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Date : 20010424

Dossier :IMM-5979-99

Référence neutre : 2001 CFPI 382

OTTAWA (ONTARIO), le mardi 24 avril 2001

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

JOZSEF OLAH et EVA TURU,

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

LE JUGE DAWSON


[1]         Jozsef Olah et sa conjointe, Eva Turu, sont des citoyens hongrois qui ont sans succès sollicité le statut de réfugié au sens de la Convention en se fondant sur leur origine ethnique Rom. Chacun a allégué craindre avec raison d'être persécuté par la police et par les skinheads en Hongrie. Ils présentent cette demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) a conclu, le 9 novembre 1999, qu'ils ne sont pas réfugiés au sens de la Convention.

LES FAITS

[2]         Les demandeurs ont relaté que, pendant qu'ils fréquentaient l'école, ils avaient eu des problèmes à cause de leur origine ethnique Rom et que les enseignants et leurs compagnons de classe les harcelaient. M. Olah a relaté un incident au cours duquel son jeune frère et lui, au milieu de l'année 1998, avaient été agressés par la police, leur voiture ayant été prise pour une voiture qui avait été impliquée dans un délit de fuite. M. Olah et sa conjointe ont également allégué avoir été attaqués par des skinheads en 1998 et qu'au cours de l'agression, M. Olah avait été battu.

[3]         Les demandeurs ont quitté la Hongrie le 18 septembre 1998. Ils sont arrivés au Canada ce jour-là et ils ont revendiqué le statut de réfugié dès leur arrivée.

[4]         La SSR a reconnu que les demandeurs étaient des Rom. Elle a ensuite examiné les trois cas dans lesquels M. Olah et sa conjointe avaient censément été persécutés en Hongrie : à l'école, par la police et par les skinheads.


[5]         Quant à la discrimination dont les demandeurs avaient été victimes à l'école, la SSR a conclu que les demandeurs n'avaient pas démontré qu'ils s'étaient vu [TRADUCTION] « refuser la possibilité de poursuivre leurs études » . M. Olah a témoigné au sujet de la raison pour laquelle il n'avait pas terminé ses études secondaires, mais la SSR a conclu que ses explications, à savoir qu'il n'était pas allé à l'école secondaire à cause des problèmes que sa mère avait eus 20 ans plus tôt, lorsqu'on ne l'avait pas laissée poursuivre ses études, n'étaient pas satisfaisantes.

[6]         Quant aux actes commis par la police, la SSR a conclu que l'histoire de M. Olah, à savoir qu'il avait été maltraité par la police au milieu de l'année 1998, n'était pas crédible. La formation a conclu que l'événement ne s'était pas produit.


[7]         Malgré cette conclusion, la SSR a ensuite analysé la preuve documentaire mise à sa disposition. Premièrement, elle a examiné la preuve fournie par l'avocat des demandeurs (et, en particulier, l'exposé que le Centre européen des droits des Rom avait présenté devant le Comité des Nations Unies sur la torture). La formation a fait une inférence à partir de cet exposé [TRADUCTION] « laquelle est conforme à l'inférence faite à partir d'autres rapports » , à savoir que [TRADUCTION] « la police expédie vite les Rom et n'a jamais pris de mesures en tant qu'élément de l'appareil étatique » . La formation a ensuite mentionné à plusieurs reprises la preuve fournie dans les arrêts-clés, selon laquelle [TRADUCTION] d' « importants changements [s'étaient] produits et se produis[aient] encore » . Plus précisément, elle a mentionné le témoignage du professeur Barany, à savoir que, depuis 1991, les agents de la paix avaient en général tendance à faire preuve de plus de vigilance en surveillant les agressions auxquelles les skinheads se livraient, et que le ministre de l'Intérieur avait fermement fait savoir à la police que les agents qui ne s'acquittaient pas de leurs fonctions seraient punis. La formation a également dit que la preuve relative aux arrêts-clés montrait également qu'un certain nombre de programmes de promotion sociale avaient été mis en oeuvre en ce qui concerne les relations entre les Rom et la police.

[8]         En se fondant sur cette analyse, la SSR a conclu que les demandeurs ne faisaient face à aucune possibilité sérieuse d'être persécutés par la police s'ils devaient retourner en Hongrie.

[9]         Quant à la question des skinheads, compte tenu des incohérences existant entre le témoignage que M. Olah avait présenté à l'audience et le Formulaire de renseignements personnels que celui-ci avait soumis (le FRP), la SSR ne croyait pas que l'événement auquel les skinheads auraient été mêlés se soit produit.

