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     T-2304-96

OTTAWA (ONTARIO), LE 24 OCTOBRE 1997

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RICHARD

Entre :

     ÉNERGIE ATOMIQUE DU CANADA LIMITÉE,

     requérante,

     - et -

     ROYA SHEIKHOLESLAMI,

     intimée,

     - et -

     CLIVE McKEE,

     intimé.

     ORDONNANCE

     LA COUR,

     VU le recours tendant à l'annulation de la décision de Clive McKee en date du 24 septembre 1996,


     ORDONNE le rejet du recours en contrôle judiciaire, sans dépens.

     Signé : John D. Richard

     ________________________________

     Juge

Traduction certifiée conforme      ________________________________

     F. Blais, LL. L.

     Date : 19971024

     Dossier : T-2304-96

Entre :

     ÉNERGIE ATOMIQUE DU CANADA LIMITÉE,

     requérante,

     - et -

     ROYA SHEIKHOLESLAMI,

     intimée,

     - et -

     CLIVE McKEE,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge RICHARD

La nature de l'instance

[1]      La requérante sollicite une ordonnance annulant les dispositions suivantes d'une décision en date du 24 septembre 1996 de M. Clive McKee :

     a)      disposition relative au taux de rémunération;
     b)      disposition relative à l'indemnité à payer à l'intimée pour la période allant de la cessation d'emploi au 31 août 1994;
     c)      disposition relative à l'accumulation de la paie de vacances et des congés pour affaires personnelles, au droit et à l'admissibilité à cette paie;
     d)      disposition relative à la somme à payer à titre d'indemnités à un témoin, le Dr Wolfgang Schamberger;
     e)      disposition relative aux intérêts courus sur les sommes ci-dessus;
     f)      disposition relative au quantum des retenues à opérer par la requérante sur les sommes ci-dessus.

[2]      Le recours est fondé sur les motifs suivants, savoir :

     a)      que par sa décision du 24 septembre 1996, l'arbitre a outrepassé sa compétence;
     b)      que l'arbitre a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait;
     c)      que sa décision était manifestement déraisonnable.

Les faits de la cause

[3]      En novembre 1990, l'intimée Mme Sheikholeslami fut engagée à titre d'ingénieur chimiste, au niveau CSE-2, par Énergie Atomique du Canada Limitée (ÉACL) qui l'affectait aux recherches scientifiques dans ses laboratoires de Chalk River. Le 5 janvier 1993, elle était au travail quand elle a glissé sur du verglas et est tombée en arrière, heurtant le sol de son coccyx. Elle en a subi une blessure grave dans la région lombaire, qui lui faisait très mal, au point qu'elle ne pouvait marcher. Par suite, elle a reçu des prestations de la Commission des accidents du travail de l'Ontario (CAT).

[4]      En juin 1993, un conseiller en réadaptation professionnelle de la CAT conclut que ÉACL pourrait facilement s'arranger pour la reprendre au travail compte tenu de son état. Mme Sheikholeslami contesta cette conclusion de la CAT qu'elle fût en mesure de reprendre le travail, soutenant qu'elle était dans l'incapacité totale de travailler.

[5]      Le 16 novembre 1993, ÉACL informe Mme Sheikholeslami qu'elle devait reprendre le travail conformément à la décision de la CAT, au 1er décembre 1993 au plus tard, faute de quoi elle serait considérée comme ayant quitté son emploi. Mme Sheikholeslami a demandé un certain délai pour produire à ÉACL et à la CAT d'autres attestations médicales sur son invalidité.

[6]      La CAT a refusé de voir dans ces nouvelles attestations médicales la preuve d'une invalidité permanente. ÉACL a informé Mme Sheikholeslami que si elle continuait à s'absenter malgré la conclusion de la CAT qu'elle était capable de travailler, il serait mis fin à son emploi à compter du 16 décembre 1993. Par la suite, ÉACL l'a informée qu'en raison de son refus de reprendre le travail, son emploi a pris fin à ce moment même.

[7]      Le 11 janvier 1994, Mme Sheikholeslami dépose une plainte de congédiement injuste en application de l'article 240 du Code canadien du travail1, pour demander la réintégration dans son ancien poste et un rappel de salaires et d'avantages sociaux. Le 17 octobre 1995, s'ouvre à Vancouver une audience qui devait durer quatre jours, au cours de laquelle la plainte de Mme Sheikholeslami a été entendue par M. Hugh R. Jamieson.

