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Date : 20050125

Dossier : IMM-2005-04

Référence : 2005 CF 116

Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE VON FINCKENSTEIN

ENTRE :

OSMAN YASAR DAVARCI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Osman Yasar Davarci est un citoyen turc âgé de 29 ans et prétend qu'il est un musulman pratiquant d'obédience sunnite de même qu'un disciple de Fethullah Gulen. Le demandeur déclare que, au moment de quitter l'école secondaire en 1992, il était objecteur de conscience parce qu'il avait vu des hommes de sa famille se faire battre par des soldats lors d'un coup d'État en 1980. Il rejetait également ce que les militaires faisaient aux Kurdes et prétend que plusieurs membres de sa famille ont subi des sévices à cause de leurs pratiques religieuses.

[2]                Il a fui la Turquie après avoir reçu son avis de conscription, après avoir épuisé ses sursis à titre d'étudiant. Il a prétendu craindre avec raison d'être persécuté du fait de sa religion, de ses opinions politiques, du fait qu'il s'oppose au service militaire en qualité d'objecteur de conscience et du fait qu'il s'est, en conséquence, soustrait à la conscription.

[3]                La Commission a rejeté la revendication du demandeur en raison de doutes sur le plan de la crédibilité.

[4]                Le demandeur porte en appel la décision de la Commission relativement à la manière dont celle-ci a examiné son allégation d'objecteur de conscience. Le demandeur affirme que, dans son évaluation, la Commission n'a pas fait de distinction entre :

a)         sa demande fondée sur l'objection de conscience;

b)         sa demande fondée sur le fait qu'il s'est soustrait au service militaire et sur le traitement qu'il subirait au sein de l'armée.

NORME DE CONTRÔLE

[5]                Dans la décison Bakir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 57, 2004 CF 70, la Cour a déclaré, au paragraphe 13, relativement à une revendication fondée sur l'objection de conscience :

En l'espèce, il s'agit d'une question mixte de fait et de droit, et ce type de question appelle généralement l'application de la norme de contrôle de la décision raisonnable, simpliciter.

Comme telle est la question clef, je vais suivre la norme de la décision raisonnable simpliciter.

QUESTION EN LITIGE

La Commission a-t-elle fait une analyse erronée de la demande d'asile fondée sur l'objection de conscience?

ANALYSE

[6]                Le demandeur expose sa prétention de manière succincte aux paragraphes 14 à 16 de son mémoire :

[TRADUCTION]

14.           La Commission semble avoir confondu les différents aspects de cette revendication. Le demandeur a prétendu être objecteur de conscience en raison des atteintes portées aux droits de la personne élémentaires par l'armée turque. De plus, il craignait aussi d'être persécuté en raison de sa religion s'il s'enrôlait contre son gré dans l'armée. La Commission a combiné ces questions distinctes, et a cru qu'il revendiquait le statut d'objecteur de conscience parce qu'il craignait d'être persécuté :

Le demandeur craint d'être battu parce qu'il est un musulman pratiquant et qu'il ne pourra pas respecter l'obligation des pratiques religieuses comme la namaz ou le jeûne durant le ramadan. Il prétend être un objecteur de conscience à cause de son observance de la religion musulmane et de son appartenance au mouvement FG.

Motifs de la décision, dossier de demande, à la page 23.

15.                Le demandeur n'a pas prétendu être objecteur de conscience parce qu'il est musulman pratiquant ou qu'il est adepte du mouvement de FG. Cette question était distincte.

16.                La Commission avait l'obligation de statuer sur la demande fondée sur l'objection de conscience et la crainte d'être persécuté dans l'armée. Il y a là deux questions distinctes qui ne se chevauchent pas.

[7]                Il est vrai que, lorsque la Commission s'est penchée sur la question d'objection de conscience soulevée par le demandeur, elle a mentionné son aversion pour l'armée turque en raison de ses atteintes portées aux droits de la personne et sa crainte d'être maltraité s'il y était incorporé.

