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     Date : 20000901

     Dossier : T-908-98


Ottawa (Ontario), le 1er septembre 2000

En présence de Monsieur le juge MacKay


Entre

     BARRY PAUL HOLLAND

     demandeur

     - et -


     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     défendeur




     ORDONNANCE


     La Cour,

     Vu le recours en contrôle judiciaire tendant à l'annulation de la décision en date du 24 mars 1998 par laquelle le commissaire de la Gendarmerie royale du Canada a rejeté la demande, faite par le demandeur en application de l'article 110 du Code criminel, tel qu'il était en vigueur à l'époque, d'un permis de port d'arme à autorisation restreinte,

     Ouï les avocats des parties lors de l'audience tenue à Edmonton le 12 janvier 2000, à l'issue de laquelle la Cour a pris l'affaire en délibéré, considérant les conclusions présentées à cette occasion ainsi que les conclusions subséquemment soumises par écrit par l'avocat du demandeur en juin 2000, et par l'avocat du défendeur en juillet 2000,



     Ordonne ce qui suit :

     1.      Le demandeur est débouté de son recours.
     2.      Le défendeur aura droit à ses dépens à fixer d'accord parties; faute d'accord, ceux-ci seront fixés par l'officier taxateur à titre de dépens entre parties.

     Signé : W. Andrew MacKay

     __________________________________

     Juge




Traduction certifiée conforme,




Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.




     Date : 20000901

     Dossier : T-908-98


Entre

     BARRY PAUL HOLLAND

     demandeur

     - et -


     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     défendeur


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


Le juge MacKAY


[1]      Il y a en l'espèce recours en contrôle judiciaire contre la décision en date du 24 mars 1998 par laquelle le commissaire de la Gendarmerie canadienne du Canada a rejeté la demande de permis de port d'arme à autorisation restreinte, faite par le demandeur M. Holland en application des paragraphes 110(1) et (2) du Code criminel1. Ce recours tend à l'annulation de cette décision et à la délivrance d'une ordonnance de mandamus portant obligation de lui délivrer le permis en question.

[2]      L'article 110 du Code criminel, sous le régime duquel M. Holland avait fait sa demande, a été abrogé et remplacé par la suite par les dispositions d'une nouvelle Loi sur les armes à feu2. Par l'effet de cette dernière, le commissaire de la G.R.C. n'est plus l'autorité en la matière : son rôle est dévolu à une nouvelle autorité, le contrôleur des armes à feu, défini dans la nouvelle loi.

[3]      Il y a lieu de noter que dans ses conclusions écrites, le demandeur contestait, sur le plan constitutionnel, les dispositions applicables du Code criminel, mais qu'avant l'audition de l'affaire, il s'est désisté sur ce point, ainsi que son avocat l'a reconnu à l'audience. Je n'examine donc pas l'affaire sous l'angle de la question constitutionnelle initialement posée.

[4]      Le demandeur M. Holland a été engagé par la clinique Morgentaler d'Edmonton à titre de consultant en sécurité après que celle-ci eut reçu des menaces. Il est manifestement qualifié pour le service de sécurité qu'il assure à la clinique. Il a appartenu pendant un certain temps à une unité d'élite des Forces canadiennes, chargée de l'action antiterroriste. Auparavant, il avait fait partie de la police militaire et avait participé à la protection des hautes personnalités. Selon le dossier, aucune réserve n'a été exprimée au sujet des qualités personnelles ou professionnelles de M. Holland pour ce qui est du permis demandé.

[5]      Dans le cours de son travail pour la clinique Morgentaler à Edmonton, le demandeur a recueilli un certain nombre de lettres de menaces envoyées à cette clinique, et dont copie était jointe à sa demande. Il a aussi relaté sa découverte d'un individu qui suivait un membre du personnel de la clinique. La police a appréhendé cet individu et a saisi une arme de poing.

Les points litigieux

[6]      Deux points litigieux ont été débattus à l'audience. Il s'agissait de savoir si par suite du changement dans la législation, le recours en instance a perdu tout intérêt pratique et, dans le cas contraire, si le commissaire avait commis par sa décision une erreur propre à justifier l'intervention de la Cour. Il y a lieu de noter qu'en sus des conclusions présentées lors de l'audition de l'affaire, des conclusions écrites ont été subséquemment soumises par le demandeur en juin 2000, et par le défendeur en juillet 2000.

