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Date : 20060718

Dossier : T‑2056‑04

T‑2057‑04

T‑5‑05

 

Référence : 2006 CF 894

ENTRE :

AIDAN BUTTERFIELD

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

LA JUGE HENEGHAN

 

I.  Introduction

 

[1]               M. Aidan Butterfield (le demandeur) a présenté trois demandes de contrôle judiciaire relativement à la suspension de sa licence de pilote. Par ordonnance datée du 5 mai 2005, dans la cause numéro T‑5‑05, le procureur général du Canada a été désigné défendeur, au lieu du ministre des Transports (le ministre) et du Tribunal d’appel des transports du Canada (TATC).

 

[2]               Dans la cause numéro T‑2056‑04, le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 29 octobre 2004 par laquelle le ministre l’a informé qu’il ne pouvait décider lui‑même quand il purgerait la suspension de sa licence. On a communiqué cette décision au demandeur le 4 novembre 2004. Ce dernier affirme avoir purgé la suspension en octobre 2004 et que le ministre souhaite la lui faire purger de nouveau. Il sollicite une ordonnance annulant la décision qui lui impose de purger de nouveau la suspension et obligeant le ministre à reconnaître qu’il a en fait déjà purgé celle‑ci.

 

[3]               Dans la cause numéro T‑2057‑04, le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 14 octobre 2004 par laquelle le TATC a fixé la date de l’instruction de l’appel interjeté devant lui par l’appelant à l’encontre de la décision du 3 février 2004 de M. Keith E. Green, siégeant alors à titre de comité de révision dans le cadre de l’appel initial du demandeur à l’encontre de la suspension de sa licence.

 

[4]               Dans sa décision du 14 octobre 2004, le TATC a fixé au 5 novembre 2004 la date d’audition de l’appel du demandeur. Celui‑ci sollicite une ordonnance ayant pour effet d’annuler cette décision et d’obliger le TATC à fixer à une date postérieure au 15 mars 2005 l’audition.

 

[5]               Dans la cause numéro T‑5‑05, le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 8 décembre 2004 par laquelle le TATC a rejeté son appel à l’encontre de la décision à la suite d’une révision. Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision du TATC et enjoignant celui‑ci à procéder à une nouvelle instruction.

 

[6]               Le demandeur a déposé deux affidavits, en date du 6 février 2005. Ces affidavits intégraient un grand nombre de pièces ou y faisaient renvoi. Par ordonnance du 21 mars 2005, le protonotaire Hargrave a autorisé le demandeur à produire des affidavits et à présenter des observations à la Cour; cependant, en cas de contradictions dans les dépositions, les affidavits du demandeur seraient appréciés en conséquence.

 

[7]               Le défendeur a déposé trois affidavits, soit ceux de M. Greg Ostafiew, Mme Beverlie Caminsky et Mme Marie Zubryekyj. M. Ostafiew est surintendant des programmes de l’application de la loi, Application des règlements en aviation, à Transports Canada. Mme Caminsky est chef de la Division des conseils et des appels à la Direction des services de réglementation de la Direction générale de l’aviation civile, Transports Canada. Mme Zubryekyj est gestionnaire régionale de l’application de la loi en aviation, région du Pacifique.

 

II.  Contexte

 

[8]               Le demandeur détient une licence de pilote privé, délivrée le 3 avril 1975 et portant le numéro VRP‑16093. Lors d’une vérification au hasard à l’aire de trafic effectuée le 8 juin 2003 à Campbell River par Greg Ostafiew, certaines irrégularités ont été portées à l’attention du demandeur.

 

[9]               Premièrement, on l’a informé que le système de numérotation des licences de pilote avait été modifié plusieurs années auparavant et que sa licence n’était plus conforme aux exigences en vigueur. Le numéro de licence actuel du demandeur est 1J3915. On a demandé au demandeur d’obtenir une copie mise à jour de sa licence.

 

[10]           Deuxièmement, on a informé le demandeur au cours de l’inspection que la maintenance de son avion n’était pas suffisamment récente. Le demandeur ne disposait pas d’une preuve d’assurance, troisièmement, et on lui a donné un avertissement relativement à cette infraction. L’inspecteur a accordé environ trois semaines au demandeur, soit jusqu’au 30 juin 2003, pour faire parvenir une preuve d’assurance en vigueur par télécopieur. Le demandeur a remis la copie d’une police d’assurance le 8 juillet 2003, mais cette police avait été souscrite après la date de l’inspection et de l’avertissement. Le demandeur n’a pas fourni la preuve qu’il était assuré en date du 8 juin 2003.

 

[11]           Le 2 septembre 2003, le ministre a délivré au demandeur un avis de suspension. Sa licence de pilote était suspendue pour une période de dix‑sept jours en raison du retard du demandeur à faire faire l’inspection annuelle et de son défaut d’avoir souscrit une assurance responsabilité. La suspension devait être en vigueur du 3 au 19 octobre 2003, période pendant laquelle le demandeur devait remettre sa licence à Transports Canada.

 

[12]           Après remise de l’avis de suspension, le demandeur a été informé de son droit de demander au TATC qu’il révise la suspension. Il était mentionné également dans l’avis que le dépôt d’une requête en révision de la suspension n’entraînait pas automatiquement le sursis de cette sanction et que, si le demandeur souhaitait qu’on lui accorde le sursis, il lui fallait présenter une demande distincte en ce sens, par écrit, au TATC.

 

[13]           Le 10 septembre 2003, dans la même lettre où il demandait la révision de la suspension, le demandeur a présenté une demande de sursis. Le TATC a accordé le sursis le 18 septembre 2003. Le sursis était réputé demeurer en vigueur jusqu’à la conclusion du processus de révision de la suspension.