La décision Jamieson

[8]      Par décision en date du 28 décembre 1995, M. Jamieson a conclu qu'elle avait été injustement congédiée mais lui a refusé sa réintégration. Le poste qu'elle occupait impliquait un haut degré de confiance et de dépendance. Selon l'arbitre, les relations entre les parties se sont détériorées à un tel point qu'il ne saurait plus être question d'emploi. À la place, il lui a accordé des indemnités sous cinq chefs comme suit :

     [TRADUCTION]

     1)      Rappel de salaires et d'avantages sociaux depuis la cessation d'emploi jusqu'au 31 août 1994         
         " la plaignante a droit à la rémunération et aux avantages sociaux qu'elle aurait touchés, n'eût été son congédiement injuste, de la date de la cessation de son emploi au 31 août 1994. Pour plus de clarté, cette somme sera calculée en fonction de son traitement normal et comprendra toute augmentation statutaire ou autre à laquelle elle aurait eu droit pendant cette période " Les avantages sociaux comprendront, le cas échéant, les vacances, les jours fériés, les congés pour affaires personnelles, les congés mobiles et les congés d'ancienneté, ainsi que tout autre avantage attaché à son emploi et auquel la plaignante aurait eu droit n'eût été son congédiement. Cette somme sera soumise aux règles normales de limitation "         
     2)      Six mois de salaires tenant lieu de réintégration, au taux applicable au 31 août 1994         
         " la plaignante recevra une somme équivalente à six mois de salaires au taux applicable au 31 août 1994, laquelle somme tiendra lieu de réintégration "         
     3)      Indemnité de cessation d'emploi, à raison d'une semaine de salaires par année de service plus une somme au prorata pour la période restante, inférieure à une année de service         
         Elle recevra aussi une indemnité de cessation d'emploi, à raison d'une semaine de salaires par année de service plus une somme au prorata pour la période restante, inférieure à une année de service.         
     4)      Les frais entre parties, subis par Mme Sheikholeslami à l'occasion de cette plainte         
         ÉACL remboursera à la plaignante les frais entre parties de la plainte.         
     5)      Intérêts payables par ÉACL au taux mensuel de 1 p. 100 à compter de la date de la décision         
         " ÉACL sera tenue aux intérêts au taux mensuel de 1 p. 100 à compter de la date de cette décision.         

[9]      M. Jamieson retient sa compétence sur la question du quantum des indemnités à payer à Mme Sheikholeslami et sur toute question découlant des mesures de réparation qu'il a ordonnées. Les parties n'ont pu s'entendre sur le quantum des indemnités.

Contrôle judiciaire de la décision Jamieson

[10]      Mme Sheikholeslami s'est pourvue en justice pour faire annuler les dispositions de la décision Jamieson qui portaient rejet de sa demande de réintégration, rejet de sa demande de dommages-intérêts pour perte de salaires et d'avantages sociaux, et rejet de sa demande d'intérêts sur les dommages-intérêts.

[11]      Le 29 novembre 1996, le juge Rouleau a jugé qu'il n'était question dans cette décision d'aucune preuve qui permît de conclure que les relations entre les parties s'étaient détériorées au point d'exclure toute possibilité de réintégration. Et que la décision de l'arbitre était entièrement fondée sur l'observation qu'il faisait des parties durant les quatre jours d'audience. Pareil motif n'est pas suffisant.

[12]      Le juge Rouleau a renvoyé l'affaire pour réexamen de la question de la réintégration dans le sens des motifs de sa décision. Il a rejeté le recours sous les autres chefs. Cette décision a été portée en appel par ÉACL2.

La décision McKee

[13]      M. Jamieson n'ayant pu poursuivre les audiences pour des raisons de santé, le ministre du Travail a, le 17 juin 1996, désigné M. Clive McKee comme arbitre chargé de trancher les questions laissées encore pendantes à la suite de la décision de M. Hugh Jamieson.

[14]      Les parties sont convenues de procéder par conclusions écrites, basées sur la décision Jamieson. M. McKee a rendu publique sa propre décision le 24 septembre 1996.

