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Date : 20020326

Dossier : IMM-606-01

Référence neutre : 2002 CFPI 342

ENTRE :

                                                MARIA IZILDA ROCHA CARREIRO

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]                 La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d'une décision rendue le 24 janvier 2001 par Karen G. Gordon, une agente d'immigration. L'agente d'immigration a refusé d'exempter la demanderesse de la règle du paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration (la Loi), qui oblige tout immigrant à demander et obtenir un visa d'immigration avant de venir au Canada. Le paragraphe 9(1) de la Loi est ainsi formulé :


9. (1)    Sous réserve du paragraphe (1.1), sauf cas prévus par règlement, les immigrants et visiteurs doivent demander et obtenir un visa avant de se présenter à un point d'entrée.

9. (1)    Except in such cases as are prescribed, and subject to subsection (1.1), every immigrant and visitor shall make an application for and obtain a visa before that person appears at a port of entry.


[2]                 Avant de venir au Canada, la demanderesse ne s'est pas conformée au paragraphe 9(1) de la Loi. Au Canada, elle a demandé conformément au paragraphe 114(2) de la Loi une exemption pour raisons d'ordre humanitaire.

[3]                 Dans l'affaire Anastassia Tartchinska et Alexandre Tartchinski c. M.C.I., 20 mars 2000, IMM-6104-98, les demandeurs sollicitaient une ordonnance annulant la décision d'un agent d'immigration. Il s'agissait de savoir s'ils devaient être dispensés, pour des raisons d'ordre humanitaire, de l'obligation de présenter leur demande de visa depuis l'extérieur du Canada. Aux paragraphes 18 et 19, j'avais fait les observations suivantes :

[18]         Il est clair que les dispenses fondées sur des motifs d'ordre humanitaire sont de nature discrétionnaire et qu'un demandeur n'a pas droit à un résultat en particulier. Pour contester avec succès une décision défavorable, le demandeur doit établir que le décideur a commis une erreur de droit, agi de mauvaise foi, ou appliqué un mauvais principe : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1999), 174 D.L.R. (4th) 193 (C.S.C.); Shah c. M.E.I., (1994) 23 Imm. L.R. (2d) 82 (C.A.F.); Ogunfowora c. M.C.I., 41 Imm. L.R. (2d) 75 (C.F. 1re inst.).

[19]         La Cour suprême a clairement dit dans l'arrêt Baker, précité, que la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer aux demandes fondées sur des motifs d'ordre humanitaire est celle du caractère raisonnable. Par conséquent, si la décision contestée est fondée sur des motifs qui peuvent soutenir un examen assez approfondi, la Cour n'est pas habilitée à modifier la décision. À mon avis, la décision de l'agente d'immigration soutient un examen assez approfondi et elle est raisonnable, compte tenu des circonstances énoncées plus loin.

[4]                 Après étude minutieuse de l'ensemble de la preuve, ainsi que des conclusions des avocats, orales et écrites, je suis arrivé à la conclusion que la demanderesse n'a pas prouvé que l'agente d'immigration a commis une erreur de droit, a agi de mauvaise foi ou a appliqué un mauvais principe. En voici les motifs.

[5]                 J'exposerai d'abord les faits pertinents tels qu'ils ont été résumés par l'agente d'immigration dans sa note au dossier en date du 24 janvier 2001. Le sommaire apparaît sous la rubrique « Détails communiqués par l'avocat dans ses conclusions du 17 février 2000 » . En voici le texte :

[TRADUCTION]

Famille au Canada :

-              La demanderesse a bénéficié du soutien de sa famille au Canada et elle lui rend la réciproque aujourd'hui en s'occupant de sa mère

-              La plupart des membres de sa famille résident au Canada - sa mère, deux frères et deux soeurs. Ils sont tous citoyens canadiens

-              Sa mère habite avec la soeur de la demanderesse à Port Coquitlam. La demanderesse occupe un logement distinct au sous-sol de la maison

-              La soeur de la demanderesse, Maria Angela Young et son mari, sont propriétaires de la maison et sont heureux d'y héberger la demanderesse. Mme Young et son mari ont signé un engagement d'aide à la demanderesse