 

[14]           Le 9 décembre 2003, un comité de révision du TATC a tenu une audience en révision visant la suspension du demandeur. Le comité de révision a entendu les dépositions de Greg Ostafiew et du demandeur. L’argument central soutenu par le demandeur devant le comité était qu’on ne pouvait le punir deux fois pour les mêmes infractions. Selon lui, les avertissements qu’on lui avait donnés le 8 juin 2003 constituaient sa peine et que l’on n’aurait pas dû lui imposer une suspension en bonne et due forme.

 

[15]           Le comité de révision a rendu sa décision, intitulée « décision à la suite d’une révision », le 3 février 2004. Le comité de révision a maintenu la suspension et déclaré que la suspension était réputée prendre effet le trente‑cinquième jour après signification de la décision à la suite d’une révision. Dans sa décision, le comité de révision a présenté comme suit les accusations portées contre le demandeur, tel qu’énoncées dans l’avis de suspension :

 

En vertu de l’article 6.9 de la Loi sur l’aéronautique, le ministre des Transports a décidé de suspendre le document d’aviation canadien susmentionné parce que vous avez contrevenu aux dispositions suivante(s) :

[...]

 

Chef d’accusation 1 :

 

L’alinéa 605.86(1)a) du Règlement de l’aviation canadien, parce que vous avez effectué un décollage dans un aéronef dont la maintenance n’était pas conforme à l’annexe de maintenance des Normes relatives à l’équipement et à la maintenance des aéronefs, à savoir : l’aéronef C‑GIPO a été utilisé pour un vol entre Boundary Bay (C.‑B.) et Campbell River (C.‑B), le ou vers le 8 juin 2003, alors que l’inspection annuelle de douze mois était en retard.

Peine : suspension de 14 jours

Chef d’accusation 2 :

 

Le paragraphe 606.02(8) du Règlement de l’aviation canadien, parce que vous avez utilisé l’aéronef C‑GIPO, le ou vers le 8 juin 2003, aux environs de Campbell River (C.‑B.) alors que vous n’aviez pas, à titre de propriétaire, contracté une assurance‑responsabilité couvrant la responsabilité civile.

Peine : suspension de 3 jours

 

 

[16]           Le comité a ensuite cité comme suit les paragraphes 605.86(1) et 606.02(8) du Règlement de l’aviation canadien, DORS/196‑433 (le Règlement) :

 

605.86 (1) Sous réserve du paragraphe (3), il est interdit à toute personne d’effectuer le décollage d’un aéronef dont elle a la garde et la responsabilité légales ou de permettre à toute personne d’effectuer un tel décollage, à moins que la maintenance de l’aéronef ne soit effectuée :

 

605.86 (1) Subject to subsection (3), no person shall conduct a take‑off in an aircraft, or permit a take‑off to be conducted in an aircraft that is in the person’s legal custody and control, unless the aircraft is maintained in accordance with

 

a) conformément à un calendrier de maintenance qui est conforme aux Normes relatives à l’équipement et à la maintenance des aéronefs;

(a) a maintenance schedule that conforms to the Aircraft Equipment and Maintenance Standards; and

[...]

 

[...]

 

606.02 [...l]

606.02 [...]

(8) Il est interdit au propriétaire autre qu’un propriétaire visé aux alinéas (2)a), b) ou c) d’utiliser un aéronef à moins d’avoir contracté, pour chaque sinistre lié à l’utilisation de l’aéronef, une assurance-responsabilité couvrant la responsabilité civile d’un montant au moins égal à :

(8) No aircraft owner not referred to in paragraph (2)(a), (b) or (c) shall operate an aircraft unless, in respect of every incident related to the operation of the aircraft, the owner has subscribed for liability insurance covering risks of public liability in an amount that is not less than

a) 100 000 $, si la masse maximale admissible au décollage de l’aéronef ne dépasse pas 1 043 kg (2 300 livres);

(a) $100,000, where the maximum permissible take‑off weight of the aircraft is 1 043 kg (2,300 pounds) or less;

b) 500 000 $, si la masse maximale admissible au décollage de l’aéronef est supérieure à 1 043 kg (2 300 livres) sans dépasser 2 268 kg (5 000 livres);

(b) $500,000, where the maximum permissible take‑off weight of the aircraft is greater than 1 043 kg (2,300 pounds) but not greater than 2 268 kg (5,000 pounds);

c) 1 000 000 $, si la masse maximale admissible au décollage de l’aéronef est supérieure à 2 268 kg (5 000 livres) sans dépasser 5 670 kg (12 500 livres);

(c) $1,000,000, where the maximum permissible take‑off weight of the aircraft is greater than 2 268 kg (5,000 pounds) but not greater than 5 670 kg (12,500 pounds);

d) 2 000 000 $, si la masse maximale admissible au décollage de l’aéronef est supérieure à 5 670 kg (12 500 livres) sans dépasser 34 020 kg (75 000 livres);

(d) $2,000,000, where the maximum permissible take‑off weight of the aircraft is greater than 5 670 kg (12,500 pounds) but not greater than 34 020 kg (75,000 pounds); and

e) 3 000 000 $, si la masse maximale admissible au décollage de l’aéronef dépasse 34 020 kg (75 000 livres).

(e) $3,000,000, where the maximum permissible take‑off weight of the aircraft is greater than 34 020 kg (75,000 pounds).

[...]

 

[...]

 

 

 

[17]           Le comité de révision a ensuite passé la preuve en revue et a conclu que le ministre avait prouvé que les infractions étaient constituées. Le comité de révision a rejeté l’argument du demandeur fondé sur la règle non bis in idem, soit que le ministre l’avait puni injustement par une deuxième accusation relativement à la preuve d’assurance alors qu’on lui avait déjà adressé un avertissement à cet égard. Le comité de révision a conclu, à ce sujet, que la deuxième accusation était indépendante de la première puisqu’elle découlait du défaut du demandeur de présenter la preuve de confirmation d’une police d’assurance conformément au paragraphe 606.02(8) du Règlement. Le comité de révision s’est exprimé en ces termes au sujet de l’avertissement :

 

Le ministre semble avoir été indulgent et très précis avec M. Butterfield, en lui donnant seulement un avertissement au lieu d’une accusation en vertu du paragraphe 606.02(9), jusqu’à ce qu’une vérification d’une police soit effectuée. Le chef d’accusation 2 découle clairement de l’absence d’une police d’assurance originale et non de l’échéance d’une couverture d’assurance résultant d’un certificat de navigabilité invalide.