[15]      Il y a fait l'observation liminaire suivante :

     [TRADUCTION]

     Bien que M. Jamieson ait retenu sa compétence en la matière afin de résoudre toutes questions auxquelles pourrait donner lieu sa décision, dont toute difficulté dans l'exécution ou le calcul des indemnités, il est tombé malade entre-temps et ne peut plus s'occuper de l'affaire. Ce qui explique ma désignation à titre d'arbitre en l'espèce.         

[16]      Il a cité la décision de M. Jamieson pour en dégager le dessein et pour examiner s'il y avait des raisons de fond qui expliquaient le long retard dans le paiement des indemnités à la plaignante.

[17]      Il a ensuite conclu en ces termes :

     [TRADUCTION]

     Après lecture de la décision du distingué arbitre, j'en viens aux conclusions suivantes :         
     1.      M. Jamieson est un arbitre d'expérience et je vois bien qu'il a mûrement réfléchi à la décision dans son ensemble ainsi qu'à ses multiples facettes.         
     2.      Je n'ai pour fonctions que de lire sa décision et de découvrir, à la lumière de ma longue expérience, quel était son dessein au moment où il l'a prononcée. Je n'ai certainement pas pour fonctions de modifier quelque partie que ce soit de cette décision. Que l'avocat de la plaignante et moi-même y souscrivions ou non, elle n'est certainement pas en cause et je ne rendrai aucune décision qui ait pour effet d'en modifier le sens de quelque façon que ce soit.         
     3.      La démarche suivie par le distingué arbitre m'apparaît bien claire :         
     a)      Il n'a pas ordonné la réintégration de la plaignante.         
     b)      Il a effectivement ordonné le paiement d'une somme à calculer en fonction de son taux de rémunération, pour une certaine période. Cette somme ne devait pas comprendre les heures supplémentaires, mais il a décidé en outre que la plaignante recevrait, le cas échéant, la paie de vacances, jours fériés, congés pour affaires personnelles, congés mobiles et congés d'ancienneté " ainsi que tout autre avantage attaché à son emploi et auquel la plaignante aurait eu droit n'eût été son congédiement ". À titre de limitation, il a décidé que ces sommes ne porteraient pas intérêts.         
     c)      Il a aussi accordé à la plaignante une somme forfaitaire, équivalente à six mois de salaires, au lieu de la réintégration, ainsi qu'une indemnité de cessation d'emploi à raison d'une semaine de salaires par année de service plus une somme au prorata pour la période restante, inférieure à une année de service. À cette fin, il a décidé qu'une semaine de salaires équivalait à ce que la plaignante aurait touché à la date du 31 août 1994, et qu'elle était réputée avoir travaillé sans interruption depuis le 26 novembre 1990, date de son engagement, jusqu'au 31 août 1994.         
     d)      Il a également examiné la question des frais se rapportant directement à la plainte et a ordonné à ÉACL d'en rembourser la plaignante.         
     e)      Il a ordonné en outre à ÉACL de verser à la plaignante un intérêt au taux mensuel de 1 p. 100 sur la somme payable à cette dernière pour tenir lieu de réintégration et sur les frais.         
     On ne peut que conclure de la décision ci-dessus que le distingué arbitre a, dans sa décision, longuement réfléchi à chaque mesure ordonnée et qu'il s'est prononcé sur la somme à payer sous chaque chef.         
     Il appert qu'il comprenait parfaitement les répercussions de chaque mesure ordonnée dans sa décision; je n'ai donc ni besoin ni surtout compétence pour ce qui est de modifier ou même d'affiner ses conclusions.         

[18]      M. McKee a retenu sa compétence en la matière et, en particulier, sur toute question découlant de sa décision.

[19]      Dans cette décision, il s'est prononcé sur chacune des questions dont il était saisi :

     [TRADUCTION]

     a)      Le taux annuel de rémunération a été fixé comme suit :
         i) de la cessation d'emploi au 1er juillet 1994 : 55 800,00 $;

         ii) après le 1er juillet 1994 : 59 400,00 $.

     b)      M me Sheikholeslami a droit à l'intégralité du salaire qu'elle aurait touché si elle avait effectivement travaillé durant la période allant de la date de la cessation d'emploi au 31 août 1994.
     c)      Elle a droit, sans aucune déduction, à une somme équivalente à son droit aux congés suivants :
         i) congé annuel au 1er avril 1993 : 20 jours;
         ii) congé pour affaires personnelles au 1er avril 1993 : 2 jours;
         iii) congé annuel entre le 1er avril 1993 et le 31 août 1994 : 20 jours;
         iv) congés mobiles à la date de la cessation d'emploi : 3 jours.
     d)      Remboursement des indemnités et honoraires du Dr Schamberger : 4 066, 67 $;
     e)      Remboursement des frais de photocopie et de télécopie de Mme Sheikholeslami, tels qu'en font foi les reçus en la matière.