-              Le frère de la demanderesse, Angelo da Rocha Carreiro et son épouse, vivent à New Westminster et ont signé un engagement d'aide à la demanderesse

-              La soeur de la demanderesse, Maria Rosa Bettencourt-Pinto et son mari, vivent à Pitt Meadows et ont signé un engagement d'aide à la demanderesse

Rappel des faits :

-              La demanderesse a grandi aux Açores et n'a pu fréquenter l'école que jusqu'à l'âge de onze ans, en raison des faibles moyens financiers de la famille

-              À l'âge de onze ans, elle a commencé de travailler comme membre du personnel d'entretien d'une usine. À l'âge de quinze ans, elle a commencé de travailler dans le service de maternité d'un hôpital, où elle s'occupait des nouveau-nés. À l'âge de 17 ans, elle a commencé un travail dans un bureau, où elle exécutait des tâches générales de secrétariat. Elle a aussi reçu une formation dans ce domaine

-              La demanderesse a épousé le 15 décembre 1975 David Taylor, un sujet britannique. Leur premier enfant, Michelle, est née au Canada le 16 août 1980. Sa famille au Canada la voulait auprès d'elle lorsqu'elle a eu l'enfant. Elle est restée au Canada pendant un mois après la naissance de sa fille


-              Au cours des huit années suivantes, la demanderesse a vécu en Angleterre avec son mari. Elle a été employée comme préposée à l'entretien dans une banque. Ils ont eu leur deuxième enfant, Michael, le 20 mai 1986 en Angleterre

-              Le mariage s'est rompu en 1988. La rupture fut traumatisante sur le plan émotif, et la demanderesse est retournée au Portugal, où vivaient certains de ses proches. Elle a laissé ses enfants auprès de son mari, dans l'espoir que les tribunaux britanniques lui en attribueraient la garde plus tard. En 1990, son mari entama des procédures de divorce et il réussit à obtenir le divorce ainsi que la garde des enfants. Elle n'avait pas les moyens financiers de contester le divorce et aucune pension alimentaire ne lui a été accordée. La demanderesse n'a pas vu ses enfants depuis qu'elle a quitté l'Angleterre

-              La demanderesse a vécu avec sa soeur Conceicao au Portugal. La maison était très encombrée et la demanderesse devait dormir sur le sol car elle ne pouvait avoir sa propre chambre. Elle se rendait utile dans la maison en donnant un coup de main. Sa famille au Canada lui envoyait de l'argent pour subvenir à ses besoins - sa mère lui envoyait de l'argent chaque mois et ses frères et soeurs lui en envoyaient périodiquement

-              La demanderesse est arrivée au Canada en 1995 pour une visite de trois mois

-              La demanderesse a déménagé de la maison de sa soeur au Portugal en 1998, car elle ne s'y trouvait pas bien. Sa soeur et le compagnon de celle-ci se querellaient et buvaient sans cesse

-              La demanderesse a ensuite emménagé chez sa soeur Goretti, mais cet arrangement n'a pas lui non plus fonctionné. Sa soeur avait trois filles et des petits-enfants qui vivaient également avec elle, et il n'y avait pas de place dans la maison pour la demanderesse

-              La demanderesse a emménagé chez sa tante avant d'arriver au Canada, mais sa tante ne pouvait la loger pendant une longue période

-              La soeur de la demanderesse, Rosa, a visité le Portugal en juillet 1999 et elle a invité la demanderesse à revenir au Canada en visite

Motifs de la demande fondée sur les considérations humanitaires, tels qu'ils ont été exposés par l'avocat dans ses conclusions en date du 17 février 2000 :

-              Après l'arrivée de la demanderesse au Canada en août 1999, ses proches au Canada ont décidé qu'il valait mieux que la demanderesse vive ici auprès d'eux

-              Ils forment une famille étroitement liée et aiment beaucoup la demanderesse

-              La famille au Canada est en bien meilleure position d'aider la demanderesse