Le défaut d'intérêt pratique

[7]      Le défendeur soutient qu'il n'y a pas lieu pour la Cour d'accorder un redressement discrétionnaire dans ce cas où la loi régissant la décision contestée a été abrogée et remplacée. Et que quand bien même elle ferait droit au recours, il ne serait pas approprié de renvoyer l'affaire au commissaire qui n'est plus habilité à délivrer les permis de port d'arme à autorisation restreinte. Et aussi que dans les faits, l'affaire ne présente plus aucun intérêt pratique car à supposer que le demandeur eût obtenu son permis en mars 1998 comme il l'avait demandé, ce permis aurait été valide pendant un an seulement, après quoi il aurait eu à faire une demande sous le régime de la Loi sur les armes à feu3.

[8]      Le demandeur réplique que par l'effet la Loi d'interprétation4, l'abrogation des dispositions applicables du Code criminel n'affecte pas ses droits tels qu'ils se rattachent à sa demande de permis de port d'arme à autorisation restreinte. Il cite en particulier l'article 43 de cette loi, qui porte notamment :


43. Where an enactment is repealed in whole or in part, the repeal does not

     (c) affect any right, privilege, obligation or liability acquired, accrued, accruing or incurred under the enactment so repealed,

    

     (e) affect any investigation, legal proceeding or remedy in respect of any right, privilege, obligation or liability referred to in paragraph (c) or in respect of any punishment, penalty or forfeiture referred to in paragraph (d),

and an investigation, legal proceeding or remedy as described in paragraph (e) may be instituted, continued or enforced, and the punishment, penalty or forfeiture may be imposed as if the enactment had not been so repealed.

43. L'abrogation, en tout ou en partie, n'a pas pour conséquence :

    

     c) de porter atteinte aux droits ou avantages acquis, aux obligations contractées ou aux responsabilités encourues sous le régime du texte abrogé;

    

     e) d'influer sur les enquêtes, procédures judiciaires ou recours relatifs aux droits, obligations, avantages, responsabilités ou sanctions mentionnés aux alinéas c) et d).

Les enquêtes, procédures ou recours visés à l'alinéa e) peuvent être engagés et se poursuivre, et les sanctions infligées, comme si le texte n'avait pas été abrogé.

[9]          L'avocat de M. Holland soutient que le point litigieux n'est pas dénué d'intérêt pratique et que son client a droit à l'instruction de sa demande sous le régime de la loi en vigueur à la date de son dépôt. Il cite à l'appui la décision Abell v. Commissioner of the R.C.M.P.5 relative à une demande déposée sous le régime de la législation antérieurement applicable à l'enregistrement des armes à feu, laquelle législation a été modifiée avant que l'enregistrement n'eût eu lieu, ce qui fait que l'arme en question est devenue une arme prohibée, et non plus une arme susceptible d'enregistrement. La Cour d'appel de la Saskatchewan a confirmé le droit de la demanderesse au permis demandé sous le régime de la législation en vigueur à la date de sa demande, ce droit étant reconnu dans les cas où, par l'effet de cette législation, le commissaire était tenu d'enregistrer l'arme en question, et étant donné que la demanderesse avait fait tout ce qu'elle pouvait faire pour satisfaire aux prescriptions de la loi avant qu'elle ne fût modifiée. Dans cette affaire, la disposition en jeu, savoir l'article 98 du Code criminel tel qu'il était en vigueur avant le 1er janvier 1978, prévoyait que « sur réception d'une demande de certificat d'enregistrement visée par un registraire local d'armes à feu, le commissaire doit, sous réserve de l'article 99, enregistrer l'arme à autorisation restreinte décrite dans la demande » .

[10]      À mon avis, le texte applicable à la date de la demande de permis de port d'arme de M. Holland, savoir le paragraphe 110(1), n'impose au commissaire aucune autre obligation que celle d'exercer le pouvoir discrétionnaire qu'il tient de cette disposition, laquelle porte notamment :


110.(1) A permit that authorizes a person to possess a particular restricted weapon elsewhere than at the place at which the person is otherwise entitled to possess it, as indicated on the registration certificate issued in respect thereof, may be issued by the Commissioner

     (2) A permit described in subsection (1) may be issued only where the person authorized to issue it is satisfied that the applicant therefor requires the restricted weapon to which the application relates

     a) to protect lives;
     b) for use in connection with his lawful profession or occupation;

    

110.(1) Le commissaire peuvent délivrer un permis autorisant une personne à avoir en sa possession une arme à autorisation restreinte en particulier en un lieu autre que celui où, en vertu du certificat délivré pour cette arme, elle est en droit de la posséder