[20]      À part les frais entre parties, ÉACL n'a rien versé des indemnités qu'elle devait à Mme Sheikholeslami, que ce fût en exécution de la décision Jamieson ou de la décision McKee.

La norme de contrôle judiciaire

[21]      Dans Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers)3, le juge Iacobucci a fait l'observation suivante :

     " Dans l'examen de la norme de contrôle applicable, il faut avant tout déterminer quelle était l'intention du législateur lorsqu'il a conféré compétence au tribunal administratif. Pour répondre à cette question, les tribunaux ont examiné " le rôle ou la fonction du tribunal. Il est " essentiel de savoir si les décisions de l'organisme sont protégées par une clause privative " si la question touche la compétence du tribunal concerné.         
     " les tribunaux ont élaboré toute une gamme de normes allant de celle de la décision manifestement déraisonnable à celle de la décision correcte.         

[22]      Dans Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc.4, la Cour a posé la règle suivante :

     La norme de contrôle est fonction de divers facteurs, et elle peut se situer à un point donné entre celle de la décision correcte, soit la norme exigeant le moins de retenue, et celle du caractère manifestement déraisonnable, soit la norme en exigeant le plus.         

[23]      En l'espèce, les arbitres ont rendu leur décision en application du paragraphe 242(4) du Code canadien du travail, qui porte :

     242.(4) S'il décide que le congédiement était injuste, l'arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l'employeur :         
         a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu'il aurait normalement gagné s'il n'avait pas été congédié;         
         b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;         
         c) de prendre toute autre mesure qu'il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.         

[24]      Les décisions des arbitres sont soustraites au contrôle judiciaire par une disposition privative de l'article 243 du Code canadien du travail, comme suit :

     243.(1) Les décisions de l'arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.         
     (2) Il n'est admis aucun recours ou décision judiciaire " notamment par voie d'injonction, de certiorari , de prohibition ou de quo warranto " visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l'action d'un arbitre exercée dans le cadre de l'article 242.         

[25]      L'article 242 du Code canadien du travail est une disposition portant redressement de torts. Son alinéa 242(4)c) investit l'arbitre d'une compétence très étendue en equity.

[26]      Ainsi que l'a fait remarquer le juge Cory dans Royal Oak Mines c. Canada (C.R.T.)5 :

     Il existe quatre cas dans lesquels une ordonnance réparatrice sera tenue pour manifestement déraisonnable :         
         (1)      lorsque la réparation est de nature punitive;         
         (2)      lorsque la réparation accordée porte atteinte à la Charte canadienne des droits et libertés;         
         (3)      lorsqu'il n'y a pas de lien rationnel entre la violation, ses conséquences et la réparation; et         
         (4)      lorsque la réparation va à l'encontre des objectifs du Code.         

[27]      Aucune des circonstances ci-dessus n'est présente en l'espèce.

Analyse

[28]      Les parties ont procédé sur la base de la décision Jamieson. C'est celle de M. McKee qui est en cause dans ce recours. Les points litigieux soulevés par la requérante se rapportent tous au quantum des indemnités.

[29]      L'intimée soutient ce qui suit :

     [TRADUCTION]

     ÉACL tient que la réparation ordonnée est manifestement déraisonnable et excède la compétence de l'arbitre, mais ses conclusions trahissent son désaccord avec le fond de la décision et avec les conclusions de fait sur lesquelles repose celle-ci. Les points soulevés par ÉACL se rapportent tous au quantum des indemnités, dont le législateur, par les termes mêmes des articles 242 et 243, a expressément prévu qu'il serait décidé par l'arbitre en dernier ressort. Faute de preuve que les décisions respectives des arbitres Jamieson et McKee sont manifestement déraisonnables, il n'y a aucun motif de contrôle judiciaire.         