-              La demanderesse peut continuer de vivre auprès de sa soeur Angela, et tous les membres de la famille sont disposés à venir en aide financièrement à la demanderesse

-              La demanderesse reçoit aussi en propre une pension du gouvernement portugais

-              La présence de la demanderesse est nécessaire pour la prise en charge de sa mère, chez qui l'on a diagnostiqué les affections suivantes : hypertension, diabète de type 2, obésité, angine de poitrine, rhumatisme chronique dégénératif, dépression et insuffisance cardiaque congestive. Elle n'est pas en mesure de voir elle-même à la plupart de ses soins personnels et requiert une surveillance rigoureuse dans l'administration de son traitement

-              De l'avis du médecin de la mère, le docteur Peter Chung, « il vaudrait beaucoup mieux pour elle qu'elle soit prise en charge par sa fille qui habite actuellement au Portugal, puisqu'elle parle la même langue et comprend ses besoins »

-              Les frères et soeurs de la demanderesse ont tous leurs propres familles et occupent des emplois à temps plein. Ils ne sont pas en mesure d'apporter quotidiennement à leur mère les soins personnels dont elle a besoin

[6]                 En janvier 2000, la demanderesse a sollicité, en application de l'article 114 de la Loi, une exemption fondée sur des raisons d'ordre humanitaire et, le 6 novembre 2000, l'agente d'immigration écrivait ce qui suit à la demanderesse :

[TRADUCTION]

La présente fait suite à votre demande de résidence permanente au Canada. J'examine en ce moment votre demande. Comme votre demande a été reçue en février 2000, je voudrais savoir si vous souhaitez produire d'autres renseignements au soutien de votre demande.

                                                                            

Si les circonstances se sont modifiées depuis février 2000, ou si vous souhaitez qu'il soit tenu compte d'autres renseignements au soutien de votre demande, prière de produire ces renseignements au plus tard le 15 décembre 2000. Veuillez noter qu'une entrevue n'aura pas nécessairement lieu.

[7]                 Comme l'indique la lettre ci-dessus, l'agente d'immigration donnait à la demanderesse six semaines pour produire de nouveaux renseignements au soutien de sa demande d'exemption. La demanderesse n'a pas fourni de renseignements additionnels.


[8]                 Le 24 janvier 2001, l'agente d'immigration écrivit à la demanderesse pour l'informer que sa demande avait été refusée. La lettre du 24 janvier 2001 contient entre autres le passage suivant :

[TRADUCTION]

La présente fait suite à votre demande en vue d'être autorisée, pour des raisons d'ordre humanitaire, à faire une demande de visa tout en demeurant au Canada.

Pour qu'une telle demande soit approuvée, on procède à l'évaluation des raisons d'ordre humanitaire invoquées, ce qui permet de dire s'il convient ou non d'accorder une dispense d'application du paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration, c'est-à-dire l'obligation de demander et d'obtenir un visa d'immigrant avant l'arrivée au Canada.

En tant que représentante du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, j'ai examiné les circonstances particulières de votre demande de dispense d'application du paragraphe 9(1), et je suis arrivée à la conclusion qu'une telle dispense n'est pas justifiée dans votre cas.

[9]                 Dans son exposé des faits et du droit, M. Elgin, avocat de la demanderesse, expose ainsi le point à décider : « L'agente d'immigration a-t-elle commis une erreur pour ne pas avoir donné à la demanderesse l'occasion de répondre à ses préoccupations? » Plus précisément, la position de M. Elgin est que l'agente d'immigration aurait dû faire subir une entrevue à sa cliente avant d'arriver à sa décision, afin de lui donner la possibilité d'éclairer les aspects qui avaient pu « échapper » à l'agente d'immigration. M. Elgin affirme aussi, subsidiairement, que, lorsqu'elle a écrit à sa cliente le 6 novembre 2000, l'agente d'immigration aurait dû poser des questions à la demanderesse, afin d'éclaircir les aspects à l'égard desquels elle avait des doutes ou qui selon elle appelaient des éclaircissements.

