATION HAÏDA, DÉFENDERESSE

Vancouver (Colombie-Britannique)


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