[30]      L'interprétation faite par M. McKee de la décision Jamieson n'est pas déraisonnable dans ce contexte. Il a pris acte qu'il ne s'agissait pas d'un cas courant de congédiement. Tout en déclarant injuste le congédiement de la plaignante, M. Jamieson n'a pas ordonné la réintégration de cette dernière dans son ancien emploi. Il a façonné la décision qu'il jugeait la plus propre à résoudre les questions dont il était saisi. Sa décision de ne pas ordonner la réintégration de la plaignante malgré le caractère injustifié du congédiement de cette dernière, l'a amené à façonner une réparation dont le calcul était différent de celui des dommages-intérêts accordés aux employés réintégrés. Ce faisant, il n'a pas outrepassé la compétence qu'il tenait du paragraphe 242(4) du Code canadien du travail, qui confère des pouvoirs de réparation étendus et adaptables6.

[31]      M. McKee note que M. Jamieson a façonné une décision à la mesure des circonstances particulières de l'affaire. Voici ce qu'il fait observer dans ses motifs de décision, sous la rubrique Manque à gagner en matière de salaires et d'avantages sociaux :

     [TRADUCTION]

     S'il est vrai qu'il ne s'agit pas en l'espèce d'une conclusion habituelle de congédiement injustifié en ce que la plaignante n'est pas réintégrée dans son emploi, l'ordonnance de l'arbitre est normale pour ce qui est du paiement des salaires et avantages sociaux qu'elle avait perdus en raison des agissements iniques de la compagnie. Il est normal qu'un plaignant fondé dans sa plainte se voie payer toutes les sommes auxquelles il a droit et soit " dédommagé ".         

[32]      Et d'ajouter :

     [TRADUCTION]

     M. Jamieson, en sa qualité d'arbitre, a façonné cette décision. C'est, d'après ce que je peux voir du texte et des circonstances, ce qu'il entendait faire. Les termes de la décision ne laissent aucun doute que son dessein était que ÉACL paie à la plaignante une somme équivalente à son salaire pour la période visée. Il incombera ensuite à la plaignante de verser ce qu'elle devait à d'autres sur cette somme.         

[33]      Et encore :

     [TRADUCTION]

     Le dessein de M. Jamieson était clairement de faire en sorte qu'elle reçoive tout ce à quoi elle aurait eu droit si la compagnie n'avait pas mis fin illégalement à son emploi. Son dessein était clairement de faire en sorte que la plaignante se retrouve en l'état où elle se trouvait le jour de son congédiement, sans changement dans son emploi et sans aucune perte.         

[34]      M. Jamieson et M. McKee savaient que Mme Sheikholeslami avait reçu de Mutual Life of Canada des prestations d'invalidité de longue durée équivalentes à deux tiers de son revenu brut. Il y a aussi la preuve d'un accord de remboursement entre Mme Sheikholeslami et Mutual Life, sur le recouvrement de sommes à elle versées durant la période allant du 16 décembre 1993 au 31 août 1994. M. McKee a décidé que c'était la plaignante qui avait pour responsabilité de rembourser ce qu'elle devait à Mutual Life.

[35]      La requérante cite la cause Sylvester7 dans laquelle la Cour suprême du Canada, interprétant un contrat de travail, a conclu que celui-ci ne permettait pas à l'employé de toucher à la fois les prestations d'invalidité et les dommages-intérêts pour congédiement injuste. Les circonstances ne sont pas les mêmes en l'espèce.

[36]      La requérante invoque le principe par application duquel les employés réintégrés n'ont pas droit au rappel de l'intégralité de leurs salaires parce qu'ils n'ont pas été en mesure de travailler pour cause de maladie ou de maternité. Dans les cas cités, les faits qui présidaient à la décision sur la rémunération revenant aux employés réintégrés n'étaient pas les mêmes que les faits de la cause. M. McKee avait conscience de cette jurisprudence lorsqu'il rendit sa décision. Il a conclu que les circonstances différentes justifiaient des mesures de réparation différentes en l'espèce.

[37]      Les parties conviennent que les dispositions de la convention collective entre l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada et ÉACL s'appliquent pour le calcul de l'indemnité due à Mme Sheikholeslami. Elle était classée au niveau CSE-3 avec un traitement de base de 52 300,00 $ avant juillet 1993. Aux termes de cette convention collective, elle avait droit à une augmentation de salaire pour 1993. Pour cette dernière année, les employés du niveau CSE-3 avaient droit à une augmentation de 2 p. 100.