[8]                L'examen du dossier du tribunal montre que la Commission a eu entièrement raison d'agir ainsi, parce que le demandeur a mentionné ces deux points lorsqu'il lui a été demandé pourquoi il avait fui la Turquie. Sa déclaration figure à la page 699 du dossier du tribunal :

[TRADUCTION]

Q :          Et pourquoi ne vouliez-vous pas servir dans l'armée?

R :            Mes raisons pour ne pas vouloir y retourner? La première raison est que l'armée turque n'a aucun respect pour les droits de l'homme, parce que je suis antipathique et la troisième raison est que je suis - - -

Q :           Excusez-moi, quelle est la deuxième raison?

R :            Antipathique, je n'ai aucune sympathie du passé, ces racines du passé, je ne suis pas sympathisant.

Q :          Pouvez-vous nous dire brièvement ce que cela signifie?

R :            Le coup d'État militaire de 1980, c'est ce que j'ai vu, j'avais environ sept ans. Les militaires sont venus à notre village lorsque j'avais environ sept ans, mon grand-père, mon père; mon oncle; et mes cousins; et aussi ils ont rassemblé les autres hommes du village et nous ont amenés au Centrum. Ils nous ont battus - - ils les ont battus là au centre du village, cela m'a touché beaucoup au cours de ces années. Depuis lors, je n'ai jamais eu de sympathie envers les militaires.

Q :          L'expression correcte serait peut-être « antipathie envers » ?

R :          Antipathie ou haine, oui.

Q :           Des sentiments très négatifs envers. Je vous ai interrompu, vous étiez en train de nous donner une liste. Vous aviez de l'antipathie envers les militaires; ils ne font pas preuve de respect pour les droits de la personne.

R :           Surtout dans les régions du Sud et du Sud-Est. La troisième raison était que j'étais membre du Hizmet, enfin une personne qui y avait affaire. La quatrième raison est que je ne peux pas pratiquer ma religion dans l'armée.

[9]                Le demandeur a aussi déclaré, en réponse à une question suivant le récit de sa détention alors qu'il était étudiant :

Q :          Pourquoi cela vous a-t-il incité à ne pas vouloir servir dans l'armée?

R :           Parce que l'armée a constamment recours à la force, à la force brutale. Avec ce que j'ai appris, et notamment du groupe Fethullah Gulen, qui enseigne aux gens de ne pas se servir de la force, et c'est une philosophie de la vie que j'ai acceptée, voilà pourquoi mon antipathie est devenue plus intense, jour après jour.

Q :           En ce qui concerne vos convictions religieuses, ont-elles quelque chose à dire quant au service militaire?

R :            Selon ma conviction religieuse, Dieu donne la vie et lui seul peut la retirer, personne d'autre ne peut le faire, et il ne faut pas torturer les gens.

Q :           Qui dit cela ?

R :           L'islam.

               PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Qui dit que l'on ne peut torturer?

               INTERPRÈTE : La religion musulmane?

Q :            Est-ce dit dans le Coran ou est-ce une doctrine de Fethullah Gulen? Ou est-ce que cela vient d'ailleurs?

R :           Le Coran le dit, mais cela m'a aussi été enseigné par Fethullah Gulen.

[10]            Le témoignage du demandeur montre que les questions de violations des droits de la personne par l'armée turque (le motif pour lequel il prétend être objecteur de conscience), ses convictions religieuses, et le fait qu'il s'est soustrait à son incorporation (les motifs pour lesquels il craignait d'être maltraité dans l'armée), ne constituaient pas des catégories distinctes dans son esprit, mais associées : voilà pourquoi il était opposé à l'idée de faire son service militaire.