     (2) Le permis visé au paragraphe (1) ne peut être délivré que lorsque la personne autorisée à le faire est convaincue que celui qui le sollicite requiert l'arme à autorisation restreinte visée par la demande pour l'une ou l'autre des raisons suivantes :

     a) pour protéger des vies;
     b) pour son travail ou occupation légitime;

    

[11]      Les paragraphes 110(1) et (2) ci-dessus ont à peu près la même teneur que leurs prédécesseurs, savoir les paragraphes 106.2(1) et (2) tels qu'ils étaient applicables en leur temps et au sujet desquels le juge MacGuigan a fait l'observation suivante dans Commissaire de la G.R.C. c. Turenko6 :

             Il ressort de ce libellé que le critère établi par le paragraphe 106.2(2) pour la délivrance des permis est un critère subjectif : le commissaire doit être convaincu que le demandeur a besoin de l'arme à autorisation restreinte pour l'une des fins prévues

        

             Le législateur visait à rendre difficile l'obtention du permis de port d'armes à autorisation restreinte. Ce qui explique que dans l'exercice de son pouvoir législatif, il ait imposé un ordre négatif à l'autorité chargée de délivrer ce permis, à savoir qu'il est interdit de le délivrer si celui-ci n'est pas requis pour les fins prévues. Il incombe aux cours de justice d'appliquer cette politique législative fort claire, sauf conflit avec la Charte canadienne des droits et libertés

[12]      À mon avis, la jurisprudence Abell ne pose pas pour règle la reconnaissance d'un droit quelconque au permis demandé par M. Holland, mais le droit à l'instruction de sa demande sous le régime des textes de loi en vigueur à la date de cette demande. Ce droit a été reconnu et le commissaire a rendu une décision sur la demande de M. Holland. C'est cette décision qui est attaquée en l'espèce.

[13]      À supposer que la Cour conclue que la décision entreprise du commissaire est erronée et doit être annulée, les difficultés auxquelles pourrait se heurter un juste redressement à cause des modifications apportées aux textes applicables, ne devraient pas être insurmontables.

[14]      À cet égard, le demandeur soutient dans ses conclusions complémentaires, reçues en juin 2000, que l'article 43 de la Loi d'interprétation et l'article 129 de la Loi sur les armes à feu ont pour effet conjugué de prolonger le pouvoir du commissaire de délivrer les permis de port d'armes. Je ne pense pas qu'il en soit ainsi. L'article 129 de la seconde loi, qui est une disposition transitoire, prévoit notamment ce qui suit :


129.(1) A permit authorizing a person to possess a particular prohibited firearm or restricted firearm is deemed to be an authorization to carry or authorization to transport if it

     (a) was

         (i) issued under subsection 110(1) of the former Act, or

        

     (b) had not been revoked before the commencement day; and
     (c) remained in force pursuant to subsection 110(1) of the former Act on the commencement day.

129.(1) Le permis autorisant une personne à posséder une arme à feu prohibée ou une arme à feu à autorisation restreinte en particulier est réputé une autorisation de port ou de transport s'il :

     a) a été :

         (i) soit délivré en application du paragraphe 110(1) de la loi antérieure,

        

     b) n'a pas été révoqué avant la date de référence;
     c) était valide à la date de délivrance conformément au paragraphe 110(1) de la loi antérieure.

[15]      À mon avis, le paragraphe 129(1) ne fait que reconnaître la validité au regard de la Loi sur les armes à feu des permis délivrés avant son entrée en vigueur. Qu'il soit envisagé à part ou conjugué avec l'article 43 de la Loi d'interprétation, l'article 129 ne prolonge pas le pouvoir du commissaire de délivrer les permis de port d'armes après l'entrée en vigueur de la Loi sur les armes à feu, qui a précisément abrogé ce pouvoir.

[16]      Voici, pour récapituler, comment je vois l'application de la doctrine du défaut d'intérêt pratique aux circonstances de la cause. La question de savoir si la décision rendue par le commissaire en mars 1998 ne présente plus aucun intérêt pratique, ne dépend pas de la mesure de redressement qui peut être accordée au cas où la Cour ferait droit au recours. Le permis demandé en l'espèce est toujours prévu dans la nouvelle législation, encore que la délivrance en soit soumise à une autre procédure, y compris l'instruction par une autre autorité. Dans ces conditions, à supposer que la Cour conclue que la décision entreprise doit être annulée, elle donnerait des directives sur la procédure à suivre pour la nouvelle instruction de la demande de M. Holland.

