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Date : 20021212

Dossier : T-319-02

Référence neutre : 2002 CFPI 1288

ENTRE :

                                               JAMES WILLIAM WATSON

                                                                                                                              demandeur

                                                                    - et -

                                    THE CALGARY AIRPORT AUTHORITY

                                                                                                                          défenderesse

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE CAMPBELL

[1]         Le 31 janvier 2002, la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a rejeté la plainte de discrimination fondée sur la déficience portée par le demandeur contre la défenderesse, la Calgary Airport Authority (la CAA), relativement à son emploi dont il avait été congédié environ cinq ans plus tôt. Dans la présente demande, le demandeur soutient qu'un manquement à l'application régulière de la loi s'est produit au cours de l'enquête qui a été menée au sujet de sa plainte et que la décision de la Commission n'était pas suffisamment exhaustive et qu'elle devrait de ce fait être annulée au motif qu'elle est déraisonnable.


A. Contexte factuel

[2]         La plainte que le demandeur avait portée devant la Commission concernait les rapports qu'il avait eus avec son employeur, la CAA, entre 1993 et 1997. Le dossier factuel soumis à la Commission était extrêmement fouillé. Pour répondre aux questions soulevées en l'espèce, il suffit de donner le résumé suivant du déroulement des faits pour saisir dans quel contexte la plainte a été portée.


[3]         Le demandeur a été engagé par Transports Canada en 1983 pour travailler à l'aéroport de Calgary comme mécanicien de machinerie lourde. En 1992, son employeur est devenu la CAA. Au cours de son emploi de mécanicien de machinerie lourde, le demandeur a été blessé à plusieurs reprises, tant sur les lieux de son travail qu'à l'extérieur. Il a notamment été blessé au bas du dos en 1988 sur les lieux de son travail. En 1989, il a subi une blessure à l'aine qui a nécessité une intervention chirurgicale. À la suite de ces deux blessures, le demandeur a été muté à un poste de mécanicien structurel/mécanicien-monteur. En 1995, le demandeur a de nouveau été blessé au dos et au cou et a subi une évaluation des capacités fonctionnelles (ECF) qui a démontré qu'il était apte à retourner au travail, sous réserve de quelques mesures d'adaptation. En 1996, le médecin du demandeur a informé la CAA que le demandeur avait besoin de certains aménagements sur les lieux de son travail. Le médecin membre du personnel de la CAA a toutefois conclu que le demandeur pouvait reprendre le travail sans restrictions. En mai 1997, le médecin du demandeur a recommandé à ce dernier de ne pas soulever des poids de plus de cinq livres, de ne pas demeurer assis, se pencher ou faire des efforts musculaires pendant des périodes de temps prolongées. Le demandeur a en conséquence réclamé et obtenu 100 pour 100 de son salaire ainsi que des prestations d'invalidité de courte durée. En juillet 1997, le demandeur a subi une seconde ECF, à l'occasion de laquelle il a été déclaré incapable d'exécuter la plupart des tâches de son poste et, comme aucun autre emploi ne pouvait lui être offert, la CAA lui a donné pour directives de réclamer des prestations d'invalidité de longue durée. Finalement, après avoir découvert qu'il travaillait comme jardinier et qu'il exécutait des tâches physiquement exigeantes alors qu'il retirait des prestations d'invalidité de courte durée tout en niant ces faits, la CAA a procédé au licenciement motivé du demandeur et en avril 1998, un arbitre désigné en vertu de la convention collective a conclu que cette mesure était justifiée.

B. La plainte, le rapport d'enquête et la décision de la Commission

[4]         Dans la plainte qu'il a déposée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, (la Loi), le demandeur alléguait que la CAA n'avait pas pris les mesures nécessaires pour tenir compte de sa déficience au cours de son emploi, en violation de l'article 7, dont voici le libellé :



7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d'employer ou de continuer                 d'employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d'emploi.

7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

              (a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or


[5]           L'alinéa 14(1)c) de la Loi est également important pour comprendre la décision de la Commission :


14. (1) Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu :

....

c) en matière d'emploi.