[10]       La SSR s'est ensuite demandé si des personnes qui se trouveraient dans une situation semblable à celle des demandeurs seraient persécutées par les skinheads. La formation a d'abord fait mention de la preuve soumise par l'avocat des demandeurs. Toutefois, elle a encore une fois préféré se fonder sur la preuve tirée des arrêts-clés, à savoir que 1 000 skinheads et néo-nazis tout au plus étaient actifs en Hongrie et que le nombre d'agressions commises par les skinheads avait diminué de beaucoup au cours des dernières années. La formation a conclu qu'il n'existait pas plus qu'une simple possibilité que les demandeurs ou d'autres individus se trouvant dans une situation similaire soient attaqués par des skinheads.


LES POINTS LITIGIEUX

[11]       L'avocat des demandeurs a soulevé cinq points sur lesquels la SSR aurait censément commis une erreur susceptible de révision. Il s'agit des erreurs ci-après énoncées :

1.                    la SSR n'a pas effectué d'analyse indépendante de la revendication d'Eva Turu;

2.                    la SSR a commis une erreur en incorporant des faits tirés d'arrêts-clés;

3.                    les conclusions que la SSR a tirées au sujet de la crédibilité étaient abusives;

4.                    la SSR n'a pas tenu compte d'éléments de preuve pertinents en ce qui concerne la question de la situation existant dans le pays;

5.                    la SSR a commis une erreur en appliquant un mauvais critère à l'égard de la question de la situation existant dans le pays.

[12]       À l'audience, l'avocat des demandeurs a honnêtement fait savoir qu'il ne poursuivrait pas l'argument avancé dans les observations écrites, à savoir que la SSR avait commis une erreur lorsqu'elle avait délégué d'une façon illégale ses pouvoirs décisionnels en se fondant sur une décision « type » normalisée concernant les intéressés Rom hongrois.

ANALYSE

[13]       Les conclusions que la SSR a tirées au sujet de la crédibilité sont essentielles à la décision de cette dernière; je commencerai mon analyse en traitant de cette question.


(1)                 Les conclusions que la SSR a tirées au sujet de la crédibilité étaient-elles abusives?

[14]       Il a été soutenu que la première conclusion défavorable de crédibilité était fondée sur les contradictions existant entre le FRP et le témoignage oral de M. Olah en ce qui concerne les éléments de preuve se rapportant à l'événement auquel la police avait été mêlée.

[15]       Dans le FRP de M. Olah, l'événement est ainsi décrit :

[TRADUCTION]

Un jour, vers le milieu de l'année 1998, j'ai amené mon frère cadet Zoltan, qui a treize ans, chez McDonalds. Au moment même où nous arrivions à la maison dans ma voiture et où je me garais devant la maison, une voiture de police s'est arrêtée à côté de nous et cinq policiers se sont élancés en dehors. Ils ont tiré mon frère en dehors de la voiture, ils l'ont fait trébucher de façon qu'il tombe à terre; ils l'ont ensuite poussé contre la voiture. Lorsque j'ai élevé la voix pour leur demander de laisser partir mon frère étant donné qu'il n'avait que treize ans, ils m'ont poussé contre le capot de la voiture et ils se sont mis à me frapper la tête contre le capot.

[16]       Au cours du témoignage oral, l'événement a été décrit comme suit :

[TRADUCTION]

L'INTÉRESSÉ :                       Voici ce qui m'est arrivé, lorsque nous avons garé la voiture devant la maison, une voiture de police s'est arrêtée près de nous et cinq policiers se sont élancés en dehors. Ils nous ont tirés en dehors de la voiture, d'une façon fort brutale.

Et ils m'ont pour ainsi dire poussé contre le capot. Mon petit frère a également été tiré en dehors de la voiture, et pendant qu'ils le tiraient en dehors, il a pris peur car il ne savait pas ce qui se passait. Lorsqu'ils l'ont tiré en dehors de la voiture, ils l'ont fait trébucher et il a perdu - il a perdu -

M. JOAKIM :                          Il a perdu pied?

L'INTERPRÈTE : C'est bien cela. Merci.


[17]       L'un des membres de la formation, M. Wilson, a carrément signalé l'incohérence à M. Olah :

[TRADUCTION]

M. WILSON :                          Revenons un peu en arrière. Dans votre Formulaire de renseignements personnels, vous avez dit que lorsque les policiers sont sortis de leur voiture, ils ont tiré votre frère en dehors de la voiture.