 

 

Le comité de révision a expressément conclu que la règle non bis in idem ne s’appliquait pas et maintenu l’avis de suspension délivré par le ministre relativement aux deux chefs d’accusation.

 

[18]           Selon la correspondance consignée au dossier du Tribunal, on a eu du mal à transmettre au demandeur copie des motifs du comité de révision. Une lettre recommandée ne lui serait pas parvenue selon la preuve. Dans son affidavit en date du 6 février 2005, le demandeur fait état de plusieurs conversations qu’il a eues avec un employé du TATC pour que soit effectuée la transmission de la décision. Dans un autre affidavit en date du 16 décembre 2004, le demandeur dit avoir présenté une demande, le 3 mars 2004, pour interjeter appel de la décision du comité de révision, afin de conserver ses droits d’appel. Le TATC n’a pas fait droit à cette demande, comme la décision n’avait pas été remise au demandeur.

 

[19]           Le demandeur a finalement reçu la décision le 21 mars 2004 et il a déposé la demande d’appel le 16 avril 2004. Le droit d’appel découle de l’article 7.2 de la Loi sur l’aéronautique, L.R.C. 1985, ch. A‑2, et le déroulement de l’instance en appel est régi par la Loi sur le Tribunal d’appel des transports du Canada, L.C. 2001, ch. 29 (la Loi sur le TATC) et les Règles du Tribunal d’appel des transports du Canada, DORS/86‑594, modifiées par DORS/93‑346 (les Règles).

 

[20]           La date d’audition de l’appel avait initialement été fixée au 23 juillet 2004. le 1er juin 2004, le demandeur a écrit au TATC pour l’informer que cette date ne lui convenait pas et pour lui demander de fixer une nouvelle date, postérieure au 15 mars 2005. Le demandeur a demandé cette remise en raison de sa participation à un cours intensif de perfectionnement professionnel et parce qu’il devait passer un examen le 23 juillet 2004. Le demandeur n’a pas divulgué la nature de ce programme, mais l’on sait maintenant qu’il s’agissait du stage exigé par le barreau et qu’il était inscrit au cours de préparation au barreau de la Law Society of British Columbia (Barreau de la Colombie‑Britannique) intitulé « Professional Legal Training Course » (cours de formation professionnelle du barreau) ou « PLTC ».

 

[21]           Le TATC a alors fixé au 8 septembre 2004 la nouvelle date d’audition. Dans la lettre datée du 14 juin 2004, le demandeur s’est dit insatisfait du processus d’appel et de ses lenteurs dont il a tenu le ministre responsable. Il se disait d’avis que, puisqu’il avait pour sa part toléré sans se plaindre les lenteurs imputables au ministre, le TATC aurait dû accéder à sa demande et reporter l’audition après le 15 mars 2005. Le ministre, dans la lettre du 15 juin 2004, s’est opposé de son côté à toute nouvelle remise de l’instruction.

 

[22]           Dans sa décision écrite datée du 25 juin 2004, le TATC a rejeté la demande présentée par le demandeur en vue d’une remise de l’audition après le 15 mars 2005. Le TATC s’est exprimé en ces termes dans sa décision :

 

[traduction]

La requête en appel a été présentée devant le Tribunal le 16 avril 2004, pendant le délai d’appel de 30 jours, et l’audition de l’appel a été fixée au 23 juillet 2004. Le 1er juin 2004, l’appelant a présenté une première demande de remise à mars 2005 de l’audience. Le Tribunal a accordé la remise, mais pas jusqu’à mars 2005, puisque sa mission, énoncée à l’article 15 de la Loi sur le Tribunal d’appel des transports du Canada, consiste à assurer le déroulement rapide des audiences. L’audience a ainsi été remise au 8 septembre 2004.

 

L’appelant a présenté une nouvelle demande de remise devant le Tribunal, et le ministre des Transports s’est alors opposé à toute remise.

 

Le Tribunal ne peut accéder à la demande. L’appelant a sollicité un appel, mais il a choisi de s’occuper d’autres affaires de sorte qu’il n’était plus disponible pour l’audience. La suspension de la mesure a été accordée le 18 septembre 2003, jusqu’à ce que soit terminée la révision de la décision du ministre. Le Tribunal doit assurer le déroulement rapide du processus de fixation d’audience.

 

La demande de remise est par conséquent rejetée et l’audition de l’appel aura lieu comme prévu le 8 septembre 2004 à Vancouver, en Colombie‑Britannique.

 

 

[23]           Le 10 août 2004, le demandeur a écrit une lettre au TATC dans laquelle il niait avoir demandé une deuxième remise. Il qualifiait ses lettres du 1er et du 14 juin 2004 de demande unique. Il exposait ensuite ce qu’il estimait être des lacunes entachant les processus du TATC et du défaut par celui‑ci de se conformer à ses propres protocoles. Le demandeur a ajouté que la date de l’audience avait déjà été fixée au 8 septembre 2004, mais qu’il ne pourrait s’y présenter ce jour‑là. Par la lettre datée du 20 août 2004, le TATC a répondu au demandeur qu’il refusait de fixer une nouvelle date d’audience.

 

[24]           La transmission de la correspondance a connu d’autres difficultés et le TATC n’a pu signifier au demandeur l’avis officiel indiquant que la date de l’audition était fixée au 8 septembre 2004. Faute de signification, il y a eu ajournement le 2 septembre 2004.

 

[25]           Le demandeur et le TATC ont échangé plusieurs autres lettres concernant la fixation de la date d’audience. Le demandeur a à nouveau demandé une date postérieure au 15 mars 2005 et il a demandé au TATC de lui expliquer pourquoi il refusait d’accéder à cette demande.