14. (1) It is a discriminatory practice,

...

(c) in matters related to employment,

                to harass an individual on a prohibited ground of discrimination.


[6]         La Commission a reçu la plainte du demandeur et a ouvert une enquête. Le rapport d'enquête de 86 paragraphes (le rapport) décrit en détail le contenu du volumineux dossier factuel et des arguments présentés tant par le demandeur que par la défenderesse, mais il ne renferme presque pas d'analyse critique. En fait, il ne comporte que deux paragraphes dans lesquels l'enquêteur exprime son avis au sujet de la preuve présentée :

[TRADUCTION] 20. Les tentatives faites pour trouver les deux témoins nommés par le plaignant ont été infructueuses. Il ressort du résumé fourni par l'avocat du plaignant que les éléments d'information dont les témoins en question auraient pu être au courant ne se rapportent pas au présumé défaut de la défenderesse de prendre des mesures pour tenir compte de la situation du plaignant, mais plutôt à des allégations de harcèlement qui ne font pas partie de la présente plainte. On a demandé au plaignant de fournir les noms d'autres témoins qui pouvaient corroborer ses dires, mais il n'en a fourni aucun.

[...]

Recommandation

86. Il est recommandé à la Commission, en vertu de l'alinéa 44(3)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de rejeter la plainte pour les motifs suivants :

1.             La preuve ne corrobore pas l'allégation que la défenderesse n'a pas pris de mesures pour tenir compte de la situation du plaignant ou qu'elle l'a congédié en raison de sa déficience.


2.             Il ressort de la preuve que la défenderesse a effectivement pris des mesures pour tenir compte de la situation du plaignant lorsque les médecins de ce dernier lui ont fourni des informations suffisamment détaillées.

3.             Il ressort de la preuve que la défenderesse a congédié le plaignant non pas parce qu'il avait réclamé des mesures d'adaptation mais parce qu'il avait rompu le lien de confiance qui existait entre lui et son employeur.

(Dossier de la demande du demandeur, onglet 6, annexe E)

[1]        Dans sa décision, la Commission ne s'est livrée à aucune analyse, se contentant de donner suite aux recommandations formulées dans le rapport et de rejeter la plainte après avoir examiné le rapport et le mémoire déposé en réponse.

C. Questions à trancher

[2]         Au cours des débats, les avocats du demandeur et de la défenderesse ont convenu que la recommandation qui avait été formulée au sujet du congédiement du demandeur était indépendante de la décision de la Commission et de l'issue de la présente demande. Il a également été convenu que la norme de contrôle appropriée en ce qui concerne le contenu de la décision de la Commission est la norme de la décision raisonnable.


[3]         Ainsi, à l'instruction de la présente demande, l'avocat du demandeur a fait valoir deux moyens distincts : a) parce que le demandeur et ses témoins désignés n'ont pas été interrogés et que les témoins de la défenderesse l'ont été, un manquement à l'application régulière de la loi s'est produit et b) parce que le demandeur et ses témoins désignés n'ont pas été interrogés, le rapport et la décision de la Commission n'étaient pas assez exhaustifs et manquaient de rigueur, ce qui rend la décision de la Commission déraisonnable.

1. Application régulière de la loi

[4]         Le demandeur soutient que, pour respecter la norme d'équité exigée selon les critères établis dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, il fallait interroger en personne le demandeur et la défenderesse. Compte tenu de la jurisprudence bien établie sur le devoir d'agir équitablement dans les instances introduites en vertu de la Loi, je n' accepte pas cet argument du demandeur.