L'INTÉRESSÉ :                       Oui.

M. WILSON :                          Ils l'ont fait trébucher et il est tombé à terre, et ils l'ont ensuite poussé contre la voiture.

L'INTÉRESSÉ :                       C'est exact.

M. WILSON :                          Ils l'ont fait trébucher, il est tombé à terre, et ils l'ont ensuite poussé contre la voiture.

L'INTÉRESSÉ :                       Oui, oui.

M. WILSON :                          Qui a-t-on fait d'abord sortir de la voiture, vous ou votre frère?

L'INTÉRESSÉ :                       Je n'y ai pas trop fait attention. À ma connaissance, c'était moi, mais je ne me rappelle pas exactement.

M. WILSON :                          Ouais, mais l'histoire que vous nous racontez maintenant donne à entendre que l'on a fait sortir votre frère et que vous avez ensuite élevé la voix, en exigeant qu'ils laissent partir votre frère cadet, et qu'ils vous ont ensuite poussé contre le capot de la voiture. Que vous rappelez-vous à ce sujet?

L'INTÉRESSÉ :                       Je ne sais pas de quelle façon l'histoire est traduite. Pourquoi feraient-ils d'abord sortir mon frère puisque c'était moi qui conduisais la voiture?

[18]       Au début de l'audience, la formation avait confirmé auprès de M. Olah l'exactitude de son FRP, qu'il savait ce qui y était déclaré et que le FRP lui avait été lu en hongrois avant qu'il le signe.


[19]       Dans ces conditions, la formation a conclu ce qui suit : [TRADUCTION] « Étant donné qu'il s'agit d'une seulement de deux agressions précises que l'intéressé a décrites dans son histoire et que c'est la seule agression mettant en cause la police et puisque cet événement s'est produit l'an dernier (au milieu de l'année 1998), la formation fait une inférence défavorable à partir de l'histoire incohérente que l'intéressé a racontée. » À mon avis, cette conclusion n'est aucunement abusive.

[20]       Quant à la deuxième conclusion relative à la crédibilité, la formation a dit ce qui suit :

[TRADUCTION]

Lorsqu'on lui a demandé quelles blessures il avait subies, il a répondu qu'il avait eu des ecchymoses mineures que sa mère et sa conjointe avaient traitées. Il n'a pas cherché à avoir des soins médicaux. Par la suite, au cours de la déposition qu'il a obtenue, l'agent chargé de la revendication (l'ACR) a rappelé à l'intéressé que, dans l'exposé figurant dans son FRP, il avait déclaré que, pendant deux semaines, il n'avait pas pu travailler à cause de l'agression; pourtant, l'intéressé a témoigné de vive voix n'avoir subi que des blessures mineures. Il a ensuite ajouté qu'il avait en outre subi des blessures plus graves. Il a affirmé avoir été blessé au coude, au genou gauche, à la taille et à la jambe. L'ACR a signalé que, dans l'exposé figurant dans son FRP, l'intéressé avait déclaré que, pendant deux semaines, il n'avait pas pu travailler parce qu'il avait mal au poignet et que son poignet était enflé. L'intéressé a dit que, lorsqu'il parlait de son coude, il voulait dire qu'il avait mal au bras, du coude au poignet.

Il s'agit d'une description juste et exacte de la preuve. La SSR a ensuite dit ce qui suit :

[TRADUCTION]

Comme c'est le cas pour le témoignage incohérent qu'il a présenté au sujet de la présumée agression à laquelle les policiers s'étaient livrés, la formation n'est pas convaincue que l'intéressé ait dit la vérité au sujet de l'agression commise par les skinheads. Encore une fois, il s'agissait seulement d'une de deux agressions dont il avait personnellement été victime environ un an plus tôt. Il n'est pas raisonnable qu'il parle de son poignet dans sa déposition écrite et qu'il omette ensuite d'en parler en décrivant les blessures qu'il a subies à quatre autres parties du corps, compte tenu du fait en particulier que c'était son poignet enflé qui l'avait empêché de travailler pendant deux semaines. Si l'on tient en outre compte des témoignages incompatibles qu'il a présentés, à savoir d'une part qu'il n'avait eu que de légères ecchymoses et d'autre part qu'il avait été grièvement blessé, nous concluons selon la prépondérance des probabilités que, contrairement à ce qu'ils allèguent, ni l'un ni l'autre des intéressés n'ont été victimes d'agressions de la part des skinheads.