 

[26]           Le 28 septembre 2004, l’avis d’audience a été délivré, dans lequel on informait le demandeur que la date de l’audition de l’appel était fixée au 5 novembre 2004. On a tenté sans succès de signifier cet avis par huissier.

 

[27]           Dans la lettre datée du 7 octobre 2004, le demandeur a informé le TATC qu’il purgerait sa suspension du 3 au 19 octobre 2004. Bien qu’on lui ait enjoint dans l’avis de suspension de remettre sa licence de pilote à un bureau de Transports Canada pendant la période de suspension, le demandeur a déclaré ne pas être en mesure de le faire. Dans la même lettre, le demandeur laissait savoir que, même s’il purgeait sa suspension, il n’allait pas retirer son appel à son encontre. Il a de nouveau demandé que l’audition de l’appel soit fixée à une date postérieure au 15 mars 2005. Le deuxième avis d’audience, délivré le 14 octobre 2004, a été transmis par poste prioritaire, courrier ordinaire et télécopie. Dans la lettre datée du 23 octobre 2004, le demandeur a informé le TATC qu’il ne pourrait se présenter à la date fixée.

 

[28]           Dans la lettre datée du 29 septembre 2004, l’Agent des Conseils et des Appels de Transports Canada a répondu à la lettre du 7 octobre du demandeur, pour informer ce dernier qu’il était inacceptable qu’il fixe lui‑même les dates où il lui fallait purger sa suspension. Il faut s’entendre à l’avance sur ces dates avec la division Application des règlements en aviation et remettre la licence pendant la durée de la suspension. Voici un extrait de cette lettre :

 

[traduction]

Nous avons également reçu, le 25 octobre 2004, votre lettre datée du 23 octobre 2004.

 

Nous vous informons que votre demande de purger votre suspension du 3 octobre au 19 octobre 2004 est inacceptable, de même que votre offre de prorogation de la suspension jusqu’au 29 octobre 2004. Mme Zubryckyj a le pouvoir de négocier un règlement avec vous sur cette question, mais il vous faut vous entendre avec elle à l’avance sur la période de la suspension, et remettre votre document d’aviation canadien à la personne dont il aura été convenu (un employé de Transports Canada ou une autre personne jugée convenir) avant que vous ne purgiez la suspension. Nous vous conseillons de communiquer directement avec Mme Zubryckyj pour vous entendre sur un plan d’action convenable.

 

Veuillez également noter que je représenterai le ministre des Transports devant le Tribunal d’appel des Transports du Canada lors de l’audience fixée au 5 novembre 2004.

 

 

[29]           Dans la lettre datée du 3 novembre 2004, le demandeur a répondu qu’il estimait avoir valablement purgé sa suspension puisqu’on ne s’était pas « objecté » à sa lettre précédente. Il affirmait qu’on ne pouvait lui demander de purger de nouveau sa suspension et demandait que plusieurs de ses lettres soient versées au dossier relatif à l’audience du 5 novembre 2004, puisqu’il ne pourrait alors être présent.

 

[30]           Par la lettre datée du 1er novembre 2004, Mme Zubryckyj, gestionnaire régionale de l’Application de la loi en aviation chez Transports Canada, informait de nouveau le demandeur qu’était inacceptable son offre de purger sa suspension de la manière indiquée dans sa lettre du 7 octobre 2004. Mme Zubryckyj laissait toutefois savoir qu’elle était autorisée à négocier une entente sur la question. Dans la lettre datée du 25 novembre 2004, le demandeur a répondu au TATC qu’il acceptait d’envisager une entente. Il croyait comprendre, a‑t‑il ajouté, qu’il n’y aurait pas d’audience pendant que se dérouleraient les négociations. Cette lettre a été transmise par télécopie au TATC.

 

[31]           Le TATC a entendu l’appel le 5 novembre 2004. Le demandeur ne s’y est pas présenté. Le TATC a rejeté l’appel le 8 décembre 2004, ayant conclu que le demandeur n’avait pas fourni de motifs suffisants pour justifier son absence. Le ministre a demandé les dépens, mais le TATC a refusé de les lui accorder au motif que cela n’était justifié que dans des circonstances exceptionnelles, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. La copie de la décision d’appel a été signifiée au demandeur le 16 décembre 2004.

 

III.  La thèse des parties

 

A.  T‑2056‑04

 

[32]           En l’espèce, le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision énoncée dans la lettre du 29 octobre 2004, qui l’informait qu’il ne pouvait décider unilatéralement quelle serait sa période de suspension, et que celle‑ci sera plutôt établie par Transports Canada. Le demandeur soutient que cette décision a pour effet de lui infliger une double peine puisqu’il a déjà purgé sa suspension, tel qu’il est mentionné dans les lettres du 7 octobre et du 23 octobre 2004. Selon le demandeur, comme Marie Zubryckyj, gestionnaire régionale de l’Application de la loi en aviation, de Transports Canada, ne s’est pas opposée dans sa lettre du 14 octobre 2004 à la période qu’il proposait pour purger la suspension, il y a eu acceptation tacite de la part de celle‑ci.

 

[33]           Le demandeur soutient que la double peine, du fait qu’il a à « purger de nouveau » la suspension, contrevient aux principes énoncés dans Kienapple c. La Reine, [1975] 1 R.C.S. 729.

 

[34]           Le défendeur soutient pour sa part que la demande de contrôle judiciaire dans le dossier T‑2056‑04 est sans intérêt pratique. Il reconnaît toutefois, dans ses observations écrites, que le demandeur a bien purgé sa suspension du 31 décembre 2004 au 16 janvier 2005.