[5]         À mon avis, dans ses observations écrites, la défenderesse soutient avec raison qu'aucun manquement à l'application régulière de la loi ne s'est produit en l'espèce selon les énoncés de droit suivants :

[TRADUCTION]


¶ 68.          Le fait que l'enquêteur n'ait pas interrogé chacun des témoins recommandés par la requérante et le fait que la conclusion tirée par l'enquêteur ne mentionne pas chacun des présumés incidents de discrimination n'ont pas non plus de conséquence absolue. Cela est encore plus vrai lorsque la requérante a l'occasion de combler les lacunes laissées par l'enquêteur en présentant subséquemment ses propres observations. En l'absence de règlements qui lui donnent des lignes directrices, l'enquêteur, tout comme la CCDP, doit être maître de sa propre procédure, et le contrôle judiciaire d'une enquête prétendument déficiente ne devrait être justifié que lorsque l'enquête est manifestement déficiente. En l'espèce, je constate que l'enquêteuse n'a pas omis d'examiner l'un ou l'autre des aspects fondamentaux de la plainte de la requérante, telle qu'elle était formulée, et qu'il n'y avait aucun autre point, moins important mais néanmoins pertinent, qui ait été traité de façon insatisfaisante et qui n'ait pu être repris dans les observations présentées en réponse par la requérante.

Slattery c. Commission canadienne des droits de la personne (no 2), [1994], 2 C.F. 574; confirmé à [1996] A.C.F. no 385 (C.A.F.) (Q.L.).

¶ 10.          [...] [L'enquête] doit être exhaustive, c'est-à-dire qu'elle doit tenir compte des différents intérêts des parties concernées. L'enquêteur n'est pas tenu d'interroger chaque personne que proposent les parties. Il n'est pas tenu non plus, dans son rapport, de commenter chacun des incidents de discrimination reprochés, surtout lorsque les parties ont la possibilité de combler les lacunes dans leurs réponses.

Miller c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1996] A.C.F. no 735 (C.F. 1re inst.) (Q.L.).

¶ 13.         La plainte du demandeur porte essentiellement que l'enquête menée par l'enquêteur de la Commission n'était pas suffisamment approfondie. Aucun élément de preuve n'indique toutefois qu'il y aurait eu violation des principes de justice naturelle ou absence d'équité procédurale. Le demandeur a eu l'occasion de commenter le rapport de l'enquêteur. Il l'a fait par écrit et la Commission disposait de ses commentaires et du rapport de l'enquêteur au moment où elle a pris sa décision. La Commission devait se prononcer sur la plainte du demandeur selon laquelle certains témoins n'ont pas été interrogés et traiter de la question de savoir si les témoins éventuels devaient être interrogés en personne. La Commission était au fait de ces questions et des autres réticences du demandeur quant au rapport de l'enquêteur. À mon avis, la décision de la Commission était fondée sur les éléments de preuve dont elle disposait.

Bourgeois c. Banque Canadienne Impériale de Commerce, [2000] A.C.F. no 388 (C.F. 1re inst.) (Q.L.).

¶ 11.         Selon les décisions Slattery c. Commission canadienne des droits de la personne et Miller c. Commission canadienne des droits de la personne et al. de notre Cour, le contenu de l'obligation d'équité à laquelle est tenue la Commission dans les cas comme celui-ci, est raisonnablement limité. L'enquête effectuée pour la Commission doit être juste et minutieuse; elle doit prendre en considération les intérêts respectifs des parties, et doit être neutre. Le rapport d'enquête doit être communiqué aux parties avant d'être soumis à la Commission, et celles-ci doivent se voir accorder la possibilité raisonnable de le commenter par écrit. Toute observation faite doit être transmise à la Commission pour examen en même temps que le rapport d'enquête lui-même.


¶ 12.          Je suis convaincu que l'exposé qui précède du contenu de l'obligation d'équité à laquelle est tenue la Commission dans les décisions comme celle en instance, est conforme aux prescriptions données par la Cour suprême dans l'arrêt Baker.[Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] [2 R.C.S. 17.]

[...]

¶ 17.         Il ressort des faits de la cause, tels qu'ils se dégagent du dossier de la Commission qui consiste principalement en le rapport d'enquête, et des conclusions écrites soumises par la suite par la demanderesse et la défenderesse, que la Commission a rempli son obligation d'équité. La demanderesse se plaint que l'enquête en question n'ait pas compris l'audition d'un témoin de première importance à son avis, mais la Commission a tenu compte de ce grief lors de l'examen du rapport d'enquête, et je dois conclure qu'elle l'a pris en considération et l'a rejeté. Il lui était raisonnablement loisible de le faire, étant donné le large pouvoir discrétionnaire dont elle est investie pour parvenir à la décision entreprise.