[17]      J'examine maintenant au fond la requête du demandeur tendant à l'annulation de la décision du commissaire, par ce motif que celui-ci a limité son propre pouvoir discrétionnaire, que cette décision était fondée sur une erreur de fait, ou que le demandeur s'est vu dénier l'équité procédurale parce qu'il n'a pas eu droit à l'audience qu'il avait demandée.

La limitation du pouvoir discrétionnaire

[18]      Le demandeur soutient que le commissaire de la G.R.C. a limité son propre pouvoir discrétionnaire en adoptant pour politique de ne délivrer que rarement des permis de port d'arme. Et aussi qu'il a limité ce pouvoir en déférant à l'avis de l'unité des armes à feu de la police d'Edmonton ainsi que du contrôleur provincial des armes à feu.

[19]      C'est la correspondance échangée entre M. Holland et le commissaire antérieurement à la décision contestée qui a donné au premier l'impression que la politique adoptée par ce dernier signifiait que les permis de port d'armes seraient rarement délivrés. On peut lire notamment ce qui suit dans une lettre en date du 16 janvier 1998 du commissaire :



     [TRADUCTION]

     Toute décision rendue par le commissaire de la G.R.C. ou ses représentants autorisés à cet effet, est fondée sur les critères prescrits à l'article 110 du Code criminel. Cependant, en ma qualité de chef de la G.R.C., je dois, par la force des choses, déléguer certains de mes pouvoirs afin d'être en mesure de remplir efficacement mes fonctions dans l'ensemble. C'est dans ce contexte que le Registre canadien des armes à feu (anciennement Section de l'administration et de l'enregistrement des armes à feu) me seconde dans mes décisions en matière de délivrance des permis interprovinciaux de port d'arme à autorisation restreinte pour la protection des vies.

    

     Je tiens à réitérer ce que le Solliciteur général vous a fait savoir dans sa lettre du 13 novembre 1997 : l'examen de votre demande requiert un rapport complet d'évaluation des menaces ainsi qu'une recommandation de délivrance. En ma qualité de commissaire de la G.R.C., responsable de la décision relative à votre demande de permis interprovincial de port d'arme pour protéger des vises, je dois avoir pour élément d'information premier et indispensable une pleine évaluation des menaces dans votre cas. En conséquence, veuillez vous adresser aux contrôleurs des armes à feu (CAF) des provinces où vous comptez exercer votre profession. Ils sont les mieux placés géographiquement pour entreprendre l'évaluation des menaces qu'ils me transmettront en vue de l'instruction de votre demande. En outre, il est important que mes représentants et moi-même soyons informés de la politique provinciale quant à la sécurité du demandeur ou de toute autre personne.

[20]      Il y a lieu de noter que le demandeur n'a jamais soumis les pièces demandées par le commissaire, savoir une évaluation complète des menaces et les recommandations des contrôleurs des armes à feu des provinces où il souhaitait porter une arme.

[21]      Voici ce qu'on peut lire dans la lettre en date du 24 mars 1998 par laquelle le commissaire a rejeté la demande faite par M. Holland d'un permis de port d'arme valide pour l'ensemble du Canada :

     [TRADUCTION]

     Comme indiqué dans ma lettre précédente, toute décision sur la délivrance d'un permis de port d'arme dissimulée à autorisation restreinte est subordonnée aux critères suivants : le demandeur en a besoin pour protéger des vies (alinéa 110(2)a) du Code criminel), et la police locale n'est pas en mesure d'assurer la protection nécessaire.
     Afin d'instruire comme il fallait votre demande et d'examiner si elle satisfaisait aux critères ci-dessus, le caporal Gerry Offin, des services de police criminelle de la Gendarmerie royale du Canada, Division K, a été chargé de faire un rapport détaillé comprenant un sommaire chronologique des événements et du processus de la demande; un rapport sur la rencontre du 5 mars 1998 entre le caporal Offin et le détective Mike Cook de la division Ouest de la police d'Edmonton, l'enquêteur principalement chargé du dossier de la clinique Morgentaler; une évaluation de la capacité de la police locale de faire face à la situation; et la politique provinciale à l'égard de la délivrance des permis de ce genre.
     Après consultation de la police d'Edmonton, le caporal Offin a conclu que la police locale était en mesure d'assurer la protection dans ce cas, ce qu'elle a fait d'ailleurs sans mal. En outre, la clinique Morgentaler a obtenu de la Cour du Banc de la Reine du district judiciaire d'Edmonton une injonction permanente, dont la police de la même ville assure le respect.
     Pour ce qui est du caractère interprovincial du permis de port d'arme à autorisation restreinte que vous demandez pour protéger des vies, rien ne justifie la délivrance d'un tel permis. Les faits qui sont à l'origine de votre demande sont limités à la province d'Alberta, en particulier à la ville d'Edmonton. Le motif invoqué à l'appui de votre demande de permis interprovincial, savoir que vous pourrez être engagé à protéger des cliniques Morgentaler dans d'autres provinces, est hypothétique pour le moment et ne peut être examiné que compte tenu des circonstances dans chaque cas d'espèce.
     J'ai examiné votre demande et à la lumière de tous les éléments d'information dont je dispose à cette date, rien ne justifie que je vous délivre un permis de port d'arme dissimulée à autorisation restreinte. Je refuse en conséquence de délivrer le permis demandé.