[11]            Il n'est pas surprenant que la Commission a examiné conjointement ces deux questions : la revendication du statut d'objecteur de conscience et sa crainte d'être persécuté dans l'armée. Si on les scinde, la décision de la Commission révèle ce que celle-ci a conclu en ce qui a trait à l'objection de conscience :

a)              Le tribunal estime que le demandeur n'a pas démontré, selon toute probabilité, que l'expérience subie dans son enfance, certes regrettable et à l'origine de sa crainte, d'un sentiment de tristesse et du dégoût qu'il a de l'armée, est un facteur important primordial expliquant pourquoi, selon lui, il est objecteur de conscience;

b)             Le tribunal estime invraisemblable qu'un objecteur de conscience sérieux puisse demeurer en Turquie dans le but de bénéficier de dispenses de l'armée pour études au lieu ou bien de manifester qu'il est un objecteur de conscience, ou bien de quitter le pays pour pouvoir le faire;

c)              Le tribunal a conclu que sa décision de chercher à obtenir des dispenses pour cause d'études jusqu'à la date limite permise avant de quitter le pays, ne cadre pas avec le profil d'un objecteur de conscience;

d)             Le tribunal a conclu que la crainte du demandeur d'être mêlé, dans l'armée, à des meurtres, enlèvements et tortures pratiqués sans égard aux règles judiciaires n'était pas fondée;

e)              Le tribunal a examiné tous les éléments de preuve et il n'a pas trouvé suffisamment d'éléments crédibles et fiables pour être convaincu de l'authenticité des convictions politiques, religieuses ou morales du demandeur, ou des raisons de conscience qui l'ont amené à vouloir se soustraire au service militaire.

En outre, la Commission a conclu, en ce qui a trait à ses allégations concernant le traitement qui lui serait réservé dans l'armée en tant que déserteur :

a)              De plus, nul des éléments de preuve produits devant la Commission n'a démontré que la peine prévue en cas de désertion soit cruelle et inusitée;

b)             La peine contre la désertion est prescrite par une loi d'application générale et ce n'est pas en soi une loi faite pour persécuter puisqu'elle s'applique à tous les citoyens turcs indépendamment de leur religion ou de leurs opinions politiques;

c)              Il n'a été présenté à la Commision aucune preuve permettant de croire que le demandeur serait traité autrement que comme le prévoit le droit militaire applicable aux déserteurs;

d)             La Commission n'a été saisie d'aucune preuve documentaire selon laquelle l'armée impose des restrictions à l'endroit de certaines pratiques ou manifestations religieuses musulmanes comme le namaz et le jeûne.

[12]            Par conséquent, je ne vois pas ce qu'il y a de déraisonnable dans le fait que la Commission a examiné ces deux questions ensemble, et non de manière distincte, comme le demandeur le propose. De plus, je ne vois pas pourquoi cet examen conjoint des deux questions de sa part rend sa décision déraisonnable de quelque manière que ce soit. Ces questions sont très connexes, la Commission a analysé les deux prétentions et les a rejetées en raison d'un manque de crédibilité. L'examen distinct de ces questions prétendument distinctes n'aurait pas abouti à un résultat différent.

[13]            Le demandeur invoque aussi la décision Bakir, précitée, comme preuve que les conditions qui règnent dans les prisons militaires turques sont inhumaines et équivalent à de la persécution. Cependant, dans cette affaire, la Cour n'a pas formulé de conclusions de ce genre; elle s'est simplement prononcée sur le fait que la Commission n'avait pas tenu compte de certains éléments de preuve produits par le demandeur concernant les conditions dans les prisons militaires turques. Puisque, en l'espèce, le demandeur n'a pas fait d'allégation de ce genre (il n'a pas été question de refus d'examiner des éléments de preuve pertinents), cette décision ne va pas dans le sens de la thèse du demandeur.

[14]            Comme la décision rendue en l'espèce par la Commission est raisonnable, la demande ne peut être accueillie.

ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée.

« K. von Finckenstein »



Juge

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-2005-04

INTITULÉ :                                                    OSMAN YASAR DAVARCI

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                              OTTAWA ET TORONTO PAR

                                                                        VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 20 JANVIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE VON FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS :                                   LE 25 JANVIER 2005

COMPARUTIONS :

Alex Billingsley                                                  POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

John Loncar                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Toronto (Ontario)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alex Billingsley                                                  POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

John H. Sims                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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