Lindo c. Banque Royale du Canada, [2000] A.C.F. no 1101 (C.F. 1re inst.) (Q.L.).

2. Exhaustivité

[7]         Les parties conviennent qu'il est de jurisprudence constante que les enquêtes que mène la Commission doivent respecter deux conditions : la neutralité et l'exhaustivité

(Grover c. Canada (Conseil national de recherches), [2001] A.C.F no 1012 (C.F. 1re inst.) (Q.L.) et Charlebois c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1998] A.C.F. no 1335 (C.F. 1re inst.) (Q.L.)).

[8]         Dans son plaidoyer devant l'enquêteur, le demandeur a détaillé ses allégations de traitement hostile en expliquant ce qui suit :

[TRADUCTION] M. Watson était victime d'un milieu de travail malsain en raison du refus de son employeur de s'occuper du problème de harcèlement de M. Watson à cause de la déficience de celui-ci.

(Dossier de la demande du demandeur, onglet 6, annexe D, à la page 6).


Les témoins proposés par le demandeur, et le demandeur lui-même, sont les personnes qui ont témoigné au sujet de cette allégation, mais aucune n'a été interrogée. Cependant, le témoignage que chacune de ces personnes donnerait probablement si elle était interrogée a été fourni par écrit par l'avocat du demandeur.

[9]         Je suis d'accord avec l'avocat du demandeur pour dire que l'enquêteur a mal compris l'allégation relative au « harcèlement » . Il ressort à l'évidence du contenu du paragraphe 20 du rapport précité que l'enquêteur a estimé que la preuve ouvrait droit à une plainte distincte fondée sur l'article 14 de la Loi, au lieu de considérer qu'elle constituait le contenu critique de la plainte déposée en vertu de l'article 7 de la Loi. Comme la conclusion tirée par l'enquêteur au paragraphe 20 du rapport témoigne d'une erreur de compréhension fondamentale, je conclus qu'elle est déraisonnable.

[10]       Il importe de noter que les arguments que le demandeur a fait valoir devant la Commission au sujet de l'issue de l'enquête reprennent les éléments de preuve et les arguments relatifs au harcèlement qui avaient été formulés devant l'enquêteur :

[TRADUCTION]

Traitement hostile et harcèlement

L'enquêteur a conclu à tort au paragraphe20 du rapport d'enquête que les allégations de harcèlement ne font pas partie de la plainte.


Le 14 juin 1996, le supérieur immédiat de M. Watson, Bruce Penman, a informé M. Watson, en présence de deux témoins, que M. Watson était [TRADUCTION] « un homme fini » . Les notes manuscrites de M. Watson renferment d'autres exemples de l'attitude hostile de M. Penman envers M. Watson. De plus, la CAA a permis qu'une illustration offensante faisant allusion à M. Watson soit affichée à l'atelier d'affichage, qui est situé à côté de l'atelier de menuiserie (où M. Watson travaillait) : M. Watson y était dépeint comme un lapin dans un baril que l'on pourchassait avec un bâton. Cette illustration a ridiculisé et humilié M. Watson.

Un ancien employé de la CAA qui avait travaillé avec M. Watson, et dont le nom a été communiqué à l'enquêteur (mais que l'enquêteur n'a pas interrogé), a fait observer que M. Watson était certainement mal à l'aise au travail. Il a en outre déclaré avoir été témoin de l'attitude désinvolte et grossière de Bruce Penman envers M. Watson. Ce témoin a qualifié le milieu de travail de « dysfonctionnel » et a expliqué que les cadres lui avaient bien fait comprendre que M. Penman voulait le départ de M. Watson et que M. Penman avait refusé de prendre des mesures pour appuyer M. Watson.