[38]      Je conviens avec l'avocat de l'intimée Mme Sheikholeslami que M. McKee n'avait pas tiré une conclusion manifestement déraisonnable en décidant que cette dernière avait droit à une augmentation.

[39]      M. McKee a décidé que Mme Sheikholeslami avait droit à une augmentation au mérite de 2 700,00 $ au 1er juillet 1993 et de 2 800,00 $ au 1 er juillet 1994. L'alinéa 29.02b) portant " Grille de rémunération au rendement applicable au 1er juillet " indique qu'un CSE-3 qui " excède les attentes " a droit à une augmentation au mérite jusqu'à concurrence de 2 700,00 $. Mme Sheikholeslami s'était toujours vu accorder une augmentation au sommet de son niveau. Elle avait droit à une augmentation proportionnelle ou augmentation au mérite. La décision de M. McKee s'accorde avec celle de M. Jamieson, savoir que la somme due devait être calculée en fonction " de son traitement normal, avec toute augmentation statutaire ou autre à laquelle elle aurait eu droit ".

[40]      M. McKee a été saisi d'une quantité appréciable de preuves sur l'évaluation du rendement de Mme Sheikholeslami, pour la période allant du 1er avril 1992 au 30 juin 1993. Cette évaluation n'a jamais été communiquée à l'intimée, qui en n'a jamais discuté avec son supérieur hiérarchique. Le document a été préparé pas son surveillant le 9 juillet 1993, sept mois après qu'elle eut cessé de travailler à cause de la blessure subie au travail.

[41]      M. McKee a admis la preuve montrant que lors des évaluations du rendement pour 1990-1991 et 1991-1992, l'employeur avait noté que Mme Sheikholeslami " Excède les attentes ". La recommandation faite le 6 février 1992, près d'un an et demi avant l'évaluation, à l'Association of Professional Engineers and Geoscientists of British Columbia de l'admettre comme membre indique que son surveillant et ÉACL voyaient dans Mme Sheikholeslami une employée remarquable.

[42]      M. Jamieson a fait remarquer que ÉACL " voulait absolument de se débarrasser d'elle " avant le congédiement.

[43]      Dans ces conditions, il n'était pas manifestement déraisonnable de la part de M. McKee de rejeter l'évaluation en question pour calculer l'augmentation à laquelle elle avait droit.

[44]      Les arguments proposés par la requérante au sujet du droit aux avantages sociaux touchent à nombre de questions semblables à celles qui concernent le droit à la totalité de la rémunération. À son avis, les employés qui touchent des prestations d'invalidité ne reçoivent normalement pas les mêmes prestations que s'ils étaient au travail. M. Jamieson a ordonné que l'indemnité fût calculée comme si Mme Sheikholeslami eût reçu l'intégralité de son traitement, et il a expressément décidé qu'elle avait droit au paiement des avantages sociaux qui comprendraient " les vacances, les jours fériés, les congés pour affaires personnelles, les congés mobiles et les congés d'ancienneté " ".

[45]      La requérante avait toute possibilité de présenter tous ses arguments devant M. McKee. Celui-ci, dans une décision réfléchie et minutieuse, a fait les calculs découlant directement de la décision de M. Jamieson, laquelle n'a pas été contestée par la requérante ÉACL.

[46]      La requérante reproche à M. McKee d'avoir commis des erreurs matérielles sur certains points. Ces erreurs ressortent du dossier et elle aurait dû lui demander de les rectifier. Le contrôle judiciaire n'est pas la procédure propre à redresser ces erreurs. M. McKee a retenu sa compétence pour les rectifier. En particulier, les erreurs reprochées touchent les points suivants :

     1)      Le montant du manque à gagner en matière de salaires pour la période allant du 16 novembre 1993 au 1er juillet 1994 aurait dû être calculé sur la base de 7 mois et demi, et non 8 mois et demi.
     2)      Seulement deux jours de congé mobile, et non trois, devaient entrer en ligne de compte, et ce d'après les motifs de décision prononcés par M. McKee;
     3)      M. McKee a accordé des intérêts sur la somme totale, alors que M. Jamieson avait décidé que les salaires et avantages sociaux ne porteraient pas intérêts. M. McKee n'a reçu aucune conclusion des avocats au sujet de l'ordre de grandeur des intérêts.
[47]      La requérante aurait dû lui demander de rectifier ces erreurs après conclusions de la part de son avocat.