 

B.  T‑2057‑04

 

[35]           En l’espèce, le demandeur conteste le refus du TATC de remettre l’audition de son appel à une date postérieure au 15 mars 2005. Ce refus, soutient‑il, équivaut à un manquement à l’équité procédurale et le TATC a ainsi enfreint la Loi sur le TATC. Il soutient en outre que, malgré la nature apparemment interlocutoire de la décision, celle‑ci est susceptible de contrôle judiciaire.

 

[36]           Plus précisément, le demandeur soutient que le TATC n’a pas respecté les Règles qui lui imposaient de lui signifier « aussitôt » une copie de la décision à la suite d’une révision et de lui signifier « un avis des date, heure et lieu de l’audition de l’appel ». Il fait également valoir divers arguments liés à l’article 15 de la Loi sur le TATC ainsi qu’aux articles 4, 11 et 13, visant la fixation des dates d’instruction, des Règles du TATC. Le demandeur fait valoir à cet égard l’exercice irrégulier de son pouvoir discrétionnaire par le TATC, du fait de son refus d’accorder une remise.

 

[37]           Le défendeur soutient pour sa part que cette demande de contrôle judiciaire est redondante, l’appel ayant déjà été entendu, le 5 novembre 2004.

 

C.  T‑5‑05

 

[38]           En l’espèce, le demandeur soutient que le TATC a enfreint les règles de justice naturelle et de l’équité procédurale en procédant à l’audition le 5 novembre 2004. Selon le demandeur, le TATC n’a pas respecté l’article 14 de la Loi sur le TATC. Il prétend à cet égard que le TATC n’était pas autorisé à examiner des observations écrites lors de l’audition de l’appel. Il soutient qu’on ne lui a pas transmis copie du procès‑verbal des débats devant le comité de révision avant l’audition de l’appel le 5 novembre 2004. Le TATC, le demandeur soutient‑il, n’a pas examiné le fond de sa thèse en appel lors de l’audience du 5 novembre 2004.

 

[39]           Le défendeur soutient pour sa part que la norme de contrôle de la décision du TATC rendue au terme de l’audience du 5 novembre 2004, est celle de la décision raisonnable. Il se fonde sur les décisions Hudgin c. Canada (Ministre des Transports) (2002), 219 F.T.R. 320 (C.A.) et Asselin c. Canada (Ministre des Transports) (2000), 181 F.T.R. 253 (1re inst.), confirmée (2001), 281 N.R. 184 (C.A.F.) pour faire valoir que la norme de contrôle indiquée en ce qui concerne les décisions du TATC, autres que celles concernant une question de droit, est celle de la décision raisonnable simpliciter. Lorsqu’une pure question de droit est en jeu, c’est plutôt la norme de la décision correcte qu’il y a lieu de suivre (voir Canada (Ministre des Transports) c. Delco Aviation Ltd. (2003), 237 F.T.R. 279 (1re inst.), infirmée pour d’autres motifs (2005), 333 N.R. 220 (C.A.F.).

 

[40]           Le défendeur fait valoir ses arguments sur les points suivants soulevés par le demandeur :

 

i)          le refus du TATC de remettre l’instruction de l’appel à une date postérieure au 15 mars 2005;

 

ii)         la question de savoir si le TATC était tenu de prendre en compte le « bref exposé » présenté par le demandeur avec son avis d’appel;

 

iii)         la question de savoir si le TATC a porté atteinte au droit à l’équité procédurale du demandeur en acceptant des observations écrites du défendeur;

 

iv)        la question de savoir si l’absence de transcription textuelle de l’audience tenue devant le TATC a porté atteinte au droit à l’équité procédurale du demandeur;

 

v)         la question de savoir si le défaut de fournir au demandeur une transcription relativement à la décision à la suite d’une révision a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale;

 

vi)        la question de savoir si l’on a donné au demandeur un avis suffisant quant à la date et l’heure de l’audience d’appel;

 

vii)        la question de savoir s’il y a eu un retard indu dans la transmission au demandeur de la décision à la suite d’une révision;

 

viii)       le caractère suffisant des motifs donnés par le TATC au terme de l’audience d’appel;

 

ix)        la question de savoir si donnait lieu à une crainte raisonnable de partialité la participation d’un conseiller du comité d’appel du TATC à l’examen de la requête préalable à l’audience visant la remise de l’audition de l’appel;

 

x)         la question de savoir si la décision du défendeur de ne pas produire au comité du TATC des lettres du demandeur a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale;

 

xi)        la question de savoir si le TATC a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en refusant de remettre l’audition à une date postérieure au 15 mars 2005;

 

xii)        la question de savoir si le TATC a commis une erreur en refusant de condamner le demandeur aux dépens dans sa décision à la suite d’un appel.

 

[41]           Selon le défendeur, le demandeur ne peut invoquer une atteinte à l’équité procédurale pour la période précédant l’audience du 5 novembre 2004, qu’il s’agisse de la non‑réception d’une transcription de la décision à la suite d’une révision, de la notification de la date, de l’heure et du lieu de l’audience ou de la participation d’un conseiller du TATC à l’examen de la requête préliminaire concernant la fixation de la date de l’audience.

 

[42]           Le défendeur soutient également qu’il n’y a eu en aucune manière atteinte à l’équité procédurale, au cours de l’audience du 5 novembre 2004 du fait notamment lorsque le TATC a décidé de ne pas prendre en compte l’exposé écrit accompagnant l’avis d’appel du demandeur lorsque ce dernier ne s’est pas présenté à l’audience d’appel.

 

[43]           Le défendeur soutient en outre que l’absence de transcription textuelle de l’audience du 5 novembre 2004 devant le TATC n’a pas non plus porté atteinte à l’équité procédurale.

 

[44]           Le défendeur signale enfin que la question des dépens ne se pose pas en l’espèce. Cette question a été tranchée en faveur du demandeur, une décision dont le ministre n’a pas sollicité le contrôle judiciaire.

 

[45]           Le défendeur soutient que, de manière générale, la décision du TATC de procéder à l’audition de l’appel le 5 novembre 2004 était raisonnable et donc que rien ne justifie l’intervention de la Cour, relativement au rejet de cet appel.

