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Date : 20060119

Dossier : IMM-1826-05

Référence : 2006 CF 54

Toronto (Ontario), le 19 janvier 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RICHARD G. MOSLEY

ENTRE :

RAFAEL ANGEL VANEGAS MARIN

MARIA NOELLA GRAJALES DE VANEGAS

RAFAEL ANDRES VANEGAS GRAJALES

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) par laquelle la Commission a décidé que, mLme s'ils sont crédibles et se sont vu reconnaître le statut de réfugiés de la Colombie, ils sont en mesure de réclamer la protection du gouvernement vénézuélien de Hugo Chavez.

[2]Rafael Angel Vanegas Marin et son épouse, Maria Noella Grajales de Vanegas, sont nés en Colombie. Ils ont résidé au Venezuela entre 1978 et 1995 et sont devenus citoyens naturalisés


vénézuéliens en 1985. Leur fils mineur, Rafael Andres Vanegas Grajales, est né au Venezuela.

[3]Durant leur séjour au Venezuela, les demandeurs adultes ont été victimes de discrimination et sont devenus la cible de criminels. En octobre 1997, ils sont retournés vivre en Colombie, car M. Vanegas Marin souffrait de problPmes rénaux et avait besoin d'une transplantation. Il a alors fait l'élevage de bétail. En peu de temps, les demandeurs furent victimes d'extorsion de la part de membres des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Ces derniers offraient leur protection B la famille en échange de contributions pécuniaires aux FARC; par téléphone, ils menaçaient les demandeurs de représailles si ceux-ci refusaient de se plier B leurs exigences.

[4]Les demandeurs ont déménagé B plusieurs reprises sans pouvoir échapper aux FARC. La police ne fut d'aucun secours. Craignant d'Ltre tués par les FARC, les demandeurs ont décidé de s'enfuir de la Colombie. Comme ils croient que des factions des FARC sont actives au Venezuela, ils ont pris le parti de ne pas retourner dans ce pays. Ils sont d'abord entrés aux États-Unis en octobre 1999 et sont arrivés au Canada en mai 2004. Ils ont alors revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention.

[5]Dans sa décision datée le 2 mars 2005, le commissaire a dit que [traduction] « le témoignage a été présenté d'une maniPre cohérente et franche et ne soulevait pas de questions de crédibilité » . Il a reconnu que les FARC avaient menacé de les tuer et qu'ils n'avaient pu obtenir la protection de l'État en Colombie. Le commissaire a jugé que leurs allégations de persécution en Colombie étaient plausibles et qu'ils avaient démontré qu'ils ne pouvaient bénéficier d'une protection adéquate de l'État dans ce pays. Toutefois, il a rejeté leur revendication, parce qu'il a jugé qu'ils n'avaient pas réfuté la présomption qu'une protection de l'État s'offrait Beux au Venezuela.

[6]Pour en arriver B cette conclusion, le commissaire a dit qu'il avait pris en compte une preuve documentaire selon laquelle le Venezuela est une démocratie constitutionnelle qui respecte les droits de ses propres citoyens et offre une protection aux citoyens colombiens. L'analyse effectuée par le commissaire comporte un renvoi B un rapport du Département d'État des États-Unis signalant que le Venezuela a accordé le statut de réfugié B des demandeurs d'asile colombiens en février 2004.

[7]Une autre preuve documentaire B laquelle renvoie le commissaire concerne des attaques dirigées par l'armée vénézuélienne contre les forces paramilitaires colombiennes qui pourchassent les paysans soupçonnés d'appuyer les FARC dans la région frontaliPre. Le commissaire a également cité une preuve relative Bdes demandes de la part de citoyens vénézuéliens afin que des mesures plus vigoureuses soient prises contre les incursions des forces paramilitaires et des guérilleros colombiens sur le territoire. Le commissaire a conclu que cette preuve témoigne d'une maniPre évidente que le gouvernement fait des efforts considérables pour protéger son territoire et ses citoyens.

