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Date : 20060410

Dossier : IMM-2150-05

Référence : 2006 CF 395

ENTRE :

INTHIKHAB HUSSAIN MATHEEN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

 

INTRODUCTION

[1]               Le demandeur est un citoyen tamoul musulman, originaire du Sri Lanka. Il est arrivé au Canada le 4 septembre 2001, muni d’un visa d’étudiant, en vue de poursuivre des études à l’Université Lakehead. Le 11 août 2003, il a présenté une demande afin de se voir reconnaître la qualité de réfugié ou de personne à protéger au Canada. Il a prétendu qu’il craignait avec raison le père d’un ancien camarade de classe ainsi que la police. Le père en question occuperait un poste de haut rang au sein du gouvernement et serait politiquement actif et prospère. Contrairement à la plupart des demandeurs d’asile tamouls originaires du Sri Lanka, le demandeur est né à Columbo et semble y avoir passé la totalité, ou du moins, la majeure partie de sa vie avant de venir au Canada.

 

[2]               Dans une décision datée du 16 mars 2006, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande d’asile du demandeur. Ce dernier a demandé le contrôle judiciaire de cette décision. Les présents motifs font suite à l’audition d’une partie de cette demande de contrôle judiciaire.

 

CONTEXTE

[3]               Le demandeur était un étudiant qui avait beaucoup de succès en informatique. Il était premier de sa classe. C’est ainsi qu’on lui a offert un poste d’aide-enseignant, assorti de la possibilité d’aller travailler à Singapour et d’acquérir un peu d’expérience professionnelle. Il devait commencer à enseigner en décembre 2000.

 

[4]               Un camarade de classe du demandeur, classé au deuxième rang dans la même discipline et jaloux du succès du demandeur et des occasions qui lui étaient offertes, lui a demandé de lui céder sa place. Le demandeur a refusé. Le camarade de classe l’a menacé. Les menaces étant restées sans effet, le père du camarade de classe est intervenu. Selon le demandeur, le père a faussement informé le CID (Criminal Investigations Department) ou Service des enquêtes criminelles), une branche de la police sri-lankaise, que le demandeur entretenait des liens avec les Tigres tamouls. Le CID a mis le demandeur sous garde, l’a interrogé et l’a roué de coups. Par peur et par désespoir, de même qu’à l’incitation de ses parents, le demandeur s’est inscrit à l’Université Lakehead, à Thunder Bay (Ontario), en janvier 2001, dans le but d’y entreprendre un cours en génie logiciel.

 

[5]               Lorsque l’école que fréquentait le demandeur a eu vent de la situation, elle lui a offert d’aller directement à Singapour pour y travailler comme instructeur. Le camarade de classe du demandeur a entendu parler de cette offre. Le demandeur allègue qu’une fois de plus le père de son camarade de classe l’a fait arrêter et que, une fois de plus, il a été interrogé et roué de coups. Grâce à l’intervention d’un avocat, le demandeur a été relâché, mais il a reçu ordre de rester à Columbo en attendant l’issue de l’enquête.

 

[6]               Le demandeur a obtenu son visa d’étudiant canadien.

 

[7]               Dans l’exposé circonstancié de son formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur décrit les circonstances qui l’ont finalement poussé à demander la qualité de réfugié ou de personne à protéger :

[Traduction] Après mon arrivée, le PUN (Parti de l’unité nationale) a accédé au pouvoir en décembre 2001 et mon père a porté plainte contre le père de Chamath [le camarade de classe en question]. Comme il est très influent, le père de Chamath a causé des problèmes à mon frère, qui a été arrêté en mai 2002. Après cela, je n’ai pas pu poursuivre mes études; ma situation me rendait dépressif et j’ai eu un accident d’automobile en octobre 2002. Cependant, je n’étais toujours pas décidé à demander l’asile. Mais, à la demande de mes parents, j’ai pris la décision de le faire parce qu’ils ont dit que le père de Chamath leur avait causé d’autres ennuis en demandant à mon père de retirer sa plainte et qu’il lui avait dit qu’il me ferait des difficultés si je revenais. Ce n’est qu’à ce moment-là que j’ai décidé de demander l’asile[1].

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[8]               La Commission s’est dite convaincue de l’identité du demandeur. Toutefois, elle a écrit ceci au début de ses motifs succincts :

 

 

 

 

 

[Traduction] À maintes reprises, le demandeur s’est montré évasif et a improvisé lors de son témoignage. Il a montré aussi à quel point il lui était facile de se contredire et de justifier sa dernière version d’un événement[2].