 

IV.  Analyse et décision

 

[46]           Les trois présentes demandes de contrôle judiciaire découlent de la sanction imposée au demandeur aux termes de la Loi sur l’aéronautique, et de l’appel interjeté ensuite par celui‑ci à l’encontre de la décision à la suite d’une révision.

 

A.  T‑2056‑04

 

[47]           Dans l’affaire T‑2056‑04, le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle le ministre lui a imposé de « purger à nouveau » la suspension de sa licence de pilote privé pendant une période à être fixée par le ministre, et non par le demandeur.

 

[48]           La « décision » en l’espèce est constituée par la lettre émanant du bureau du ministre et concernant la signification de la suspension que le ministre avait imposée au moyen d’un avis de suspension délivré le 2 septembre 2003. La demande de sursis présentée par le demandeur au TATC a été accordée jusqu’à l’audience relative à la décision à la suite d’une révision.

 

[49]           Je suis d’avis que la lettre du 29 octobre 2004 a été faite à titre de renseignement. La décision de fond en cause, c’était la suspension elle‑même. La lettre du 29 octobre 2004 peut être qualifiée de lettre d’information du ministre quant à la manière dont la suspension serait purgée. Il est manifeste que l’avis de suspension lui‑même contenait des directives quant à la participation du ministre à la fixation de la période de suspension, comme il ressort du passage suivant :

 

Cette suspension prend effet et se termine aux heures et aux dates indiquées ci‑dessus.

 

[...]

 

Vous devez remettre, d’ici la date de prise d’effet de cette suspension, votre document au bureau régional de Transports Canada, sauf si le Tribunal d’appel des transports du Canada sursoit à la mesure prise par le ministre. Le fait de ne pas retourner un document suspendu au ministre constitue une contravention à l’article 103.03 du Règlement de l’aviation canadien.

[Souligné dans l’original.]

 

 

[50]           La lettre du 29 octobre 2004 s’apparente à une « lettre de politesse ». Or, dans Hughes c. Canada (Agence des douanes et du revenu) (2004), 22 Admin. L.R. (4th) 49 (1re inst.), la Cour a conclu qu’une lettre de ce genre n’était pas susceptible de contrôle judiciaire.

 

[51]           Au moment où cette lettre a été rédigée, en outre, le demandeur avait introduit une autre instance en appel en vertu de la Loi sur l’aéronautique, soit l’appel à l’encontre de la décision à la suite d’une révision. L’appel portait sur la conclusion selon laquelle la suspension était justifiée. Le demandeur a ainsi exercé deux voies de recours incompatibles : il était censé purger sa suspension alors que son appel était en instance.

 

[52]           Subsidiairement, si cette lettre constitue une décision susceptible de contrôle, je me dois d’examiner les arguments des parties au fond. L’avis transmis par le ministre selon lequel le demandeur devait purger sa suspension pendant une période à être fixée avec le ministre fait‑il jouer la jurisprudence Kienapple relative à la règle non bis in idem?

 

[53]           Dans l’arrêt Kienapple, la Cour suprême a dit que la règle de l’autorité de la chose jugée interdit les déclarations de culpabilité multiples pour différentes infractions découlant des mêmes faits. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Le demandeur se plait d’être puni deux fois en devant purger sa suspension d’une manière satisfaisant le ministre de sorte. Je suis d’avis que la jurisprudence Kienapple n’est pas pertinente en l’occurrence.

 

[54]           Le défendeur soutient que la présente demande de contrôle judiciaire est théorique étant donné que le demandeur a finalement purgé sa suspension en janvier 2005. Quoi qu’il en soit, il y a ainsi reconnaissance par le défendeur – consignée au dossier – que le demandeur a bien purgé sa suspension.

 

[55]           L’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général) (1989), 33 C.P.C. (2d) 105, page 115, contient une analyse de la doctrine relative au caractère théorique :

La doctrine relative au caractère théorique est un des aspects du principe ou de la pratique générale voulant qu’un tribunal peut refuser de juger une affaire qui ne soulève qu’une question hypothétique ou abstraite. Le principe général s’applique quand la décision du tribunal n’aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Si la décision du tribunal ne doit avoir aucun effet pratique sur ces droits, le tribunal refuse de juger l’affaire [...]

 

 

[56]           Il relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour de reconnaître qu’une instance n’a qu’un caractère théorique. Dans la mesure où le demandeur a expressément déclaré dans sa lettre du 7 octobre 2004 qu’il en appelait devant le TATC de l’imposition de sa suspension, sa demande n’est pas théorique. C’est l’imposition de la suspension, non le fait de l’avoir purgée, qui fait l’objet de la demande de contrôle judiciaire.

 

[57]           Cela dit, la demande de contrôle judiciaire dans la cause numéro T‑2056‑04 est rejetée, avec dépens.

 

B.  T‑2057‑04

 

[58]           Dans cette instance, le demandeur sollicite le contrôle judiciaire du refus par le TATC de fixer l’audition de son appel à une date postérieure au 15 mars 2005. Le demandeur fait valoir divers arguments fondés sur l’atteinte à l’équité procédurale. Le défendeur invoque pour sa part la redondance, puisque l’appel a été entendu.

 

[59]           Le demandeur renvoie à diverses dispositions de la Loi sur l’aéronautique et de la Loi sur le TATC, ainsi que des Règles du TATC. Je ne suis toutefois pas convaincue, contrairement à ce qu’il allègue, que le demandeur a établi quelque atteinte que ce soit en ce qui concerne l’équité procédurale. Le TATC, en tant que tribunal établi par une loi, dispose du pouvoir inhérent de diriger le déroulement de l’instance, sous réserve du respect des règles générales d’équité procédurale. Dans l’arrêt Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, la Cour suprême du Canada a dit que la notion d’équité procédurale est variable et que son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas. Le contenu de l’obligation d’équité procédurale dépend de l’espèce, des dispositions législatives pertinentes et de la nature de la décision à prendre.