[8]Le commissaire a noté que les demandeurs s'étaient plaints de ne pas se sentir en sécurité au Venezuela avant de quitter ce pays, mais a observé que leur seul motif de plainte concernait un incident qui remontait B1995. Or, cet incident avait fait l'objet d'une enquLte policiPre et les criminels qui s'en étaient pris aux demandeurs avaient été appréhendés par la police et mis en prison. La remise en liberté ultérieure de ces malfaiteurs ne prouvait pas que les demandeurs s'étaient vu refuser la protection de l'État non plus que, s'ils retournaient dans ce pays, cette protection leur serait refusée.

[9]La question centrale de la présente instance est de déterminer si les conclusions du commissaire, en ce qui concerne la situation au Venezuela, ont été tirées de façon abusive ou arbitraire, et sans tenir compte de tous les éléments de preuve. Il s'agit d'appliquer ici comme norme de contrôle la décision manifestement déraisonnable : Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2004] 1 R.C.F. 3, 2003 CAF 325.

[10]Il faut aussi se demander si le commissaire a commis une erreur en faisant référence B des documents reçus aprPs la clôture de l'audience. Or, les demandeurs ont affirmé au moyen d'un affidavit que lesdits documents ne leur auraient pas été transmis. Le fait que le commissaire se soit appuyé sur une preuve qui n'a pas été soumise lors de l'audience, ou sur laquelle les demandeurs n'ont pas eu la possibilité de s'exprimer, constituerait, selon ces derniers, une erreur susceptible de contrôle judiciaire.

[11]Le principal grief des demandeurs en regard de la décision du commissaire est que celui-ci a tiré une conclusion sans tenir compte de la preuve selon laquelle le gouvernement de Hugo Chavez est un gouvernement autoproclamé radical de gauche qui appuie les FARC. Selon les demandeurs, le commissaire aurait df tenter de déterminer si, en raison de cette conjoncture, ceux-ci pouvaient obtenir la protection du gouvernement du Venezuela contre les menaces d'extorsion des FARC. Cette analyse, prétendent les demandeurs, n'a pas été faite par la Commission.

[12]Le seul moment oj la Commission fait état de la preuve selon laquelle Chavez a donné son appui aux FARC est lorsqu'elle admet que [traduction] « certains documents accusent mLme le gouvernement vénézuélien de prendre parti » . Ce commentaire donne B entendre qu'il y aurait seulement quelques documents Bl'appui de cette affirmation, alors que les cinq documents versés au dossier contiennent tous des éléments indiquant que le régime de Chavez apporte son soutien aux FARC.

[13]Le défendeur admet que la preuve documentaire démontre que le gouvernement de Hugo Chavez apporte son soutien aux FARC. Cependant, le défendeur prétend que cela ne vient pas B l'encontre de la décision de la Commission selon laquelle les demandeurs seraient B l'abri d'extorsion de la part des FARC au Venezuela.

[14]La preuve documentaire, selon le défendeur, semble indiquer que le gouvernement de Chavez tolPre la guérilla le long de la frontiPre colombo-vénézuélienne ou qu'il ne fait rien pour l'empLcher. Cela ne démontre pas que les demandeurs courent le risque d'Ltre victimes d'extorsion de la part des FARC partout sur le territoire vénézuélien. Par conséquent, il n'a pas été démontré que la conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs pouvaient Ltre Bl'abri des menaces d'extorsion de la part des FARC au Venezuela était arbitraire.

[15]J'estime qu'il était loisible B la Commission de conclure, B partir de la preuve, que mLme s'il semble que l'administration Chavez donne son soutien aux FARC dans la région frontaliPre, cela ne signifie pas que les FARC ont des factions actives partout au Venezuela ou que les demandeurs ne pourraient bénéficier de la protection de l'État contre l'extorsion de la part des FARC BCaracas ou ailleurs. Toutefois, la Commission n'a pas fondé son évaluation de la possibilité d'obtenir la protection de l'État sur cette analyse de la situation.

