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Date : 20050727

Dossier : IMM-5804-04

Référence : 2005 CF 1035

Ottawa (Ontario), le 27 juillet 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

ENTRE :

                                                            BRAHIM AGALLIU

                                                           et HANKO AGALLIU

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                Il arrive parfois que des erreurs mineures figurant dans une décision écrite soient le résultat d'un manque d'attention. Il arrive aussi parfois qu'elles soient caractéristiques d'un travail bâclé de la part du décideur. C'est le cas en l'espèce.


[2]                [3]         M. Brahim Agalliu a demandé l'asile au Canada parce qu'il était victime de persécution politique en Albanie à cause de ses liens avec le Front national. Un tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande au motif qu'il ne disposait pas d'éléments de preuve fiables suffisants.

[4]                Je souscris à la deuxième prétention de M. Agalliu et je ferai droit à la présente demande de contrôle judiciaire.

I. Questions en litige

1. La Commission a-t-elle omis de rendre une décision impartiale et indépendante?

2. La décision de la Commission était-elle conforme à la preuve dont celle-ci disposait?

II. Analyse

A. La Commission a-t-elle omis de rendre une décision impartiale et indépendante?


[5]                La version anglaise de la Commission rejetant la demande de M. Agalliu compte dix pages. Vers la fin de la page 8 de la version anglaise, après une citation d'un expert des questions de l'Albanie, le professeur Austin, il y a cette note en caractères gras : « Ftn. 14 - Kate, what is footnote 14? » .

[6]                M. Agalliu prétend que cet étrange passage figurant dans les motifs indique que le décideur (dont le nom est apparemment « Kate » ) a eu de l'aide pour rédiger ses motifs, de sorte que son analyse et ses conclusions ont pu être influencés par une personne qui n'a pas entendu l'affaire.

[7]                L'assistante du membre de la Commission dit qu'on lui a demandé de placer une note de bas de page figurant plus loin à l'endroit de cette question, mais qu'elle a omis de le faire dans la version finale des motifs. Elle affirme qu'une erreur administrative s'est produite et a fait en sorte que les motifs ont été délivrés avec une mention de sa question au membre de la Commission et sans la bonne note de bas de page no 14.

[8]                Le fait que la note de bas de page no 14 proposée ne renvoie pas à la source dont est tirée la citation sur laquelle la Commission s'appuyait pose problème de toute façon. Je ne conclurais pas cependant de ce qui précède que le membre de la Commission n'a pas rendu une décision impartiale et indépendante concernant la demande de M. Agalliu. Il me semble plutôt que les motifs écrits ont été délivrés sans que la touche finale leur ait été apportée. Ce problème seul n'aurait pas justifié que la décision soit infirmée. En effet, un contrôle judiciaire ne peut être fondé sur un manque d'attention apporté à la version finale des motifs. Il y avait cependant d'autres problèmes.


B. La décision de la Commission était-elle conforme à la preuve dont celle-ci disposait?

[9]                M. Agalliu prétend que la Commission n'a pas bien analysé la preuve documentaire et n'a pas expliqué de manière appropriée pourquoi elle ne croyait pas sa versions des faits. Ayant passé le dossier et les motifs de la Commission en revue, je suis d'accord avec lui. J'ai constaté ce qui suit :

(i)          la Commission a cité un rapport de 2003 sur l'Albanie émanant du Département d'État américain, alors que c'est le rapport de 2004 qui lui avait été présenté;

(ii)         la Commission s'est appuyée sur le « Human Rights World Watch Report 2003 » (le titre étant plutôt « Human Rights Watch World Report 2003 » ) pour affirmer qu'aucune persécution politique n'était exercée en Albanie, alors qu'en fait le rapport fait état des efforts des autorités pour étouffer les critiques politiques formulées dans les médias;


(iii)        la Commission s'est appuyée sur un rapport intitulé « Albania: Save the Nation 2003 » (le titre étant plutôt « Albania: State of the Nation 2003 » ) pour conclure que les tensions politiques en Albanie s'étaient calmées, alors que le rapport indiquait également que les conflits politiques avaient paralysé le gouvernement albanais en 2002;

(iv)        la Commission a considéré que les opinions de trois experts sur l'Albanie contredisaient les allégations de persécution politique de M. Agalliu, alors que ces experts ont fait état de la violence politique grave qui sévissait en Albanie;

(v)         la Commission a conclu que M. Agalliu n'aurait pas été victime de persécution politique puisqu'il n'était pas suffisamment actif sur le plan politique pour attirer l'attention du Parti socialiste ou de la police. M. Agalliu a pourtant produit une preuve de son appartenance au Front national, une lettre d'un dirigeant de ce parti corroborant ses allégations de persécution et des rapports médicaux confirmant qu'il avait subi des blessures après avoir été battu. La Commission n'a pas cherché à savoir si M. Agalliu aurait pu avoir été persécuté à cause de sa prétendue affiliation politique, même s'il n'était pas particulièrement actif ou en vue;


(vi)        la Commission a conclu qu'il était peu probable que la police exerce des représailles contre M. Agalliu pour le punir d'avoir signalé que des membres du Parti socialiste étaient entrés dans son magasin par effraction. Elle n'a pas expliqué ce qui l'incitait à tirer pareille conclusion, se contentant d'affirmer que le fait que la police avait dissuadé M. Agalliu de porter des accusations ne concordait pas avec la preuve de ce dernier. Elle n'a cependant pas expliqué pourquoi.

[10]            Il est évident que les motifs de la Commission comportent un certain nombre d'erreurs mineures - dans les notes de bas de page et dans les renvois à la preuve documentaire. Les autres erreurs commises par la Commission et son défaut d'expliquer ses conclusions de manière appropriée sont cependant plus graves. Je suis convaincu que la Commission a omis de tenir compte d'éléments de preuve importants et n'a pas examiné pleinement la nature des allégations de M. Agalliu. Toutes ces erreurs m'amènent à conclure que la décision de la Commission n'était pas conforme à la preuve dont celle-ci disposait. Je dois par conséquent accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner la tenue d'une nouvelle audience devant un autre tribunal de la Commission.

[11]            Aucune partie ne m'a proposé une question de portée générale à des fins de certification et aucune question semblable n'est énoncée.


                                                                   JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la tenue d'une nouvelle audience devant un autre tribunal de la Commission est ordonnée.

2.          Aucune question de portée générale n'est énoncée.

                                                                                                                          « James W. O'Reilly »                    

                                                                                                                                                     Juge                                   

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                              IMM-5804-04

INTITULÉ :                                                             BRAHIM AGALLIU et HANKO AGALLIU

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                     LE 24 JUIN 2005

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                  LE JUGE O'REILLY

DATE DES MOTIFS :                                            LE 27 JUILLET 2005

COMPARUTIONS :

D. Clifford Luyt                                                          POUR LES DEMANDEURS

Matina Karvellas                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Czuma Ritter                                                              POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

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