[10]            Le défendeur, s'appuyant sur l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Baker c. Canada (MCI), [1999] 2 R.C.S. 817, exprime l'avis que l'agente d'immigration n'avait nullement l'obligation d'appeler la demanderesse en entrevue. Plus précisément, le défendeur invoque le paragraphe 34 (pages 843 et 844) des motifs de Madame le juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt Baker, où elle s'exprime ainsi :

Je conviens que la tenue d'une audience n'est pas une exigence générale pour les décisions fondées sur des raisons d'ordre humanitaire. Il n'est pas indispensable qu'il y ait une entrevue pour exposer à un agent d'immigration les renseignements relatifs à une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire et pour que les raisons d'ordre humanitaire présentées puissent être évaluées de façon complète et équitable. En l'espèce, l'appelante a eu la possibilité d'exposer par écrit, par l'entremise de son avocat, sa situation, celle de ses enfants et leur dépendance émotive vis-à-vis d'elle, et de présenter à l'appui de sa demande des lettres d'un travailleur social de la Société d'aide à l'enfance et de son psychiatre. Ces documents étaient à la disposition des décideurs, et ils contenaient les renseignements nécessaires pour la prise de décision. Compte tenu de tous les facteurs pertinents pour évaluer le contenu de l'obligation d'équité, le fait qu'il n'y a pas eu d'audience ni d'avis d'audience ne constituait pas, selon moi, un manquement à l'obligation d'équité procédurale envers Mme Baker dans les circonstances, particulièrement en raison du fait que plusieurs des facteurs militaient en faveur d'une norme plus souple. La possibilité qui a été offerte à l'appelante et à ses enfants de produire une documentation écrite complète relativement à tous les aspects de sa demande remplit les exigences en matière de droits de participation que commandait l'obligation d'équité en l'espèce.

[11]            Le défendeur invoque aussi plusieurs précédents pour affirmer qu'un agent d'immigration n'est pas tenu de donner à un demandeur l'occasion de préciser ou d'expliquer les renseignements fournis à l'appui de sa demande. Dans l'affaire Dhillon c. MCI, [1998], A.C.F. no 574, no du greffe IMM-3098-97, en date du 5 mai 1998, aux paragraphes 3 et 4, le juge Rothstein (maintenant juge à la Cour d'appel) s'est exprimé ainsi :

[3]            [...] Un agent des visas peut offrir de l'aide, donner des conseils ou obtenir des éclaircissements. Toutefois, la loi n'impose nullement aux agents des visas l'obligation de le faire. L'agent des visas n'était nullement tenu de donner à la demanderesse une autre possibilité de clarifier ou d'expliquer la preuve qui avait été produite.


[4]           Je conclus que l'agent des visas n'a pas eu tort de n'avoir pas accordé à la demanderesse la possibilité de donner d'autres éclaircissements. La demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[12]            Dans sa note au dossier, en date du 24 janvier 2001, l'agente d'immigration expose à la fois les facteurs favorables et les facteurs défavorables au regard de la dispense sollicitée par la demanderesse. Elle expose ensuite les motifs qui l'amènent à conclure que la demanderesse ne devrait pas être dispensée de l'obligation énoncée au paragraphe 9(1) de la Loi. J'ai lu attentivement, et à plusieurs reprises, les motifs de l'agente d'immigration et, à mon avis, ils résistent certainement à un examen poussé. Eu égard à l'ensemble de la preuve, la décision de l'agente d'immigration n'est pas déraisonnable.

[13]            La demanderesse soutient que l'agente d'immigration aurait dû avoir un entretien avec elle. La loi est claire : en règle générale, les agents d'immigration ne sont pas tenus de rencontrer les demandeurs pour des entrevues. Ils ne sont pas non plus tenus d'obtenir d'un demandeur qu'il éclaircisse les renseignements fournis par lui. Dans l'affaire Bara c. MCI, [1998], A.C.F. 992, no du greffe IMM-32986-97, en date du 6 juillet 1998, le juge en chef adjoint Richard (aujourd'hui juge en chef) faisait les observations suivantes, au paragraphe 15 :

[15]         L'agent n'est pas tenu de porter à la connaissance du demandeur les conclusions provisoires qu'il peut tirer à partir de la preuve dont il est saisi, pas même celles qui se rapportent aux contradictions apparentes qui le préoccupent. Toutefois, s'il se fonde sur des éléments de preuve extrinsèques, il doit donner au demandeur la possibilité de répondre à la preuve.