À mon avis, la SSR n'a commis aucune erreur susceptible de révision en tirant cette conclusion.


[21]       Compte tenu des conclusions que la SSR a tirées au sujet de la crédibilité, le seul élément établissant un lien entre les demandeurs et la preuve documentaire se rapportait au fait que la formation reconnaissait que ces derniers étaient des Rom.

[22]       Je passerai maintenant à l'assertion selon laquelle la SSR a commis une erreur en incorporant des faits tirés des arrêts-clés.

(2)                 La SSR a-t-elle commis une erreur en incorporant des faits tirés des arrêts-clés?

[23]       En soulevant cet argument, on a accordé une importance particulière à la décision que Monsieur le juge MacKay a rendue dans l'affaire Osadolor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 87, IMM-2239-99 (20 janvier 2000) (C.F. 1re inst.) ainsi qu'à l'arrêt Procureur général du Canada c. Pompa (1994), 94 DTC 6630 (C.A.F.).

[24]       J'ai minutieusement lu les motifs de la formation et je souscris à l'avis selon lequel la SSR a décidé de se fonder sur la preuve et sur les conclusions tirées des arrêts-clés dans la mesure où ces conclusions se rapportaient à la situation existant dans le pays. Toutefois, je retiens l'argument du défendeur selon lequel je ne dispose d'aucun élément de preuve me permettant de conclure que les documents sur lesquels la SSR s'est fondée en ce qui concerne les arrêts-clés n'étaient pas énumérés dans la liste de documents communiqués par l'ACR. Aucun élément de preuve ne donnait à entendre que les documents communiqués par l'ACR n'avaient pas été mis à la disposition des demandeurs ou de leur avocat avant l'audience qui a eu lieu devant la SSR.


[25]       La formation ne peut pas carrément incorporer des conclusions de fait tirées d'autres cas, mais elle peut se fonder sur le raisonnement qu'une formation a effectué au sujet de la même preuve documentaire en vue d'arriver à une conclusion au sujet de la situation générale existant à peu près au même moment dans un pays (voir : Koroz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 9 Imm. L.R. (3d) 12 (C.A.F.)).

[26]       Je conclus qu'il est possible de faire une distinction entre les circonstances de la présente espèce et celles qui ont été examinées dans les affaires Osadolor et Pompa et que la SSR n'a pas omis de se fonder sur son propre jugement.

(3)                 La SSR a-t-elle omis de tenir compte d'éléments de preuve pertinents se rapportant à la situation existant dans le pays?

[27]       Les demandeurs ont signalé ce qu'ils ont qualifié [TRADUCTION] d' « avalanche d'éléments de preuve dont il n'a pas été tenu compte » et ont affirmé qu'il ne suffit pas pour la SSR de [TRADUCTION] « reconnaître l'existence d'éléments de preuve contradictoires » . En particulier, les demandeurs ont critiqué la conclusion suivante de la formation : [TRADUCTION] « [N]ous ne sommes pas convaincus que les quelques cas que le groupe d'intervention connu sous le nom de CEDR a notés démontrent que les policiers se livraient à des agressions systématiques soutenues à l'endroit des Rom. » Selon eux, la formation a ainsi omis de tenir compte d'éléments de preuve établissant que, dans bien des cas, les agressions auxquelles la police se livre ne sont pas signalées.


[28]       La SSR a de fait fourni des motifs en vue d'expliquer pourquoi elle préférait la preuve sur laquelle elle s'était fondée à celle qui avait été présentée par les demandeurs. La formation a expressément mentionné le fait que le suivi par le Comité des Nations Unies sur la torture à l'exposé présenté par le Centre européen des droits des Rom (sur lequel l'avocat des demandeurs s'est fondé) n'avait pas été fourni et elle a dit qu'il était [TRADUCTION] « difficile d'apprécier l'objectivité d'un rapport lorsqu'un groupe d'intervention rencontre un représentant de l'État et que c'est l'une des parties à la discussion qui a rédigé le rapport » . De plus, la SSR a conclu que la preuve présentée par les demandeurs était conforme aux inférences qui étaient faites à l'aide d'autres documents dont elle disposait.

[29]       J'aurais peut être soupesé la preuve d'une façon différente, mais l'appréciation de la preuve relève à juste titre de la compétence de la SSR. On n'a pas réussi à me convaincre qu'il n'était pas loisible à la SSR d'apprécier la preuve comme elle l'a fait.