[16]La Commission semble plutôt avoir interprété la preuve d'attaques militaires vénézuéliennes dans la région frontaliPre de maniPre Bappuyer sa conclusion que le gouvernement Chavez fait des efforts considérables pour protéger son territoire et ses citoyens. Cependant, la preuve citée ne montre pas que ces attaques avaient pour but de maîtriser les FARC. Au contraire, elles visaient les forces paramilitaires de droite qui combattent les FARC en Colombie et dans la région frontaliPre vénézuélienne. La Commission aurait dfprendre en compte cette preuve et procéder B une analyse des conséquences de la situation pour les demandeurs. Cette analyse, selon moi, n'a pas été faite.

[17]Comme le font valoir les demandeurs, les motifs invoqués par le commissaire ne témoignent pas d'une compréhension des différences qui existent entre la Colombie et le Venezuela. En Colombie, il y a un gouvernement de droite qui est contesté par la guérilla menée par la gauche. Au Venezuela, la gauche est au pouvoir et subit l'opposition de la droite qui, auparavant, détenait le pouvoir. Il est quelque peu difficile de comprendre la conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs ne peuvent obtenir la protection de l'État en Colombie, alors que le gouvernement de ce pays est hostile aux FARC, mais peuvent cependant obtenir cette protection au Venezuela, ojle gouvernement appuie de maniPre active les FARC ou, Btout le moins, tolPre les activités de ce groupe.

[18]Je suis donc convaincu que le commissaire, lorsqu'il conclut que les demandeurs pourraient vivre en sécurité au Venezuela, n'a pas appliqué correctement le critPre B deux volets en matiPre de protection de l'État exposé dans l'arrLt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, 103 D.L.R. (4th) 1. Le critPre qui permet de déterminer si un État n'est pas en mesure d'accorder sa protection Bun citoyen comporte deux volets : (1) le demandeur doit éprouver une crainte subjective d'Ltre persécuté, et (2) cette crainte doit Ltre objectivement justifiée. Dans la présente affaire, le commissaire a admis que les demandeurs éprouvent une crainte subjective d'Ltre persécutés au Venezuela. Cependant, il n'a pas procédé B l'analyse, fondée sur la preuve documentaire concernant la situation au Venezuela, qui aurait permis de déterminer si cette crainte était objectivement justifiée.

[19]Le fait que le commissaire ait cité une preuve documentaire reçue aprPs la clôture de l'audience me préoccupe peu, car, aprPs avoir lu attentivement les motifs qu'il invoque, il me semble que tous les documents auxquels il renvoie avaient été versés au dossier du tribunal. De plus, il semble que la note dont il est question soit le résultat d'une confusion entre la preuve documentaire sur la situation du pays et certaines piPces justificatives que les demandeurs devaient fournir pour compléter le dossier et qui ont été présentées aprPs l'audience. C'est pourquoi, je n'interviendrai pas dans cette décision pour ce seul motif.

[20]Toutefois, compte tenu de mes observations concernant l'analyse de l'accessibilité de la protection de l'État, je conclus que la décision dans son ensemble est manifestement déraisonnable et doit Ltre renvoyée pour un nouvel examen Bun tribunal différemment constitué. L'affaire ne soulPve aucune question de portée générale et aucune ne sera certifiée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée B un tribunal différemment constitué pour un nouvel examen.

« Richard G. Mosley »

JUGE

Traduction certifiée conforme

Jacques DeschLnes, LL.B.



COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :     IMM-1826-05

INTITULÉ :    RAFAEL ANGEL VANEGAS MARIN

MARIA NOELLA GRAJALES DE VANEGAS

RAFAEL ANDRES VANEGAS GRAJALES

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :    LE 19 JANVIER 2006

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO ( ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :            LE JUGE RICHARD G. MOSLEY

DATE DES MOTIFS :           LE 19 JANVIER 2006

COMPARUTIONS :

Raoul Boulakia POUR LES DEMANDEURS

Kevin Lunney    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raoul Boulakia POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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