 

La Commission a exprimé des doutes au sujet du fait que le demandeur n’avait pas tenté d’en savoir plus auprès de ses parents quant aux événements qui ont contribué à sa crainte présumée, après son départ du Sri Lanka. La Commission a rejeté son explication, à savoir que ses parents étaient réticents à lui fournir des détails de crainte de le perturber, et qu’il respectait leur réticence. La Commission a exprimé des doutes au sujet d’une lettre d’un avocat sri-lankais qui a informé le demandeur que la police s’intéressait toujours à lui. Une lettre de suivi, provenant censément du même avocat, a été envoyée pour vérification. Pour des raisons d’ordre technique, attribuables au processus de vérification, la Commission a jugé qu’elle ne pouvait pas se fier aux informations de l’avocat et elle a rejeté l’allégation selon laquelle la police s’intéressait toujours au demandeur.

 

[9]               La Commission a fait état d’un rapport d’un médecin, spécialiste en orthopédie. Selon ce document, à la suite d’un accident d’automobile survenu en octobre 2002 au Canada, le demandeur se plaignait d’avoir de la difficulté à se concentrer. Le rapport précisait que le demandeur [Traduction] « … a subi un sérieux choc psychologique », et recommandait la consultation d’un psychologue ou d’un psychiatre. Apparemment, le demandeur a décidé de ne pas suivre cette recommandation. C’est pourquoi la Commission a décidé de ne pas croire que le témoignage du demandeur était influencé par les conséquences de l’accident d’automobile.

 

[10]           Enfin, la Commission a écrit ceci :

[Traduction] Le tribunal a pris en considération plusieurs articles de journaux concernant les Tamouls arrêtés à Columbo […] Ces articles ont été présentés par l’avocat du demandeur après l’audience. Le tribunal étant d’avis que le demandeur a inventé de toutes pièces son récit, il n’y a pas lieu de discuter de ces articles.

 

Pour tous les motifs qui précèdent, le tribunal ne croit pas que le demandeur a fourni une preuve digne de foi qui établirait qu’il craint avec raison d’être persécuté ultérieurement ou s’expose au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. Le tribunal conclut donc qu’il n’est ni un « réfugié au sens de la Convention » ni une « personne à protéger »[3].

[Citation omise.]

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[11]           Des « questions de nature procédurale » entourant « l’ordre inversé des interrogatoires » ou les Directives no 7 du président de la CISR ont été soulevées pour le compte du demandeur. Ces questions ont été scindées de ce que j’appellerai les « questions de fond » qui sont en cause dans la présente demande de contrôle judiciaire, et elles ont été entendues par un juge différent. Elles feront l’objet de motifs distincts, ainsi que d’une ordonnance distincte. Le reste des questions plaidées devant moi a été présenté pour le compte du demandeur essentiellement comme suit : premièrement, la Commission est-elle en droit de considérer l’ignorance, ou autrement dit, le défaut de s’informer, comme une question de crédibilité; deuxièmement, l’exposé circonstancié du formulaire de renseignements personnels du demandeur reflète-t-il l’existence d’une menace pour le demandeur après son départ du Sri Lanka; troisièmement, peut‑on mettre en doute la crédibilité du demandeur si le document relatif à son dossier scolaire ne reflète pas ses notes et, ajouterais-je, son rang, et de plus, était-il loisible à la Commission de mettre en doute la crédibilité du demandeur pour le motif que ce dernier n’a fourni aucune preuve corroborant les possibilités qui lui avaient été censément offertes en raison de ses succès scolaires; quatrièmement, un demandeur est-il tenu de mettre continuellement à jour l’exposé circonstancié de son formulaire de renseignements personnels; cinquièmement, était-il loisible à la Commission de rejeter les informations provenant d’un avocat sri-lankais pour les motifs d’ordre technique sur lesquels elle s’est fondée; enfin, le demandeur était-il cohérent au sujet de la crainte que lui inspirait le père de son camarade de classe?

 

ANALYSE

            a)         Norme de contrôle

[12]           Il n’a pas été contesté devant la Cour que les questions examinées en l’espèce avaient toutes trait à la conclusion que le récit du demandeur quant au fait qu’il craignait d’être persécuté ou de subir un traitement semblable s’il était obligé de retourner au Sri Lanka n’était pas crédible. En outre, il n’a pas été contesté devant moi que la décision de la Commission concernant la crédibilité du demandeur, et donc le bien-fondé de sa demande, est une décision qui commande une grande retenue de la part de la Cour. La norme de contrôle appropriée est donc celle de la décision manifestement déraisonnable. Dans la décision Chowdhury c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration[4], mon collègue le juge Noël a écrit ce qui suit au paragraphe [12] de ses motifs :

La décision de la SPR quant au droit du demandeur d’obtenir l’asile est principalement fondée sur la crédibilité de ses allégations. Il est bien établi que la norme de contrôle en matière d’appréciation de la crédibilité d’un demandeur par la SPR est la décision manifestement déraisonnable (voir Thavarathinam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1469, [2003] A.C.F. no 1866 (C.A.F.), au paragraphe 10; Aguebor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.), au paragraphe 4).