 

[60]           Pour ce qui est de la nature de la décision à prendre, c’est de la fixation de la date d’audience qu’il s’agissait en l’espèce. C’est là à mon avis un stade purement administratif qui est entièrement du ressort du TATC, sous réserve d’un avis suffisant donné au demandeur.

 

[61]           D’après le dossier, le demandeur a eu connaissance de la date d’audience proposée, qui était le 5 novembre 2004. Le Tribunal a choisi cette date après avoir eu des problèmes pour informer le demandeur de la date d’audience en septembre. Le demandeur ne disposait pas du droit d’obtenir la date de son choix. Le TATC est tenu de traiter rapidement les appels dont il est saisi. Quoique le dossier révèle certaines difficultés de communication avec le demandeur, je suis convaincue que le TATC a agi conformément à sa mission en rejetant la demande que lui avait présentée le demandeur de remise à beaucoup plus tard de l’audition de l’appel, soit après le 15 mars 2005.

 

[62]           Je suis d’avis que les arguments du défendeur au sujet de la redondance sont analogues à ceux qui portent sur le caractère théorique. Dans la mesure où la présente demande soulève une question qui est liée aux autres éléments de la demande de contrôle judiciaire, voire modulée en fonction de ceux‑ci, la question n’est pas théorique.

 

[63]           Il reste une autre question à examiner, soit celle de la nature de la « décision ». La décision concernant la fixation d’une date est de nature interlocutoire et, de manière générale, les décisions interlocutoires ne peuvent pas faire l’objet d’un contrôle judiciaire (se reporter à cet égard aux décisions Szezecka c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 116 D.L.R. (4th) 333 et Novopharm Ltd. c. Aktiebolaget Astra, [1996] 2 C.F. 689.

 

[64]           Dans Novopharm, la Cour a refusé le contrôle judiciaire d’une décision interlocutoire d’un office fédéral puisqu’un recours subsidiaire était ouvert, à savoir l’appel à l’issue de l’instance administrative. En l’espèce, la question soulevée par la décision interlocutoire du TATC de refuser la remise de l’audition de l’appel à une date postérieure au 15 mars 2005, et ce qui en découle, pouvait valablement être examinée au moyen d’une demande de contrôle judiciaire visant l’audition.

 

[65]           Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

 

C.  T‑5‑05

 

[66]           Par cette demande de contrôle judiciaire, le demandeur conteste la décision du TATC de rejeter son appel au motif qu’il ne s’était pas présenté à l’audience du 5 novembre 2004. Voici le dispositif de cette décision :

 

En raison du fait que l’appelant n’a pas comparu alors qu’un avis d’audience dans cette affaire lui avait été signifié personnellement le 18 octobre 2004, l’intimé n’a donc pas à établir le bien‑fondé de sa cause. Le Tribunal a décidé de rejeter l’appel et de maintenir la décision à la suite d’une révision. Le comité d’appel confirme la suspension de dix‑sept jours imposée par le ministre des Transports.

 

 

[67]           Le demandeur fait valoir, cette fois‑ci encore, divers arguments concernant les prétendues atteintes à l’équité procédurale et aux obligations imposées par la loi. Le défendeur soutient pour sa part que la décision mettait en cause une question mixte de pouvoir discrétionnaire et de droit, qui appelle comme norme de contrôle la décision raisonnable, et le recours à l’analyse pragmatique et fonctionnelle; la décision doit être confirmée vu cette norme. Le défendeur soutient, subsidiairement, que la question en litige se rapporte à l’équité procédurale, qui appelle la norme de la décision correcte, sans qu’il soit alors nécessaire de procéder a une analyse pragmatique et fonctionnelle.

 

[68]           L’analyse pragmatique et fonctionnelle donne lieu à la prise en compte de quatre facteurs : la présence ou l’absence d’une clause privative, l’expertise du tribunal, l’objet de la loi et la nature de la question. Je renvoie à cet égard à l’arrêt Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226.

 

[69]           Dans la décision Asselin, le juge des requêtes a soumis à l’analyse pragmatique et fonctionnelle une décision du Comité d’appel du Tribunal de l’aviation civile, l’actuel TATC, et il a fait les observations suivantes au paragraphe 11 :

 

Compte tenu, donc, de l’existence d’une clause privative, de l’expertise du Comité d’appel, de la sécurité du public visée par la Loi et du caractère technique et spécialisé du Règlement, j’estime qu’une norme fondée sur la retenue judiciaire est appropriée. Toutefois, étant donné que la question devant le Comité d’appel impliquait non seulement une question de fait, mais aussi une question de droit relative à l’interprétation et à l’application du paragraphe 801.01(2) du Règlement et de l’article 2.5 du chapitre 1 de l’article 821 des Normes d’espacement, je considère, comme l’a d’ailleurs déjà décidé mon collègue le juge Gibson dans Killen c. Canada (ministre des Transports) (8 juin 1999), T‑2410‑97, en regard d’une autre décision du même Comité d’appel, que la norme de contrôle applicable se situe entre la norme de la décision correcte et la norme du caractère manifestement déraisonnable, soit la norme de caractère raisonnable simpliciter.

 

 

[70]           Je suis d’accord avec cette approche. En l’espèce, la norme indiquée est soit celle de la décision correcte, si l’on considère que la décision rendue sommairement sur l’appel constitue une question d’équité procédurale, soit celle de la décision raisonnable, si l’on considère qu’il s’agit là d’une question d’exercice du pouvoir discrétionnaire.

 

[71]           Le critère applicable au contrôle des décisions discrétionnaires est formulé comme suit dans l’arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages 7 et 8 :

 

[...] C’est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s’ingérer dans l’exercice qu’un organisme désigné par la loi fait d’un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s’est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision. [...]