Un autre témoin dont le nom avait aussi été communiqué à la CCDP (mais qui n'a pas non plus été interrogé par l'enquêteur), peut confirmer que Bill Watson est devenu le bouc émissaire de Bruce Penman. Ce témoin avait l'impression que Bruce Penman faisait tout en son pouvoir pour exercer des pressions sur M. Watson et qu'il était constamment sur les talons de M. Watson.

Il s'agit là à notre sens de quelques exemples d'incidents de harcèlement dont M. Watson a fait l'objet en raison de sa déficience, ce qui constitue de la discrimination en cours d'emploi exercée contre M. Watson par la CAA. M. Watson devait travailler dans un milieu de travail malsain en raison du défaut de la CAA de prendre des mesures pour mettre fin au harcèlement dont il était victime.

Il vaut la peine de noter que l'incapacité et/ou le refus de M. Watson de s'acquitter comme il se doit des fonctions de son emploi coïncident avec ses évaluations de rendement défavorables. Les évaluations de M. Watson étaient excellentes jusqu'à ce qu'il commence à éprouver des difficultés à remplir ses fonctions par suite de ses déficiences. Ce n'est qu'alors qu'il a commencé à faire l'objet de rapports défavorables. La CAA aurait manqué à son devoir de lui assurer un lieu de travail libre de harcèlement. L'employeur devrait être sanctionné plus sévèrement lorsque le harcèlement est le fait de cadres.

(Dossier de la demande du demandeur, onglet 6, annexe F, à la page 2). [Non souligné dans l'original.]

Il semble que ces observations n'ont eu aucune incidence parce que la Commission a accepté intégralement les recommandations de l'enquêteur. Il y a donc lieu de se demander si la décision de la Commission est déraisonnable parce que celle-ci a accepté une recommandation qui est en partie fondée sur une conclusion déraisonnable.


[1]         Pour ce qui est de la question de l'exhaustivité, le demandeur ne conteste pas l'argument de la défenderesse suivant lequel la Commission est un organisme qui exerce des fonctions d'administration et d'examen préalable et dont le rôle se borne à déterminer si la preuve dont elle dispose est suffisante pour instruire la plainte ou la rejeter en vertu du paragraphe 44(3) de la Loi. La Commission ne se prononce pas sur le bien-fondé de la plainte (Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113, [1998] A.C.F. no 1609 (C.A.F.) (Q.L.)).

[2]         Toutefois, lors des débats, l'avocat du demandeur a avancé la proposition que, pour rendre sa décision, la Commission est tenue d'appliquer la norme que l'on trouve dans l'arrêt Colombie-Britannique (Public Service Commission) c. B.C.G.S.E.U. [1999] 3 R.C.S. 3, où, au paragraphe 54, la Cour suprême énonce le critère à appliquer pour déterminer si une norme qui est discriminatoire à première vue constitue quand même une exigence professionnelle justifiée. Toutefois, dans le cas qui nous occupe, le demandeur ne prétend pas que les exigences professionnelles elles-mêmes étaient discriminatoires, mais que son employeur n'a pas pris les mesures nécessaires pour tenir compte de sa déficience. Il affirme à cet égard qu'il était victime d'un climat de travail malsain. Je conclus donc que le critère proposé ne permet pas en l'espèce de répondre à la question de l'exhaustivité de l'enquête.


[3]         À mon avis, la question à laquelle il faut répondre ne concerne pas un point de droit; elle a trait à une question de fait, en l'occurrence celle de savoir si en procédant à l'examen préalable de la plainte du demandeur, la Commission a fait preuve de suffisamment de rigueur et d'exhaustivité.

[4]         J'estime qu'il vaut la peine de noter que, récemment, dans le jugement Basudde c. Canada (Procureur général), [2002] A.C.F. no 1047, le juge Beaudry, qui était appelé à se prononcer sur une situation semblable, a conclu ce qui suit au paragraphe 53 :

Le dossier montre que le demandeur avait fait référence à une discrimination systémique et à un milieu de travail malsain présents à SC. L'enquête n'accorde pas une attention adéquate aux prétentions du demandeur à cet égard, ce qui suggère que l'enquête et la décision ultérieure de la Commission étaient fondées sur une enquête qui manquait de rigueur. Étant donné qu'il est possible de contester la conclusion quant à son fondement probatoire et au processus par lequel on est parvenu à cette conclusion, la décision de la Commission est déraisonnable.