(4)                 La SSR a-t-elle commis une erreur en appliquant un critère inexact à l'égard de la situation existant dans le pays?


[30]       En se fondant sur la preuve documentaire relative au fait que depuis quelques années, les skinheads se livrent à un nombre de moins en moins grand d'agressions, la SSR a conclu ce qui suit : [TRADUCTION] « Le fait qu'une personne pourrait être au mauvais endroit au mauvais moment et qu'elle serait victime d'une agression de la part des skinheads rend pareille agression fortuite plutôt que d'en faire une agression systématique soutenue. » Les demandeurs ont affirmé qu'en tirant cette conclusion, la SSR a commis une erreur. Il est soutenu que les demandeurs n'étaient pas victimes d'actes fortuits de terrorisme, mais plutôt qu'ils sont membres d'un groupe expressément visé que l'État ne peut pas protéger.

[31]       La SSR a employé un libellé fâcheux puisque cela donnait à entendre que la formation comprenait mal le risque que les skinheads présentent pour les groupes minoritaires. Toutefois, la remarque de la SSR doit être interprétée dans son contexte. Cette remarque suit l'examen de la preuve dont la formation disposait, à savoir que le nombre de skinheads, en Hongrie, avait baissé et que le nombre d'agressions signalées commises par les skinheads avait baissé (il n'y en a eu que deux en 1998) ainsi que la conclusion suivante : [TRADUCTION] « [É]tant donné que la population Rom s'élève à plus d'un demi-million et qu'elle est répartie ici et là en Hongrie et étant donné qu'il y a tout au plus 1 000 skinheads, qui sont presque tous concentrés à Budapest, et puisque le nombre d'agressions de la part des skinheads a diminué au cours des dernières années, la formation conclut qu'il n'y a pas plus qu'une simple possibilité que les intéressés ou d'autres personnes qui se trouvent dans une situation similaire soient victimes d'agressions de la part des skinheads. »

[32]       Par conséquent, la SSR n'a pas mal compris la nature de la menace que présentaient les skinheads; je conclus plutôt qu'elle a fait des remarques au sujet de la probabilité que des actes de persécution soient commis.


(5)                 La SSR a-t-elle omis d'effectuer une analyse indépendante de la revendication d'Eva Turu?

[33]       En plus de la crainte qu'elle a exprimée en ce qui concerne la police et les skinheads, Mme Turu a décrit dans son FRP les problèmes qu'elle avait eus à l'école. Lorsqu'elle avait onze ans et qu'elle était en quatrième année, on évitait Mme Turu et deux autres élèves Rom et on les ridiculisait; on les appelait [TRADUCTION] « les tziganes qui puent » . À un moment donné, Mme Turu a eu une grave ecchymose après qu'un garçon, à l'école, lui eut donné un coup de pied à la poitrine. Le directeur a refusé de donner suite à la plainte, car il refusait apparemment de croire Mme Turu.

[34]       En outre, Mme Turu a déclaré dans son FRP qu'elle n'avait pas poursuivi ses études après être allée à l'école élémentaire parce qu'une école ne l'avait pas admise et que, même si une autre école l'avait admise, elle y aurait été l'unique élève Rom et qu'elle craignait d'avoir des problèmes.

[35]       Il a été soutenu que, dans ses motifs, la formation n'a pas expressément examiné cet élément de preuve et Mme Turu a donc affirmé que la SSR avait commis une erreur en omettant d'apprécier le risque qu'elle courait d'être persécutée indépendamment du risque auquel faisait face son mari, le demandeur principal.


[36]       Je suis convaincue que la SSR a examiné séparément la revendication de Mme Turu. La SSR a expressément traité du risque que Mme Turu courait d'être persécutée par la police et par les skinheads.

[37]       Quant au fait que la SSR n'a pas mentionné les problèmes que Mme Turu avait eus à l'école, voici ce que le président de l'audience a dit avant que Mme Turu témoigne devant la SSR :

[TRADUCTION]

M. JOAKIM :                          Eh bien, je crois que nous avons parlé avec l'intéressé d'un bon nombre d'événements qui sont probablement pour le moins semblables aux problèmes dont Eva parle dans son formulaire. Cependant, s'il y a quelque chose en particulier que vous voulez ajouter au nom de l'intéressée, je vous prie de le faire. Je crois que nous reconnaissons - nous avons été saisis de nombreux cas dans lesquels des Rom étaient en cause. Nous reconnaissons qu'il existe de la discrimination à l'école.