[22]      Je ne pense pas que par cette décision, le commissaire ait limité l'exercice de son propre pouvoir discrétionnaire en la matière. Les paragraphes 110(1) et (2) l'investissent d'un large pouvoir discrétionnaire. La prescription du paragraphe 110(1) est facultative, par l'emploi de l'auxiliaire « peuvent » et non de l'auxiliaire « doivent » qui est la marque de l'impératif, tandis que la délivrance du permis sous le régime du paragraphe 110(2) est subordonnée à une évaluation subjective de l'autorité compétente, c'est-à-dire que le commissaire doit être « convaincu que [le demandeur] requiert l'arme à autorisation restreinte visée par la demande a) pour protéger des vies; » , ainsi que l'a fait observer le juge MacGuigan de la Cour d'appel dans Turenko7. Par ailleurs, Sa Seigneurie a rappelé, au sujet d'une disposition semblable qui préfigurait l'article 110, que le juge devait garder à l'esprit que le législateur entendait limiter la délivrance des permis de port d'arme à autorisation restreinte.

[23]      Vu le but visé par le législateur et le large pouvoir discrétionnaire dont le commissaire est investi en la matière, la Cour n'interviendra que dans les rares cas où il est clair que la volonté du législateur a été ignorée, les cas où d'autres considérations ont pesé indûment dans la balance, ou encore les cas où il y a eu grave iniquité procédurale. En l'espèce, il ressort du dossier que le commissaire a consulté d'autres parties et a compté sur certains responsables au sein de la G.R.C. pour lui soumettre des éléments d'information relatifs à la demande en question. À mon avis, il n'y a pas limitation de l'exercice du pouvoir discrétionnaire tant que la décision finale est le fait de l'autorité compétente. Le commissaire de la G.R.C. a de nombreuses responsabilités. Il est raisonnable de sa part de se faire assister des membres de la G.R.C. pour s'acquitter de ces responsabilités, ce qui s'entend, dans les circonstances de la cause, du fait de demander une instruction préliminaire de la demande, avec avis des autorités municipales et provinciales sur le risque de danger de mort invoqué et sur l'opportunité de la délivrance d'un permis de port d'arme dissimulée. La mention faite par le commissaire des éléments d'information obtenus de ces sources ne constitue pas une limitation de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire dans cette décision, ni une délégation illégale de ce pouvoir. Il faut se rappeler que le demandeur n'a pas produit les renseignements qu'avait demandés le commissaire avant sa décision.

Les soi-disant erreurs de fait

[24]      La demandeur soutient que le commissaire a commis une erreur de fait susceptible de censure dans sa décision, en particulier en ce que la conclusion que la police d'Edmonton était en mesure « d'assurer la protection » est erronée, et aussi que le commissaire n'a pas pris acte de la menace pesant sur la clinique Morgentaler et sur son personnel. Je pense que ni l'une ni l'autre allégation ne fait ressortir une erreur susceptible de censure. En ce qui concerne le premier chef d'erreur, la preuve citée par le demandeur est une lettre en date du 12 août 1998, c'est-à-dire postérieure à la décision du commissaire. Le dossier dont ce dernier était saisi comportait bien des éléments d'information qui justifiaient sa décision, et les informations subséquentes n'invalident pas cette décision telle qu'elle fut rendue à l'époque.