 

 

[72]           En l’espèce, le TATC dispose d’un large pouvoir discrétionnaire à l’égard de sa procédure aux termes de l’article 15 de la Loi sur le TATC :

 

15. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le Tribunal n’est pas lié par les règles juridiques ou techniques applicables en matière de preuve lors des audiences. Dans la mesure où les circonstances, l’équité et la justice naturelle le permettent, il lui appartient d’agir rapidement et sans formalisme.

15. (1) Subject to subsection (2), the Tribunal is not bound by any legal or technical rules of evidence in conducting any matter that comes before it, and all such matters shall be dealt with by it as informally and expeditiously as the circumstances and considerations of fairness and natural justice permit.

(2) Le Tribunal ne peut recevoir ni admettre en preuve quelque élément protégé par le droit de la preuve et rendu, de ce fait, inadmissible en justice devant un tribunal judiciaire.

(2) The Tribunal shall not receive or accept as evidence anything that would be inadmissible in a court by reason of any privilege under the law of evidence.

(3) Toute partie à une instance devant le Tribunal peut comparaître en personne ou s’y faire représenter par toute personne, y compris un avocat.

(3) A party to a proceeding before the Tribunal may appear in person or be represented by another person, including legal counsel.

(4) Les audiences devant le Tribunal sont publiques. Toutefois, elles peuvent être tenues en tout ou en partie à huis clos si, de l’avis du Tribunal :

(4) Hearings shall be held in public. However, the Tribunal may hold all or any part of a hearing in private if it is of the opinion that

a) il y va de l’intérêt public;

(a) a public hearing would not be in the public interest;

b) des renseignements d’ordre médical pouvant être dévoilés sont tels que, compte tenu de l’intérêt de la personne en cause, l’avantage qu’il y a à ne pas les dévoiler en public l’emporte sur le principe de la publicité des audiences;

(b) medical information about a person may be disclosed and the desirability of ensuring that, in the interests of that person, the information is not publicly disclosed outweighs the desirability of adhering to the principle that hearings be open to the public; or

c) des renseignements commerciaux confidentiels pouvant être dévoilés sont tels que l’avantage qu’il y a à ne pas les dévoiler en public l’emporte sur le principe de la publicité des audiences.

(c) confidential business information may be disclosed and the desirability of ensuring that the information is not publicly disclosed outweighs the desirability of adhering to the principle that hearings be open to the public.

(5) Dans toute affaire portée devant le Tribunal, la charge de la preuve repose sur la prépondérance des probabilités.

(5) In any proceeding before the Tribunal, a party that has the burden of proof discharges it by proof on the balance of probabilities.

 

 

[73]           Je renvoie également aux articles 4 et 13 des Règles du TATC :

 

4. Le Tribunal peut prendre les mesures qu’il juge nécessaires pour trancher efficacement, complètement et équitablement, au cours d’une instance, toute question de procédure non prévue par la Loi ou les présentes règles.

 

4. Where a procedural matter not provided for by the Act or by these Rules arises during the course of any proceeding, the Tribunal may take any action it considers necessary to enable it to settle the matter effectively, completely and fairly.

 

13. Le Tribunal peut, à la demande d’une partie ou de son propre chef, ajourner en tout temps une instance aux conditions qu’il estime justes.

 

13. At any time, the Tribunal may, on the application of any party or on its own motion, adjourn a proceeding on such terms, if any, as seem just.

 

[74]           À mon avis, le TATC a rendu une décision discrétionnaire lorsqu’il a décidé de rejeter l’appel du demandeur, et cette décision appelle la norme de la décision raisonnable.

 

[75]           Sur la foi du dossier, je conclu que le demandeur avait connaissance de la date d’audience. Je conclu également qu’il avait fait connaître son intention de ne pas s’y présenter le 5 novembre. Il ne pouvait pas légitimement s’attendre à ce qu’il y ait remise de son appel en raison du message qu’il avait transmis par télécopieur tôt le matin du 5 novembre 2004 au TATC. Bien qu’il y ait eu des problèmes de communication avec le demandeur, ce dernier savait ce qui en était quant à la fixation de la date d’audition de son appel. Le demandeur a analysé au microscope la procédure suivie par le TATC sans, à mon avis, avoir établi que ce tribunal avait commis une erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire susceptible de contrôle.

 

[76]           Le demandeur était l’appelant pour ce qui est de l’appel devant le TATC, et c’est à lui qu’il incombait de se manifester. Il avait connaissance de la date de l’audience, et il ne s’y est pas présenté. Je suis d’avis qu’il n’y a pas eu d’erreur dans la façon dont le TATC a exercé son pouvoir discrétionnaire lorsqu’il a rejeté l’appel en l’absence du demandeur.

 

[77]           Si l’on suppose, subsidiairement, qu’une question d’équité procédurale est en jeu, je conclus, pour les motifs énoncés plus haut, que le TATC n’a nullement porté atteinte à l’équité procédurale. Le demandeur avait connaissance de la date d’instruction et il ne s’y est pas présenté. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.

 

[78]           Les présents motifs seront déposés au dossier T‑5‑05 et consignés dans les dossiers T‑2056‑04 et T‑2057‑04.

 

« E. Heneghan »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 18 juillet 2006

 

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑2056‑04, T‑2057‑04 et T‑5‑05

 

 

INTITULÉ :                                       AIDAN BUTTERFIELD c.

                                                            PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 6 décembre 2005 – observations

                                                            supplémentaires reçues des parties

                                                            les 3, 13 et 20 mars 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       La juge Heneghan

 

DATE DES MOTIFS ET

DE L’ORDONNANCE :                   Le 18 juillet 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Aidan Butterfield                                           LE DEMANDEUR – POUR SON PROPRE COMPTE

Pour son propre compte

 

Cindy Mah/Valerie Anderson                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Aidan Butterfield                                                                                        POUR LE DEMANDEUR

Richmond (C.‑B.)                                                                     (s’est représenté lui‑même)

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada                                                              POUR LE DÉFENDEUR

 

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