 

            b)         La conclusion de la Commission quant à la crédibilité

[13]           Je suis persuadé que, par rapport à la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable, il était loisible à la Commission de conclure que le demandeur n’avait pas fourni une preuve digne de foi qui soit suffisante pour établir le bien-fondé de sa demande.

 

[14]           Il est bien établi que c’est au demandeur qu’il incombe de prouver une demande présentée en vue de se voir reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger. Dans un tel cas, le demandeur est tenu de s’informer pleinement de toutes les circonstances donnant lieu à sa demande. En l’espèce, le demandeur ne pouvait tout simplement pas se fonder sur la réticence de ses parents à l’informer de tout ce qui, d’après lui, s’était passé après son départ du Sri Lanka et qui avait contribué à sa décision, prise longtemps après son arrivée au Canada, de demander l’asile. Lorsque le fardeau incombe au demandeur, l’ignorance n’est pas une excuse.

 

[15]           Au mieux, l’exposé circonstancié du formulaire de renseignements personnels du demandeur est incomplet pour ce qui est des événements pertinents qui sont survenus après son départ du Sri Lanka. Il était tout à fait loisible à la Commission de tenir compte de cette lacune dans l’exposé circonstancié du demandeur.

 

[16]           Il était également tout à fait loisible à la Commission de signaler le manque de corroboration au sujet du présumé rendement scolaire exceptionnel du demandeur, ainsi que des possibilités d’emploi qui en résultaient. Certes, il aurait été possible d’obtenir une telle corroboration par l’entremise des conseillers scolaires du demandeur, à l’établissement d’enseignement qu’il fréquentait. Ces conseillers auraient sûrement aussi été au courant de l’occasion censément offerte au demandeur à Singapour, et ils auraient pu également confirmer cette offre, même si elle n’avait été faite que de vive voix.

 

[17]           Bien qu’une personne comme le demandeur ne soit pas tenue de mettre à jour son formulaire de renseignements personnels lorsque de nouvelles informations sont portées à sa connaissance, comme je l’ai dit plus tôt, le fardeau incombe au demandeur et s’il omet de s’en acquitter, c’est à son propre péril.

 

[18]           Je suis convaincu qu’il était parfaitement loisible à la Commission d’avoir des doutes, pour les motifs indiqués, à propos des conseils qui auraient été reçus d’un avocat sri‑lankais.

 

[19]           Enfin, bien que je sois convaincu que le demandeur a été cohérent dans la manière d’exprimer la peur que lui inspirait le père de son camarade de classe, ce fait à lui seul ne peut être suffisant pour justifier que la Cour intervienne dans la décision de la Commission.

 

CONCLUSION

[20]           Pour les motifs qui précèdent, les parties de la présente demande de contrôle judiciaire qui ont été soumises à la Cour seront rejetées.

 

[21]           À la fin de l’audience, les avocats ont été informés du rejet de la présente demande. Ils ont été consultés au sujet de la certification d’une question. L’avocate de l’intimé n’a recommandé aucune question à certifier. L’avocat du demandeur a demandé un délai pour réfléchir à la question, et sa requête a été accueillie. Dans une lettre datée du 22 mars 2006, l’avocat du demandeur a informé la Cour qu’il ne recommanderait pas de question en vue de sa certification. La Cour est d’avis que la présente affaire repose entièrement sur les faits qui lui sont propres. Aucune question ne sera certifiée.

 

 

 

« Frederick E. Gibson »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 10 avril 2006

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2150-05

 

INTITULÉ :                                       INTHIKHAB HUSSAIN MATHEEN

                                                            c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 22 mars 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE GIBSON

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 10 avril 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dan M. Bohbot

 

POUR LE DEMANDEUR

Lisa Maziade

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Dan M. Bohbot

Avocat

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 



[1] Dossier du tribunal, page 0026.

[2] Dossier du tribunal, page 0004.

[3] Dossier du tribunal, page 0007.

[4] 2006 CF 139, 7 février 2006, [2006] A.C.F. no 187 (décision non citée devant la Cour).

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