[5]         En l'espèce, il ressort à l'évidence du dossier qu'un des éléments importants de la plainte du demandeur est le mauvais traitement dont il a été victime au travail, tant en raison du défaut de son employeur de prendre des mesures pour tenir compte de ses besoins médicaux en lui confiant d'autres tâches qu'à cause du harcèlement dont il a été victime de la part de son supérieur immédiat. À mon avis, la Commission n'a pas traité comme il se doit la conclusion erronée tirée par l'enquêteur au sujet du volet de la plainte relatif au harcèlement et ce, même si la Commission disposait d'éléments de preuve qui lui permettaient de le faire et qu'il lui était loisible de le faire. J'en conclus que la décision de la Commission est déraisonnable, parce que la Commission y accepte une recommandation qui repose en partie sur une conclusion déraisonnable. En conséquence, je conclus que la décision est entachée d'une erreur qui justifie l'intervention de la Cour.


[6]         Au cours des débats, les parties ont soulevé la question de savoir si je devais exercer mon pouvoir discrétionnaire de manière à annuler la décision de la Commission et à lui renvoyer l'affaire pour qu'elle rende une nouvelle décision. La question à se poser est en fait celle de savoir à quoi servira une nouvelle décision compte tenu du fait que le demandeur a été congédié pour un motif valable. Ainsi que je l'ai déjà signalé, il est acquis aux débats que le congédiement n'a rien à voir avec la question de savoir si le demandeur est en mesure d'établir le bien-fondé de sa plainte de discrimination en cours d'emploi fondée sur la déficience. Comme je ne suis pas convaincu que l'enquête menée au sujet de la plainte était suffisamment exhaustive, je ne vois aucune raison de ne pas prendre en l'espèce la mesure habituelle, c'est-à-dire de renvoyer l'affaire à la Commission pour qu'elle rende une nouvelle décision. Si la Commission donne raison au demandeur dans sa nouvelle décision et si le tribunal qui pourrait par la suite être constitué lui donne ensuite gain de cause, le demandeur pourrait alors réclamer une indemnité en vertu de l'alinéa 53(2)e) de la Loi. Il n'existe selon moi aucune raison de priver le demandeur de la possibilité de faire valoir son point de vue.

[7]         Bien que je n'ordonne pas à la Commission d'interroger le demandeur et ses témoins avant de rendre sa nouvelle décision, je conviens avec l'avocat du demandeur qu'une telle mesure aurait l'avantage de fournir la meilleure preuve possible au sujet du volet harcèlement de la plainte tout en procurant à la Commission un solide fondement lui permettant d'évaluer le poids à accorder à cet aspect de la plainte.


                                                     O R D O N N A N C E

Pour les motifs exposés, j'annule la décision rendue par la Commission le 31 janvier 2002 et je lui renvoie l'affaire pour qu'elle rende une nouvelle décision.

Je condamne la défenderesse aux dépens.

« Douglas R. Campbell »

______________________________

     Juge            

OTTAWA

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                           COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                      SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               T-319-02

INTITULÉ :                                              JAMES WILLIAM WATSON c.

THE CALGARY AIRPORT AUTHORITY

                                                                       

LIEU DE L'AUDIENCE :                        Calgary (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                      2 décembre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :        le juge Campbell

DATE DES MOTIFS :                             12 décembre 2002

COMPARUTIONS:

Harry G. Mugford                                                               POUR LE DEMANDEUR

David R. Laird, c.r.                                                              POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Gowling Lafleur Henderson s.r.l.                                          POUR LE DEMANDEUR

Calgary (Alberta)

Laird Armstrong                                                                  POUR LA DÉFENDERESSE

Calgary (Alberta)


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