On a alors demandé à l'avocat de fournir des éléments de preuve additionnels. C'est ce que l'avocat a fait, mais aucun élément ne se rapportait à l'événement et aux problèmes qui s'étaient produits à l'école. La SSR a tenu compte de la preuve présentée par Mme Turu dans son FRP et a informé Mme Turu qu'elle considérait que les problèmes qu'elle avait eus à l'école constituaient de la persécution. Dans ses motifs, la formation a dit ce qui suit : [TRADUCTION] « La formation a concédé, en ce qui concerne les deux intéressés, qu'en Hongrie, il y a de la discrimination contre les Rom dans le système scolaire. »


[38]       Étant donné les remarques précitées que la formation a faites à l'audience et dans ses motifs, contrairement à ce qu'a soutenu Mme Turu, la SSR n'a pas commis d'erreur à mon avis en statuant simplement sur le cas de celle-ci compte tenu des motifs qu'elle avait exprimés dans le cas du mari, en ne prononçant pas de motifs distincts à l'appui du rejet de la revendication ou en omettant de tenir compte du risque de persécution.

CONCLUSION

[39]       Malgré les habiles arguments invoqués par l'avocat des demandeurs, j'ai conclu qu'il n'existe en droit aucun fondement autorisant la Cour à modifier la décision de la SSR. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[40]       L'avocat des demandeurs a soumis trois questions aux fins de la certification :

[TRADUCTION]

1.                    La SSR excède-t-elle sa compétence lorsqu'elle incorpore des éléments de preuve, comme un témoignage oral ou une preuve documentaire, ou des conclusions de fait particulières, tirés d'un autre cas sur lequel elle a statué lorsque la preuve même tirée de pareil cas n'est pas fournie à l'intéressé et n'est pas incluse dans le dossier du tribunal soumis à la Cour fédérale, mais que l'on se contente simplement de fournir et de produire un « répertoire » descriptif de ces éléments de preuve?

2.                    Le recours à un « arrêt-clé » visant à établir des conclusions de fait à l'égard de la situation existant dans le pays et de la protection fournie par l'État, sur lesquelles d'autres formations de la SSR se fondent, sans que tous les détails se rapportant à l'origine et aux paramètres de l' « arrêt-clé » soient donnés dans le dossier du tribunal, donne-t-il lieu à une crainte raisonnable de partialité, constitue-t-il un refus d'accorder une audience équitable ou va-t-il de quelque autre façon à l'encontre de l'économie de la Loi sur l'immigration et de la compétence que possède la SSR en vertu de cette loi?

3.                    Des agressions physiques, des menaces ou des lésions à l'intégrité et au bien-être physiques et psychologiques d'une personne, ou des menaces sérieuses de lésions, lesquelles sont fondées sur des caractéristiques raciales identifiables de la victime et en découlent, peuvent-elles constituer de la « discrimination » ou s'agit-il invariablement d'actes de « persécution » au sens de la définition du terme « réfugié » ?

[41]       Le défendeur s'est opposé à la certification de quelque question que ce soit.


[42]       En ce qui concerne les questions proposées par les demandeurs, je conclus ce qui suit :

Première question :

Les demandeurs ne se sont pas opposés à la procédure que la SSR a suivie à l'audience à l'égard du répertoire descriptif. Dans ces conditions, et compte tenu de la décision que la Cour d'appel fédérale a récemment rendue dans l'affaire Koroz, précitée, je ne crois pas qu'il s'agisse d'une question grave de portée générale.

Deuxième question :

À mon avis, cette question n'a rien à voir avec les faits de l'espèce.

Troisième question :

Comme elle pouvait à bon droit le faire, la SSR ne croyait pas que les demandeurs aient été attaqués par la police ou par les skinheads. À mon avis, cette question n'est donc pas fondée sur la preuve.

[43]       Par conséquent, aucune question n'est certifiée.


JUGEMENT

[44]       PAR LES PRÉSENTES, LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Eleanor R. Dawson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad .a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :                                                               IMM-5979-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                              Jozsef Olah et autre

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                   Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                 le 3 novembre 2000

MOTIFS DU JUGEMENT ET

JUGEMENT PAR :                                                              MADAME LE JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                                                         le 24 avril 2001

ONT COMPARU

Rocco Galati                                                                           POUR LES DEMANDEURS

James Brender                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Galati, Rodrigues & Associés                                                 POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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