[14]            En l'espèce, l'agente d'immigration ne s'est pas appuyée sur une preuve extrinsèque, mais plutôt sur la preuve produite à la fois par la demanderesse et par son avocat. Elle a analysé minutieusement cette preuve et conclu qu'il n'existait pas de raisons suffisantes d'ordre humanitaire pour justifier une entorse à la règle habituelle en matière d'obtention de visa. Après lecture de la note au dossier rédigée par l'agente d'immigration, il ressort manifestement que la preuve produite ne l'a pas convaincue de l'opportunité d'accorder une dispense. À plusieurs reprises dans ses motifs, l'agente d'immigration utilise les mots « preuve insuffisante » .

[15]            La demanderesse semble avoir l'impression que l'agente d'immigration est restée « imprécise » concernant certains des points soulevés par sa demande. Forte de cette impression, la demanderesse affirme que l'agente d'immigration aurait dû l'appeler en entrevue ou, à tout le moins, aurait dû lui demander de répondre à certaines questions. C'est là à mon avis faire une mauvaise lecture de la décision rendue par l'agente d'immigration.

[16]            La demanderesse a sans conteste reçu la possibilité de se faire entendre. À la suite de sa demande initiale de dispense, M. Elgin a envoyé une lettre datée du 17 février 2000, qui renfermait ses conclusions au nom de la demanderesse, à propos de sa demande fondée sur des considérations humanitaires. La demanderesse a bénéficié d'une autre occasion de produire des renseignements lorsque l'agente d'immigration lui a écrit le 6 novembre 2000, pour lui indiquer que les renseignements additionnels seraient examinés s'ils étaient présentés au plus tard le 15 décembre 2000.

[17]            Comment peut-on alors affirmer que la demanderesse n'a pas bénéficié d'une pleine possibilité de présenter ses arguments? À mon avis, c'est impossible.


[18]            Je partage entièrement l'avis du défendeur selon lequel les conclusions de la demanderesse ici reviennent à soutenir que les dispenses d'application du paragraphe 9(1) de la Loi devraient être accordées à moins que l'agent d'immigration ne puisse de quelque façon justifier son refus. C'est là à mon avis faire une mauvaise lecture de la loi. À la page 852, au par. 51 de ses motifs dans l'arrêt Baker, précité, Madame le juge L'Heureux-Dubé fait les observations suivantes :

Comme je l'ai dit précédemment, la loi et le règlement délèguent un très large pouvoir discrétionnaire au ministre dans la décision d'accorder une dispense pour des raisons d'ordre humanitaire. Le règlement dit que « [l]e ministre est autorisé à accorder, pour des raisons d'ordre humanitaire, une dispense [. . .] ou à faciliter l'admission au Canada de toute autre manière » . Ce langage témoigne de l'intention de laisser au ministre une grande latitude dans sa décision d'accorder ou non une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire.

La notion de pouvoir discrétionnaire s'applique dans les cas où le droit ne dicte pas une décision précise, ou quand le décideur se trouve devant un choix d'options à l'intérieur de limites imposées par la loi.

[...]