[25]      La seconde erreur reprochée au commissaire n'est pas, à mon avis, une erreur en soi. Selon le dossier, les renseignements produits par le demandeur au sujet des menaces faites contre la clinique ont été soumis à l'autorité responsable, et il n'y a aucune raison de conclure que celle-ci les a ignorés. À mon avis, on peut voir dans la décision du commissaire la preuve implicite qu'il avait conscience de la menace qui pesait sur la clinique. Il n'était pas tenu de dire comment il concevait cette menace, et je ne pense pas qu'il ait commis une erreur faute de l'avoir fait.

La possibilité de se faire entendre de vive voix

[26]      Le demandeur soutient que le commissaire a commis une erreur faute de lui avoir donné la possibilité de se faire entendre de vive voix. Dans son mémoire, le demandeur reconnaît qu'il n'a pas légalement droit à une comparution en personne, mais insiste qu'une audience aurait dû lui être accordée comme il l'avait demandé, étant donné la nature sérieuse et compliquée de sa demande.

[27]      Il échet d'examiner si faute de pouvoir présenter ses arguments de vive voix, le demandeur s'est vu dénier une possibilité sérieuse de « faire valoir ses arguments » en faveur de la délivrance du permis8. Il ressort du dossier que sa demande était assez volumineuse. Il y avait la correspondance entre le demandeur et le Solliciteur général, le commissaire, et le contrôleur provincial des armes à feu. J'estime que dans ces conditions, il ne s'est pas vu dénier la possibilité de faire valoir ses arguments en faveur du permis demandé. Je ne suis pas convaincu que le commissaire ait commis une erreur ou qu'il ait dénié l'équité procédurale à M. Holland en lui déniant la possibilité de se faire entendre de vive voix au sujet de sa demande.

Conclusion

[28]      Je conclus qu'il n'y a pas lieu d'annuler la décision du commissaire. Celui-ci avait décidé, dans sa lettre reproduite supra, que « rien ne justifie » la délivrance d'un permis de port d'arme interprovincial. À son avis, les motifs invoqués par M. Holland en faveur d'un permis de port d'arme à autorisation restreinte dans d'autres provinces que l'Alberta, étaient « hypothétiques » . Sous le régime institué par les dispositions du Code criminel en vigueur à l'époque, le commissaire de la G.R.C. était l'autorité compétente pour délivrer les permis de port d'arme interprovinciaux. Les permis qui n'émanaient pas de lui n'étaient valides que dans la province où ils étaient délivrés9. Il appert que dans sa décision, le commissaire a conclu qu'à la date de la demande de M. Holland, celle-ci ne justifiait pas la délivrance d'un permis de port d'arme interprovincial. À mon avis, cette conclusion justifie la décision de rejeter la demande dans la mesure où elle tendait à la délivrance dUn permis de port d'arme à autorisation restreinte, lequel permis était normalement délivré par le contrôleur des armes à feu de la province concernée.

[29]      En conclusion, il n'y a pas lieu d'annuler la décision du commissaire de la G.R.C. de rejeter la demande faite par M. Holland de délivrance d'un permis de port d'arme dissimulée à autorisation restreinte. La Cour rendra une ordonnance pour débouter le demandeur de son recours en contrôle judiciaire.

[30]      Le défendeur conclut aux dépens; la Cour fait droit à cette ptétention et lui alloue les dépens entre parties.

     Signé : W. Andrew MacKay

     __________________________________

     Juge

Ottawa (Ontario),

le 1er septembre 2000



Traduction certifiée conforme,




Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



DOSSIER No :              T-908-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Barry Paul Holland c. Le procureur général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :          Edmonton (Alberta)


DATE DE L'AUDIENCE :          12 janvier 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE MacKAY


LE :                      1 er septembre 2000



ONT COMPARU :


M. Rod J. A. Gregory              pour le demandeur

M. Don Tomkins                  pour le défendeur



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Davidson and Gregory              pour le demandeur

Avocats

Edmonton (Alberta)

M. Morris Rosenberg                  pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. C-46, modifié.

2      L.C. 1995, ch. 39, en particulier l'article 20 entré en vigueur le 1er décembre 1998, TR/98-93, 95.

3      L.C. 1995, ch. 39.

4      L.R.C. (1985), ch. I-21.

5      (1979), 49 C.C.C. (2d) 193 (C.A. Sask.).

6      [1985] 1 C.F. 669, pages 673, 675 (C.A).

7      Note 6 supra, page 673.

8      Voir Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, page 842, paragraphe 30.

9      Voir le Code criminel, paragraphe 110(10), tel qu'il était en vigueur en mars 1998.

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