[48]      L'avocat de la requérante soulève aussi la question de savoir si les sommes accordées à Mme Sheikholeslami sont soumises aux retenues légales par l'effet de la décision McKee. Il est indiscutable que l'employeur doit effectuer toutes les retenues prévues par les lois telles que la Loi de l'impôt sur le revenu8, le Régime de pensions du Canada9 et la Loi sur l'assurance-emploi10.

[49]      L'avocat de la requérante pose la question de savoir s'il est juste d'accorder au Dr Schamberger toutes les sommes réclamées, en l'absence de renseignements sur leur nature. Voici ce que M. McKee a conclu à ce sujet :

     [TRADUCTION]

     Au fil des ans, un grand nombre de docteurs et de spécialistes ont comparu devant moi et jusqu'ici, je n'ai jamais entendu parler d'une indemnité quotidienne de 100 dollars seulement pour la comparution.         
     Les éléments de preuve produits à ce sujet ne laissent aucun doute. Le docteur avait du travail et il a comparu à l'audience. Il est naturel qu'en sa qualité de praticien, il se fasse rétribuer pour ses services. Je fais droit à sa demande. Le coût de la tenue d'une audience et de la comparution de témoins pour résoudre cette question serait prohibitif par rapport au coût total.         

[50]      Les experts ont droit à une indemnité, non seulement pour leurs rapports et leur témoignage, mais aussi pour le temps qu'ils passent à l'audience, pour écouter les témoignages et conseiller les avocats. L'arbitre était en droit de trouver raisonnable le coût du rapport et du témoignage du Dr Schamberger.

[51]      Les points soulevés par la requérante dans ce recours ressortissent parfaitement à la compétence de M. McKee. La décision qu'il a rendue au sujet des points litigieux dont il était saisi n'était pas manifestement déraisonnable. Chaque fois que l'interprétation de la décision de M. Jamieson soulevait des conclusions contradictoires, il s'est fondé sur les termes mêmes de cette décision ainsi que sur les documents produits par les avocats pour tirer des conclusions raisonnables. Il n'y a pas lieu de toucher à ces dernières par voie de contrôle judiciaire.

Conclusion

[52]      Par ces motifs, le recours en contrôle judiciaire est rejeté.

[53]      La règle 1618 des Règles de la Cour fédérale pose qu'il n'y a pas allocation de frais dans un recours en contrôle judiciaire, à moins de raisons spéciales11. Rien dans le comportement des parties ne donne lieu à des raisons spéciales pour condamner la requérante aux frais ou pour les accorder à l'intimée. En conséquence, la Cour ne prononce pas sur les frais et dépens.

     Signé : John D. Richard

     ________________________________

     Juge

Ottawa (Ontario),

le 24 octobre 1997

Traduction certifiée conforme      ________________________________

     F. Blais, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          T-2304-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Énergie atomique du Canada Limitée

                     c. Roya Sheikholeslami et Clive McKee

LIEU DE L'AUDIENCE :          Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :      26 septembre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE RICHARD

LE :                      24 octobre 1997

ONT COMPARU :

M. Stephen Bird                  pour la requérante

M. Stuart Rush                  pour l'intimée

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Kimmel Victor Ages                  pour la requérante

Avocats

Ottawa (Ontario)

Rush, Crane, Guenther & Adams          pour l'intimée

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

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1      L.R.C. (1985), ch. L-2, modifiée.

2      Sheikholeslami c. Énergie atomique du Canada Limitée, (29 novembre 1996) T-178-96 [1996] A.C.F. No. 1547 (QL).

3      [1994] 2 R.C.S. 557, pages 589 et 590.

4      [1997] 1 R.C.S. 748.

5      [1996] 1 R.C.S. 369, page 409.

6      Voir Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, page 1072.

7      Sylvester c. Colombie-Britannique (1997), 146 D.L.R. (4th) 207 (C.S.C.).

8      L.R.C. (1985) (5e suppl.), modifiée.

9      L.R.C. (1985), ch. C-8.

10      L.C. 1996, ch. 23.

11      Zeneca Pharma Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1996), 66 C.P.R. (3d) 175.

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