Le droit administratif a traditionnellement abordé le contrôle judiciaire des décisions discrétionnaires séparément de décisions sur l'interprétation de règles de droit. Le principe est qu'on ne peut exercer un contrôle judiciaire sur les décisions discrétionnaires que pour des motifs limités, comme la mauvaise foi des décideurs, l'exercice du pouvoir discrétionnaire dans un but incorrect, et l'utilisation de considérations non pertinentes : [...] À mon avis, ces principes englobent deux idées centrales -- qu'une décision discrétionnaire, comme toute autre décision administrative, doit respecter les limites de la compétence conférée par la loi, mais que les tribunaux devront exercer une grande retenue à l'égard des décideurs lorsqu'ils contrôlent ce pouvoir discrétionnaire et déterminent l'étendue de la compétence du décideur. Ces principes reconnaissent que lorsque le législateur confère par voie législative des choix étendus aux organismes administratifs, son intention est d'indiquer que les tribunaux ne devraient pas intervenir à la légère dans de telles décisions, et devraient accorder une marge considérable de respect aux décideurs lorsqu'ils révisent la façon dont les décideurs ont exercé leur discrétion. Toutefois, l'exercice du pouvoir discrétionnaire doit quand même rester dans les limites d'une interprétation raisonnable de la marge de manoeuvre envisagée par le législateur, [...], suivant les principes généraux de droit administratif régissant l'exercice du pouvoir discrétionnaire, [...]

[19]            Comme l'indique clairement Madame le juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt Baker, un demandeur n'est pas fondé à un résultat déterminé. Dans la mesure où le décideur rend sa décision dans « les limites de la compétence conférée par la loi » , cette décision ne sera pas réformée, sauf s'il est prouvé que la décision a été rendue de mauvaise foi, que le pouvoir discrétionnaire a été exercé dans un but incorrect ou que le décideur a tenu compte de considérations non pertinentes. La demanderesse ne m'a pas convaincu de l'existence de motifs qui justifieraient l'annulation de la décision contestée.

[20]            L'avocat de la demanderesse conclut dans les termes suivants son exposé des faits et du droit, au paragraphe 26 :

[TRADUCTION]

26.           Même s'il n'y a pas obligation de consentir une entrevue au cours du processus devant mener à une décision sur une demande fondée sur des considérations humanitaires, une telle entrevue aurait été le moyen le plus équitable pour l'agente d'immigration de donner à la demanderesse l'occasion de préciser les aspects qui n'étaient pas « évidents » pour l'agente d'immigration. Subsidiairement, quelques questions simples posées à la demanderesse dans la lettre de l'agente d'immigration datée du 6 novembre 2000 auraient pu éclaircir considérablement les aspects en question. Par exemple, puisque l'agente d'immigration n'était pas disposée à accepter les conclusions de l'avocat selon lesquelles la demanderesse ne pouvait pas vivre avec ses soeurs au Portugal, elle aurait pu inviter la demanderesse ou ses soeurs à confirmer indépendamment ce fait. Si la raison pour laquelle la demanderesse ne pouvait vivre d'une manière autonome au Portugal n'apparaissait pas clairement à l'agente d'immigration, celle-ci aurait pu demander d'autres renseignements sur le revenu de la demanderesse au Portugal. Par ailleurs, si l'agente d'immigration avait besoin d'autres lettres de soutien de la part de la famille de la demanderesse au Canada, en sus de la preuve considérable de soutien déjà produite, l'agente d'immigration aurait pu demander de telles lettres.


[21]            Comme je l'ai déjà indiqué, cet argument repose à mon avis sur une idée fausse. Si certains aspects n'étaient pas « évidents » , du point de vue de l'agente d'immigration, c'est en raison de la qualité de la preuve produite. Dans ces conditions, l'agente d'immigration n'était pas tenue de s'adresser à la demanderesse pour obtenir une meilleure preuve au soutien des arguments de la demanderesse.

[22]            Je suis par conséquent d'avis que cette demande devrait être rejetée.

                                                                                         « Marc Nadon »                  

                                                                                                             Juge                          

O T T A W A (Ontario)

le 26 mars 2002

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                            IMM-606-01

INTITULÉ :                                                    MARIA IZILDA ROCHA CARREIRO

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                           VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 6 NOVEMBRE 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :            MONSIEUR LE JUGE NADON

DATE DES MOTIFS :                                  LE 26 MARS 2002

ONT COMPARU :

M. CHRISTOPHER ELGIN                                                           POUR LA DEMANDERESSE

Mme KIM SHANE                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ELGIN, CANNON ET ASSOCIÉS                                               POUR LA DEMANDERESSE

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

M. MORRIS ROSENBERG                                                           POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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